Logique de Port Royal

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 489

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com

വവി വിവ
വശവ
ിവാ

THE LIBRARIES

COLUMBIA UNIVERSITY
|
വവിവ

GENERAL L! BRARY

വവവ വ വവ വ
|
i

in

1
1
|
(
|
{
>
1
)
(
|
I
l
i
1

1
1
}

-
|

/
LOGIQUE
DE

PORT- ROYAL
Paris . - Imprimerie Vjéville et Capiomont, rue des Poitevins , 6 .
LOGIQUE

DE PORT-ROYAL
PRÉCÉDÉE D'UNE NOTICE
SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES D'ANTOINE ARNAULD

ET ACCOMPAGNÉE DE NOTES

PAR

CHARLES JOURDAIN
Inspecteur général de l'enseignement supérieur

NOUVELLE ÉDITION

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1874
BC
.As
2014

25 33
35359c
Motos
868 V
.NO

NOTICE

SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

D'ANTOINE ARNAULD .

Antoine Arnauld , né à Paris le 6 février 1621 , était le


vingtième enfant d'un avocat du même nom qui avait
plaidé en 1594, au parlement de Paris, la cause de l'U
niversité contre les Jésuites. L'exemple de son père et
ses goûts le portaient à suivre la carrière du barreau ;
mais il en fut détourné par l'abbé de Saint-Cyran, di
recteur de l'abbaye de Port-Royal et ami de sa famille,
qui le décida à embrasser l'état ecclésiastique. Après de
fortes études de théologie, où il se pénétra des senti
ments de saint Augustin sur la grâce, il fut admis en
1643 au nombre des docteurs de la maison de Sorbonne.
La même année vit paraftre son traité de la Fréquente
communion ; mais ce livre, dont l'austérité formait un
contraste remarquable avec la morale indulgente des
Jésuites, souleva des haines si puissantes que, malgré
l'appui de l'Université, du parlement et d'une partie de
l'épiscopat, l'auteur dut céder à l'orage et se cach 'r
A
II NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
comme un fugitif. A partir de ce moment, objet d'ini
mitié pour les uns et d'admiration pour les autres, mêlé
activement aux querelles théologiques que les doctrines
de Jansénius provoquèrent en France, la vie d'Arnauld
fut celle d'un chef de parti et se passa dans la lutte, dans
la persécution et dans l'exil . En 1656, la Sorbonne, ap
pelée à prononcer, l’effaça, non sans une vive opposi
tion , du rang des docteurs , pour avoir avancé cette thèse
janséniste, que l'Évangile et les Pères nous montrent,
en la personne de saint Pierre, un juste auquel a man
qué la grâce nécessaire pour bien agir. Une transaction
entre les partis, conclue en 1668, sous le nom de paix
de Clément IX , procura à l'Église de France quelques
années d'un repos glorieux, qu'Arnauid employa à dé
fendre la cause de l'orthodoxie catholique contre les
ministres Claude et Jurieu ; mais en 1679 , l'hostilité re
doutable de l'archevêque de Paris, François de Harlay,
les rigueurs exercées contre Port-Royal et les craintes
personnelles qu'il inspirait à Louis XIV, l'obligèrent à
quitter la France . Il se rendit d'abord à Mons, puis à
Gand , à Bruxelles, à Anvers, cherchant de ville en ville
une retraite qu'il n'y trouvait pas, et malgré son grand
age, ses infirmités et les périls de cette vie errante , ne
cessant pas d'écrire et de combattre. Il est mort à Liége
117 le 8 août 1694 , à l'âge de quatre- vingt-trois ans '.
Par le nombre de ses ouvrages, par l'étendue de son
savoir théologique, par la fermeté indomptable de son
caractère et la pureté de ses moeurs, Arnauld est une des

1. Une édition des Euvres d'Arnauld a été publiée à Lausanne,


1775-1781 , en quarante-deux volumes in -4', auxquels il faut joindre
deux volumes du Traité de la perpétuité de la foi, et un volume de la
vie de l'auteur. ( 694
16 %
777
D'ANTOINE ARNAULD . III

gloires de l'Église gallicane ; mais ce n'est pas le héros


du Jansenisme et de Port-Royal, l'adversaire intrépid
des Jésuiles et de la Réforme que nous avons ici à con
sidérer, c'est le penseur, le disciple exact ou l'émule
judicieux des maîtres de la philosophie moderne, qu'il
aurait pu égaler, sans toutefois leur ressembler, si
d'autres soucis, d'autres études, d'autres luttes, n'a
vaient rempli sa vie et comme absorbé cette måle intel
ligence.

II

Le premier ouvrage philosophique sorti de la plume


d'Arnauld est la thèse qu'il rédigea en 1641 pour un de
ses disciples au collége du Mans, Charles Walon de
Beaupuis, devenu plus tard directeur des écoles de Port
Royal et du séminaire de Beauvais , et mort au com
mencement du dix -huitième siècle avec une grande ré
putation de savoir et de vertu . Anciennement une thèse
consistait en quelques propositions non développées que
le candidat devait soutenir contre ses juges. Celle du
sieur de Beaupuis n'a rien innové à ce vieil usage ; Ar
nauld ne fait qu'y poser, dans un latin assez pur, des
conclusions au nombre de vingt- quatre sur différents
points de physique, de mathématiques, de morale et de
métaphysique . On sent combien une pareille ébauche
a peu d'importance; elle ne mériterait pas d'être men
tionnée, si elle ne marquait le premier pas d'un homme

1. OEuvres complètes, t . XXXVIII, p. 1 et 6


IV NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
célèbre dans une carrière où il devait acquérir une
gloire durable .
Le cartesianisme fournit à Arnauld une occasion plus
favorable d'exercer son talent philosophique. Descartes,
sur le point de publier ses Méditations, avait chargé Mer
senne d'en communiquer le manuscrit aux théologiens
qu'il jugerait « les plus capabies, les moins préoccupés
des erreurs de l'école, les moins intéressés à les main
tenir, enfin les plus gens de bien, sur qui il reconnai
trait que la vérité et la gloire de Dieu auraient plus de
force que l'envie et la jalousie. » Il espérait recueillir
des approbations « qui pussent soutenir l'ouvrage et
empêcher les cavillations des ignorants qui auraient en
vie de contredire, s'ils n'étaient retenus par l'autorité de
personnes doctes ' . » Ce qui importait surtout était d'ob
tenir l'avis des docteurs de la Faculté de théologie de
Paris. Mais, remarque Baillet, soit qu'ils approuvassent
entièrement l'ouvrage, soit qu'ils le méprisassent, soit
enfin qu'ils ne l'entendissent pas, il ne se trouva per
sonne dans tout ce grand et vénérable corps qui voulut
s'ériger en censeur de Descartes, si l'on excepte un jeune
docteur ou licencié de Sorbonne qui , ayant lu autrefois
le Discours de la Méthode avec plaisir, avait acquiesce
au désir du P. Mersenne . Ce jeune docteur était Ar
nauld , que les circonstances appelaient, à peine ågé de
vingt-huit ans, à donner son jugement d'un ouvrage qui
contenait le germe de la philosophie moderne.
Le premier objet sur lequel partent les objections, ou
plutôt les observations d'Arnauld , est la nature de l'es
prit humain . Il rappelle, en commençant, que le plus

1. La Vie de M. Descartes, Paris. 1691 , p. 102, 104, 124.


D'ANTOINE ARNAULD . V

grand des Pères de l'Eglise latine, saint Augustin , avait


établi pour fondement de la connaissance humaine le
même fait que Descartes , l'existence personnelle révé
lée par la pensée ; rapprochement curieux et utile qui ne
détruisait pas l'originalité du cartesianisme et qui , en
le fortifiant de l'autorité d'un nom respecté , prévenait
de facheuses résistances.
Arnauld examine ensuite si la distinction de l'âme et
du corps peut se conclure de l'idée que nous avons de
l'un comme sujet étendu et de l'autre comme sujet pen
sant, et il développe les motifs qui le portent à regarder
cette conclusion, non pas sans doute comme fausse en
elle-même, mais comme hasardée et sans rapport sufii
sant avec les prémisses. Après avoir médité de nouveau
la question et pesé les réponses de Descartes, Arnauld
finit par se rendre à son avis, et déclara tout ce que
l'auteur des Méditations avait écrit sur ce sujet « très
clair , très-évident et tout divin ' . » Ce jugement laconi
que où respire l'enthousiasme envers un philosophe de
génie, ne diminue pas, selon nous, la portée des réser
ves précédentes . Osons le dire, toute preuve de la spiri
tualité de l'ame , tirée de la différence pure et simple de
l'étendue et de la pensée, a pour principe une hypothèse
que l'expérience ne confirme pas, ou plutôt qu'elle dé
ment, savoir que des attributs différents ne peuvent pas
appartenir à un même sujet. Pour compléter la démon
stration, il faut pousser plus avant l'analyse psycholo
gique ; il faut montrer que tout phénomène de conscience
implique l'unité et l'identité du principe pensant, con
ditions que ne remplit pas la substance matérielle,
1. Lettre à Descartes (OEuvres complètes, t. XXXVIII).
VI NOTICE SUK LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

puisqu'elle est un assemblage mobile de parties qui se


renouvellent de jour en jour ; surtout il faut dégager
cet élément essentiel de notre nature morale qui se pos
sède et se gouverne parce qu'elle se connait, je veux dire
la force volontaire et libre, opposée à l'inertie de la ma
tière ou à son aveugle et fatale activité. La gloire impé
rissable de Descartes est d'avoir vivement senti, forte
ment soutenu que le principe intellectuel est distinct de
l'organisation physique ; mais peut- être n'a - t - il pas éta
bli cette vérité avec toute la rigueur désirable, en se
bornant, comme il l'a fait, à répéter sous toutes les for
mes, que la notion de l'étendue ne comprend pas celle
de la pensée et qu'elle n'y est pas comprise. La conclu
sion si importante qu'il tire de cette prémisse indubita
ble exigeait un complément de preuve , sans lequel cette
partie des Méditations ne satisfait pas pleinement l'esprit.
Arnauld soulève deux autres questions assez graves :
la première, si nous avons connaissance de tout ce qui
se passe en nous ; la seconde, si nous pensons toujours.
Puisque l'existence de l'âme consiste dans la pensée,
exister, pour elle, c'est penser ; elle pensé donc du mo
ment qu'elle existe, c'est-à-dire à l'instant même de la
conception , et ce phénomène se continue sans interrup
tion pendant toute la durée de la vie. Comme d'ailleurs
la pensée n'a de réalité qu'autant qu'elle vient se redou
bler dans la conscience , il faut bien que pas une seule
de nos pensées ne nous échappe, sauf à en oublier par
la suite le plus grand nombre . Telle est la réponse que
Descartes adresse à Arnauld : elle nous paraît la consé
quence rigoureuse de sa théorie sur la nature de
l'âme .
Relativement à la démonstration de l'existence divine,
D'ANTOINE ARNAULD . VII

Arnauld critique avec vivacité cette pensée que Dieu est


positivement par soi-même comme par une cause . Il
montre que la cause précédant toujours son effet, si la
Divinité était la cause de son étre, elle se précéderait
elle -même; elle se serait donné ce qu'elle possédait déjà ;
elle se conserverait ou plutôt elle se rendrait ce qu'elle
ne peut jamais perdre, conséquence inadmissible ou
même absurde . A parler proprement, on ne peut pas
demander la cause de l'existence divine ; ce terme de
cause appliqué à Dieu n'offre pas de sens raisonnable ;
Dieu existe comme un triangle a trois angles, parce qu'il
est dans la nature d'un être parfait d'exister. Descartes
rétracta dans sa réponse la proposition qui avait scan
dalisé Arnauld . Il convint 1º que Dieu n'est pas la cause
efficiente de lui-même ; 2 ° qu'il ne se conserve par au
cune influence positive, et il se borna à justifier les ter
mes de la troisième Méditation ; ce qu'il déduisit peut
être plus au long que la chose ne semblait le mériter,
« afin , dit-il , de montrer qu'il prenait soigneusement
garde à ne pas mettre dans ses écrits la moindre chose
que les théologiens pussent censurer avec raison ' . »
Arnauld termine en signalant quelques points suscep
tibles d'alarmer la foi et d'être entendus en mauvaise
part, entre autres le doute érigé en méthode et la con
fusion des erreurs spéculatives et des erreurs pra
tiques.
Les objections d'Arnauld se distinguent par une mo
dération respectueuse qui contraste avec la légèreté
malveillante de quelques-uns des adversaires du carté
sianisme. Elles élevèrent très-haut sa réputation comme

1. Réponses aux quatrièmes objections.


· VIII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

penseur, et le placèrent au nombre des partisans les


plus éclairés du nouveau système. Dans les années sui
vantes, les querelles théologiques tournèrent ailleurs
son attention et ne permirent pas même qu'il entretint
avec Descartes des relations suivies ; mais s'il n'a pas
contribué au succès de la réforme philosophique, autant
qu'on pouvait l'espérer d'un esprit de cette trempe, elle
a du moins obtenu toutes ses sympathies, et dans plu
sieurs circonstances il en a défendu les principes avec
chaleur contre d'injustes attaques. Les rapports des
théories cartésiennes avec le dogme chrétien étaient
peut-être le point qui soulevait le plus de controverses
entre les sectes religieuses et les partis rivaux qui divi
saient alors la France. Les protestants soutenaient que
la définition de la matière par l'étendue ne pouvait se
concilier avec le dogme de la transsubstantiation, et
quelques écrivains catholiques, partageant cette manière
de voir, y puisaient des armes contre tout exercice in 4

dépendant de l'intelligence. S'il eût fallu les en croire, 1

la philosophie se composait de vraisemblances, mélan


gées de beaucoup d'incertitudes et d'erreurs; elle tou
chait à l'hérésie et presque toujours s'y égarait; l'esprit
humain ne pouvait parvenir à la certitude que par la
foi. Ces déclamations dangereuses trouvèrent chez Ar
nauld un antagoniste éloquent et convaincu. Aux minis
tres Claude et Jurieu, il répondit dans plusieurs chapi
tres de la Perpétuité de la foi, que les mystères se croient
et ne s'expliquent pas, et il opposa une réfutation vic
torieuse au traité de l'Existence du corps, publié par un
chanoine breton , fougueux ennemi du cartesianisme et
de la philosophie . Il montra combien il était périlleux
et téméraire de soutenir que les saintes Écritures com
D'ANTOINE ARNAULD . IX

mentées par les Pères sont l'unique source de la vérité,


et qu'en dehors de cet enseignement divin tout est faux
et douteux. « Cette prétention, disait-il, n'est autre
chose qu’un renouvellement de l'erreur des Académi
ciens et des Pyrrhoniens, que saint Augustin a jugée si
préjudiciable à la religion , qu'il a cru devoir la réfuter . »
.
« C'est exposer la religion au mépris des libertins,
continue -t-il, que de vouloir persuader qu'il n'y a rien
de certain dans les livres d'Euclide et d'Archimède, dans
l'analyse de Viète, dans la géométrie de Descartes ; que
tant de découvertes des derniers siècles ne doivent point
ètre réputées véritables si elles ne sont confirmées dans
l'école de Dieu, qui est l'Église, et appuyées par ses li
vres ' . » Qu'il nous soit permis de le faire remarquer,
lorsque Arnauld tenait ce langage, il était d'accord avec
la tradition constante de la société catholique . Beaucoup
de systèmes ont eu le malheur d'être condamnés par le
Saint- Siége ; la philosophie envisagée comme un libre
développement de la raison ne le fut jamais . L'Église
n'interdit pas à la pensée de se replier sur elle-même, et
d'éclairer des lumières de la science les mystères de son
origine, de sa nature et de sa fin. Elle veut que la foi
demeure invariablement respectée, mais elle ne prétend
pas que son empire soit universel et exclusif, et que
l'esprit humain ne possède pas , indépendamment de
la foi, des vérités propres . Ceux qui ont contesté à la
raison cette portée et ces droits, et qui , cachant un
scepticisme dangereux sous un faux air de spiritualité ,
ont douté de sa puissance d'arriver à la certitude , sont
1. OEuv. compl., t. XXXVIII, p. 97 et 98. Voy. aussi une lettre sur
le scepticisme de Huet, citée par M. Cousin , Pensées de Pascal, introd.,
P. XXIII,
X NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
quelques esprits peu sincères et peu sages , que la philo
sophie ne désavoue pas plus hautement que l'Église
elle-même, qui les a repoussés plusieurs fois de son
sein .

III

Avant les persécutions qui l'obligèrent, en 1679, de


quitter la France, Arnauld vivait habituellement à Port
Royal des Champs , dans la société de Nicole , Sacy ,
Lancelot, et du duc de Luynes, traducteur des Médita
tions de Descartes. Ces pieux et savants solitaires con
sacraient les heures de relâche à converser de la philo
sophie et surtout du cartesianisme. Au milieu de ces
entretiens, une rencontre imprévue donna naissance à un
des ouvrages qui honorent le plus le dix - septième siè
cle et la philosophie française , je veux dire l'Art de penser.
Comme la conversation roulait un jour sur la logique, un
des interlocuteurs cita, comme très -digne de remarque ,
l'exemple d'un maître qui, dans sa jeunesse, la lui avait
apprise en quinze jours. Arnauld répondit qu'on pouvait
mieux encore, et qu'en trois fois moins de temps il pro
mettait de faire voir toutes les règles essentielles au jeune
fils du duc de Luynes, Henri de Chevreuse, qui était
1. Sur ce point si grave, nous demandons la permission de renvoyer
à notre livrede La philosophie de saint Thomas d'Aquin , t. I, p. 155
et suiv .; t . II , p. 276 et suiv. On y trouvera cité , t . II , p . 301 , le
dernier décret de la Congrégation de l'Index sur ces matières.
2. Voy. les Mémoires de Fontaine, Utrecht, 1736, et l'ingénieuse at
savante histoire de Port- Royal, par M. Sainte-Beuve , livre deuxième,
ch . xvi , et livre troisième , chap . II.
D'ANTOINE ARNAULD . XI

présent. La proposition ayant été acceptée , il se mit à


l'ouvre, de concert avec Nicole, et en moins d'une se
maine, par un prodige de facilité savante, fut achevée la
Logique de Port-Royal, que le duc de Chevreuse résuma
en quatre tableaux, à étudier en quatre jours. L'ouvrage,
célèbre avant de paraître, circula quelque temps en ma
nuscrit ; mais comme on craignait qu'il ne fut imprimé
en fraude sur une copie infidèle, l'auteur se décida à le
publier, en 1662 , chez Charles Savreux, imprimeur or
dinaire de Port-Royal, avec un discours préliminaire
écrit par Nicole . Une seconde édition, augmentée d'un
nouveau discours et de plusieurs chapitres également dus
à Nicole, parut en 1664 , et fut accueillie par un succès
non moins général que la première . L'Art de penser de
vint dès lors ce qu'il est resté depuis, un livre classique
que les écoles d'Angleterre et d'Allemagne ont emprunté
de bonne heure à la France !, et qui a pris peu à peu dans
l'enseignement la place des indigestes compilations, hé
ritage de la scolastique.

1. L'Art de penser a été attribué à divers auteurs, mais deux notes


citées dans le catalogue manuscrit des livres de l'abbé Goujet et repro
duites par M. Barbier (Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudo
nymes, Paris, 1806 , t. I , p . 496) , me paraissent trancher la question ;
suivant l'une, qui est de Racine, élève, comme on sait, de Port-Royal :
« Les discours et les additions sont de Nicole ; les premières parties
sont du même, avec le docteur Arnauld ; la quatrième partie, qui traite
de la méthode , n'est que de ce célèbre docteur. » Suivant l'autre note :
« Ce qu'il y a de M. Nicole est le fruit de ce qu'il avait enseigné sur
la philosophie à M. Le Nain de Tillemont , qui fut instruit , en effet,
dans les écoles de Port-Royal . » >)

2. En 1736 , selon les auteurs de la Bibliothèque raisonnée, t. XVI,


p. 480, il avait déjà paru dix éditions françaises de l'Art de penser, et
autant d'éditions latines. Celle de 1704 , publiée à Halle , est accompa
née d'une introduction de Fr. Buddée . Nous avons sous les yeux une
traduction anglaise publiée, il y a quinze ans , avec une introduction
et des notes , par M. Th. Spencer Baynes. Edimbourg , 1851 .
XII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

Le Discours préliminaire de Nicole est consacré à


faire voir combien il est utile pour l'homme de cultiver
en lui cette qualité qui s'appelle la justesse d'esprit ,
et qui consiste à discerner exactement la vérité. Rollin
avoue qu'il ne connaît rien qui « soit plus propre à don
ner aux jeunes gens de l'estime et du goût pour la phi
losophie, ni qui puisse mieux leur en faire sentir tout
les avantages et même la nécessité . »
« La principale application qu'on devrait avoir , dit
Nicole, serait de former son jugement et de le rendre
aussi exact qu'il peut être, et c'est à quoi devrait tendre
la plus grande partie de nos études. On se sert de la rai
son comme d'un instrument pour acquérir les sciences,
et l'on devrait se servir, au contraire, des sciences comme
d'un instrument pour perfectionner la raison , la justesse
d'esprit étant infiniment plus considérable que toutes
les connaissances spéculatives auxquelles on peut arri
ver par le moyen des sciences les plus véritables et les
plus solides.
« Les hommes ne sont pas nés pour employer leur
temps à mesurer des lignes, à examiner les rapports des
angles, à considérer les divers mouvements de la ma
tière : leur esprit est trop grand, leur vie trop courte,
leur temps trop précieux pour s'occuper à de si petits
objets; mais ils sont obligés d'être justes , équitables , ju
dicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs ac
tions et dans toutes les affaires qu'ils manient, et c'est à
quoi ils doivent particulièrement s'exercer et se former,
« Ce soin et cette étude sont d'autant plus nécessaires,
qu'il est étrange combien c'est une qualité rare que cette

1. Traité des études, livre IV , art. 2 .


D'ANTOINE ARNAULD . XIII

exactitude de jugement . Ori ne rencontre partout que des


esprits faux, qui n'ont presque aucun discernement de la
vérité ; qui prennent toutes choses d'un mauvais biais ;
qui se payent des plus mauvaises raisons et qui veulent
en payer les autres ; qui se laissent emporter par les
moindres apparences ; qui sont toujours dans l'excès et
dans les extrémités ; qui n'ont point de serre pour se
tenir dans les vérités qu'ils savent, parce que c'est plutôt
le hasard qui les y attache qu'une solide lumière; ou qui
s'arrêtent, au contraire, à leurs sens avec tant d'opinia
treté, qu'ils n'écoutent rien de ce qui pourrait les détrom
per ; qui décident hardiment ce qu'ils ignorent, ce qu'ils
n'entendent pas et ce que personne n'a peut- être jamais
entendu ....
« Cette fausseté d'esprit , continue Nicole , n'est pas
seulement cause des erreurs que l'on mêle dans les scien
ces, mais aussi de la plupart des fautes que l'on commet
dans la vie civile, des querelles injustes, des procès mal
fondés, des avis téméraires, des entreprises mal concer
tées . Il y en a peu qui n'aient leur source dans quelque
erreur et dans quelque faute de jugement : de sorte
qu'il n'y a point de défaut dont on ait plus d'intérêt à se
corriger .... )
Dans un autre Discours qui ne parut, comme nous
l'avons dit, qu'avec la seconde édition, Nicole répond
aux objections que la nouvelle logique avait soulevées.
Pourquoi, disaient les uns, l'intituler l’Art de penser et
non pas l’Art de bien raisonner ? C'est, réplique Nicole,
que la logique ayant pour but de donner des règles pour
toutes les actions de l'esprit, et aussi bien pour les idées
simples que pour les jugements et les raisonnements, il
n'y a guère d'autre mot que celui de pensée qui enferme
XIV NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

toutes ces différentes actions. Pourquoi, disaient les au


tres, ce grand nombre d'exemples tirés des sciences les
plus hautes, et à quoi bon une bigarrure de rhétorique,
de morale, de physique, de métaphysique et de géomé
trie ? Mais c'est justement cet amas de différentes choses,
répond Nicole, qui a donné quelque cours à l'ouvrage, et
qui l'a fait lire avec un peu moins de chagrin qu'on ne lit
les autres. Il est d'ailleurs très- essetiel, pour la bonne
éducation de l'esprit, de ne pas séparer la logique des
sciences auxquelles elle est destinée , et de la joindre
tellement, par le moyen des exemples, à des connais
sances solides, que ceux qui l'étudient voient en même
temps les règles et la pratique. Enfin on reprochait aux
auteurs de l'Art de penser de reprendre quelquefois Aris
tote et de mal dissimuler un secret désir de le rabais
ser ; à quoi Nicole répond qu'il admire dans Aristote un
esprittrès - vaste et très-étendu , mais que ce grand homme
a pu se tromper, et qu'à l'égard des philosophes , tant an
ciens que nouveaux, la seule règle conforme à la raison
est d'approuver ce qu'on juge vrai et de rejeter ce qu'on
juge faux. Partout, dans la Logique de Port-Royal on
retrouve l'empreinte de ces fortes et prudentes maximes
qui furent celles des plus grands esprits du dix - septième
siècle, mais que nul n'a soutenues avec plus de convic
tion et d'autorité que Nicole et Arnauld.
La logique était donc pour eux « l'art de bien con
duire sa raison dans la connaissance des choses, tant pour
s'instruire soi-même que pour instruire les autres. »
Arnauld distingue quatre principales opérations de
l'esprit: concevoir , juger, raisonner, ordonner ; conce
voir, c'est- à -dire nous former des idées des choses quise
présentent à nous ; juger , c'est- à - dire affirmer une idée
D'ANTOINE ARNAULD . XV

d'une autre ; raisonner ou tirer un second jugement d'un


premier ; ordonner, ou disposer diverses idées, divers
jugements, divers raisonnements sur un sujetdéterminé.
Arnauld se trouve ainsi conduit à diviser la logique en
quatre parties, dont la première traite des idées, la se
conde des jugements, la troisième des raisonnements , la
quatrième de la méthode.
Les idées sont considérées selon leur nature et leur
origine, la différence de leurs objets, et leurs principaux
caractères de simplicité et de composition , d'universalité
et de particularité, de clarté et de confusion , etc.
Sur la question de l'origine des idées, Arnauld se pro
nonce avec force contre le système de Hobbes et de Gas
sendi, qui les font dériver des sens . « Il n'y a rien, dit-il ,
que nous concevions plus directement que notre pensée
même, ni de proposition qui puisse nous être plus claire
que celle-là : je pense, donc je suis. Or, nous ne pour
rions avoir aucune certitude de cette proposition , si nous
ne concevions distinctement ce que c'est qu'être, et ce
que c'est que penser .... Si donc on ne peut nier que
nous n'ayons en nous les idées de l'être et de la pensée,
je demande par quel sens elles sont entrées ; sont- elles
lumineuses ou colorées pour être entrées par la vue? d'un
son grave ou aigu, pour être entrées par l'ouïe ? d'une
bonne ou mauvaise odeur, pour être entrées par l'odorat?
de bon ou de mauvais goût, pour être entrées par le
goût ? froides ou chaudes, dures ou molles, pour être en
trées par l'attouchement ? Que si l'on dit qu'elles ont été
formées pard'autres images, qu'on nous dise quelles sont
ces autres images sensibles dont on prétend que les idées
de l'être et de la pensée ont été formées, et comment elles
ont pu être formées, ou par composition, ou par amplia
XVI NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
tion , ou par diminution , ou par proportion . Que si l'on
ne peut rien répondre à tout cela qui ne soit fort dérai
sonnable, il faut convenir que les idées de l'être et de la
pensée ne tirent en aucune sorte leur origine des sens,
mais que notreâme a la faculté de les former de soi-même,
quoiqu'il arrive souvent qu'elle est excitée à le faire par
quelque chose qui frappe les sens : commeun peintre peut
être porté à faire un tableau par l'argent qu'on lui pro
met, sans qu'on puisse dire pour cela que le tableau a
tiré son origine de l'argent. »
Après avoir traité de l'origine des idées, Arnauld les
considère sous le point de vue de leurs objets ; ce qui
l'amène à parler des dix catégories d'Aristote, c'est- à
dire des dix classes principales auxquelles ce philosophe
ramène tous les objets de l'entendement, savoir : la sub
stance, la quantité, la qualité, la relation, l'action, la pas
sion , le temps, le lieu , la situation , la manière d'être.
Cette théorie si souvent admirée et commentée est jugée,
il faut en convenir, avec une rigueur qui dégénère en in
justice . Non - seulement, suivant Arnauld, elle ne servi
rait pas à former le jugement, mais elle accoutumerait
les hommes à se payer de mots, à s'imaginer qu'ils savent
toutes choses lorsqu'ils n'en connaissent que des noms
arbitraires. Il y a plus de solidité et de profondeur dans
le péripatétisme que ne le prétend le disciple de Descar
tes, un peu prévenu contre les anciens par son attache
ment à la philosophie nouvelle.
Dans les chapitres suivants, Arnauld continue d'étu
dier la nature et les caractères des idées ; et, comme le
but qu'il poursuit n'est pas une vaine et stérile instruc
tion , il s'applique à redresser, chemin faisant, les er
reurs que la confusion et l'obscurité de nos pensées nous
D'ANTOINE ARNAULD . XVII

font journellement commettre . Il faut lire surtout quel


ques pages remarquables où sont analysés avec une sin
gulière finesse les illusions et les songes dont les esprits
les plus sages se nourrissent pour tout ce qui touche à
l'opulence, à la grandeur, à la vertu, aux biens et aux
maux de la vie .
Avec le premier chapitre du second livre commence
l'étude du jugement ou plutôt de la proposition qui l'ex
prime, et par conséquent du langage, dont le rôle, les
services et les inconvénients , soit comme signe , soit
comme auxiliaire de la pensée , sont appréciés avec un
détail et surtout une exactitude égalée peut- être, mais non
surpassée par Locke et Condillac.
Arnauld distingue d'abord, selon l'usage des scolasti
ques, quatre sortes de propositions: 1° affirmatives uni
verselles; '2° affirmatives particulières; 3° négatives uni
verselles ; 4. négatives particulières.
Il traite ensuite des propositions simples, complexes,
composées.
Amené par le développement de son sujet à parler de
la définition et de la division, il en détermine l'objet et
les conditions essentielles , et saisit cette occasion de
constater que les ouvrages d’Aristote renferment bien
des définitions, comme celles du mouvement , du sec, de
l'humidité, du froid et du chaud , qui ne sont ni claires
ni exactes.
Il termine par l'indication des règles de ce procédé
appelé conversion des propositions, qui consiste à mettre
le sujet à la place de l'attribut et l'attribut à la place du
sujet; règles fort usitées au moyen âge, mais dont Ar
nauld est le premier à proclamer l'inutilité .
La théorie du raisonnement qui fait l'objet de la trois
b
XVIII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

sième partie de la Logique de Port- Royal reproduit,


sous une forme plus précise et plus populaire , l'analyse
du syllogisme qu'Aristote le premier a donnée, et que
les scolastiques ont si stérilement développée . Après une
exposition détaillée des règles propres à chaque mode
et à chaque figure, Arnauld rappelle avec raison « que .
toutes ces règles ne servent qu'à faire voir que la con
clusion est contenue dans l'une des premières proposi
tions et que l'autre la fait voir . » D'où il suit « que ces
règles se réduisent à deux priocipales qui sont le fonde
ment des autres : l'une que nul terme ne peut être plus
général dans la conclusion que dans les prémisses ;
l'autre que le moyen doit être pris une fois au moins
universellement. »
Mais ce qui donne surtout du prix à la troisième partie
de la Logique de Port-Royal, ce sont les deux derniers
chapitres relatifs aux sophismes et aux mauvais raison
nements que l'on commet dans la vie civile et dans les
discours ordinaires. Ils sont de la main de Nicole , et ils
offrent cette connaissance profonde du caur hunain qui
fait le mérite des Essais de morale du même auteur .
C'est là que se trouvent les célèbres passages contre
Montaigne, chez lequel les écrivains de Port-Royal se
plaisent à poursuivre l'amour excessif de soi-même . Ni
cole nous le montre plein de son propre mérite, occupé
à n'entretenir ses lecteurs que de ses humeurs, de ses
inclinations, de ses fantaisies, de ses maladies et de ses
vices.... Il parle de ses vices pour les faire connaître et
non pour les faire détester.... Quand il appréhende que
quelque chose le rabaisse un peu , il est aussi adroit que
personne à le cacher. » Plus loin, Nicole reproche à Mon
taigne de se jouer de ses lecteurs, « en leur disant des
D'ANTOINE ARNAULDI XIX

choses qu'il ne croit pas, et que l'on ne peut pas croire


sans folie; ce qui est un vice très -contraire à la justesse
de l'esprit et à la sincérité d'un homme de bien. » Mais
cette critique acerbe, il faut le remarquer , ne touche pas
à la forme littéraire : elle est purement morale, et elle n'a
pour objet que de montrer comment les passions et en
particulier la vanité s'introduisent chez les meilleurs
esprits, et leur font dire et faire bien des choses que la
raison ne saurait approuver .
La quatrième partie de la Logique de Port - Royal,
consacrée à la méthode, parait être l'ouvre exclusive
d'Arnauld. Elle s'ouvre par un chapitre sur la possibilité
de la science et sur les bornes nécessaires de l'entende
ment humain . Il s'est trouvé des philosophes qui ont fait
profession, les uns de nier la certitude, en admettant la
vraisemblance, les autres de rejeter la vraisemblance
elle -même et de prétendre que toutes choses sont égale
ment obscures et incertaines . « Mais la vérité est, dit
Arnauld, que toutes ces opinions qui ont fait tant de bruit
dans le monde n'ont jamais subsisté que dans des diş
cours, des disputes ou des écrits, et que personne n'en a
jamais été sérieusement persuadé .... Que s'il se trouvait
quelqu'un qui pût entrer en doute s'il ne dort point, ou
s'il n'est point fou ..., au moins personne ne saurait
douter s'il est, s'il pense, s'il vit ; car, soit qu'il dorme
ou qu'il veille, soit qu'il ait l'esprit sain ou malade, soit
qu'il se trompe ou qu'il ne se trompe pas, il est certain
au moins , puisqu'il est, qu'il pense et qu'il vit, étant
impossible de séparer l'être et la vie de la pensée. » Ar
nauld cite à ce propos saint Augustin , qui se sert du
même raisonnement pour établir le premier principe
de toute certitude ; mais son véritable guide, est-il be
XX NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

soin de le dire ? c'est Descartes. Sans le Discours sur la


méthode et les Méditations, eût-il compris la portée pro
fonde des arguments développés par l'évêque d'Hippone
dans les Soliloques ?
Puis donc que l'esprit de l'homme est capable d'ar
river à la science, il est opportun qu'il connaisse l'art de
bien disposer ses pensées, c'est- à -dire la méthode. Ar AME

nauld distingue deux méthodes : l'analyse, qui va du eru


1

composé au simple ; la synthèse, qui va du simple au


mer
composé. Il s'applique à bien faire comprendre la marche
MOD
et les conditions de l'une et l'autre, revient sur la défini
aine
tion qu'il explique plus en détail, et pose les règles qui
concernent les axiomes ou propositions évidentes par
elles-mêmes, et celles qui regardent les démonstrations. La
Dans les chapitres suivants, il donne des préceptes pour
bien conduire sa raison dans la croyance des événe
ments qui dépendent des événements humains, et il en ond

fait l'application à la croyance des miracles. L'ouvrage POT


se termine par quelques remarques sur le jugement que
l'on doit faire des accidents futurs, et sur la nécessité
où nous sommes d'en apprécier les probabilités , pour
prévenir toute fausse décision et toute fausse démarche
de notre part. Arri
Comme on a pu le voir par l'analyse qui précède, le lele
plan de la Logique de Port- Royal laissait en dehors du an der
cadre de l'ouvrage toute une partie essentielle, la théorie
de l'induction et les règles de l'expérience, ces règles
tracées d'une main si ferme par le génie de Bacon . Mais
à part cette lacune regrettable , l'Art de penser est en
son genre un monument du plus haut prix. On ne peut
apporter dans l'exposition des arides préceptes de la lo
gique plus d'ordre, d'élégance et de clarté qu'Arnauld,
D'ANTOINE ARNAULD : XXI

un discernement plus habile de ce qu'il faut dire, parce


qu'il est nécessaire, et de ce qu'il faut taire, parce qu'il
est superflu ; un choix plus heureux d'exemples instruc
tifs, une connaissance plus exacte de la nature humaine
et des choses propres à former le jugement en épurant
le cour. Quelques omissions peut-être inévitables ne
détruisent pas le mérite de ces grandes et précieuses
qualités. La portée de la raison humaine permet rare
ment aux écrivains d'embrasser une matière dans toute
son étendue. Il suffit à leur gloire qu'ayant négligé cer
taines faces de leur sujet, ils aient traité excellemment
les autres questions.
La Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, pu
bliée vers le même temps que l'Art de penser , rappelle
cet excellent ouvrage sous le double point de vue du
fond et de la forme ; mais, outre qu'elle n'a qu'un rap
port très -indirect avec la philosophie, Lancelot en est le
principal auteur, et Arnauld , sous le nom duquel on
l'a souvent réimprimée, n'y a pris part que par ses
ses conseils. Il nous suffira donc, sans nous y arrêter ,
de l'avoir mentionnée .
Arrivons à un débat célèbre qui est le fait principal
de la carrière philosophique d'Arnauld, dont il a rempli
les dernières années, ses controverses avec Malebranche,
à l'occasion du Traité de la Nature et de la Grace, et de la
Recherche de la vérité .
XXII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

IV

Suivant une opinion célèbre que plusieurs philosophes


de l'antiquité partagèrent, nous ne voyons pas les objets
matériels en eux-mêmes, nous n'apercevons que des
idées et des images détachées de leur surface, et qui,
entrant en contact avec nos organes, produisent en nous
le double phénomène de la sensation et de la connais
sance. Ce sont, par exemple, les idées du papier sur le
quel j'écris ces lignes, de la plume que ma main dirige,
de la table où je m'appuie, des divers objets dont je suis
environné, qui frappent actuellement mes regards, non
ce papier même, cette plume, cette table, ces objets.
Depuis les astres qui brillent sur nos têtes, jusqu'au
brin d'herbe que foulent nos pieds, toutes choses ne
s'offrent ainsi à l'entendement que par l'intermédiaire
de fragiles apparences émanées d'elles. Lucrèce a em
belli des couleurs de la poésie cette singulière théo
rie que Démocrite avait imaginée , et qui fut repro
duite par Épicure. Aristote parait l'avoir adoptée, et sur
la foi de son nom, elle régna dans les écoles du moyen
age, où elle donna lieu à de subtiles controverses sur
les espèces impresses et la manière dont elles se trans
formaient en espèces expresses par un travail de l'intel.
lect agent .
La philosophie moderne fit justice de ces chimères.
Elle prouva, avec la dernière évidence, que les ahjets
sensibles n'émettent rien de pareil à des image de
D'ANTOINE ARNAULD. XXIII

leurs propriétés ; et si désormais quelque chose put de


meurer obscur et sujet à discussion , ce furent les motifs
qui avaient porté tant d'illustres génies et toute une
grande époque à suivre une hypothèse tellement con
traire à la raison et au bon sens. Mais tout en rejetant les
principes d'Épicure et les espèces de la scolastique, les
penseurs les plus éminents du dix-septième siècle ne
contestaient pas que la connaissance humaine ne roulât
tout entière sur les idées représentatives des choses, au
lieu de porter directement sur les choses elles -mêmes.
S'ils refusaient de voir dans les idées un produit et une
émanation de la substance matérielle, ils ne doutaient
ni de leur réalité ni de l'importance du rôle qu'elles
jouent dans la perception extérieure : bien plus, la ques
tion de leur origine semblait offrir d'autant plus d'in
térêt que l'ancienne explication était abandonnée.
Au milieu d'autres recherches sur la nature de l'en
tendement, Malebranche rencontra cette question épi
neuse, et naturellement porté aux spéculations d'une
piété sublime, nourri de la lecture de saint Augustin et
imbu de sa doctrine, il la résolut, conformément à son
génie propre et à ses études, par un système célèbre
dans l'histoire de la philosophie, la vision en Dieu . Les
idées de l'intelligence divine interposées entre nous et
les corps, devenaient dans ce système le milieu immua
ble où nous apercevons toute vérité . Elles n'étaient pas
seulement la vraie lumière qui éclaire tout homme venant
en ce monde, mais l'objet immédiat, sinon le terme des
contemplations de l'esprit. Malebranche exceptait la no
tion de l'âme, que nous acquérons par sentiment inté
rieur, et celle des facultés morales de nos semblables,
que nous connaissons par conjecture.
XXIV NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
Une hypothèse qui rattachait aussi étroitement la pen
sée de l'homme à son auteur pouvait séduire quelques
imaginations ardentes, mais elle était si nouvelle, si pa
radoxale, si téméraire, elle soulevait de si graves diffi
cultés, que tous les esprits droits, calmes, circonspects,
et le cartesianisme en avait singulièrement augmenté le
nombre, devaient l'accueillir avec défiance ou la repous
ser ouvertement. Arnauld avoue cependant qu'il y avait
d'abord donné peu d'attention, et, absorbé par d'autres
soucis, ne s'était pas occupé de rechercher si elle était
vraie ou fausse, bien ou mal fondée. Il ne se mit à l'é
tudier sérieusement que dix années après la publication
de la Recherche de la vérité , quand le Traité de la Nature
et de la Gráce eut paru. Se proposant de combattre les
principes de ce dernier ouvrage sur la manière dont le
Providence gouverne le monde, il jugea utile de com
mencer par un examen approfondi de la vision en Dieu,
marche indiquée par l'auteur même à ses adversaires,
et dans les premiers mois de 1682, il composa le livre
Des vraies et des fausses idées, publié l'année suivante .
Une question très - simple, résolue au moyen d'une
distinction qui ne l'est pas moins , fait tout le fond de
cet important traité. Les idées existent- elles ? Là est le
neud du débat. Le mot idée, répond Arnauld , a une
double signification, l'une vulgaire, l'autre philosophi
que : selon la première, il désigne la perception de l'âme,
selon la seconde, des êtres représentatifs distincts de
nos perceptions . Considérées comme l'acte même du

1. L'ouvrage parut à Cologne, chez Nicolas Schouten , en un vol. in-12


de 338 pages . Il a été réimprimé à Amsterdam , en 1753 ; mais cette
réimpression est très- fautive . L'éditeur des Euvres complètes d'Ar
nauld a suivi le texte de l'édition originale, t. XXXVIII.
D'ANTOINE ARNAULD . XXV

sujet qui perçoit, les idées existent ; considérées comme


intermédiaires entre l'esprit et le corps, elles n'existent
pas. La doctrine des idées est donc vraie dans un sens,
qui est celui du vulgaire ; elle est fausse dans un autre,
qui est celui des philosophes, particulièrement de Male
branche.
Avant de formuler ces conclusions, Arnauld expose
les règles de la méthode philosophique; elles sont au
nombre de sept : 1° Commencer par les choses les plus
simples, et dont on ne peut douter pourvu qu'on y fasse
attention. 2° Ne pas prétendre expliquer, au moyen de
notions confuses, des vérités clairement connues, parce
qu'on n'éclaire pas la lumière par les ténèbres. 3. Ne
pas chercher de raisons à l'infini, mais s'arrêter à ce
que l'on sait être la nature d'une chose. 4° Ne pas con
fondre les questions où on doit répondre par la cause
efficiente avec celles où il faut répondre par la cause
formelle. 5° Ne point demander de définitions des ter
mes qui sont clairs en eux -mêmes, et qu'on obscurcirait
en voulant les définir, comme l'ètre, la pensée, etc.
6. Ne pas attribuer aux corps ce qui ne convient qu'aux
esprits, et réciproquement. 7° Ne pas multiplier les
êtres sans nécessité.
Ces règles posées , Arnauld aborde l'examen du sys
tème de Malebranche, considéré soit dans son principe,
qui est l'hypothèse des idées représentatives , soit en
lui -même.
Une assimilation gratuite des lois de la matière à
celles de la pensée, telle est au fond l'origine de ce pa
radoxe, que nous ne voyons pas les corps, mais les
idées qui les représentent. Comme la vue ne peut voir
que les objets qui sont devant elle , on a supposé que de
XXVI NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

même, l'esprit ne voit rien qui ne lui soit présent, par


où on a compris une présence, non -seulement objective,
mais locale. Or, il est trop clair que les objets ne peu
vent être présents à la pensée par eux- mêmes, l'âme ne
quittant pas le corps pour aller s'unir aux choses, et les
choses ne sortant pas de leur repos pour venir se join
dre à l'ame . Il a donc fallu expliquer par une autre voie
cette communication jugée nécessaire à la connaissance,
et une nouvelle hypothèse, également inspirée par l'aa
nalogie , en a fourni le moyen . Des images semblables à
celles qu'on aperçoit dans un miroir ou dans l'eau d'une
fontaine, sont devenues l'intermédiaire dont l'union
avec l'esprit a suppléé à l'absence des objets : toute la
question s'est trouvée réduite à savoir quelle était leur
nature. Mais cette double origine de l'hypothèse des
idées représentatives ne la justifie pas ; elle suffirait plu
tôt pour la faire rejeter, quand la théorie échapperait
à d'autres objections insurmontables.
Considérons attentivement ce qui se passe dans le fait
de la connaissance. Quand je vois un cube, une pyra
mide, le soleil ou tout autre corps, est - ce qu'alors une
image du soleil, de ce cube, de cette pyramide est unie
à mon ame et occupe ma pensée? La lumière infaillible
de la conscience ne discerne rien de tel en moi , ou plu
tôt elle me fait voir tout le contraire. La perception est
un phénomène qui a un double rapport avec l'objet
perçu et le sujet qui perçoit; elle ne suppose rien au
delà . Pour trouver dans l'esprit aucun vestige de ces
etres représentatifs qu'on appelle idées, il faut donc les
y avoir mis soi-même par un vieux reste de préjugé ;
comme les défenseurs des formes substantielles les
trouvent dans tous les corps de l'univers, parce qu'ils se
D'ANTOINE ARNAULD . XXVII

sont imaginé qu'elles contiennent la seule explication


vraie de leurs propriétés.
La théorie des idées repose d'ailleurs sur la supposi
tion que nous n'apercevons les objets qu'autant qu'ils
nous sont présents : or aucune hypothèse n'est plus con
traire à l'expérience, au bon sens, à la raison . Dépour
vus de la faculté de connaître à distance, nous ne ver
rions ni le soleil, ni les astres, ni les autres hommes, ni
cette infinité de choses que nous avons la conscience de
connaître malgré leur éloignement : de tous les corps de
l'univers, notre âme n'en découvrirait qu'un seul, celui
auquel elle est unie, et par conséquent elle ne rempli
rait pas les vues de la Providence, de qui elle a reçu
l'être pour contempler et pour admirer ses ouvrages;
nous ne pourrions acquérir les notions abstraites de
triangle, de cercle, de nombre, fondement des sciences
mathématiques, car les nombres et les figures abstraites
ne sont nulle part matériellement ; nous ne pourrions
même nous figurer une chose absente et éloignée de
nous, pas plus que la volonté ne peut aimer un objet
comme mauvais ; absurde, mais rigoureuses conséquen
ces de l'hypothèse, qui prouvent à quelles erreurs on
peut être conduit, quand on obscurcit par des explica
tions aventurées les vérités clairement conçues.
Un autre vice de la théorie est de compliquer inutile
ment le phénomène de la perception en paraissant l'ex
pliquer. Il est simple, elle le rend double ; il consiste
dans la connaissance des corps, elle y joint la connais
sance d'images intermédiaires . Mais si, comme on n'en
n'en doute pas, Dieu voulu que nous connussions les
objets extérieurs, supposera - t-on que, pour nous les
faire voir, il ait employé un détour tellement embar
XXVIII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

rassé que tout homme sincère avouera'ne pas le com


prendre. La simplicité dans le choix des moyens est le
caractère de l'action divine ; ce n'est pas le P. Male
branche qui le contestera. Il suit de là qu'ayant arrêté
de donner à la pensée de l'homme l'univers pour spec
tacle, la Providence a dû suivre dans l'accomplissement
de ses desseins la voie la plus courte et la plus simple ;
or n'était - ce pas que l'univers s'offrît à l'âme de lui
même, et qu'elle eut le pouvoir de le contemper immé
diatement, sans image ?
Enfin quel est le but de la théorie des idées ? Appa
remment de montrer comment nous percevons les
corps; et que nous apprend - elle ? Que les corps ne peu
vent être perçus, que nous n'en voyons que les espèces
représentatives. Je veux savoir de quelle manière mon
ame connaît ces riches campagnes que je découvre à
l'horizon, et on me répond que je ne les connais pas, et
qu'au lieu de prairies, de rivières et d'arbres matériels,
je ne vois que des prairies ou des rivières et des arbres
intelligibles. On imaginerait dificilement une solution
moins heureuse. C'est à peu près comme si un philoso
phe avait promis de montrer comment la liberté chez
l'homme se concilie avec la prescience en Dieu, et, après
de longs discours, proposait de nier l'une et l'autre,
commeunique moyen de les concilier .
Après avoir ainsi fait justice du principe général de la
b
théorie des idées, Arnauld arrive au système particulier
de Malebranche, qu'il n'hésite pas à qualifier « la plus
mal inventée et la plus inintelligible de toutes les by
pothèses '. »

1. Des vraies et des fausses idées, chap. II .


D'ANTOINE ARNAULD . XXIX

Il s'agissait d'abord d'établir exactement ce que nous


voyons en Dieu ; mais Malebranche ne le détermine pas.
Il commence par déclarer que nous y voyons toutes
choses; et plus loin il excepte la notion de l'âme, acquise
par un sentiment intérieur, et la connaissance des facul
tés de nos semblables, due à l'analogie. Tantôt il veut
que les idées divines nous représentent seulement l'é
tendue, les nombres, et les essences des êtres; tantôt
tous les ouvrages de Dieu, et même les choses changean
tes et corruptibles. Sa doctrine sur ce point capital est
pleine d'incertitudes.
Mais où Malebranche varie et s'égare bien davantage,
c'est quand il cherche à expliquer la nature et le mode
de cette vision imaginaire. Il avait d'abord paru croire
que chaque objet nous est représenté par une idée parti
culière de l'entendement divin, telle pierre, telle plante,
tel animal, tel lit, par telle et télle idée. Il a ensuite
abandonné cette opinion, au risque même de contredire
toutes les notions de la saine théologie sur la connais
sance que Dieu a des choses créées ; mais on ne trouve
ni plus de clarté ni plus de fondement à cette supposi
tion qu'il adopte en dernier lieu, savoir, que les divers
objets de l'univers sont représentés tous ensemble dans
une étendue intelligible et infinie que Dieu renferme et
où l'âme les aperçoit. Envisagée en elle-même , cette
étendue est quelque chose de mystérieux et d'insaisissa
ble, dont la nature échappe à la définition, et qui peut
conduire, si on l'admet en Dieu , à se former des notions
très-inexactes des attributs divins. Considérée dans ses
rapports avec la connaissance, elle ne suffit pas pour
l'expliquer ; puisqu'elle renferme tous les corps en gé
néral, il est bien clair qu'elle n'en contient et n'en re
XXX NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

présente spécialement aucun , et que par conséquent elle


ne peut rendre compte d'une seule de nos idées indivi
duelles , à peu près comme un bloc de marbre que le
ciseau du sculpteur n'a pas travaillé est une masse in
forme qui ne ressemble à rien de déterminé, par cela
seul qu'elle peut ressembler à tout.
Vainement dira - t - on que la théorie de Malebranche
fait mieux voir qu'aucune autre combien notre esprit est
dépendant de Dieu, et combien il doit lui être uni ; loin
d'avoir cette portée et cet avantage, elle fournirait plutôt
à l'homme une occasion de s'attacheravec moins de scru
pule aux choses matérielles. Si nous voyons le Créateur
quand nous voyons les créatures, la recherche des créa
tures est une aspiration vers l'être infini. Cette curiosité
vague et inquiète qui nous promène d'un objet à l'autre,
et que saint Augustin et les Pères ont si énergiquement
condamnée , devient légitime puisqu'elle a pour fin des
choses qu'on ne peut voir sans découvrir Dieu même . Il
n'est pas jusqu'aux occupations les plus frivoles dont
Dieu ne soit le terme immédiat, et qui, par conséquent, ne
se trouvent en quelque sorte divinisées . Toutes les no
tions de la piété sont perverties, et une excuse facile est
offerte aux égarements du coeur et de la raison.
Pressé par une expérience infaillible, Malebranche
accorde que nous ne voyons en Dieu ni notre âme, ni les
imes des autres hommes ; mais cette concession au bon
sens et à la vérité n'est qu'une inconséquence qui trahit
de nouveau le vice général du système. Dieu renferme
en lui l'idée de l'âme comme l'idée de l'étendue, et la
première est même beaucoup plus intelligible que la se
conde. Si donc la pensée divine est le centre où nous
apercevons celle-ci , nous devons y apercevoir celle-là, ou
D'ANTOINE ARNAULD . XXXI

bien nous n'y découvrons ni l'une ni l'autre. Il sert peu


de soutenir, pour éviter la contradiction, que la vision en
Dieu n'existe que pour les choses connues avec clarté, et
que la notion de l'âme, étant obscureet confuse, doit né
cessairement avoir une autre origine . Sans doute la no
tion de l'âme est obscure, si par idée claire on entend
une idée qui représente complétement son objet; mais à
ce compte même, elle l'est beaucoup moins que celle de
l'étendue, des figures et des nombres dont nousignorons
une foule de propriétés, tandis que nous connaissons la
plupart des facultés et des modifications de notre esprit,
Que si au contraire on entend par idée claire une idée
dont l'évidence produise cette adhésion intime qui consti
tue la certitude, il n'y a rien de plus clair que la notion
de l'ame, parce qu'il n'y a rien de plus certain : de sorte
qu'à n'envisager que la clarté seule de nos perceptions,
Malebranche ne devait pas expliquer la connaissance
de l'esprit par un principe moins élevé que celle du
corps.
La théorie des idées est donc insoutenable dans son
principe, et plus encore sous la forme particulière que
l'auteur de la Recherche de la vérité lui a donnée . Nous
ne voyons les objets matériels ni dans les idées divines,
ni au moyen d'images émanées de leur surface , ni d'au
cune autre manière indirecte ; nous les voyons en eux
mêmes, sans intermédiaire, par la seule vertu de la fa
culté de connaître que nous avons reçue de la Providence .
Cette explication n'est pas seulement la plus simple, elle
est aussi la plus profonde, parce que la profondeur ne
consiste pas à imaginer des raisons à l'infini, mais à s'ar
rêter au terme fixé par la nature et par la vérité . Toute
théorie qui essaye d'aller plus avant est une cuvre d'ima
XXXII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

gination, non de raison, une hypothèse dénuée de preu


ves , qui soulève d'inextricables difficultés.
Telles sont, à part quelques points accessoires, le fond
et le plan général du traité Des vraies et des fausses
idées. Quant à la méthode, elle ne diffère pas de celle
qu'Arnauld a constamment suivie dans tous ses ouvrages
de polémique. C'est une sorte de compromis entre les al
lures géométriques de l'école de Descartes, le formalisme
de la scolastique et la démarche plus libre et moins régu
lière de la philosophie moderne. A l'exemple des géomè
tres, Arnauld établit des définitions, des axiomes , des
demandes. Comme un docteur de la vieille école, il aime
à enfermer son adversaire dans le cercle d'un syllogisme,
et rapprochant l'opinion qu'il attaque d'un principe in
contestable, à en prouver la fausseté par voie de consé
quence. Chef de parti, écrivain populaire, il entremêle
son argumentation de mouvements passionnés, de fi
gures vives et pénétrantes, destinées à rendre la vérité
sensible et le paradoxe ridicule . Cette méthode , alliance
quelquefois bizarre de procédés contraires, est-elle au
fond la meilleure ? Il est permis d'en douter. Un géo
mètre ne la jugerait pas encore assez exacte : tout phi
losophe qui ne sera pas mathématicien en blåmera la
sécheresse . Elle ne rend pas à la pensée en précision
rigoureuse ce qu'elle enlève à l'expression d'élégante
facilité. La forme du traité Des vraies et des fausses idées
est sans doute remarquable par la netteté ; mais elle est
en général dépourvue de souplesse , d'éclat et d'éléva
tion . Combien Arnauld est un écrivain inférieur, je ne
dirai pas à Fénelon et à Bossuet, mais à son rival et à
Descartes !
D'ANTOINE ARNAULD . XXXIII

Par la vigueur du raisonnement, comme par le nom


de son auteur, le traité Des vraies et des fausses idées
était la plus rude épreuve que la théorie de la vision en
Dieu eût encore subie. Malebranche répondit avec toute
la fierté du génie méconnuet toute l'amertume de l'amour
propre blessé. A le croire, un misérable esprit de coterie
et le dépit qu'il ressentait du livre de la Nature et de la
Gráce, avaient seuls poussé Arnauld á réfuter un ouvrage
publié depuis dix ans . Par un artifice indigne d'un chré
tien et d'un prêtre, il avait choisi la partie la plus abstraite
de la Recherche de la vérité , celle que la foule des lec
teurs pouvait le moins comprendre, afin de décrier l'au
teur comme un visionnaire quise perdait dans sa nouvelle
philosophie des idées, et qui, au lieu de chercher l'intelli
gence des mystères de la grâce dans la lumière des saints,
la cherchait dans ses propres pensées. Plût à Dieu que
lui-même, renonçant aux opinions nouvelles qu'il érigeait
en dogmes contre le jugement des Pères de l'Église,
il eût bien voulu' se défaire pour quelque temps de ses
anciens préjugés, et arracher la poutre qui l'aveuglait
avant de prétendre éclairer les autres?! Malebranche
continue sur le même ton dans tout son livre , passe avec
légèreté sur les plus forts arguments d'Arnauld; puis ter
1. Réponse au livre Des vraies et des fausses idées, p . 3 , 13 , 29 et
30. Toutes les Réponses de Malebranche d Arnauld ont été réunies en
4 vol. in- 12. Paris , 1709.
XXXIV NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

mine par ces hautaines paroles , aSi je n'ai pas répondu


en particulier à tous les raisonnements qu'il a faits, ce
n'est pas que je manquasse de réponse, c'est plutôt qu'ilę
n'en méritaient aucune' . o
A cette réplique altière, Arnauld opposa une défense
de six cents pages, divisée en cinq parties, où revenant
sur ses premières objections, les fortifiant par de nou
velles, poussant Malebranche avec une logique inexo
rable d'une erreur à une autre erreur, jusqu'au scandale
et à l'impiété, il l'accusait de faire Dieu corporel . « L'é
normité de ce paradoxe, dit-il , et la bonne opinion que
l'amitié et la charité me donnaient de l'auteur, me fer
maient en quelque sorte les yeux pour ne pas être frappé
de la lumière des raisons qui se présentaient à moi ; mais
depuis sa réponse au Traité des idées, mon doute s'est
changé en une opinion arrêtée.... Je n'appréhende point
d'assurer qu'il met de l'étendue en Dieu formellement. »
Après avoir développé les motifs qui l'avaient conduit à
prêter à Malebranche « un sentiment si dangereux et si
contraire à la religion, » Arnauld continuait en ces ter
mes : «Dequelque manière qu'il entreprenne de répondre
à ces raisons , soit en défendant ce qu'elles prouvent, soit
en le désavouant, je le prie d'éviter ces manières cava
lières qui ne vont point au fond, de n'user point de dé
faites et d'équivoques qui ne font que brouiller, de ne
point prendre le change et de ne point étourdir le monde
par des injures en l'air qui sont plus contre lui que contre
moi, et qui n'éclaircissent point la dispute?. » Malgré
l'emportement qui règne en général dans cette défense

1. Des vraies et des fausses idées, p. 320 et 321.


2. Défense de M. Arnauld, p. 304 , 313.
D'ANTOINE ARNAULD. XXXV

d'Arnauld, elle se termine par de belles paroles qu'on ne


saurait trop méditer : « Je prie Dieu , dit-il , que dans
une dispute qui doit être consacrée à la vérité, il nous
donne à l'un et à l'autre un désir sincère de la recher
cher uniquement ; une résolution ferme de lui sacrifier
tous nos intérêts et tous ces faux points d'honneur, dont
notre amour - propre nous fait des idoles ; et un zèle pour
la soutenir, autant qu'il nous la fera connaître, qui ne soit
mêlé d'aucune amertume contre les personnes qui nous
paraissent la ruiner en s'imaginant l'établir. C'est ce que
recommande saint Augustin à tous ceux qui écrivent
pour l'Église, par ces courtes et excellentes paroles :
Aimez les hommes, étouffez les erreurs, présumez de
« la vérité sans orgueil , combattez sans aigreur pour la
a vérité : Diligite homines , interficite errores ; sine su

perbia de veritate præsumite ; sine sævitia pro veritate
« certate ".
Malebranche crut devoir à ses convictions, à ses amis,
à lui-même , de prouver que par l'étendue intelligible il
avait toujours compris la connaissance de l'étendue , sans
admettre en Dieu aucun élément matériel , comme son
fougueux adversaire le lui reprochait ' ; mais quant aux
autres points , il refusa de répondre, déclarant « qu'il ne
prétendait pas employer sa vie à des contestations inuti
les . » Le combat ayant alors cessé faute de combattants,
il reprit, quelques années plus tard, à l'occasion du Sys
tème de philosophie de Sylvain Régis, dont Malebranche,
qui y était attaqué , se porta l'adversaire et Arnauld lo

1. Défense de M. Arnauld , p. 622 et 623.


2. Trois lettres du P. Malebranche touchant la Défense de M. Are
nauid , lett. I.
XXXVI NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
défenseur ; mais la mort de celui- ci l'interrompit presque
aussitôt .
Dans cette lutte passionnée entre deux esprits d'une
trempe opposée, mais d'un mérite également supérieur,
l'un plus élevé, plus étendu, plus brillant, l'autre plus
solide, plus judicieux, plus exact, un point capital de
meura acquis à la science, c'est que l'ancienne hypothèse
des idées représentatives, sous quelque forme qu'on la
présentât, étail pleine d'obscurités, de périls et d'erreurs .
Malgré les ressources inépuisables d'une argumentation
toujours déliée et quelquefois éloquente , Malebranche ne
parvint pas à prouver qu'entre les objets et l'esprit il
s'interposat des images distinctes de nos perceptions , et
la thèse contraire fut établie par son habile adversaire
uvec la dernière évidence : de sorte qu'environ un siècle
avant la publication des Recherches de Thomas Reid sur
l'entendement humain, Arnauld a non -seulement soup
çonné, mais développé, soutenu et invinciblement dé
montré la théorie même qui a fait le succès et la gloire de
l'école écossaise . Que disent en effet les Écossais, à com
mencer par Reid et à finir par M. Hamilton ? Que nous
connaissons les corps immédiatement et en eux-mêmes.
Et quel motif apportent -ils à l'appui de leur opinion ?

1. Voyez Quatre lettres de M. Arnauld au P. Malebranche sur deux


de ses plus insoutenables opinions, 1694 (OEuv. compl., t . XL, p. 69
110) . Lettres du P. Malebranche à M. Arnauld, 1694. – Réponse,
par le P. Malebranche, à la troisième lettre de M. Arnauld , 1699.
Écrit contre la Prévention , par le P. Malebranche , 1699. Cet écrit ,
peu digne de Malebranche , n'est qu'un pamphlet ayant pour but
d'établir que les livres attribués à Arnauld ne peuvent être de lui , « en
supposant qu'il eût de l'équité , de la bonne foi, de l'esprit , pour le
moins autant qu'un autre , en un mọt toutes les bonnes qualités que
lui donnent ceux qui condamnent la Recherche de la vérité sur son
Capport. »
D'ANTOINE ARNAULD . XXXVU

C'est que dans le fait de la perception extérieure , nous


n'avons pas conscience, outre la notion même de la réa
itématérielle , d'une notion intermédiaire qui aurait pour
objet des espèces représentatives. Or ici , conclusion et
argument , tout appartient au traité Des vraies et des
fausses idées. On a refait les analyses du philosophe
français, mais sans les surpasser, et sa doctrine, peut
etre revêtue de formes moins sévères, a été au fond très
fidèlement reproduite. Voilà pourquoi nous n'avons ja
mais compris comment le chef de l'école écossaise , qui
avait sous les yeux le livre d'Arnauld , a pu écrire les
lignes suivantes: « Malebranche et Arnauld professaient
tous deux la doctrine universellement reçue, que nous
ne percevons pas les choses matérielles immédiatement;
que leurs idées seules sont les objets immédiats de notre
pensée, et que c'est dansl'idée de chaque chose que nous
percevons ses propriétés. » Et plus loin : « On aurait tort
de conclure de ce qui précède, qu'Arnauld ait nié sans
restriction l'existence des idées, et adopté sans réserve
l'opinion du vulgaire, qui ne reconnaît d'autre objet de la
perception que l'objet extérieur. Il n'abandonne pas à ce
point les routes battues, et ce qu'il renverse d'une main,
il le relève de l'autre' . » Dans ces deux passages Reid
prend le contre- pied de la vérité; nous ne mettons pas
en doute sa bonne foi ; mais son compatriote Thomas
Brown n'a - t - il pas eu quelque raison de lui reprocher
ses graves erreurs en histoire, et comme un penchant
à se créer des fantômes pour avoir le plaisir de les
combattre ?

1. Essais sur les facultés intellectuelles, II (OEuv. compl., t. II,


p. 224 et 228 ).
XXXVIII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

VI

Il est ordinaire que les intelligences les plus droites,


justement préoccupées d'une idée, veulent y rapporter
toutes les autres, aux dépens de la vérité : telle est l'in
clination naturelle de l'esprit humain et la cause tou
jours présente, sinon inévitable, des erreurs de la philo
sophie . Appliquée à la perception du corps, la vision
en Dieu n'est qu'une brillante rêverie ; Arnauld l'avait
reconnu et démontré ; mais ce point établi solidement
il ne sut pas ou ne voulut pas s'y arrêter . Il étendit ses
maximes sur les vérités sensibles à la connaissance des
vérités rationnelles, et comme il avait prouvé qu'on
ne voyait pas les premières en Dieu, il pensa qu'on ne
voyait pas en Dieu les secondes. Une dissertation de Huy
ghens, théologien de Louvain , l'engagea dans cette nou
velle recherche, où il eut pour adversaires Nicole et le
P. Lami. Le débat n'eut pas l'amertume, ni surtout l'éclat
de la dispute avec Malebranche ; on échangea de part et
d'autre une réplique , et ce fut tout. Les principales
pièces du procès, la Dissertatio bipartita et les Règles du
bon sens d'Arnauld ne furent même publiés que vingt et
un ans après sa mort " . Aussi , malgré l'importance de la
question , tous les historiens de la philosophie ont- ils né
gligé de parler de cette controverse.
1. En 1715 , dans un recueil de divers écrits de Nicole sur la grâce
générale, publié par Jacques Fouillou et Nicolas Petit-Pied. On les
trouvera au t. XL des OEuvres complètes d'Arnauld.
D'ANTOINE ARNAULD . XXXIX

Le principal motif qu'Arnauld allègue à l'appui de son


sentiment est l'état particulier où notre ame se trouve
quand elle conçoit les vérités rationnelles . La connais
sance de ces vérités n'équivaut pas en effet pour nous å
la connaissance de Dieu , et par exemple, je puis démon
trer fort clairement un théorème de géométrie, sans
qu'aussitôt mon esprit se reporte vers l'intelligence di
vine . Or, pour découvrir une vérité dans une autre, il
faut que celle -ci nous soit pour le moins aussi connue et
aussi présente que la première. Si donc je n'ai pas con
science de penser à la vérité suprême, quand je saisis
avec le plus d'évidence certaines vérités mathématiques,
par exemple, elle ne peut pas être le milieu où je les
aperçois.- Arnauld ajoutait que l'entendement divin em
brasse le particulier et le général , le contingent et le né
cessaire, le relatif et l'absolu, les esprits et les corps
dans l'unité d'une même pensée . Il suit de là qu'on ne
voit aucune vérité dans cette lumière adorable sans les
y voir toutes, et par conséquent sans y découvrir les
vérités matérielles. Le système chimérique de Malebran
che estdonc le terme auquel aboutit en dernière analyse
cette opinion que nous contemplons en Dieu les vérités
nécessaires ; elle n'en diffère que par un défaut de rigueur
en ce qu'elle isole arbitrairement la connaissance de ces
vérités et la perception des objets sensibles.
Ces raisons nous paraissent peu solides. Nous accor
dons à Arnauld que la notion des attributs divins n'est pas
nécessairement présente à l'âme, quand elle connaît les
premiers principes avec le plus de clarté ; mais est-ce là
une condition indispensable de la vue de ces vérités en
Dieu ? Malgré la simplicité profonde de la nature divine,
l'abstraction sépare ses perfections, et chacune peut ainsi
XL NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

devenir l'objet d'une pensée déterminée. Je puis conce


voir la puissance indépendamment de la justice, l'éter
nité indépendamment de la miséricorde, l'existence in
finie et nécessaire indépendamment de la bonté. Mon
âme alors connaît Dieu, puisqu'elle découvre un de ses
attributs, et en même temps, elle le connaît très - impar
faitement, puisqu'elle ne découvre pas les autres. Or
c'est là précisément la manière dont la Divinité se pré
sente à nous dans la conception des principes. Chaque
ordre de vérités correspondà un ordre particulier d'attri.
buts ; les vérités métaphysiques, expriment l'immutabi.
lité, l'immensité, l'éternité ; lesvéritésmorales, la justice ,
la bonté, la providence; l'idée du beau, enfin, la beauté
suprême et incréée. Pour que la compaissance de l'absolu
éveillât nécessairement dans notre âme l'idée et le sen
timent de la Divinité, il faudrait que notre âme conçut
ces diverses perfections non obscurement, mais claire p
ment, non isolées l'une de l'autre, mais réunies, non à C
l'état de pure abstraction , si je l’ose dire, mais rattachées
à leur centre ; et comme le mouvement naturel de l'in
telligence humaine la porte au contraire à diviser les 다
objets de ses connaissances, il en résulte que Dieu est 02
à la fois ce qu'il y a de plus près de nous et de plus ca et
ché, un être qu'on entrevoit à tout instant et qu'on
ignore, une nature dont l'intelligence peut contempler
DC
les caractères souverains sans l'y reconnaître.
Arnauld demande pourquoi nous verrions en Dieu les
N
premiers principes, puisque nous n'y voyons pas les ob 如
jets matériels; la raison en est parfaitement simple, c'est
que toute vérité s'aperçoit où elle se trouve, et selon les
conditions qui lui sont propres. Nous voyons les corps
dans l'espace qui les renferme, la figure dans les corps
D'ANTOINE ARNAULD . XLI

dont elle est une propriété, le plaisir et la peine dans


l'âme qu'ils modifient; de même nous devons découvrir
les premiers principes dans une substance nécessaire et
immuable, parce qu'il n'y a qu'une substance immuable
et nécessaire capable de contenir une vérité absolue. Si
les objets matériels constituaient des réalités infinies,
s'ils se confondaient avec l'Être divin , nous ne pourrions
les contempler que dans son essence; mais ils sont parti
culiers , contingents , corruptibles ; il n'est donc pas
étonnant que la notion de ces objets soit distincte de
la notion de l'intelligence divine, quand bien même la
1
connaissance des vérités nécessaires serait un rayon de
la pensée créatrice , illuminant l'esprit de l'homme .
L'explication qu'Arnauld substitue à la théorie de
Huyghens et du P. Lami est assez embarrassée. Il attri
bue incontestablement à l'âme la faculté de concevoir
par elle - même les idées absolues; mais on pourrait
conclure de quelques-unes de ses paroles , qu'il considère
ces idées comme un produit de l'abstraction compara
tive. Si telle était l'opinion d'Arnauld, il aurait commis
une des méprises les plus graves où lascience de l'esprit
humain puisse tomber . Sans doute le travail de l'intelli
gence sur les perceptions élémentaires est une source
fécondede jugements; mais il n'expliquepas la connais
sance des premières vérités. Comment ces vérités ne
seraient - elles qu'une simple combinaison d'éléments
particuliers et relatifs, puisqu'elles sont universelles et
absolues ? Comment dériveraient- elles de la faculté de
raisonner, puisqu'elles forment la base et la condition
même du raisonnement ? Nous nous y élevons par une
loi primitive et instinctive de notre nature intellectuelle;
nous ne les créons pas. Toute autre manière de les expli
XLII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

quer suppose qu'on a méconnu leurs vrais caractères,


et a des suites également funestes pour la morale, pour
la religion et pour la science. Quoi qu'il en soit , et
quand bien même Arnauld n'aurait pas été infidèle
jusqu'à ce point à Descartes, à ses propres opinions
et à la raison , sa théorie, expression pure et simple
d'un fait ,se réduirait à constater que certaines vérités
nous sont connues indépendamment de l'expérience ;
elle ne montrerait pas comment nous les connaissons.

VII

Le débat de l'origine des idées est ce qui marque le


mieux la place d'Arnauld comme métaphysicien ; aussi
avons-nous dů l'exposer avec quelque détail ; nous pas
serons plus rapidement sur la controverse relative au
Traité de la Nature et de la Gráce, qui ne touche à la phi
losophie que par une de ses faces.
Malebranche avait entrepris la solution d'un problème
qui n'intéresse pas moins la foi que la raison, l'origine
du mal ; et comme si une question aussi vaste, envisagée
sous un seul côté , ne pouvait suffire à l'activité de sa
féconde intelligence, il ne s'était pas borné aux diffi
cultés de l'ordre naturel, mais il avait voulu également
pénétrer les mystères de la prédestination et de la grâce .
L'idée fondamentale du système qu'il proposa, est que
les volontés d'un être doivent en général ressembler à sa
nature, inconstantes, capricieuses, quand sa nature est
flottante, mobile et passionnée ; fixes et régulières, si
D'ANTOINE ARNAULD . XLIII

elle est immuable . Dieu avait à choisir, dans la création


et la conservation du monde, entre des moyens simples,
féconds, généraux, uniformes, et des voies composées,
stériles, particulières, déréglées. Les premières marquant
sagesse, bonté, constance, immutabilité, il a dû les pré
férer aux secondes, qui marquent défaut d'intelligence et
légèreté d'esprit. A ne considérer que la puissance, il
aurait pu assurément produire un autre monde, plus par
fait que celui que nous habitons, ou même dans lequel
le mal n'aurait pas pénétré ; mais il aurait fallu qu'il
changeat la simplicité de ses voies, qu'il réglát toutes
choses par des volontés particulières, et son infinie sa
gesse ne le permettait pas . Les apparentes irrégularités
de la création, ces calamités qui nous affligent et ces
désordres qui nous indignent , ne forment donc pas un
sujet légitime d'accusation contre la Providence ; il con
vient plutôt d'y voir un des éléments de l'ordre univer
sel, une pièce qui concourt à la beauté de l'ensemble, et,
pour tout dire, un résultat inévitable de ces lois fixes,
que Dieu a établies parce qu'il s'aime, et qu'il n'agit au
dehors que pour se procurer un honneur digne de lui
en manifestant ses perfections. Appliquant ces principes à
la théologie, Malebranche imaginait, pour rendre compte
du sort des réprouvés, que la distribution de la grâce
était assujettie à une loi générale qui ne permettait pas
que tous les hommes y participassent dans l'étendue de
leurs besoins . Cette loi générale consiste en effet dans les
désirs de l'ame humaine de Jésus-Christ, cause occasion
nelle de la distribution de la grâce. Dieu l'accorderait à
tous les hommes, si la cause occasionnelle l'y détermi
nait ; mais la science de l'ame humaine du Rédempteur
ayant des bornes qui ne lui permettent pas de penser à
XLIV NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

chacun de nous aussi souvent que nous aurions besoin


de son secours, il en résulte que tous les hommes ne
participent pas à ses mérites, ou n'y participent point
assez pour être sauvés ?.
Le système de Malebranche fut accueilli avec défaveur
par l'Église, qui le jugea nouveau et dangereux. Pressé
de le combattre par plusieurs de ses amis, et, dit-on , par !

Bossuet, Arnauld engagea la lutte en 1684 par une dis


sertation sur les Miracles de l'ancienne loi, suivie en 1685
d'une réplique en forme de lettre, et du premier volume
des Réflexions sur le nouveau système de la Nature et de la
Grâce, dont la fin vit le jour quelques mois plus tard ?.
La partie philosophique de cet ouvrage, la seule qui
doive ici nous occuper, ne roule que sur une question :
Est- il vrai que Dieu gouverne le monde par des lois gé.
nérales qui réclament l'intervention des décrets parti
culiers ? Arnauld interroge l'histoire , les théologiens
les plus accrédités, les philosophes, le vulgaire ; il ana
lyse la notion de la Providence ; et éclairé ainsi des lu
mières que lui fournissent la raison, l'autorité et le sens
commun , il établit contre Malebranche les quatre points
suivants: le premier, que l'idée de l'être parfait n'impli
que pas nécessairement qu'il ne doive agir que par des
volontés générales et par les voies les plus simples ; le
second, que loin de suivre dans la création du monde les
voies les plus simples, Dieu a produit une infinité de
choses par des volontés particulières sans que des causes
occasionnelles aient déterminé ses volontés générales ;
troisièmement, que Dieu ne fait rien par des volontés

1. Traité de la Nature et de la Gráce, passim .


2. OEuvres compl., t. XXXVIII et XXXIX .
D'ANTOINE ARNAULD . XLV

générales, qu'il ne le fasse en même temps par des vo


lontés particulières ; quatrièmement enfin, que la trace
des volontés particulières se retrouve dans la conduite
même de l'homme; et en général dans tous les événe
ments qui dépendent de la liberté .
Arnauld , nous prions qu'on le remarque, ne conteste
pas à Malebranche que la puissance divine ne soit limi
tée par ses autres perfections, et que, pouvant, à parler
d'une manière absolue, toutes choses, Dieu ne puisse
vouloir, Dieu n'ordonne, Dieu ne produise que les choses
conformes à sa bonté, à sa justice , à son infinie et par
faite sagesse. Il se sépare en cela de Descartes qui avait
considéré les vérités métaphysiques, et à plus forte rai
son les lois de la nature comme l'expression d'un décret
arbitraire de la divinité, et il se rapproche de saint Tho
mas et de Leibnitz. Peut- être aurait-il trouvé que l'im
mortel auteur de la Théodicée poussait trop loin son prin
cipe, enchaînait par des liens trop étroits, trop inflexibles,
la liberté de la cause première, et surtout le libre arbi
tre de l'homme : mais certainement il aurait souscrit
à ces fortes et profondes paroles du docteur angélique :
« La volonté suit l'entendement. - La volonté de Dieu
a un rapport nécessaire avec sa bonté qui en est l'objet,
et qu'elle est nécessitée de vouloir. - Dieu agit d'après
la sagesse : ce qui exclut l'erreur de ceux qui croient que
toutes choses dépendent de la volonté divine, considérée
à part de toute raison ?. »

1. Réfr. sur le nouv. syst . de la Nature et de la Grdce, liv. I , chap . I


(OEwo . convpl., t. XXXIX , p. 185.).
2. « Voluntas intellectum sequitur. » Summa , I , quæst . 19, art. 1 .
« Voluntas divina necessariam habitudinem habet ad bonitatem
« suam quæ est proprium ejus objectum . Unde bonitatem suam ex ne
XLVI NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES
Arnauld ne conteste pas davantage à Malebranche que
Dieu ne gouverne le monde par des règles fixes et géné
rales; mais la préférence accordée aux voies générales
est - elle exclusive de toute autre voie ? Le maintien du
cours habituel des choses importe -t-il à ce point à la
majesté de l'être des êtres qu'il ne puisse l'intervertir?
La Providence, sans violer même les règles qu'elle s'est
imposées , ne peut-elle tirer d'une cause ordinaire un
effet nouveau et inattendu, et se servant des lois de la
nature pour des fins déterminées , frapper ainsi ces
grands coups dont le contre- coup porte si loin ? Arnauld
juge téméraire de le prétendre et d'imposer cette limite
à l'intervention de la Divinité dans les affaires du monde.
« Ce n'est pas assez, disait- il, de faire agir Dieu, il faut
le faire agir en Dieu . Ce n'est pas assez de dire qu'il est
l'agent universel et unique qui fait tout dans les esprits
aussi bien que dans les corps ; il faut ajouter, pour avoir
la véritable idée de la Providence divine, qu'il ne fait
rien surtout dans les choses humaines, que comme en
étant le souverain modérateur et ayant dans tout ce qu'il
fait des fins dignes de lui, de sa miséricorde et de sa
justice. » – « Ni la foi ni la vraie raison, continuait Ar
nauld, ne nous permettent de douter que tout n'entre gé
néralement dans l'ordre de la Providence, les choses cor
ruptibles, celles qui paraissent les plus viles, aussi bien
que les plus nobles ; les particulières que les philosophes
appellent individus, aussi bien que les genres et les es
pèces ; les événements humains qui dépendent du libre

« cessitate vult. » Ibid ., art. 3. - « Deus per suam sapientiam agit.


a Per hoc excluditur quorumdam error qui dicebant omnia ex simplici
* divina voluntate pendere absque aliqua voluntate. » Contra Gentiles,
b . II , chap. xxiv.
D'ANTOINE ARNAULD . XLVII

arbitre, aussi bien que les choses où les agents libres


n'ont point de part.... ) - « Une infinité d'accidents , à
ne considérer que les choses prochaines, paraissent n'e
tre que des suites des lois générales de la nature, telles
que sont les famines, les pestes, les naufrages : mais la
religion nous apprend que Dieu y peut contribuer, et
y contribue en effet, en mille manières qui nous sont
cachées ' . »
Poussé avec vigueur par son adversaire, Malebranche
soutint qu'on ne l'avait pas compris, et que jamais il n'a
vait songé à nier que Dieu agit par des volontés particu
lières toutes les fois que l'ordre le demande ' ; de sorte
qu'à la suite de cette controverse, deux points parurent
également hors de discussion : l'un que le monde est
gouverné par des lois générales ; l'autre, que ces lois lais
sent une grande latitude à l'action de la Providence , le
premier n'étant pas contesté d'Arnauld, ni le second de
Malebranche. Ce moyen terme entre deux systèmes op
posés est en effet la seule opinion acceptable. Celui-là
fermerait les yeux à la lumière qui ne verrait pas que
des lois uniformes régissent le monde, et le monde phy
sique, et le monde moral, et les phénomènes naturels, et
les déterminations de la liberté humaine, puisque toute
résolution a un motif, et que des motifs semblables, dans
des circonstances pareilles, entraîneront toujours la vo
lonté dans la même direction . Mais d'une autre part si
Dieu ne poursuivait dans les événements particuliers
que les conséquences des volontés générales, il est trop

1. Réfl. sur le nouv . syst. de la Nature et de la Grace, liv. I, chap . XIII,


p. 279, 281 , 177.
2. Lettres du P. Malebranche, dans lesquelles il répond aux Rée
flexions physiques et théologiques de M. Arnauld, chap . I, S 2.
XLVIII NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

évident que Dieu serait aussi étranger aux affaires d'ici


bas, que le législateur peut l'être à la condamnation
d'un criminel prononcée par lejuge. La saine philosophie
concède à la divine Providence une part moins éloi
gnée dans le gouvernement du monde, et tout en recon
naissant la régularité qui préside à la marche de l'uni
vers, elle proclame que Dieu veille aux derniers détails
de son œuvre comme à la conservation de l'ensemble, et
que s'il rapporte chacune des fins déterminées à une fin
universelle qui est l'ordre, il n'établit l'ordre et ne le
maintientque parl'accomplissement de ces fins spéciales
qui en constituent les éléments. Là se trouve l'unique et
solide raison du culte public et privé. Sous l'inflexible
joug des lois générales, les sacrifices et la prière, ces
pratiques saintes, répandues chez tous les peuples, ne
seraient qu'un absurde préjugé; mais elles s'imposent
comme un devoir rigoureux aux individus et aux na
tions , s'il est vrai que l'homme reçoit directement de la
bonté infinie tout ce qu'il possède et tout ce qu'il est. On
peut objecter, nous le savons, qu'une pareille théorie de
la Providence, abaissant Dieu au niveau des rois de la
terre, est entachée d'anthropomorphisme; mais cette
objection nous touche infiniment peu. La nature divine,
quelques efforts qu'on se puisse donner afin d'en péné
trer la profondeur, ne sera jamais, pour l'intelligence ,
que la nature humaine dégagée de ses misères et possé
dant à un degré infini toutes ses perfections, par cet ex
cellent motif que le raisonnement, comme on l'a dit,
doit avoir son point d'appui sur cette terre et dans la
conscience . Si vous enlevez à Dieu tous les attributs hu
mains, la liberté, la justice, la bonté , la miséricorde,
l'intelligence , que vous restera - t- il ? Une abstraction
D'ANTOINE ARNAULD . XLIX

sans vie, un mot privé de sens, je ne sais quel vague


forme de l'être, qui ressemble au Dieu que l'humanité
adore et que la raison des philosophes de tous les âges a
reconnu , à peu près autant que le néant ressemble à
l'existence . Il ne faut donc pas craindre de répéter ces
admirables paroles qu'Arnauld empruntait à Bossuet,
et qui satisfont à la fois l'esprit et le cæur de l'homme :
« Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les
royaumes. Il a tous les caurs en sa main : tantôt il re
tient les passions, tantôt il leur lache la bride ; et par là
il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conqué
rants ? Il fait marcher l'épouvante devant eux, et il in
spire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible.
Veut- il faire des législateurs ? Il leur fait prévenir les
maux qui menacent les États, et poser les fondements de
la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine
toujours courte par quelque endroit ; il l'éclaire, il étend
ses vues, et puis il l'abandonne à ses ignorances; il l'a
veugle, il la précipite, il la confond par elle-même :
elle s'enveloppe, elle s'embarrasse dans ses propres sub
tilités et ses précautions lui sont un piége. Dieu exerce
par ce moyen ses redoutables jugements selon les règles
de sa justice toujours infaillible. C'est lui qui prépare
les effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe
ces grands coups dontle contre coup porte si loin . »
2
I, NOTICE SUR LES TRAVAUX PHILOSOPHIQUES

VIII

Nous avons achevé de parcourir la série des travaux


philosophiques d'Arnauld , travaux qui ne furent qu'un
accident presque inaperçu dans sa vie, et qui , par une
singulière vicissitude formeront peut -être son principal
titre aux yeux de la postérité. Malgré les lacunes de notre
exposition, elle peut servir à apprécier le génie de cet.
homme célèbre, dont la renommée balança un instant
la gloire des personnages les plus illustres du siècle de
Louis XIV. La nature lui avait refusé l'esprit d'inven
tion , et il n'a produit aucune de ces idées fécondes qui
éclairent toute une époque, et renouvellent la face en
tière de la philosophie. Il possédait moins encore, si on
peut le dire, cette vive abondance de pensées hardies,
ou cette rigueur inflexible qui, d'une ancienne opinion
méditée fortement, fait sortir des opinions nouvelles, et
sur une base empruntée construit un système original.
Cependant, on ne saurait le placer parmi les esprits ti
mides, qui ne font que suivre un sentier battu , et dont
le rôle consiste à interpréter fidèlement la doctrine du
maître . Inférieur par l'originalité à Descartes, à Leibnitz,
à Spinosa et à Malebranche, il dépasse indubitablement
Rohault, Régis et Clerselier. Le trait le plus saillant de
son caractère semble avoir été la justesse, l'exactitude,
le bon sens qu'il possédait à ce degré, où le bon sens de
vient le génie, quand il s'allie, comme chez Bossuet, à la
majesté. Aucun philosophe n'a parlé plus vivement con
D'ANTOINE ARNAULD . LI

tre les préjugés, et aucun n'a mieux su éviter les déplo


rables aberrations où le mépris des croyances popu
laires entraînait alors les meilleures intelligences . On a
moins à lui reprocher des paradoxes que des ignorances,
pour ainsi dire volontaires, et lorsqu'il échoua, ce fut
plutôt par excès de prudence que par témérité. Les ser
vices qu'il a rendus à l'esprit humain peuvent se résu
mer en peu de mots : théologien de profession , philo
sophe par circonstance, il a maintenu avec une égale
énergie les droits de la raison et ceux de la foi : par un
ouvrage qui est un chef- d'auvre, l'Art de penser, il a
porté à la scolastique un dernier coup dont elle ne s'est
pas relevée : dans son livre Des vraies et des fausses idées,
il a fait justice d'une vieille hypothèse, féconde en er
reurs : dans ses Réflexions sur le système de la Nature et
de la Gráce, il a contribué à éclairer un des points les plus
difficiles de la métaphysique. Si on réfléchit mainte
nant que la philosophie n'était pas son étude habituelle;
que les traités qu'il y a consacrés ne forment qu'une
partie imperceptible de ses œuvres ; enfin qu'il a écrit
ses innombrables ouvrages, non pas dans le silence
d'une paisible retraite , avec le silence si nécessaire à la
méditation, mais au milieu des inquiétudes de la persé
cution et de l'exil , loin de sa famille et de ses amis, et
quelquefois ne sachant pas la veille où il reposerait le
lendemain, on ne s'étonnera pas que ses contemporains,
admirant les ressources inépuisables de son génie et de
son courage, l'aient nommé le Grand Arnauld ,
1

+
LA

LOGIQUE
OU

L’ART DE PENSER.

A VIS .

La naissance de ce petit ouvrage est due entièrement au hasard,


et plutôt à une espèce de divertissement qu'à un dessein sérieux.
Une personne de condition entretenant un jeune seigneur ', qui
dans un åge peu avancé faisait paraftre beaucoup de solidité et
de pénétration d'esprit, lui dit qu'étant jeune, il avait trouvé un
homme qui l'avait rendu, en quinze jours, capable de répondre
sur une partie de la logique. Ce discours donna occasion à une autre
personne qui était présente, et qui n'avait pas grande estime pour
celte science, de répondre en riant, que si Monseigneur.... voulait
en prendre la peine , on s'engagerait bien à lui apprendre en
quatre ou cinq jours tout ce qu'il y avait d'utile dans la logique.
Cette proposition faite en l'air ayant servi quelque temps d'en
tretien, on se résolut d'en faire l'essai ; mais comme on ne jugea
pas les logiques ordinaires assez courtes, ni assez nettes, on eul
l'idée d'en faire un petit abrégé qui ne fût que pour lui.
C'est l'unique vue qu'on avait lorsqu'on se mit en devoir d'y
travailler et l'on ne pensait pas y employer plus d'un jour ; mais
1. Honoré d'Albert, duc de Chevreuse. (Note de Port- Royal.)
2 AVIS .

quand on voulut s'y appliquer, il vint dans l'esprit tant de ré


flexions nouvelles qu'on fut obligé de les écrire pour s'en déchar
ger : ainsi , au lieu d'un jour, on y en employa quatre ou cinq,
pendant lesquels on forma le corps de cette logique, à laquelle
on a depuis ajouté diverses choses.
Or, quoiqu'on y ait embrassé beaucoup plus de matières qu'on
ne s'était engagé de faire d'abord , néanmoins l'essai a réussi
comme on se l’était promis ; car ce jeune seigneur l'ayant lui
même réduite en quatre tables, il en apprit facilement une par
jour, sans même qu'il eût presque besoin de personne pour l'en
tendre. Il est vrai qu'on ne doit pas espérer que d'autres que lui
y entrent avec la même facilité , son esprit étant tout à fait
extraordinaire dans toutes les choses qui dépendent de l'intelli
gence .
Voilà la rencontre qui a produit cet ouvrage : mais, quelque
sentiment qu'on en ait, on ne peut, au moins avec justice, en
désapprouver l'impression, puisqu'elle a été plutôt forcée que
volontaire : car plusieurs personnes en ayant tiré des copies manus
scrites, ce qu'on sait assez ne pouvoir se faire sansqu'il s'y glisse
beaucoup de fautes, on a eu avis que les libraires se disposaient
à l'imprimer ; de sorte qu'on a jugé plus à propos de le donner
au public correct et entier, que de permettre qu'on l'imprimat
sur des copies défectueuses ; mais c'est aussi ce qui a obligé d'y
faire diverses additions qui l'ont augmenté de près d'un tiers,
parce qu'on a cru devoir étendre ces vues plus loin qu'on n'avait
fait en ce premier essai. C'est le sujet du discours suivant, où
l'on explique la fin qu'on s'y est proposée, et la raison des matières
qu'on y a traitées.

AVERTISSEMENT DE LA CINQUIÈME ÉDITION .

On a fait diverses additions importantes à cette nouvelle édi


tion de la Logique, dont l'occasion a été que lesministres se sont
AVERTISSEMENT . 3

plaints de quelques remarques qu'on y avait faites; ce qui a obligé


d'éclaircir et de soutenir les endroits qu'ils ont voulu attaquer. On
verra, par ces éclaircissements, que la raison et la foi s'accordent
parfaitement, comme étant des ruisseaux de la même source , et
que l'on ne saurait guère s'éloigner de l’une, sans s'écarter de
l'autre. Mais quoi que ce soient des contestations théologiques
qui ont donné lieu à ces additions, elles ne sont pas moins pro
pres, ni moins naturelles à la Logique ; et on les aurait pu faire,
quand il n'y aurait jamais eu de ministres au monde qui auraient
voulu obscurcir les vérités de la foi par de fausses subtilités.

PREMIER DISCOURS

OÙ L'ON FAIT VOIR LE DESSEIN DE CETTE NOUVELLE LOGIQUE.

Il n'y a rien de plus estimable que le bon sens et la justesse de


'esprit dans le discernement du vrai et du faux. Toutes les autres
qualités d'esprit ont des usages bornés ; mais l'exactitude de
la raison est généralement utile dans toutes les parties et dans
tous les emplois de la vie. Ce n'est pas seulement dans les sciences
qu'il est difficile de distinguer la vérité de l'erreur ; mais aussi
dans la plupart dessujets dont les hommes parlent, et des affaires
qu'ils traitent. Il y a presque partout des routes différentes, les
unes vraies, les autres fausses, et c'est à la raison d'en faire le
choix. Ceux qui choisissent bien sont ceux qui ont l'esprit juste ;
ceux qui prennent le mauvais parti sont ceux qui ont l'esprit
faux; et c'est la première et la plus importante différence qu'on
peut mettre entre les qualités de l'esprit des hommes.
Ainsi, la principale application qu'on devrait avoir serait do
former son jugement et de le rendre aussi exact qu'il le peut être;
et c'est à quoi devrait tendre la plus grande partie de nos études.
On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les
4 LOGIQUE .
sciences, et l'on devrait se servir, au contraire, des sciences comme
d'un instrument pour perfectionner sa raison ; la justesse de l’es
prit étant infiniment plus considérable que toutes les connais
sances spéculatives auxquelles on peut arriver par le moyen des
sciences les plus véritables et les plus solides : ce qui doit porter
les personnes sages à ne s'y engager qu'autant qu'elles peuvent
servir à cette fin, et à n'en faire que l'essai et non l'emploi des
forces de leur esprit.
Si l'on ne s'y applique dans ce dessein, on ne voit pas que l'étude
de ces sciences spéculatives, comme de la géométrie, de l'astro
nomie et de la physique, soit autre chose qu'un amusement assez
vain, ni qu'elles soient beaucoup plus estimables que l'ignorance
de toutes ces choses, qui a au moins cet avantage, qu'elle est
moins pénible, et qu'elle ne donne pas lieu à la sotte vanité que
l'on tire souvent de ces connaissances stériles et infructueuses
Non -seulement ces sciences ont des recoins et des enfoncements
fort peu utiles ; mais elles sont toutes inutiles, si on les considère
en elles-mêmes et pour elles -mêmes. Les hommes ne sont pas nés
pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner les
rapports des angles, à considérer les divers mouvements de
la matière : leur esprit est trop grand, leur vie trop courte,
leur temps trop précieux pour l'occuper à de si petits objets ;
mais ils sont obligés d'être justes, équitables, judicieux dans tous
leurs discours, dans toutes leurs actions et dans toutes les affaires
qu'ils manient, et c'est à quoi ils doivent particulièrement s'exer
cer et se former .
Ce soin et cette étude est d'autant plus nécessaire qu'il est
étrange combien c'est une qualité rare que cette exactitude de
jugement. On ne rencontre partout que des esprits faux, qui n'ont

1. On retrouve cette pensée avec le même tour de phrase chez Male


branche, Recherche de la vérité, Préface « Les hommes ne sont pas
nés pour devenir astronomes ou chimistes, pour passer toute leur vie
pendus à une lunette ou attachés à un fourneau, et pour tirer ensuite
des conséquences assez inutiles de leurs observations laborieuses ...
Les hommes peuvent regarder l'astronomie, la chimie et presque toutes
les autres sciences, comme des divertissements d'un 'honnête homme,
mais ils ne doivent pas se laisser surprendre par leur éclat, ni les pré
férer à la science de l'homme. »
PREMIER DISCOURS. 5

presque aucun discernement de la vérité ; qui prennent toutes


choses d'un mauvais biais ; qui se payent des plus mauvaises rai
sons et qui veulent en payer les autres ; qui se laissent emporter
par les moindres apparences ; qui sont toujours dans l'excès et
dans les extrémités ; qui n'ont point de serre pour se tenir fermes
dans les vérités qu'ils savent, parce que c'est plutôt le hasard qui
les y attache qu'une solidelumière;ou qui s'arrêtent, au contraire,
à leur sens avec tant d'opiniâtreté, qu'ils n'écoutent rien de ce qui
pourrait les détromper ; qui décident hardiment ce qu'ils ignorent,
ce qu'ils n'entendent pas, et ce que personne n'a peut-être jamais
entendu ; qui ne font point de différence entre parler et parler,
ou qui ne jugent de la vérité des choses que par le ton de la
voix : celui qui parle facilement et gravement a raison ; celui qui
a quelque peine à s'expliquer, ou qui fait paraître quelque cha
leur, a tort. Ils n'en savent pas davantage .
C'est pourquoi il n'y a point d'absurdités si insupportables qui
ne trouvent des approbateurs. Quiconque a dessein de piper le
monde, est assuré de trouver des personnes qui seront bien aises
d'être pipées ; et les plus ridicules sotlises rencontrent toujours
des esprits auxquels elles sont proportionnées. Après que l'on voit
tant de gens infatués des fulies de l'astrologie judiciaire, et que des
personnes graves traitent cette matière sérieusement, on ne doit
plus s'étonner de rien. Il y a une constellation dans le ciel qu'il a
plu à quelques personnes de nommer Balance, et qui ressemble à
une balance commeà un moulin à vent : la balance est le symbole
de la justice: donc ceux qui naîtront sous cette constellation seront
justes et équitables. Il y a trois autres signes dans le Zodiaque ,
qu'on nomme l'un Bélier, l'autre Taureau , l'autre Capricorne, et
qu'on eût pu aussi bien appeler Éléphant, Crocodile et Rhinocé
ros : le bélier, le taureau et le capricorne sont des animaux qui
ruminent; donc ceux qui prennent médecine lorsque la lune est
sous ces constellations , sont en danger de la revomir. Quelque
extravagants que soient ces raisonnements, il se trouve des per
sonnes qui les débitent, d'autres qui s'en laissent persuader.
Cette fausseté d'esprit n'est pas seulement cause des erreurs
que l'on mêle dans les sciences , mais aussi de la plupart des
fautes que l'on commet dans la vie civile, des querelles injustes,
6 LOGIQUE .
des procès mal fondés , des avis téméraires, des entreprises mal
concertées. Il y en a peu qui n'aient leur source dans quelque
erreur et dans quelque faute de jugement : de sorte qu'il n'y a
point de défaut dont on ait plus d'intérêt de se corriger.
Mais autant cette correction est souhaitable, autant est-il dif
ficile d'y réussir, parce qu'elle dépend beaucoup de la mesure
d'intelligence que nous apportons en naissant. Le sens commun
n'est pas une qualité si commune que l'on pense '. Il y a une
infinité d'esprits grossiers et stupides que l'on ne peut réformer
en leur donnant l'intelligence de la vérité, mais en les retenant
dans les choses qui sont à leur portée , et en les empêchant de
juger de ce qu'ils ne sont pas capables de connaftre. Il est vrai
néanmoins qu'une grande partie des faux jugements des hommes
ne vient pas de ce principe, et qu'elle n'est causée que par la
précipitation de l'esprit et par le défaut d'attention , qui fait que
l'on juge témérairement de ce que l'on ne connait que confusé
ment et obscurément. Le peu d'amour que les hommes ont pour
la vérité fait qu'ils ne se mettent pas en peine la plupart du temps
de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. Ils laissent en
trer dans leur âme toutes sortes de discours et de maximes ; ils
aiment mieux les supposer pour véritables que de les examiner :
s'ils ne les entendent pas , ils veulent croire que d'autres les en
tendent bien ; et ainsi ils se remplissent la mémoire d'une infinité
1. Nicole se trouve ici en désaccord avec Descartes qui s'exprime
en ces termes, au début du Discours de la méthode : « Le bon sens est
la chose du monde la 'mieux partagée : car chacun pense en être si
bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter
en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en
ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais
plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le
vrai d'avec le faux , qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens
nu la raison, est naturellement égale en tous les hommes, et qu'ainsi
a diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus
raisonnables que les autres , mais seulement de ce que nous condui
sons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes
choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon , mais le principal
est de l'appliquer bien. » Descartes nous parait plus exact et plus pro
iond que Nicole, bien que tous deux aboutissent à la même conclu
sion, qui est l'importance d'une bonne méthode, et par conséquent
l'utilité de la logique.
PREMIER DISCOURS. 7

de choses fausses, obscures et non entendues, et raisonnent en


suite sur ces principes, sans presque considérer ni ce qu'ils disent,
ni ce qu'ils pensent.
La vanité et la présomption contribuent encore beaucoup à ce
défaut. On croit qu'il y a de la honte à douter et à ignorer ; et
l'on aime mieux parler et décider au hasard , que de reconnaitre
qu'on n'est pas assez informé des choses pour en porter jugement.
Nous sommes tous pleins d'ignorance et d'erreurs ; et cependant
on a toutes les peines du monde à tirer de la bouche des bommes
cette confession si justo et si conforme à leur condition naturelle :
Je me trompe , et je n'en sais rien.
Il s'en trouve d'autres, au contraire, qui , ayant assez de lu
mières pour connaftre qu'il y a quantité de choses obscures et
incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner
qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire , mettent
leur gloireà soutenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent
ainsi de la peine de les examiner, et , sur ce mauvais principe ,
ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion
même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extra
vagance de l'esprit humain , qui , paraissant contraire à la témé
rité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la
même source , qui est le défaut d'attention ; car comme les uns
ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs , les
autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le
soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur
suffit aux uns pour les persuader de choses très- fausses , et elle
suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus cer
taines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même dé
faut d'application qui produit des effets si différents.
La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur con
vient; elle fait douter de celles qui sont douteuses , rejeter celles
qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évi
dentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui
ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses
certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent.
Personne no douta jamais sérieusement qu'il y a une terre , un
soleil et une lune , ni si le tout est plus grand que sa partie. On
8 LOGIQUE .
peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute ,
parce que l'on peut mentir ; mais on ne peut pas le faire dire à
son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens
qui soient persuadés de ce qu'ils disent , mais c'est une secte de
menteurs . Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur
opinion , leur cæur ne pouvant s'accorder avec leur langue ,
comme on peut le voir dans Montaigne , qui a taché de le renou
veler au dernier siècle .
Car, après avoir dit que les Académiciens étaient différents
des Pyrrhoniens , en ce que les Académiciens avouaient qu'il y
avait des choses plus vraisemblables que les autres, ce que les
Pyrrhoniens de voulaient pas reconnaftre, il se déclare pour les
Pyrrhoniens en ces termes : L'avis, dit-il, des Pyrrhoniens est plus
hardi , et quant et quant plus vraisemblable . Il y a donc des
choses plus vraisemblables que les autres : et ce n'est pas pour
faire une pointe qu'il parle ainsi; ce sont des paroles qui lui sont
échappées sans y penser, et qui naissent du fond de la nature ,
que le mensonge des opinions ne peut étouffer.
Mais le mal est que , dans les choses qui ne sont pas si sen
sibles, ces personnes , qui mettent leur plaisir à douter de tout,
empêchent leur esprit de s'appliquer à ce qui pourrait les per
suader, ou ne s'y appliquent qu'imparfaitement, et ils tombent
par là dans une incertitude volontaire à l'égard des choses de la
Religion , parce que cet état de ténèbres qu'ils se procurent leur
est agréable , et leur paraft commode pour apaiser les remords
de leur conscience, et pour contenter librement les passions.

1. Essais, liv. II , chap. XII. Si Montaigne a le tort d'avoir pris parti


pour Pyrrhon , il a du moins le mérite d'avoir relevé avec une rare
finesse les contradictions et les inconséquences de la nouvelle Acadé
mie. « Cette inclination académique, dit-il, et cette propension à une
proposition plustôt qu'à une autre, qu'est-ce autre chose que la re
cognoissance de quelque plus apparente vérité en cette - cy qu'en celle
là ? Si notre entendement est capable de la forme, des linéaments , du
port et du visage de la vérité, il la verroit entière, aussi bien que
demie, naissante et imparfaicte .... Comment se laissent-ils plier à la
vraisemblance, s'ils ne cognoissent le vray ? Comment cognoissent
ils la semblance de ce de quoy ils ne cognoissent pas l'essence ?
Ou nous pouvons juger tout à faict, ou tout à faict nous ne le pou
vons pas. »
PREMIER DISCOURS. 9

Ainsi, comme ces déréglements d'esprit, qui paraissent opposés,


l'un portant à croire légèrement ce qui est obscur et incertain ,
et l'autre à douter de ce qui est clair et certain, ont néanmoins
le même principe , qui est la négligence à se rendre attentif au
tant qu'il faut pour discerner la vérité , il est visible qu'il faut y
remédier de la même sorte , et que l'unique moyen de s'en ga
rantir est d'apporter une attention exacte à nos jugements et à
nos pensées. C'est la seule chose qui soit absolument nécessaire
pour se défendre des surprises : car ce que les Académiciens
disaient, qu'il était impossible de trouver la vérité , si on n'en
avait des marques, comme onne pourrait reconnaitre un esclave
fugitif qu'on chercherait, si on n'avait des signes pour le distin
guer des autres au cas qu'on le rencontråt, n'est qu'une vaine
subtilité. Comme il ne faut point d'autres marques pour distinguer
la lumière des ténèbres , que la lumière même qui se fait sentir
ainsi, il n'en faut point d'autres pour reconnaitre la vérité , que
la clarté même qui l'environne , et qui se soumet l'esprit et le
persuade malgré qu'il en ait ; de sorte que toutes les raisons de
ces philosophes ne sont pas plus capables d'empêcher l'âme de
se rendre à la vérité, lorsqu'elle en est fortement pénétrée , qu'elles
sont capables d'empêcher les yeux de voir, lorsqu'étant ouverts,
ils sont frappés par la lumière du soleil .
Mais , parce que l'esprit se laisse quelquefois abuser par de
fausses lueurs , lorsqu'il n'y apporte pas l'attention nécessaire ,
et qu'il y a bien des choses que l'on ne connait que par un long
ot difficile examen , il est certain qu'il serait utile d'avoir des
règles pour s'y conduire de telle sorte, que la recherche de la
vérité en fût et plus facile et plus sûre; et ces règles, sans doute,
ne sont pas impossibles. Car, puisque les hommes se trompent
quelquefois dans leurs jugements , et que , quelquefois aussi, ils
ne se trompent pas , qu'ils raisonnent tantôt bien et tantôt mal ,
et qu'après avoir mal raisonné , ils sont capables de reconnaître
leur faute , ils peuvent remarquer, en faisant des réflexions sur
leurs pensées, quelle méthode ils ont suivie , lorsqu'ils ont bien
raisonné , et quelle a été la cause de leur erreur, lorsqu'ils se
sont trompés, et former ainsi des règles sur ces réflexions, pour
éviter à l'avenir d'être surpris.
10 LOGIQUE
C'est proprement ce que les philosophes entreprennent, et sur
quoi ils nous font des promesses magnifiques. Si on veut les en
croire , ils nous fournissent, dans cetle partie qu'ils destinent à
cet effet, et qu'ils appellent Logique, une lumière capable de dis
siper toutes les ténèbres de notre esprit; ils corrigent toutes les
erreurs de nos pensées , et ils nous donnent des règles si sûres,
qu'elles nous conduisent infailliblement à la vérité , et si néces
saires tout ensemble, que, sans elles, il est impossible de la con
naftre avec une entière certitude. Ce sont les éloges qu'ils don
nent eux -mêmes à leurs préceptes. Mais, si l'on considère ce que
l'expérience nous fait voir de l'usage que ces philosophes en font,
et dans la logique , et dans les autres parties de la philosophie ,
on aura beaucoup de sujet de se défier de la vérité de ces pro
messes .

Néanmoins, parce qu'il n'est pas juste de rejeter absolument


ce qu'il y a de bon dans la logique, à cause de l'abus qu'on peut
en faire , et qu'il n'est pas vraisemblable que tant de grands es
prits, qui se sont appliqués avec tant de soin aux règles du rai
sonnement, n'aient rien du tout trouvé de solide ; et en n parce
que la coutume a introduit une certaine nécessité de savoir au
moins grossièrement ce que c'est que Logique, on a cru que ce
serait contribuer en quelque chose à l'utilité publique , que d'en
tirer ce qui peut le plus servir à former le jugement. Et c'est
proprement le dessein qu'on s'est proposé dans cet ouvrage , en
y ajoutant plusieurs nouvelles réflexions qui sont venues dans 2
l'esprit en écrivant, et qui en font la plus grande et peut-être la
plus considérable partie.
Car il semble que les philosophes ordinaires ne se soient guère
appliqués qu'à donner des règles des bons et des mauvais rai
sonnements. Or, quoique l'on ne puisse pas dire que ces règles
soient inutiles , puisqu'elles servent quelquefois à découvrir ie
défaut de certains arguments embarrassés, et à disposer ses
pensées d'une manière plus convaincante, néanmoins on ne
doit pas aussi croire que cette utilité s'étende bien loin, la
plupart des erreurs des hommes ne consistant pas à se laisser
tromper par de mauvaises conséquences , mais à se laisser
aller à de faux jugements dont on tire de mauvaises consé
PREMIER DISCOURS . 11

quences '. C'est à quoi ceux qui jusqu'ici ont traité de la Lo


gique ont peu cherché de remèdes, et ce qui fait le principal
sujet des nouvelles réflexions qu'on trouvera partout dans ce
livre.
On est obligé néanmoins de reconnaître que ces réflexions,
qu'on appelle nouvelles, parce qu'on ne les voit pas dans les
Logiques communes, ne sont pas toutes de celui qui a travaillé
à cet ouvrage, et qu'il en a emprunté quelques-unes des livres
d'un célèbre philosophe de ce siècle, qui a autant de netleté
d'esprit qu'on trouve de confusion dans les autres . On en a aussi
tiré quelques autres d'un petit écrit non imprimé, qui avait été
fait par feu M. Pascal, et qu'il avait intitulé : De l'Esprit géomé
trique; et c'est ce qui est dit, dans le chapitre xi de la première
partie, de la différence des définitions de noms et des définitions
de choses, et les cinq règles qui sont expliquées dans la qua
trième partie , que l'on y a beaucoup plus étendues qu'elles ne
le sont dans cet écrit .
Quant à ce qu'on a tiré des livres ordinaires de la Logique,
voici ce qu'on y a observé :
Premièrement, on a eu dessein de renfermer dans celle-ci tout
ce qui était véritablement utile dans les autres, comme les règles
des figures, les divisions des termes et des idées, quelques ré
flexions sur les propositions. Il y avait d'autres choses qu’on ju
geait assez inutiles, comme les catégories et les lieux ; mais
parce qu'elles étaient courtes, faciles et communes, on n'a pas
cru devoir les omettre, en avertissant néanmoins du jugement
1. Cette proposition est vraie dans un sens, mais il ne faudrait pas
l'exagérer. Descartes, dans un passage du Discours de la méthode,
IVe partie, fait remarquer « qu'il y a des hommes qui se méprennent
en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie,
et y font des paralogismes. » Il est clair que dans ce cas l'erreur porte
non pas sur les premiers jugements qui en eux -mêmes sont vrais, mais
sur la conséquence qui a été mal déduite.
2. Descartes. (Note de Port- Royal. )
3. Ce n'est pas seulement l'esprit du cartėsianisme qui règne dans
l’Art de penser. Nicole et Arnauld ont fait aux ouvrages de Descartes
des emprunts textuels et étendus , comme nous le verrons à l'occasion
du chapitre i de la IVe partie .
4. Nous avons publié ailleurs ce morceau de Pascal.
12 LOGIQUE
qu'on doit en faire, afin qu'on ne les crût pas plus utiles qu'elle,
ne sont.
On a été plus en doute sur certaines matières assez épineuses
et peu utiles, comme les conversions des propositions, la démon
stration des règles des figures, mais enfin on s'est résolu de ne
pas les retrancher, la difficulté même n'en étant pas entièrement
inutile. Car il est vrai que, lorsqu'elle ne se termine à la con
naissance d'aucune vérité, on a raison de dire : Stultum est diffi
ciles habere nugas ' ; mais on ne doit pas l'éviter de même,
quand elle mène à quelque chose de vrai, parce qu'il est avan
tageux de s'exercer à entendre les vérités difficiles.
Il y a des estomacs qui ne peuvent digérer que les viandes
légères et délicates; et il y a de même des esprits qui ne peuvent
s'appliquer à comprendre que les vérités faciles et revêtues des
ornements de l'éloquence. L'un et l'autre est une délicatesse blå
mable, ou plutôt une véritable faiblesse. Il faut rendre son esprit
capable de découvrir la vérité, lors même qu'elle est cachée et
enveloppée, et de la respecter sous quelque forme qu'elle pa
raisse. Si on ne surmonte cet éloignement et ce dégoût, qu'il est
facile à tout le monde de concevoir de toutes les choses qui pa
raissent un peu subtiles et scolastiques, on étrécit insensible
ment son esprit , et on le rend incapable de comprendre ce qui
ne se connaît que par l'enchaînement de plusieurs propositions:
et, ainsi , quand une vérité dépend de trois ou quatre principes
qu'il est nécessaire d'envisager tout à la fois, on s'éblouit, on se
rebute, et l'on se prive par ce moyen de la connaissance de plu
sieurs choses utiles ; ce qui est un défaut considérable.
La capacité de l'esprit s'étend et se resserre par l'accoutu
mance, et c'est à quoi servent principalement les mathématiques ,
et généralement toutes les choses difficiles, comme celles dont
nous parlons ; car elles donnent une certaine étendue à l'esprit,
et elles l'exercent à s'appliquer davantage et à se tenir plus
forme dans ce qu'il connaît.

MARTIAL, Épigr., II , 86.


Turpe est difficiles habere nugas,
Et stultus labor est ineptiarum .
PREMIER DISCOURS . 13

Ce sont les raisons qui ont porté à ne pas omettre ces matières
épineuses, et à les traiter même aussi subtilement qu'en aucune
autre Logique. Ceux qui n'en seront pas satisfaits peuvent s'en
délivrer en ne les lisant pas ; car on a eu soin pour cela de les en
avertir à la tête même des chapitres ; afin qu'ils n'aient pas sujet
de s'en plaindre, et que s'ils les lisent, ce soit volontairement.
On n'a pas cru aussi devoir s'arrêter au dégoût de quelques
personnes qui ont en horreur certains termes artificiels qu'on a
formés pour retenir plus facilement les diverses manières de rai
sonner, comme si c'étaient des mots de magie, et qui font sou
vent des railleries assez froides sur baroco et baralipton, comme
tenant du caractère de pédant ; parce que l'on a jugé qu'il y
avait plus de bassesse dans ces railleries que dans ces mots. La
vraie raison et le bon sens ne permettent pas qu'on traite de ri
dicule ce qui ne l'est point. Or, il n'y a rien de ridicule dans ces
termes, pourvu qu'on n'en fasse pas un trop grand mystère ; et
que, comme ils n'ont été faits que pour soulager la mémoire, on
ne veuille pas les faire passer dans l'usage ordinaire, et dire, par
exemple, qu'on va faire un argument en bocardo ou en felapton ,
ce qui serait en effet très -ridicule.
On abuse quelquefois beaucoup de ce reproche de pédanterie.
et souvent on y tombe en l'attribuant aux autres. La pédanterie
est un vice d'esprit et non de profession ; et il y a des pédants de
toutes robes, de toutes conditions et de tous états . Relever des
choses basses et petites, faire une vaine montre de sa science,
entasser du grec et du latin sans jugement, s'échauffer sur l'ordre
des mois attiques, sur les habits des Macédoniens et sur de sem
blables disputes de nul usage ; piller un auteur en lui disant des
injures; déchirer outrageusement ceux qui ne sont pas de notre
sentiment sur l'intelligence d'un passage de Suétone et sur l'éty
mologie d'un mot, comme s'il y agissait de la religion et de l'État ;
vouloir faire soulever tout le monde contre un homme qui n'es
time pas assez Cicéron, comme contre un perturbateur du repos
public, ainsi que Jules Scaliger a tâché de faire contre Érasme " ;

1. Erasme s'étant moqué de l'affectation de quelques savants d'Italie


à n'employer que des termes de Cicéron, Jules Scaliger écrivit deux
14 LOGIQUE.
s'intéresser pour la réputation d'un ancien philosophe, comme si
l'on était son proche parent, c'est proprement ce qu'on peut ap
peler la pédanterie ; mais il n'y en a point à entendre ni à ex
pliquer des mots artificiels assez ingénieusement inventés, et qui
n'ont pour but que le soulagement de la mémoire, pourvu qu'on
en use avec les précautions que l'on a marquées.
Il ne reste plus qu'à rendre raison pourquoi on a omis grand
nombre de questions qu'on trouve dans les Logiques ordinaires,
comme celles qu’on traite dans les prolégomènes, l'universel a
parte rei, les relations et plusieurs autres semblables ; et sur
cela il suffirait presque de répondre qu'elles appartiennent plutôt
à la métaphysique qu'à la logique. Mais il est vrai néanmoins
que ce n'est pas ce qu'on a principalement considéré ; car quand
on a jugé qu'une matière pouvait être utile pour former le juge
ment, on a peu regardé à quelle science elle appartenait. L'ar
rangement de nos diverses connaissances est libre comme celui
des lettres d'une imprimerie ; chacun a droit d'en former diffé
rents ordres, selon son besoin, quoique, lorsqu'on en forme, on
les doive ranger de la manière la plus naturelle. Il suffit qu'une
matière nous soit utile pour nous en servir, et la regarder non
comme étrangère, mais comme propre. C'est pourquoi on trou
vera ici quantité de choses de physique et de morale, et presque
autant de métaphysique qu'il est nécessaire d'en savoir, quoique
l'on ne prétende point pour cela avoir empruntė rien de per
sonne. Tout ce qui sert à la Logique lui appartient ; et c'est une
chose entièrement ridicule que les gênes que se donnent certains
auteurs, comme Ramus et les Ramistes ', quoique d'ailleurs fort

harangues où il l'accablait de grossières invectives. Erasme ne répondit


pas à la première et ne vit pas la seconde.
1. Pierre Ramus, né dans le Vermandois en 1502 suivant les uns, en
1515 suivant les autres, professa la philosophie et l'éloquence au col
lége de France. Il était protestant, et mourut assassinė dans la nuit
de la Saint- Barthélemy. Par son enseignement et ses livres dirigés
contre Aristote, il préluda a la grande réforme accomplie un siècle
plus tard par Descartes. Le reproche que les auteurs de l'Art de penser
lui adressent dans ce passage n'est pas très- fondé ; car il paraîtrait en
résulter que Ramus aurait écarté de ses écrits tous les exemples qui
n'étaient pas puisés dans les littératures antiques. Or, bien qu'il pos
PREMIER DISCOURS . 15
habiles gens, qui prennent autant de peine pour borner les juri
dictions de chaque science , et faire qu'elles n'entreprennent pas
les unes sur les autres, que l'on en prend pour marquer les li
mites des royaumes et régler les ressorts des parlements.
Ce qui a porté aussi à retrancher entièrement des questions
d'école, n'est pas simplement de ce qu'elles sont difficiles et d .
peu d'usage : on en a traité quelques-unes de cette nature ; mais
c'est qu'ayant toutes ces mauvaises qualités, on a cru de plus
qu'on pourrait se dispenser d'en parler sans choquer personne,
parce qu'elles sont peu estimées.
Car il faut mettre une grande différence entre les questions
inutiles dont les livres de philosophie sont remplis. Il y en a qui
sont assez méprisées par ceux mêmes qui les traitent, et il y en
a, au contraire , qui sont célèbres et autorisées , et qui ont beau
coup de cours dans les écrits de personnes d'ailleurs estimables.
Il semble que c'est un devoir auquel on est obligé à l'égard de
ces opinions communes et célebres, quelque fausses qu'on les
croie, de ne pas ignorer ce qu'on en dit. On doit cette civilité,
ou plutôt cette justice, non à la fausseté, car elle n'en mérite
point, mais aux hommes qui en sont prévenus, de ne pas rejeter
ce qu'ils estiment sans l'examiner. Et ainsi il est raisonnable
d'acheter, par la peine d'apprendre ces questions, le droit de les
mépriser.
Mais on a plus de liberté dans les premières ; et celles de lo
gique, que nous avons cru devoir omettre, sont de ce genre :
elles ont cela de commode qu'elles ont peu de crédit, non-seule
ment dans le monde où elles sont inconnues, mais parmi ceux-là
mêmes qui les enseignent. Personne, Dieu merci , ne prend inté
rêt à l'universel a parte rei, à l'être de raison, ni aux secondes
intentions ; et ainsi on n'a pas lieu d'appréhender que quelqu'un
sédât une érudition classique très -variée, et qu'il cite souvent les an
ciens, cependant il n'était pas étranger aux autres études, et il s'atta
chait à signaler les applications des règles de la logique qui riese. font
journellement dans les sciences et dans le commerce de Il a
donné un des premiers l'exemple, si heureusement suivi par Nicole el
Arnauld, de diriger vers la pratique cet art de la démonstration et de
l'analyse qui, chez les scolastiques, s'épuise, pour ainsi dire, en vaines
subtilités .
16 LOGIQUE .
se choque de ce qu'on n'en parle point ; outre que ces matières
sont si peu propres à être mises en français, qu'elles auraient été
plus capables de décrier la philosophie de l'École que de la faire
estimer.
Il est bon aussi d'avertir qu'on s'est dispensé de suivre toujours
les règles d'une méthode tout à fait exacte, ayant mis beaucoup
de choses dans la quatrième partie qu'on aurait pu rapporter à la
seconde et à la troisième ; mais on l'a fait à dessein, parce qu'on
a jugé qu'il était utile de voir en un même lieu tout ce qui était
nécessaire pour rendre une science parfaite ; ce qui est le plus
grand ouvrage de la méthode dont on traite dans la quatrième
partie : et c'est pour cette raison qu'on a réservé de parler en ce
lieu-là des axiomes et des démonstrations.
Voilà à peu près les vues que l'on a eues dans cette Logique.
Peut-être qu'avec tout cela il y aura fort peu de personnes qui en
profitent, ou qui s'aperçoivent du fruit qu'elles en tireront ; parce
qu'on ne s'applique guère d'ordinaire à mettre en usage des pré
ceptes par des réflexions expresses ; mais on espère néanmoins
que ceux qui l'auront lue avec quelque soin pourront en prendre
une teinture qui les rendra plus exacts et plus solides dans leurs
jugements, sans même qu'ils y pensent, comme il y a de certains
remèdes qui guérissent des maux, en augmentant la vigueur et
en fortifiant les parties. Quoi qu'il en soit, au inoins n'incommo
dera-t -elle pas longtemps personne, ceux qui sont un peu avancés
pouvant la lire et apprendre en sept ou huit jours ; et il est diffi
cile que, contenant une si grande diversité de choses, chacun n'y
trouve de quoi se payer de la peine de sa lecture.
SECOND DISCOURS . 17

SECOND DISCOURS

CONTENANT LA RÉPONSE AUX PRINCIPALES OBJECTIONS


QU'ON A PAITES CONTRE CETTE LOGIQUE.

Tous ceux qui se portent à faire part au public de quelques


ouvrages doivent en même temps se résoudre à avoir autant de
juges que de lecteurs, et cette condition ne doit leur paraftre ni
injuste ni onéreuse ; car, s'ils sont vraiment désintéressés, ils
doivent en avoir abandonné la propriété en les rendant publics,
et les regarder ensuite avec la même indifférence qu'ils feraient
des ouvrages étrangers.
Le seul droit qu'ils peuvent s'y réserver légitimement est celui
de corriger ce qu'il y aurait de défectueux, à quoi ces divers juge
ments qu'on fait des livres sont extrêmement avantageux ; car
ils sont toujours utiles lorsqu'ils sont justes, et ils ne nuisent
de rien lorsqu'ils sont injustes, parce qu'il est permis de ne les
pas suivre.
La prudence veut néanmoins qu'en plusieurs rencontres on
s'accommode à ces jugements qui ne nous semblent pas justes ;
parce que s'ils ne nous font pas voir que ce qu'on reprend soit
mauvais, ils nous font voir au moins qu'il n'est pas proportionné
à l'esprit de ceux qui le reprennent. Or, il est sans doute meil
leur, lorsqu'on peut le faire, sans tomber en quelque plus grand
inconvénient, de choisir un temperament si juste , qu'en conten
tant les personnes judicieuses, on ne mécontente pas ceux qui
ont le jugement moins exact; puisque l'on ne doit pas supposer
qu'on n'aura que des lecteurs habiles et intelligents.
Ainsi il serait à désirer qu'on ne considérât les premières édi
tions des livres que comme des essais informes que ceux qui en
sont auteurs proposent aux personnes de lettres pour en appren
dre leurs sentiments ; et qu'ensuite, sur les différentes vues que
leur donneraient ces différentes papsées, ils y travaillassent tout
2
18 LOGIQUE.

de nouveau pour mettre leurs ouvrages dans la perfection où ils


sont capables de les porter.
C'est la conduite qu'on aurait bien désiré de suivre dans la se
conde édition de cette Logique, si l'on avait appris plus de choses
de ce qu'on a dit dans le monde de la première. On a fait néan
moins ce qu'on a pu , et l'on a ajouté, retranché et corrigé plu
sieurs choses, suivant les pensées de ceux qui ont eu la bonté de
faire savoir ce qu'ils y trouvaient à redire .
1
! Et premièrement, pour le langage, on a suivi presque en tout
les avis de deux personnes qui se sont donné la peine de remar
quer quelques fautes qui s'y étaient glissées par mégarde, et
certaines expressions qu'ils ne croyaient pas être du bop usage ;
et l'on ne s'est dispensé de s'attacher à leurs sentiments, que
lorsqu'en ayant consulté d'autres, on a trouvé les opinions par
tagées, auquel cas on a cru qu'il était permis de prendre le parti
de la liberté .
On trouvera plus d'additions que de changements ou de re
tranchements pour les choses, parce qu'on a été moins averti de
ce qu'on y reprenait. Il est vrai néanmoins que l'on a su quelques
objections générales qu'on faisait contre ce livre, auxquelles on
n'a pas cru devoir s'arrêter, parce qu'on s'est persuadé que ceux
mères qui les faisaient seraient aisément satisfaits, lorsqu'on leur
aurait représenté les raisons qu'on a eues en vue dans les choses
qu'ils blåmaient ; et c'est pourquoi il est utile de répondre ici
aux principales de ces objections .
Il s'est trouvé des personnes qui ont été choquées du titre d'art
de penser, au lieu duquel ils voulaient qu’on mit l'art de bien
raisonner ; mais on les prie de considérer que la logique ayant
pour but de donner des règles pour toutes les actions de l'esprit,
et aussi bien pour les idées simples, que pour les jugements et
pour les raisonnements, il n'y avait guère d'autre mot qui enfer
måt toutes ces différentes actions ; et certainement celui de pen
sée les comprend toutes ; car les simples idées sont des pensées,
les jugements sont des pensées, et les raisonnements sont des
pensées. Il est vrai que l'on eût pu dire, l'art de bien penser ,
mais cette addition n'était pas nécessaire, étant assez marquée
par le mot d'art qui signifie de soi-même une méthode de bien
SECOND DISCOURS . 19

faire quelque chose, comme Aristote même le remarque ; et c'est


pourquoi on se contente de dire, l'art de peindre, l'art de conter,
parce qu'on suppose qu'il ne faut point d'art pour mal peindre
ni pour mal conter '.
On a fait une objection beaucoup plus considérable contre
cette multitude de choses tirées de différentes sciences que l'on
trouve dans cette Logique ; et, parce qu'elle en attaque lout le
dessein, et nous donne ainsi lieu de l'expliquer, il est nécessaire
de l'examiner avec plus de soin. A quoi bon , disent-ils, toute
cette bigarrure de rhétorique, de morale, de physique, de méta
physique, de géométrie ? Lorsque nous pensons trouver des
préceptes de logique, on nous transporte tout d'un coup dans les
plus hautes sciences, sans s'être informé si nous les avons ap
prises. Ne devait -on pas supposer, au contraire, que si nous
avions déjà toutes ces connaissances, nous n'aurions pas besoin
de cette Logique ? Et n'eût-il pas mieux valu nous en donner une
toute simple et toute nue , où les règles fussent expliquées par
des exemples tirés des choses communes, que de les embarrasser,
de tant de matières qui les étouffent ?
Mais ceux qui raisonnent de cette sorte n'ont pas assez consi
déré qu'un livre ne saurait guère avoir de plus grand défaut que

1. On a souvent débattu le point de savoir si la logique était une


science ou un art. Les scolastiques se sont prononcés généralement
pour la première opinion, qui n'a été abandonnée que depuis Ramus et
Descartes. Il faut avouer que si la logique est un art, elle tient mal les
promesses qui semblent attachées à ce mot, et qu'elle n'est pas toujours
la condition infaillible des découvertes et du progrès scientifique.
Certes, les études logiques ne fleurirent jamais avec plus d'éclat que
pendant le moyen âge ; cependant qui oserait soutenir que le moyen
âge est l'époque où le génie et la puissance de l'homme ont atteint
leurs limites les plus reculées? La définition que donne Port-Royal
nous semble donc un peu étroite. Le logicien doit sans doute viser à
la pratique, et s'efforcer de rendre plus féconds et plus sûrs les efforts
de l'intelligence dans la recherche du vrai ; mais avant d'être un art,
la logique est une théorie ; elle arrive à des conclusions qui sont cer
taines, quel que soit l'usage que nous jugions opportun d'en faire pour
notre perfectionnement moral et intellectuel. En un mot, la logique
envisagée dans son acception la plus haute est la science des lois de
Pentendement. C'est à ce point de vue que nous la trouvons exposée
dans les ouvrages d'Aristote .
20 LOGIQUE .
de n'être pas lu, puisqu'il ne sert qu'à ceux qui le lisent; et
qu'ainsi tout ce qui contribue à faire lire un livre contribue aussi
à le rendre utile. Or, il est certain que, si on avait suivi leur
pensée, et que l'on eût fait une Logique toute sèche, avec les
exemples ordinaires d'animal et de cheval , quelque exacte et
quelque méthodique qu'elle eût pu être, elle n'eût fait qu'aug
menter le nombre de tant d'autres, dont le monde est plein, et
qui ne se lisent point. Au lieu que c'est justement cet amas de
différentes choses qui a donné quelque cours à celle - ci, et quila
fait lire avec un peu moins de chagrin qu'on ne fait les autres.
Mais ce n'est pas là néanmoins la principale vue qu'on a eue
dans ce mélange, que d'attirer le monde à la lire, en la rendant
plus divertissante que no le sont les logiques ordinaires. On
prétend, de plus, avoir suivi la voie la plus naturelle et la
plus avantageuse de traiter cet art, en remédiant, autant qu'il
se pouvait , à un inconvénient qui en rend l'étude presque
inutile.
Car l'expérience fait voir que sur mille jeunes gens qui ap
prennent la logique, il n'y en a pas dix qui en sachent quelque
chose six mois après qu'ils ont achevé leurs cours. Or, il semble
que la véritable cause de cet oubli ou de cette négligence si
commune, soit que toutes les matières que l'on traite dans la
logique étant d'elles -mêmes très -abstraites et très- éloignées de
l'usage, on les joint encore à des exemples peu agréables, et
dont on ne parle jamais ailleurs ; et ainsi l'esprit, qui ne s'y
attache qu'avec peine, n'a rien qui l'y retienne attaché, et perd
aisément toutes les idées qu'il en avait conçues, parce qu'elles
ne sont jamais renouvelées par la pratique.
De plus, comme ces exemples communs ne font pas assez
comprendre que cet art puisse être appliqué à quelque chose
d'utile, ils s'accoutument à renfermer la logique dans la logique,
sans l'étendre plus loin : au lieu qu'elle n'est faite que pour
servir d'instrument aux autres sciences ; de sorte que, comme
ils n'en ont jamais vu de vrai usage, ils ne la mettent aussi
jamais en usage , et ils sont bien aises même de s'en décharger
comme d'une connaissance basse et inutile .
On a donc cru que le meilleur remède de cet inconvénient,
SECOND DISCOURS . 21

était de ne pas tant séparer qu'on fait d'ordinaire la logique des


autres sciences auxquelles elle est destinée , et de la joindre
tellement, par le moyen des exemples, à des connaissances
solides, que l'on vít en même temps les règles et la pratique ;
afin que l'on apprît à juger de ces sciencez par la logique, et que
l'on retînt la logique par le moyen des sciences.
Ainsi, tant s'en faut que cette diversité puisse étouffer les pré
ceptes, que rien ne peut plus contribuer à les faire bien entendre,
et à les faire mieux retenir, que cette diversité, parce qu'ils sont
d'eux-mêmes trop subtils pour faire impression sur l'esprit, si
on ne les attache à quelque chose de plus agréable et de plus
sensible .
Pour rendre ces exemples plus utiles, on n'a pas emprunté au
hasard des exemples de ces sciences ; mais on en a choisi les
points les plus importants, et qui pouvaient le plus servir de
règles et de principes, pour trouver la vérité dans les autres
matières que l'on n'a pas pu traiter.
On a considéré, par exemple, en ce qui regarde la rhétorique,
que le recours qu'on pouvait en tirer pour trouver des pensées,
des expressions et des embellissements, n'était pas si considé
rable. L'esprit fournit assez de pensées, l'usage donne les expres
sions; et pour les figures et les ornements, on n'en a toujours
que trop. Ainsi, tout consiste presque à s'éloigner de certaines
mauvaises manières d'écrire et de parler, et surtout d'un style
artificiel et de rhétoricien, composé de pensées fausses et hyperbo
liques, et de figures forcées, qui est le plus grand de tous les
vices. Or, l'on trouvera peut-être autant de choses utiles dans
cette Logique pour connaitre et pour éviter ces défauts, que dans
les livres qui en traitent expressément. Le chapitre dernier de la
première partie, en faisant voir la nature du style figuré, apprend
en même temps- l'usage que l'on doit en faire, et découvre la
vraie règle par laquelle on doit discerner les bonnes et les mau
vaises figures. Celui où l'on traite des lieux en général peut
beaucoup servir à retrancher l'abondance superflue des pensées
communes. L'article où l'on parle des mauvais raisonnements où
l'éloquence engage insensiblement, en apprenant à ne prendre
jamais pour beau ce qui est faux, propose, en passant, une des
22 LOGIQUE .

plus importantes règles de la véritable rhétorique, et qui peut


plus que tout autre former l'esprit à une manière d'écrire simple,
naturelle et judicieuse. Enfin , ce que l'on dit dans le même cha
pitre, du soin que l'on doit avoir de n'irriter point la malignité
de ceux à qui l'on parle , donne lieu d'éviter un très-grand
nombre de défauts, d'autant plus dangereux qu'ils sont plus dif
ficiles à remarquer .
Pour la morale, le sujet principal que l'on traitait n'a pas per
mis qu'on en insérât beaucoup de choses. Je crois néanmoins
qu'on jugera que ce que l'on en voit dans le chapitre des fausses
idées des biens et des maux dans la première partie, et dans celui
des mauvais raisonnements que l'on commet dans la vie civile,
est de très-grande étendue, et donne lieu de reconnaître une
grande partie des égarements des hommes.
Il n'y a rien de plus considérable dans la métaphysique que
l'origine de nos idées, la séparation des idées spirituelles et des
images corporelles, la distinction de l'âme et du corps, et les
preuves de son immortalité, fondées sur cette distinction ; et c'est
ce quel'on verra assez amplement traité dans la première et dans
la quatrième partie.
On trouvera même en divers lieux la plus grande partie des
principes généraux de la physique, qu'il est très facile d'allier ; et
l'on pourra tirer assez de lumière de ce que l'on a dit de la pe
santeur, des qualités sensibles, des actions des sens, des facultés
attractives, des vertus occultes, des formes substantielles, pour
se détromper d'une infinité de fausses idées que les préjugés de
notre enfance ont laissées dans notre esprit.
Ce n'est pas qu'on puisse se dispenser d'étudier toutes ces
choses avec plus de soin dans les livres qui en traitent expressé
ment ; mais on a considéré qu'il y avait plusieurs personnes qui,
ne se destinant pas à la théologie, pour laquelle il est nécessaire
de savoir exactement la philosophie de l'École, qui en est comme
la langue, se peuvent contenter d'une connaissance plus géné
rale de ces sciences. Or, encore qu'ils ne puissent pas trouver
dans ce livre -ci tout ce qu'ils doivent en apprendre, on peut dire
néanmoins, avec vérité, qu'ils y trouveront presque tout ce
qu'ils doivent en retenir.
SECOND DISCOURS . 23

Ce que l'on objecte, qu'il y a quelques-uns de ces exemples qui


ne sont pas assez proportionnés à l'intelligence de ceux qui com
mencent, n’est véritable qu'à l'égard des exemples de géométrie ;
car, pour les autres, ils peuvent être entendus de tous ceux qui
ont quelque ouverture d'esprit, quoiqu'ils n'aient jamais rien ap
pris de philosophie : et peut-être même qu'ils seront plus intelli
gibles à ceux qui n'ont encore aucuns préjugés, qu'à ceux qui
auront l'esprit rempli de maximes de la philosophie commune.
Pour les exemples de géométrie, il est vrai qu'ils ne seront pas
compris de tout le monde ; mais ce n'est pas un grand inconvé
nient, car on ne croit pas qu'on en trouve guère que dans des
discours exprès et détachés que l'on peut facilement passer, ou dans
des choses assez claires par elles-mêmes, ou assez éclairées par
d'autres exemples pour n'avoir pas besoin de ceux de géométrie.
Si l'on examine, de plus, les endroits où l'on s'en est servi,
on reconnaftra qu'il était difficile d'en trouver d'autres qui y fus
sent aussi propres , n'y ayant guère que cette science qui puisse
fournir des idées bien nettes et des propositions incontestables.
On a dit, par exemple, en parlant des propriétés réciproques,
que c'en était une des triangles rectangles, que le carré de l'hy
pothénuse est égal au carré des côtés . Cela est clair et certain à
tous ceux qui l'entendent ; et ceux qui ne l’entendent pas peuvent
le supposer, et ne laissent pas de comprendre la chose à laquelle
on applique cet exemple.
Mais si l'on eût ulu se servir de celui qu'on apporte d'ordi
naire, qui est la risibilité, que l'on dit être une propriété de
l'homme, on eût avancé une chose très-obscure et très-contes
table ; car, si l'on entend par le mot de risibilité le pouvoir de
faire une certaine grimace qu'on fait en riant, on ne voit pas
pourquoi on ne pourrait pas dresser des bêtes à faire cette gri
mace, et peut-être même qu'il y en a qui la font. Que si on en
ferme dans ce mot, non-seulement le changement que le ris fait
dans le visage, mais aussi la pensée qui l'accompagne et qui le
produit, et qu'ainsi l'on entende par risibilité le pouvoir de rire en
pensant, toutes les actions des hommes deviendront des proprié
tés réciproques en cette manière, n'y en ayant point qui ne soient
propres à l'homme seul , si on les joint avec la pensée. Ainsi, l'on
24 LOGIQUE .
dira que c'est une propriété de l'homme de marcher, de boire, de
manger, parce qu'il n'y a que l'homme qui marche, qui boive et
qui mange en pensant : pourvu qu'on l'entende de cette sorte,
nous ne manquerons pas d'exemples de propriétés ; mais encore
ne seront-ils pas certains dans l'esprit de ceux qui attribuent des
pensées aux bêtes, et qui pourront aussi bien leur attribuer le
ris avec la pensée ; au lieu que celui dont on s'est servi est cer
tain dans l'esprit de tout le monde.
On a voulu montrer de même en un endroit, qu'il y avait des
choses corporelles que l'on concevait d'une manière spirituelle et
sans se l'imaginer ; et sur cela on a rapporté l'exemple d'une
figure de 1000 angles que l'on conçoit nettement par l'esprit,
quoiqu'on ne puisse s'en former d'image distincte qui en repré
sente les propriétés ; et l'on a dit, en passant, qu'une des propriétés
de cette figure était que tous ses angles étaient égauxà 1996 angles
droits. Il est visible que cet exemple prouve fort bien ce qu'on
voulait faire voir en cet endroit.
Il ne reste plus qu'à satisfaire à une plainte plus odieuse que
quelques personnes font, de ce qu'on a tiré d'Aristote des exem
ples de définitions défectueuses et de mauvais raisonnements ;
ce qui leur parait naître d'un désir secret de rabaisser ce philo
sophe.
Mais ils n'auraient jamais formé un jugement si peu équitable,
s'ils avaient assez considéré les vraies règles que l'on doit garder
en citant des exemples de fautes, qui sont celles qu'on a eues en
vue en citant Aristote .
Premièrement, l'expérience fait voir que la plupart de ceux
qu'on propose d'ordinaire sont peu utiles, et demeurent peu dans
l'esprit, parce qu'ils sont formés à plaisir, et qu'ils sont si visibles
et si grossiers, que l'on juge comme impossible d'y tomber. Il est
donc plus avantageux , pour faire retenir ce qu'on dit de ces dé
fauts, et pour les faire éviter, de choisir des exemples réels tirés
de quelque auteur considérable dont la réputation excite davan
tage à se garder de ces sortes de surprises, dont on voit que les
plus grands hommes sont capables .
De plus, comme on doit avoir pour but de rendre tout ce qu'on
écrit aussi utile qu'il le peut être , il faut låcher de choisir des
SECOND DISCOURS . 25

exemples de fautes qu'il soit bon de ne pas ignorer; car ce serait


fort inutilement qu'on se chargerait la mémoire de toutes les re
veries de Fludd , de Van Helmont et de Paracelse ". Il est donc
meilleur de chercher de ces exemples dans des auteurs si célè .
bres, qu'on soit même en quelque sorte obligé d'en connaître
jusqu'aux défauts.
Or, tout cela se rencontre parfaitement dans Aristote; car rien
ne peut porter plus puissamment à éviter une faute que de faire
voir qu'un si grand esprit y est tombé ; et sa philosophie est de
venue si célèbre par le grand nombre de personnes de mérite qui
l'ont embrassée, que c'est une nécessité de savoir même ce qu'il
pourrait y avoir de défectueux. Ainsi , comme l'on jugeait très
utile que ceux qui liraient ce livre apprissent, en passant, divers
points de cette philosophie, et que néanmoins il n'est jamais utile
de se tromper, on les a rapportés pour les faire connaître, et l'on
a marqué en passant le défaut qu'on y trouvait , pour empêcher
qu'on ne s'y trompât.
Ce n'est donc pas pour rabaisser Aristote, mais, au contraire,
pour l'honorer autant que l'on peut en des choses où l'on n'est pas
de son sentiment, que l'on a tiré ces exemples de ses livres ; et il
est visible, d'ailleurs, que les points où on l'a repris sont de très
peu d'importance, et ne touchent point le fond de sa philosophie,
que l'on n'a eu nulle intention d'attaquer.
Que si l'on n'a pas rapporté de même plusieurs choses excel
lentes que l'on trouve partout dans les livres d'Aristote, c'est
qu'elles ne se sontpas présentées dans la suite du discours; mais
si on eût trouvé l'occasion, on l'eût fait avec joie, et l'on n'au
1. Théophraste Paracelse , né en Suisse en 1493, mort en 1541;
Robert Fludd, né en Angleterre en 1574, mort en 1637 ; – Jean - Bap
tiste Van Helmont, né à Bruxelles en 1577, mort à Vienne en 1644 ,
adonnés tous trois aux chimères de la chimie et de l'astrologie, nourris
des doctrines cabalistiques et des traditions moitié platoniciennes,
moitié hébraïques, qui sont renfermées dans les ouvrages attribués à
Hermès Trismegiste . Ils furent les propagateurs d'une philosophie où
quelques vues ingénieuses et exactes s'allient aux spéculations du
panthéisme le plus bizarre . Gassendi a écrit des Exercitationes in
Fluddanam philosophiam , Paris, 1630, in-12, dans lesquelles il ex
pose et réfute avec beaucoup de sagacité les théories du célèbre thau
maturge.
26 LOGIQUE .
rait pas manqué de lui donner les justes louanges qu'il mérite :
car il est certain qu'Aristote est en effet un esprit très-vaste et
très-étendu, qui découvre dans les sujets qu'il traite un grand
nombre de suites et de conséquences; et c'est pourquoi il a très
bien réussi en ce qu'il a dit des passions dans le second livre de
sa Rhétorique
Il y a aussi plusieurs belles choses dans ses livres de Politique
et de Morale, dans les Problèmes et dans l'Histoire des animaux ;
ot, quelque confusion que l'on trouve dans ses Analytiques, il
faut avouer néanmoins que presque tout ce qu'on sait des règles
de la Logique est pris là. De sorte qu'il n'y a point, en effet,
d'auteur dont on ait emprunté plus de choses dans cette Logique
que d'Aristote, puisque le corps des préceptes lui appartient.
Il est vrai qu'il semble que le moins parfait de ses ouvrages
soit sa Physique, comme c'est aussi celui qui a été le plus long
temps condamné et défendu dans l'Église, ainsi qu'un savani '
homme l'a fait voir dans un livre exprès. Mais encore , le princi
pal défaut qu'on peut y trouver n'est pas qu'elle soit fausse, mais
c'est, au contraire, qu'elle est trop vraie, et qu'elle ne nous ap
prend que des choses qu'il est impossible d'ignorer. Car , qui
peut douter que toutes choses ne soient composées de matière et
d'une certaine forme de cette matière? Qui peut douter qu'afin que
la matière acquière une nouvelle manière et une nouvelle forme,
il faut qu'elle nė l'eût pas auparavant, c'est- à - dire qu'elle en eût
la privation ? Qui peut douter enfin de ces autres principes mé
taphysiques, que tout dépend de la forme; que la matière seule
ne fait rien ; qu'il y a un lieu , des mouvements, des qualités, des
facultés ? Mais après qu'on a appris toutes ces choses, il ne sem
ble pas qu'on ait appris rien de nouveau , ni qu'on soit plus en
état de rendre raison d'aucun des effets de la nature .
Que s'il se trouvait des personnes qui prétendissent qu'il n'est
permis en aucune sorte de témoigner qu'on n'est pas du senti
ment d'Aristote, il serait aisé de leur faire voir que cette délica
tesse n'est pas raisonnable.

1. M. de Launoi, dans son livre De varia Aristotelis fortuna . (Note


de Port-Royal.)
SECOND DISCOURS . 27

Car si l'on doit de la déférence à quelques philosophes, ce ne


peut etre que par deux raisons : ou dans la vue de la vérité
qu'ils auraient suivie, ou dans la vue de l'opinion des hommes
qui les approuvent.
Dans la vue de la vérité, on leur doit du respect lorsqu'ils ont
raison ; mais la vérité ne peut obliger de respecter la fausseté en
qui que ce soit.
1
Pour ce qui regarde le consentement des hommes dans l'ap
probation d'un philosophe, il est certain qu'il mérite aussi quel
que respect, et qu'il y aurait de l'imprudence de le choquer, sans
user de grandes précautions; et la raison en est, qu'en attaquant
ce qui est reçu de tout le monde, on se rend suspect de présomp
tion, en croyant avoir plus de lumières que les autres .
Mais, lorsque le monde est partagé touchant les opinions d'un
auteur, et qu'il y a des personnes considérables de côté et d'au
tre, on n'est plus obligé à cette réserve, et l'on peut librement
déclarer ce qu'on approuve ou ce qu'on n'approuve pas dans ces
livres sur lesquels les personnes de lettres sont divisées, parce
que ce n'est pas tant alors préférer son sentiment à celui de cet
auteur et de ceux qui l'approuvent, que se ranger au parti de
ceux qui lui sont contraires en ce point.
C'est proprement l'état où se trouve maintenant la philosophie
d'Aristote . Comme elle a eu diverses fortunes, ayant été en un
temps généralement rejetée, et en un autre généralement approu
vée, elle est réduite maintenant à un état qui tient le milieu entre
ces extrémités : elle est soutenue par plusieurs personnes savan
tes, et elle est combattue par d'autres qui ne sont pas en moindre
réputation. L'on écrit tous les jours librement en France, en
Flandre, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande , pour et con
tre la philosophie d'Aristote : les conférences de Paris sont par
tagées aussi bien que les livres, et personne ne s'offense qu'on
s'y déclare contre lui. Les plus célèbres professeurs ne s'obligent
plus à cette servitude de recevoir aveuglément tout ce qu'ils
trouvent dans ses livres, et il y a même de ses opinions qui sont
généralement bannies ; car qui est le médecin qui voulůt soutenir
maintenant que les nerfs viennent du cæur, comme Aristote l'a
cru , puisque l'anatomie fait voir clairement qu'ils tirent leur ori
28 LOGIQUE .
gine du cerveau ; ce qui a fait dire à saint Augustin : Qui exo
puncto cerebri et quasi centro sensus omnes quinaria distributione
diffudit ? Et qui est le philosophe qui s'opiniâtre à dire que la vi
tesse des choses pesantes croit dans la même proportion que leur
pesanteur, puisqu'il n'y a personne qui ne puisse se désabuser
de cette opinion d'Aristote, en laissant tomber d'un lieu élevé
deux choses très-inégalement pesantes, dans lesquelles on ne
remarquera néanmoins que très - peu d'inégalité de vitesse .
Tous les états violents ne sont pas d'ordinaire de longue du
rée, et toutes les extrémités sont violentes. Il est trop dur de
condamner généralement Aristote comme on a fait autrefois, et
c'est une gêne bien grande que de se croire obligé de l'approuver
en tout, et de le prendre pour la règle de la vérité des opinions
philosophiques, comme il semble qu'on ait voulu le faire ensuite.
Le monde ne peut demeurer longtemps dans cette contrainte, et
se remet insensiblement en possession de la liberté naturelle et
raisonnable, qui consiste à approuver ce qu'on juge vrai, et à
rejeter ce qu'on juge faux.
Car la raison ne trouve pas étrange qu'on la soumette à l'au
torité dans des sciences qui, traitant des choses qui sont au
dessus de la raison , doivent suivre une autre lumière qui ne
peut être que celle de l'autorité divine; mais il semble qu'elle
soit bien fondée à ne pas souffrir que dans les sciences humaines
qui font profession de ne s'appuyer que sur la raison , on l'asser
visse à l'autorité contre la raison '.
C'est la règle que l'on a suivie en parlant des opinions des
philosophes, tant anciens que nouveaux. On n'a considéré dans
les uns et dans les autres que la vérité, sans épouser générale
ments les sentiments d'aucun en particulier, et sans se déclarer
aussi généralement contre aucun.
De sorte que tout ce qu'on doit conclure, quand on a rejeté
quelque opinion ou d'Aristote ou d'un autre, est que l'on n'est
pas du sentiment de cet auteur en cette occasion ; mais on n'en
peut nullement conclure que l'on n'en soit pas en d'autres points,

1. Pascal développe admirablement cette règle dans le célèbre mur


ceau de l'Autorité en matière de philosophie.
SECOND DISCOURS . 29

et beaucoup moins qu'on ait quelque aversion de lui, et quelque


désir de le rabaisser. On croit que cette disposition sera approu
vée par toutes les personnes équitables, et qu'on ne reconnaitra
dans tout cet ouvrage qu’un désir sincère de contribuer à l'uti
lité publique, autant qu'on pouvait le faire par un livre de cette
nature sans aucune passion contre personne.
get
4

LOGIQUE .

La logique est l'art de bien conduire sa raison dans la connais


sance des choses, tant pour s'instruire soi-même que pour en
instruire les autres .
Cet art consiste dans les réflexions que les hommes ont faites
sur les quatre principales opérations de leur esprit, concevoir,
juger, raisonner et ordonner '.
On appelle concevoir la simple vue que nous avons des choses
qui se présentent à notre esprit, comme lorsque nous nous re
présentons un soleil , une terre, un arbre, un rond , un carré, la
pensée, l'étre, sans en former aucun jugement exprès ; et la forme
par laquelle nous nous représentons ces choses s'appelle idée.
On appelle juger, l'action de notre esprit par laquelle, joignant
ensemble diverses idées, il affirme de l'une qu'elle est l'autre, ou
nie de l'une qu'elle soit l'autre , comme lorsqu'ayant l'idée de la
terre et l'idée du rond , j'affirme de la terre qu'elle est ronde, ou
je nie qu'elle soit ronde.
On appelle raisonner, l'action de notre esprit par laquelle il
forme un jugement de plusieurs autres ; comme lorsqu'ayant jugé
que la véritable vertu doit être rapportée à Dieu, et que la vertu

1. Le premier germe de cette division nous parait se trouver dans


Aristote qui traite, en effet, des idées dans le livre des Catégories
formant la première partie de l'Organum , des jugements et des propo
sitions dans le traité de l'Interprétation , du raisonnement dans les
Premiers et les Seconds Analytiques.
LOGIQUE . 31

des païens ne lui était pas rapportée, il en conclut que la vertu


des païens n'était pas une véritable vertu .
On appelle ici ordonner , l'action de l'esprit par laquelle, ayant
sur un même sujet, comme sur le corps humain , diverses idées,
divers jugements et divers raisonnements, il les dispose en la
manière la plus propre pour faire connaître ce sujet. C'est ce
qu'on appelle encore méthode.
Tout cela se fait naturellement, et quelquefois mieux par ceux
qui n'ont appris aucune règle de la logique que par ceux qui les
ont apprises.
Ainsi, cet art ne consiste pas à trouver le moyen de faire ces
opérations , puisque la nature seule nous les fournit en nous
donnant la raison ; mais à faire des réflexions sur ce que la na
ture nous fait faire, qui nous servent à trois choses.
La première est d'être assurés que nous usons bien de notre
raison , parce que la considération de la règle nous y fait faire
une nouvelle attention ;
La seconde est de découvrir et d'expliquer plus facilement
l'erreur ou le défaut qui peut se rencontrer dans les opérations
de notre esprit; car il arrive souvent que l'on découvre, par la
seule lumière naturelle, qu’un raisonnement est faux, et qu'on
ne découvre pas néanmoins la raison pourquoi il est faux, comme
ceux qui ne savent pas la peinture peuvent être choqués du dé
faut d'un tableau, sans pouvoir néanmoins expliquer quel est ce
défaut qui les choque ;
La troisième est de nous faire mieux connaître la nature de
notre esprit par les réflexions que nous faisons sur ces actions ;
ce qui est plus excellent en soi , quand on n'y regarderait que la
seule spéculation , que la connaissance de toutes les choses cor
porelles, qui sont infiniment au-dessous des spirituelles.
Que si les réflexions que nous faisons sur nos pensées n'avaient
jamais regardé que nous -mêmes, il aurait suffi de les considérer
en elles-mêmes , sans les revêtir d'aucunes paroles ni d'aucuns
autres signes ; mais parce que nous ne pouvons faire entendre nos
pensées les uns aux autres qu'en les accompagnant de signes ex
; térieurs, et que cette même accoutumance est si forte, que quand
nous pensons seu ls , les choses ne se présentent à notre esprit
32 LOGIQUE .
qu'avec les mots dont nous avons accoutumé de les revêtir en
parlant aux autres, il est nécessaire, dans la logique, de consi
dérer les idées jointes aux mots, et les mots joints aux idées.
De tout ce que nous venons de dire, il s'ensuit que la logique
peut être divisée en quatre parties, selon les diverses réflexions ,
que l'on fait sur ces quatre opérations de l'esprit.
PREMIÈRE PARTIE,
CONTENANT LES RÉFLEXIONS SUR LES IDÉES , OU SUR LA PREMIÈRE
ACTION DE L'ESPRIT QUI S'APPELLE CONCEVOIR .

Comme nous ne pouvons avoir aucune connaissance de ce qui


est hors de nous que par l'entremise des idées qui sont en nous ,
les réflexions que l'on peut faire sur nos idées sont peut-être ce
qu'il y a de plus important dans la logique, parce que c'est le
fondement de tout le reste .
On peut réduire ces réflexions à cinq chefs, selon les cing ma
nières dont nous considérons les idées ;
La première, selon leur nature et leur origine ;
La deuxième, selon la principale différence des objets qu'elles
représentent;
La troisième, selon leur simplicité ou composition, où nous
traiterons des abstractions et précisions d'esprit ;
La quatrième, selon leur étendue ou restriction, c'est-à-dire
leur universalité, particularité, singularité;
La cinquième, selon leur clarté et obscurité, ou distinction et
confusion .

CHAPITRE PREMIER.

Des idées selon leur nature et leur origine.

Le mot d'idée est du nombre de ceux qui sont si clairs, qu'or


ne peut les expliquer par d'autres, parce qu'il n'y en a point de
plus clairs et de plus simples.
34 LOGIQUE .
Mais tout ce qu'on peut faire pour empêcher qu'on ne s'y trompe,
est de marquer la fausse intelligence qu'on pourrait donner à ce
mot, en le restreignant à cetle seule façon de concevoir les cho
ses, qui se fait par l'application de notre esprit aux images qui
sont peintes dans notre cerveau, et qui s'appelle imagination .
Car, comme saint Augustin remarque souvent, l'homme , depuis
le péché, s'est tellement accoutumé à ne considérer que les choses
corporelles dont les images entrent par les sens dans notre cer
veau, que la plupart croient ne pouvoir concevoir une chose quand
ils ne se la peuvent imaginer, c'est - à -dire se la représentersous
une image corporelle, comme s'il n'y avait en nous que cette
seule manière de penser et de concevoir.
Au lieu qu'on ne peut faire réflexion sur ce qui se passe dans
notre esprit, qu'on ne reconnaisse que nous conceyons un très
grand nombre de choses sans aucune de ces images , et qu'on ne
s'aperçoive de la différence qu'il y a entre l'imagination et la pure
intellection . Car lors, par exemple, que je m'imagine un triangle ,
je ne le conçois pas seulement comme une figure terminée par
trois lignes droites ; mais, outre cela , je considère ces trois lignes
comme présentes par la force et l'application intérieure de mon
esprit, et c'est proprement ce qui s'appelle imaginer. Que si je
veux penser à une figure de mille angles, je conçois bien, à la
vérité, que c'est une figure composée de mille côtés,aussi facile
ment que je conçois qu'un triangle,est une figure composée de
trois côtés seulement ; mais je ne puis m'imaginer les mille côtés
de cette figure, ni , pour ainsi dire, les regarder comme présents
avec les yeux de mon esprit.
Il est vrai néanmoins que la coutume que nous avons de nous
servir de notre imagination , lorsque nous pensons aux choses
corporelles, fait souvent qu'en concevantunafigurede mille angles,
on se représente confusément quelque figure; mais il est évident
que cette figure, qu'on sereprésente alors par l'imagination, n'est
point une figure de mille angles, puisqu'elle ne diffère nullement
de ce que je me représenterais si je pensais à une figure de dix
mille angles, et qu'elle ne sept en aucune façon à découvrir les
propriétés qui font la différenced'une figure de mille angles d'avec
tout autre polygone.
PREMIÈRE PARTIE . 35

Je ne puis donc proprement m'imaginer une figure de mille


angles, puisque l'image que j'en voudrais peindre dans mon ima
gination me représenterait toute autre figure d'un grand nombre
d'angles, aussitôt que celle de mille angles ; et néanmoins je puis
la concevoir très-clairement et très -distinctement, puisque j'en
puis démontrer toutes les propriétés, commé, que tous ses angles
ensemble sont égaux à mille neuf cent quatre-vingt- seize angles
droits ; et, par conséquent, c'est autre chose de s'imaginer, et
autre chose de concevoir .
Cela est encore plus clair par la considération de plusieurs choses
que nous concevons très -clairement, quoiqu'elles ne soient en
aucune sorte du nombre de celles que l'on peut s'imaginer, Car,
que concevons -nous plus clairement que notre pensée lorsque nous
pensons ? Et cependant il est impossible de s'imaginer une
pensée, ni d'en peindre aucune image dans notre cerveau . Le oui
et le non n'y peuvent aussi en avoir aucune : celui qui juge que
la terre est ronde, et celui qui juge qu'elle n'est pas ronde, ayant
tous deux les mêmes choses peintes dans le cerveau, savoir, la
terre et la rondeur, mais l'un y ajoutant l'affirmation ,quiest une
action de son esprit, laquelle il conçoit sans aucune image cor
porelle, et l'autreuneaction contraire, qui est la négation, laquelle
peut encore moins avoir d'image.
Lors donc que nousparlons des idées, nous n'appelons pointdece
nom lesimages qui sont peintes en la fantaisie, mais tout ce qui est
dans notre esprit, lorsque nous pouvons dire avec vérité que nous
concevons unechose, de quelque manière que nous la concevions.
D'où il s'ensuit que nous ne pouvons rien exprimer par no
paroles, lorsque nous entendons ce que nous disons, que de cela
même il ne soit certain que nous avons en nous l'idéede la chose
que nous signifions par nos paroles, quoique cette idée soit quel
quefois plus claire et plus distincte, et quelquefois plus obscure
et plus confuse, comme nous l'expliquerons plus bas, car il y au
rait de la contradiction entre dire queje sais ce que je disen
prononçant un mot, et que néanmoins je ne conçois rien, en le
prononçant, que le son même du mot.
Et c'est ce qui fait voir la fausseté de deux opinions très-dan
gereuses qui ont été avancées par des philosophes de ce temps
36 LOGIQUE .
La première est que nous n'avons aucune idée de Dieu ", car
si nous n'en avions aucune idée, en prononçant le nom de Dieu
nous n'en concevrions que ces quatre lettres D, i, e, u , et un
Français n'aurait rien davantage dans l'esprit en entendant le
nom de Dieu , que si , en entrant dans une synagogue et étant
entièrement ignorant de la langue hébraïque, il entendait pro
noncer en hébreu, Adonaï ou Eloha.
Et quand les hommes ont pris le nom de Dieu , comme Caligula
et Domitien, ils n'auraient commis aucune impiété, puisqu'il n'y
a rien dans ces lettres ou ces deux syllabes Deus, qui ne puisse
être attribué à un homme, si on n'y attachait aucune idée . D'où
vient qu'on n'accuse point un Hollandais d'être impie pour s'ap
peler Ludovicus Dieu. En quoi donc consistait l'impiété de ces
princes, sinon en ce que laissant à ce mot Deus une partie au
moins de son idée , comme est celle d'une nature excellente et
adorable, ils s'appropriaient ce nom avec cette idée ?
Mais, si nous n'avions point d'idée de Dieu , sur quoi pourrions
nous fonder tout ce que nous disons de Dieu, comme, qu'il n'y
en a qu'un , qu'il est éternel, tout- puissant, tout bon, tout sage,
puisqu'il n'y a rien de tout cela enfermé dans ce son Dieu , mais
seulement dans l'idée que nous avons de Dieu et que nous avons
jointe à ce son ?
Et ce n'est aussi que par là que nous refusons le nom de Dieu
à toutes les fausses divinités, non pas que ce mot ne puisse leur
être attribué, s'il était pris matériellement, puisqu'il leur a été
attribué par les païens; mais parce que l'idée qui est en nous du
souverain Être , et que l'usage a lié à ce mot de Dieu, ne con
vient qu'au seul vrai Dieu.
La seconde de ces fausses opinions est ce qu'un Anglais a dit:
« Que le raisonnement n'est peut-être autre chose qu'un assem
blage et enchainement de noms par ce mot est. D'où il s'ensui
yrait que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant
la nature des choses, maịs seulement touchant leurs appellations;

1. Arnauld, comme la suite le prouve , a ici en vue Hobbes et Gas.


sendi qui, dans leurs objections contre les Méditations de Descartes,
ont, en effet, soutenu que nous n'avions pas l'idée de Dieu .
PREMIÈRE PARTIE . 37

c'est -à -dire que nous voyons simplement si nous assemblons bien


ou mal les noms des choses, selon les conventions que nous avons
faites à notre fantaisie, touchant leurs significations. »
A quoi cet auteur ajoute: « Si cela est , comme il peut être
le raisonnement dépendra des mots, les mots de l'imagination , et
l'imagination dépendra peut- être, comme je le crois, du mouve
ment des organes corporels ; et ainsi notre âme (mens) ne sera
autre chose qu'un mouvement dans quelques parties du corps
organique '. »
Il faut croire que ces paroles ne contiennent qu'une objection
éloignée du sentiment de celui qui la propose ; mais comme, étant
prises assertivement, elles iraient à ruiner l'immortalité de l'âme,
il est important d'en faire voir la fausseté, ce qui ne sera pas
difficile; car les conventions dont parle ce philosophe ne peuvent
avoir été que l'accord que les hommes ont fait de prendre de
certains sons pour être signes des idées que nous avons dans
l'esprit. De sorte que si , outre les noms, nous n'avions en nous
mêmes les idées des choses, cette convention aurait été impossible,
comme il est impossible par aucune convention de faire entendre
à un aveugle ce que veut dire le mot de rouge, de vert, de bleu,
parce que, n'ayant pointces idées, il ne peut lesjoindre à aucun son.
De plus, les diverses nations ayant donné divers noms aux
choses, et même aux plus claires et aux plus simples, comme à
celles qui sont les objets de la géométrie, ils n'auraient pas les
mêmes raisonnements touchant les mêmes vérités , si le raisonne
ment n'était qu'un assemblage de noms par le mot est.
Et comme il paraît, par ces divers mots , que les Arabes, par
exemple, ne sont point convenus avec les Français pour donner
es mêmes significations aux sons, ils ne pourraient aussi conve
nir dans leurs jugements et leurs raisonnements, si leurs raison
nements dépendaient de cette convention.
Enfin, il y a une grande équivoque dans ce mot d'arbitraire,
quand on dit que la signification des mots est arbitraire ; car il
est vrai que c'est une chose purement arbitraire que de joindre
une telle idée à un tel son plutôt qu'à un autre ; mais les idées

1. Hobbes, Objections contre les Méditations de Descartes, obj. ivº.


38 LOGIQUE.

ne sont point des choses arbitraires et qui dépendent de notre


fantaisie, au moins celles qui sont claires et distinctes ; et, pour le
montrer évidemment , c'est qu'il serait ridicule de s'imaginer que
des effets très-réels pussent dépendre de choses purement arbi
traires. Or, quand un homme a conclu par son raisonnement que
l'axe de fer qui passe par les deux meules du moulin pourrait
tourner sans faire tourner celle de dessous, si, étant rond, il
passait par un trou rond ; mais qu'il ne pourrait tourner sans
faire tourner celle de dessus, si , étant carré , il était emboité dans
un trou carré de cette meule de dessus, l'effet qu'il a prétendu
s'ensuit infailliblement; et, par conséquent, son raisonnement
n'a point été un assemblage de noms, selon une convention qui
aurait entièrement dépendu de la fantaisie des hommes, mais un
jugement solide et effectif de la nature des choses par la considé
ration des idées qu'il en a dans l'esprit, lesquelles il a plu aux
hommes de marquer par de certains noms.
Nous voyons donc assez ce que nous entendcns par le mot
d'idées ; il ne reste plus qu'à dire un mot de leur origine.
Toute la question est de savoir si toutes nos idées viennent de
nos sens, et si l'on doit passer pour vraie cette maxime com
mune : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu .
C'est le sentiment d'un philosophe qui est estimé dans le
monde, et qui commence sa logique par cetteproposition : Omnis
idea ortum ducit a sensibus : Toute idée tire son origine des sens'.
Il avoue néanmoins que toutes nos idées n'ont pas été dans nos
sens telles qu'elles sont dans notre esprit, mais il prétend qu'elles
ont au moins été formées de celles qui ont passé par nos sens,
ou par composition , comme lorsque des images séparées de l'or
et d'une montagne, on s'en fait une montagne d'or ; ou par am
pliation et diminution , comme lorsque de l'image d'un homme
d'une grandeur ordinaire, on s'en forme un géant ou un pygmée ;
ou par accommodation et proportion , comme lorsque de l'idée
' une maison qu'on a vue, on s'en forme l'image d'une maison
qu'on a pas vue. Et ainsi, dit-il, nous concevons Dieu, qui ne
peut tomber sous le sens, sous l'image d'un vénérable vieillard .

1. Gassendi, Instit. Logic., P. 1 , cap. 2.


PREMIERE PARTIE . 39

Selon cette pensée, quoique toutes nos idées ne fussent pas


semblables à quelque airps particulier que nous ayons vu ou
qui ait frappé nos sens, elles seraient néanmoins toutes corpo
relles, et ne nous représenteraient rien qui ne fût entré dans
nos sens, au moins par parties. Et ainsi nous ne concevrions
rien que par des images semblables à celles qui se forment dans
le cerveau , quand nous voyons ou nous nous imaginons des
corps .
Mais, quoique cette opinion lui soit commune avec plusieurs
des philosophes de l'École, je ne craindrai point de dire qu'elle
est très- absurde et aussi contraire à la religion qu'à la véritable
philosophie; car, pour ne rien dire que de clair, il n'y a rien que
nous concevions plus dictinctement que notre pensée même, ni de
proposition qui puisse nous être plus claire quecelle -là : Je pense ,
donc je suis. Or, nous ne pourrions avoir aucune certitude de cette
proposition , si nous ne concevions distinctement ce que c'est qu’étre
et ce que c'est que penser ; et il ne faut point nous demander que
nous expliquions ces terines , parce qu'ils sont du nombre de ceux
qui sont si bien entendus par tout le monde qu'on les obscurcirait
en voulant les expliquer. Si donc on ne peut nier que nous n'ayons
en nous les idées de l'être et de la pensée, je demande par quel
sens elles sont entrées. Sont- elles lumineuses ou colorées , pour
étre entrées par la vue ? d'un son grave et aigu pour être entrées
par l'ouïe ? d'une bonne ou mauvaise odeur, pour ệtre entrées
par l'odorat ? de bon ou de mauvais goût pour être entrées par
le goût ? froides ou chaudes, dures ou molies , pour être entrées
par l'attouchement ? Que si l'on dit qu'elles ont été formées
d'autres images sensibles, qu'on nous dise quelles sont ces autres
images sensibles dont on prétend que les idées de l'ètre et de la
pensée ont été formées, et comment elles ont pu être formées , ou
par composition , ou par ampliation , ou par diminution , ou par
proportion . Que si l'on ne peut rien répondre à tout cela qui ne
soit déraisonnable , il faut avouer que les idées de l'être et de la
pensée ne tirent en aucune sorte leur origine des sens, mais que
notre âme a.la faculté de les former de soi-même, quoiqu'il arrive
souvent qu'elle est excitée à le faire par quelque chose qui frappe
les sens; comme un peintre peut être porté à faire un tableau
40 LOGIQUE .
par l'argent qu'on lui promet, sans qu'on puisse dire pour cela
que le tableau a tiré son origine de l'argent.
Mais ce qu'ajoutent ces mêmes auteurs, que l'idée que nous
avons de Dieu tire son origine des sens, parce que nous le con
cevons sous l'idée d'un vieillard vénérable, est une pensée qui
n'est digne que des Anthropomorphites, ou qui confond les véri
tables ido que nous avons des choses spirituelles avec les fausses
imaginations que nous en formons par une mauvaise accoutu
mance de se vouloir tout imaginer, au lieu qu'il est aussi absurde
de se vouloir imaginer ce qui n'est point corporel, que de vouloir
ouir des couleurs et voir des sons .
Pour réfuter cette pensée, il ne faut que considérer que si nous
n'avions point d'autre idée de Dieu que celle d'un vieillard véné-.
rable, tous les jugements que nous ferions de Dieu nous devraient
paraftre faux, lorsqu'ils sont contraires à cette idée ; car nous
sommes portés naturellement à croire que nos jugements sont
faux, quand nous voyons clairement qu'ils sont contraires aux
idées que nous avons des choses ; et ainsi nous ne pourrions juger
avec certitude que Dieu n'a point de parties, qu'il n'est point
corporel, qu'il est partout, qu'il est invisible, puisque tout cela
n'est point conforme à l'idée d'un vénérable vieillard. Que si Dieu
s'est quelquefois représenté sous cette forme, cela ne fait pas que
ce soit là l'idée que nous en devrions avoir, puisqu'il faudrait
aussi que nous n'eussions point d'autre idée du Saint- Esprit que
celle d'une colombe, parce qu'il s'est représenté sous la forme
d'une colombe ; ou que nous concussions Dieu comme un son,
parce que le son du nom de Dieu nous sert à nous en réveiller
l'idée.
[ Il est donc faux que toutes nos idées viennent de nos sens;
mais on peut dire, au contraire, que nulle idée qui est dans notre
esprit ne tire son origine des sens, sinon par occasion, en ce
que les mouvements qui se font dans notre cerveau, qui est tout
ce que peuvent faire nos sens, donnent occasion à l'âme de se
former diverses idées qu'elle ne se formerait pas sans cela,
quoique presque toujours ces idées n'aient rien de semblable à ce
qui se fait dans les sens et dans le cerveau, et qu'il y ait de plus
un très-grand nombre d'idées qui, ne tenant rien du tout d'au
PREMIÈRE PARTIE . 41

cune image corporelle, ne peuvent, sans une absurdité visible,


être rapportées à nos sens.
Que si l'on objecte qu'en même temps que nous avons l'idée
des choses spirituelles, comme de la pensée, nous ne laissons pas
de former quelque image corporelle, au moins du son qui la si
gnifie, on ne dira rien de contraire à ce que nous avons prouvé;
car cette image du son de pensée que nous nous imaginons, n'est
point l'image de la pensée même, mais seulement d'un son ; et
elle ne peut servir à nous la faire concevoir qu'en tant que l'âme,
s'étant accoutumée, quand elle conçoit ce son, de concevoir aussi
la pensée, se forme en même temps une idée toute spirituelle de
la pensée, qui n'a aucun rapport avec celle du son, mais qui y
est seulement liée par l'accoutumance, ce qui se voit en ce que
les sourds, qui n'ont point d'images des sons, ne laissent pas
d'avoir des idées de leurs pensées, au moins lorsqu'ils font ré
flexion sur ce qu'ils pensent.

CHAPITRE II.

Des idées considérées selon leurs objets.

Tout ce que nous concevons est représenté à notre esprit, ou


comme chose, ou comme manière de choses, ou comme chose
modifiée .
J'appelle chose ce que l'on conçoit comme subsistant par soi
même, et comme le sujet de tout ce que l'on y conçoit. C'est ce
que l'on appelle autrement substance.
J'appelle manière de chose, ou mode, ou attribut, ou qualité ce
qui étant conçu dans la chose, et comme ne pouvant subsister
sans elle, la détermine à être d'une certaine façon, et la fait
nommer telle .
J'appelle chose modifiée, lorsqu'on considère la substance
comme déterminée par une certaine manière ou mode.
42 LOGIQUE .
C'est ce qui se comprendra mieux par des exemples.
Quand je considère un corps, l'idée que j'en ai me représente
une chose ou une substance, parce que je le considère comme
une chose qui subsiste par soi-même, et qui n'a point besoin
d'aucun sujet pour exister.
Mais quand je considère que ce corps est rond, l'idée que j'ai
de la rondeur ne me représente qu'une manière d'être, ou un
mode que je conçois ne pouvoir subsister naturellement sans le
corps dont il est rondeur.
Et enfin, quand , joignant le mode avec la chose, je considère
un corps rond, cette idée me représente une chose modifiée.
Les noms qui servent à exprimer les choses, s'appellent sub
stantifs ou absolus, comme terre, soleil, esprit, Dieu.
Ceux aussi qui signifient premièrement et directement les
modes, parce qu'en cela ils ont quelque rapport avec les sub
tances, sont aussi appelés substantifs et absolus, comme dureté,
chaleur, justice, prudence.
Les noms qui signifient les choses comme modifiées, marquant
premièrement et directement la chose, quoique plus confusé
ment, et indirectement le mode, quoique plus distinctement,
sont appelés adjectifs ou connotatifs; comme rond, dur, juste,
prudent.
Mais il faut remarquer que notre esprit, étant accoutumé de
connaitre la plupart des choses comme modifiées, parce qu'il ne
les connaît presque que par les accidents ou qualités qui nous
frappent les sens, divise souvent la substance même dans son
essence en deux idées, dont il regarde l'une comme sujet, et
l'autre comme mode . Ainsi, quoique tout ce qui est en Dieu soit
Dieu même, on ne laisse pas de le concevoir comme un étre in
fini, et de regarder l'infinité comme un attribut de Dieu, et l'être
comme sujet de cet attribut . Ainsi l'on considère souvent
l'homme comme le sujet de l'humanité, habens humanitatem , et
par conséquent comme une chose modifiée.
Et alors on prend pour mode l'attribut essentiel qui est la
chose même , parce qu'on le conçoit comme dans un sujet. C'est
proprement ce qu'on appelle abstrait des substances , comme hu
manité, corporéité, i aison.
PREMIÈRE PARTIE . 43

Il est néanmoins très- important de savoir ce qui est véritable


ment mode, et ce qui ne l'est qu'en apparence , parce qu'une des
principales causes de nos erreurs est de confondre les modes avec
les substances , et les substances avec les modes. Il est donc de
la nature du véritable mode, qu'on puisse concevoir sans lui clai
rement et distinctement la substance dont il est mode, et que
néanmoins on ne puisse pas réciproquement concevoir claire
ment ce mode , sans concevoir en même temps le rapport qu'il a
à la substance dont il est mode et sans laquelle il ne peut natu
rellement exister.
Ce n'est pas qu'on ne puisse concevoir le mode sans faire une
attention distincte et expresse à son sujet; mais ce qui montre
que la notion du rapport à la substance est enfermée au moins con
fusément dans celle du mode, c'est qu'on ne saurait nier ce rap
port du mode, qu'on ne détruise l'idée qu'on en avait · au lieu
que, quand on conçoit deux choses et deux substances, l'on peut
nier l'une de l'autresans détruire les idées qu'on avait de chacune.
Par exemple, je puis bien concevoir la prudence, sans faire
attention distincte à un homme qui soit prudent ; mais je ne puis
concevoir la prudence en niant le rapport qu'elle a à un homme
ou à une autre intelligence qui ait cette vertu .
Et, au contraire, lorsque j'ai considéré tout ce qui convient à
une substance étendue qu'on appelle corps , comme l'extension,
la figure, la mobilité, la divisibilité, et que d'autre part je con
sidère tout ce qui convient à l'esprit et à la substance qui
pense , comme de penser, de douter, de se souvenir, de vou
loir, de raisonner, je puis nier de la substance étendue tout ce
que je conçois de la substance qui pense , sans cesser pour cela
de concevoir très-distinctement la substance étendue et tous
les autres attributs qui y sont joints ; et je puis réciproquement
nier de la substance qui pense tout ce que j'ai conçu de la
substance étendue, sans cesser pour cela de concevoir très
distinctement tout ce que je conçois dans la substance qui pense.
Et c'est ce qui fait voir aussi que la pensée n'est point un mode
de la sub-tance étendue, parce que l'étendue et toutes les pro
priétés qui la suivent se peuvent nier de la pensée, sans qu'on
cesse pour cela de bien concevoir la pensée .
44 LOGIQUE .
On peut remarquer sur le sujet des modes, qu'il y en a qu'on
peut appeler intérieurs, parce qu'on les conçoit dans la substance,
comme rond, carré ; et d'autres qu'on peut nommer extérieurs,
parce qu'ils sont pris de quelque chose qui n'est pas dans la
substance, comme aimé, vu , désiré, qui sont des noms pris des
actions d'autrui ; et c'est ce qu'on appelle dans l'École denomi
nation ex rne .

Que si ces modes sont tirés de quelque manière dont on conçoit


les choses, on les appelle secondes intentions. Ainsi être sujet,
élre attribut, sont des secondes intentions, parce que ce sont
des manières sous lesquelles on conçoit les choses, qui sont
prises de l'action de l'esprit qui a lié ensemble deux idées en
affirmant l'une de l'autre.
On peut remarquer encore qu'il y a des modes qu'on peut
appeler substantiels, parce qu'ils nous représentent de véritables
substances appliquées à d'autres substances, comme des modes
et des matières ; habillé, armé, sont des modes de cette sorte .
Il y en a d'autres qu'on peut appeler simplement réels, et ce
sont les véritables modes qui ne sont pas des substances, mais
des manières de la substance .
Il y en a enfin qu'on peut appeler négatifs, parce qu'ils nous
représentent la substance avec une négation de quelque mode
réel ou substantiel .
Que si les objets représentés par ces idées, soit de substances,
soit de modes, sont en effet, tels qu'ils nous sont représentés, on
les appelle véritables ; que s'ils ne sont pas tels, elles sont faus
ses en la manière qu'elles le peuvent être ; et c'est ce qu'on
appelle dans l'École étres de raison, qui consistent ordinairement
dans l'assemblage que l'esprit fait de deux idées réelles en soi,
mais qui ne sont pas jointes dans la vérité pour en former une
même idée : comme celle qu'on peut se former d'une montagne
d'or , est un être de raison , parce qu'elle est composée des deux
idées de montagne et d'or, qu'elle représente comme unies,
quoiqu'elles ne le soient point véritablement,
PREMIÈRE PARTIE. 45

CHAPITRE III.

Des dix catégories d’Aristote.

On peut rapporter à cette considération des idées selon leurs


objets, les dix catégories d'Aristote, puisque ce ne sont que di
verses classes auxquelles ce philosophe a voulu réduire tous les
objets de nos pensées, en comprenant toutes les substances sous
la première, et tous les accidents sous les neuf autres. Les voici :
I. LA SUBSTANCE , qui est ou spirituelle, ou corporelle, etc.
II. LA QUANTITÉ , qui s'appelle discrète, quand les parties n'en
sont point liées, comme le nombre ;
Continue, quand elles sont liées ; et alors elle est ou successive
comme le temps, le mouvement ;
Ou permanente, qui est ce qu'on appelle autrement l'espace,
ou l'étendue en longueur, largeur, profondeur ; la longueur seule
ſaisant les lignes ; la longueur et la largeur les surfaces, et les
trois ensemble les solides.
III. LA QUALITÉ, dont Aristote fait quatre espèces.
La 1re comprend les habitudes, c'est- à -dire les dispositions d'es
prit ou de corps, qui s'acquièrent par des actes réitérés, comme
les sciences, les vertus, les vices, l'adresse de peindre, d'écrire,
de danser .
La 2°, les puissances naturelles, telles que sont les facultés de
l'ame ou du corps, l'entendement, la volonté , la mémoire, les
cinq sens, la puissance de marcher.
La 3e, les qualités sensibles, comme la dureté, la mollesse, la
pesanteur, le froid, le chaud, les couleurs, le son, les odeurs, les
divers goûts.
| La 40, la forme et la figure qui est la détermination extérieure
de la quantité, comme etre rond , carré, sphérique, cubique.
46 LOGIQUE .
IV. La RELATION , ou le rapport d'une chose à une autre, comme
de père, de fils, de maître, de valet, de roi, de sujet ; de la puis
sance à son objet, de la vue à ce qui est visible ; et tout ce qui
marque comparaison , comme semblable, égal , plus grand , plus
petit .
V. L'AGIR , ou en soi-même, comme marcher, danser, connaitre,
aimer ; ou hors de soi, comine battre, couper, rompre, éclairer,
échauffer.
VI . PATIR , être battu, être rompu, être éclairé, être échauffé.
VII. Où, c'est- à - dire ce qu'on répond aux questions qui regar
dent le lieu, comme être à Rome, à Paris, dans son cabinet, dans
son lit, dans sa chaise .
VIH . QUAND, c'est-à- dire ce qu'on répond aux questions qui
regardent le temps, comme : Quand a-t-il vécu ? il y a cent ans.
Quand cela s'est-t-il fait ? hier.
IX. La SITUATION, être assis, debout, couché, devant, derrière,
à droite, à gauche.
X. Avoir , c'est-à-dire avoir quelque chose autour de soi pour
servir de vêtement, ou d'ornement, ou d'armure, comme être
habillé, etre couronné, etre chaussé, être armé.

Voilà les dix catégories d'Aristote, dont on fait tant de mys


tères, quoique, à dire le vrai, ce soit une chose de soi très-peu
utile , et qui non-seulement ne sert guère à former le jugement,
ce qui est le but de la vraie logique, mais qui souvent'y nuit
beaucoup, pour deux raisons qu'il est important de remarquer.
La première est qu'on regarde ces catégories comme une chose
établie sur la raison et sur la vérité, au lieu que c'est une chose
tout arbitraire, et qui n'a de fondement que l'imagination d'un
homme qui n'a eu aucune autorité de prescrire une loi aux au
tres, qui ont autant de droit que lui d'arranger d'une autre sorte
les objets de leurs pensées, chacun selon sa manière de philoso
pher. Et, en effet, il y en a qui ont compris en ce distique tout
te que l'on considère, selon une nouvelle philosophie , en toutes
les choses du monde.

1. Cette nouvelle philosophie est celle de Descartos.


PREMIÈRE PARTIE . 47

Nens, mensura, quies, motus, positura , figura


Sunt cum materid cunctarum exordia rerum .

C'est-à -dire que ces géns-là se persuadeat que l'on peut rendre
raison de toute la nature en n'y considérant que ces sept choses
ou modes: 1. Mens, l'esprit ou la substance qui pense. 2. Materia,
le corps ou la substance étendue. 3. Mensura , la grandeur ou la
petitesse de chaque partie de la matière. 4. Positura, leur situa
tion à l'égard les unes des autres. 5. Figura, leur figure. 6 . Motus,
leur mouvement. 7. Quies, leur repos ou moindre mouvement.
La seconde raison qui rend l'étude des catégories dangereuse,
est qu'elle accoutume les hommes à se payer de mots , à s'imagi
per qu'ils savent toutes choses quand ils n'en connaissent que
des noms arbitraires qui ne forment dans l'esprit aucune idée
claire et distincte, comme on le fera voir en un autre endroit '.
On pourrait encore parler ici des attributs des Lullistes *
bonté, puissance, grandeur, etc.; mais en vérité c'est une chose
si ridicule que l'imagination qu'ils ont, qu'appliquant ces mots
métaphysiques à tout ce qu'on leur propose, ils pourront rendre
raison de tout, qu'elle ne mérite seulement pas d'etre réfutée.

1. Arnauld se montre ici beaucoup trop sévère à l'égard d'Aristote ;


l'étude des catégories n'est pas aussi vaine qu'il le prétend . Elle con
siste à rechercher les éléments de la réalité et de la pensée, les classes
les plus hautes dans lesquelles viennent se ranger soit les êtres réels,
soit les conceptions de l'esprit. Le problème peut paraître difficile ou
même insoluble ; mais il attire fortement la curiosité des philosophes.
Ce n'est pas Aristote seulement qui l'a posé; la plupart des philoso
phes anciens, et dans les temps modernes, Leibnitz, Kant, les écoles
contemporaines ont donné le même exemple. Ajoutons que la théorie
péripatéticienne est encore la plus satisfaisante, et que nul autre sys
tème, selon toute apparence, n'égalera la renommée dont elle a joui
et l'influence qu'elle a exercée .
2. Raymond Lulle, né à Palma dans l'ile de Majorque, en 1234,
mort en 1315 , avait formé, entre autres projets impossibles, celui de
déterminer a priori toutes les formes et toutes les combinaisons de
la pensée, de manière à présenter comme un répertoire complet des
raisonnements applicables à toute espèce de matières. Tel est l'objet
de son Grand Art, Ars Magna ; que la Logique de Port-Royal critique
trop amèrement, sans suffisamment reconnaître le prodigieux travail
d'analyse qu'il suppose. Leibnitz s'est montré plus équitable envers
le philosophe de Majorque. Voy. de Arte combinatoria , Opp. t. II, p. 1,
p. 366, 367.
48 LOGIQUE .
Un auteur de ce temps a dit avec grande raison que les règles de
la logique d’Aristote servaient seulement à prouver à un autre ce
que l'on savait déjà, mais que l'art de Lulle ne servait qu'à faire
discourir sans jugement de ce qu'on ne savait pas. L'ignorance
vaut beaucoup mieux que cette fausse science qui fait que l'on
s'imagine savoir ce qu'on ne sait point. Car, comme saint Augus
tin a très-judicieusement remarqué dans le livre de l'Utilité de la
créance, cette disposition d'esprit est très- blamable pour deux rai
sons : l'une , que celui qui s'est faussement persuadé qu'il connaft
la vérité, se rend par là incapable de s'en faire instruire; l'autre,
que cette présomption et cette témérité est une marque d'un
esprit qui n'est pas bien fait : Opinari, duas ob res turpissimum
est : quod discere non potest qui sibi jam se scire persuasit, et per
se ipsa temeritas non bene affecti animi signum est '. Car le mot
opinari, dans la pureté de la langue latine, signifie la disposi
tion d'un esprit qui consent trop légèrement à des choses incer
taines, et qui croit ainsi savoir ce qu'il ne sait pas. C'est pourquoi
tous les philosophes soutenaient sapientem nihil opinari ; et
Cicéron , en se blåmant lui-même de ce vice, dit qu'il était magnus
opinator .

CHAPITRE IV .

Des idées des choses et des idées des signes .

Quand on considère un objet en lui-même et dans son propre


éire, sans porter la vue de l'esprit à ce qu'il peut représenter,
l'idée qu'on en a est une idée de chose, comme l'idée de la terre

1. De utilitate credendi, cap . XI .


2. Cicéron . Académiques, II, 20 : « Ego vero ipse et magnus quidem
sum opinator..... Non sum sapiens; itaque visis cedo, neque possum re
sistere. Sapientis autem hanc censet Arcesilas vim esse maximam ,
Zenoni assentiens, cavere de capiatur, ne fallatur videre. »
PREMIÈRE PARTIE . 49

du soleil; mais quand on ne regarde un certain objet que comme


en représentant un autre, l'idée qu'on en a est une idée de signe ;
et ce premier objet s'appelle signe. C'est ainsi qu'on regarde
d'ordinaire les cartes et les tableaux. Ainsi le signe enferme deux
idées : l'une de la chose qui représente, l'autre de la chose représ
sentée, et sa nature consiste à exciter la seconde par la première.
On peut faire diverses divisions des signes ; mais nous nous
contenterons ici de trois qui sont de plus giande utilité.
Premièrement, il y a des signes certains qui s'appellent en grec
Texpetiple , comme la respiration l'est de la vie des animaux; et il y
en a qui ne sont que probables et qui sont appelés en grec omuela,
comme la pâleur n'est qu'un signe probable de grossesse dans
les femmes .
La plupart des jugements téméraires viennent de ce que l'on
confond ces deux espèces de signes, et que l'on attribue un effet à
une certaine cause, quoiqu'il puisse aussi naltre d'autres causes,
et qu'ainsi il ne soit qu'un signe probable de cette cause.
2. Il y a des signes joints aux choses, comme l'air du visage,
qui est signe des mouvements de l'âme, est joint à ces mouve
ments qu'il signifie ; les symptômes, signes de maladies, sont
joints à ces maladies ; et pour me servir d'exemples plus grands,
comme l'arche , signe de l'Église, était jointe à Noé et à ses
enfants qui étaient la véritable Église de ce temps-là ; ainsi nos
temples matériels, signes des fidèles, sont souvent joints aux
fidèles; ainsi la colombe, figure du Saint-Esprit, était jointe au
Saint -Esprit ; ainsi le lavement du baptême, figure de la régéné
ration spirituelle, est joint à cette régénération .
Il y a aussi des signes séparés des choses, comme les sacrifices
de l'ancienne loi, signes de JÉSUS-CHRIST immolé, étaient séparés
de ce qu'ils représentaient.
Cette division des signes donne lieu d'établir ces maximes :
1° Qu'on ne peut jamais conclure précisément, ni de la présence
du signe à la présence de la chose signifiée, puisqu'il y a des
signes de choses absentes, ni de la présence du signe à l'absence
de la chose signifiée, puisqu'il y a des signes de choses présentes.
C'est donc par la nature particulière du signe qu'il en faut juger.
2° Que quoique une chose dans un état ne puisse être signe
50 LOGIQUE .
d'elle-même dans ce même état, puisque tout signe demande une
distinction entre la chose représentante et celle qui est représen
tée, néanmoins il est très-possible qu'une chose dans un certain
état se représente dans un autre état, comme il est très-possible
qu'un homme dans sa chambre se représente prêchant; et
qu'ainsi la seule distinction d’état suffit entre la chose figurante
et la chose figurée, c'est- à -dire qu'une même chose peut être dans
un certain état chose figurante, et dans un autre chose figurée.
30 Qu'il est très- possible qu'une même chose cache et découvre
une autre chose en même temps, et qu'ainsi ceux qui ont dit que
rien ne paraît par ce qui le cache, ont avancé une maxime très
peu solide ; car la même chose pouvant être en même temps et
chose et signe, peut cacher comme chose ce qu'elle découvre
comme signe. Ainsi la cendre chaude cache le feu comme chose
et le découvre comme signe. Ainsi les formes empruntées par les
anges les couvraient comme chose et les découvraient comme
signe. Ainsi les symboles eucharistiques cachent le corps de
JÉSUS -CHRIST comme chose et le découvrent comme symbole.
4° L'on peut conclure que la nature du signe consistant à exciter
dans les sens par l'idée de la chose figurante celle de la chose
figurée, tant que cet effet subsiste, c'est - à -dire tant que cette
double idée est excitée, le signe subsiste, quand même cette chose
serait détruite en sa propre nature. Ainsi il n'importe que les
couleurs de l'arc - en - ciel, que Dieu a prises pour signe qu'il ne
détruirait plus le genre humain par un déluge, soient réelles et
véritables, pourvu que nos sens aient toujours la même impres
sion, et qu'ils se servent de cette impression pour concevoir la
promesse de Dieu .
Il n'importe de même que le pain de l'eucharistie subsiste en
sa propre nature , pourvu qu'il excite toujours dans nos sens
l'image d'un pain qui nous serve à concevoir de quelle sorte le
corps de JÉSUS - CHRIST est la nourriture de nos âmes, et com
ment les fidèles sont unis entre eux.
La troisième division des signes est qu'il y en a de naturels qui
ne dépendent pas de la fantaisie des hommes, comme une image
qui paraît dans un miroir est un signe naturel de celui qu'elle
représente , et qu'il y en a d'autres qui ne sont que d'institution
PREMIÈRE PARTIE . 51

et d'établissement, soit qu'ils aient quelque rapport éloigné avec


la chose figurée, soit qu'ils n'en aient point du tout. Ainsi les
mots sont signes d'institution des pensées et les caractères des
mots. On expliquera, en traitant des propositions , une vérité
importante sur ces sortes de signes, qui est que l'on en peut, en
quelques occasions, affirmer les choses signifiées.

CHAPITRE V.

Des idées considérées selon leur composition ou simplicité. Où il est


parlé de la manière de connaitre par abstraction ou précision.

Ce que nous avons dit en passant dans le chapitre 11, que nous
pouvions considérer un mode sans faire une réflexion disctincte
sur la substance dont il est mode, nous donne occasion d'expli
quer ce qu'on appelle abstraction d'esprit.
Le peu d'étendue de notre esprit fait qu'il ne peut comprendre
parfaitement les choses un peu composées, qu'en les considérant
par parties, et comme par les diverses faces qu'elles peuvent re
cevoir. C'est ce qu'on peut appeler généralement connaftre par
abstraction .
Mais comme les choses sont différemment composées, et qu'il
y en a qui le sont de parties réellement distinctes, qu'on appelle
parties intégrantes, comme le corps humain , les diverses parties
d'un nombre, il est bien facile alors de concevoir que notre esprit
peut s'appliquer à considérer une partie sans considérer l'autre
parce que ces parties sont réellement distinctes, et ce n'est pas
même ce qu'on appelle abstraction .
Or, il est si utile dans ces choses-là même de considérer plutôt
les parties séparément que le tout, que sans cela on ne peut avoir
presque aucune connaissance distincte ; car, par exemple, le
moyen de pouvoir connaftre le corps humain , qu'en le divisant
en toutes ses parties similaires et dissimilaires, et en leur don
52 LOGIQUE .

nant à toutes différents noms? Toute l'arithmétique est aussi


fondée sur cela ; car on n'a pas besoin d'art pour compter les
petits nombres, parce que l'esprit les peut comprendre tout en
tiers ; et ainsi tout l'art consiste à compter par parties ce qu'on
ne pourrait compter par le tout , comme il serait impossible ,
quelque étendue d'esprit qu'on eût, de multiplier deux nombres,
de huit ou neuf caractères chacun , en les prenant tout entiers.
La seconde connaissance par parties est quand on considère un
mode sans faire attention à la substance, ou deux modes qui sont
oints ensemble dans une même substance en les regardant cha
cun à part. C'est ce qu'ont fait les géomètres qui ont pris pour
objet de leur science le corps étendu en longueur, largeur et
profondeur. Car, pour le mieux connaître, ils se sont première
ment appliqués à le considérer, selon une seule dimension qui est
la longueur; et alors ils lui ont donné le nom de ligne. Ils l'ont
considéré ensuite selon deux dimensions, la longueur et la lar
geur, et ils l'ont appelé surface. Et puis, considérant toutes les
trois dimensions ensemble, longueur, largeur et profondeur, ils
l'ont appelé solide ou corps.
On voit par là combien est ridicule l'argument de quelques
sceptiques qui veulent faire douter de la certitude de la géomé
trie, parce qu'elle suppose des lignes et des surfaces qui ne sont
point dans la nature ; car les géomètres ne supposent point qu'il
y ait des lignes sans largeur ou des surfaces sans profondeur ;
mais ils supposent seulement qu'on peut considérer la longueur
sans faire attention à la largeur ; ce qui est indubitable, comme
lorsqu'on mesure la distance d'une ville à une autre,on ne mesure
que la longueur des chemins, sans se mettre en peine de leur
largeur.
Or, plus on peut séparer les choses en divers modes, et plus
l'esprit devient capable de les bien connaître ; et ainsi nous
voyons que tant qu'on n'a point distingué, dans le mouvement,
la détermination vers quelque endroit, du mouvement même, et
même diverses parties dans une même détermination, on n'a pu
rendre de raison claire de la réflexion et de la réfraction, ce qu'on
a fait aisément par cette distinction , comme on peut voir dans le
chapitre 1 de la Dioptrique de Descartes.
PREMIÈRE PARTIE . 53

La troisième manière de concevoir les choses par abstraction


est quand une même chose ayant divers attributs, on pense à l'un
sans penser à l'autre, quoiqu'il n'y ait entre eux qu'une distinc
tion de raison : et voici comment cela se fait. Si je fais, par exemple,
réflexion que je pense, et que par conséquent je suis , moi qui
pense, dans l'idée que j'ai de moi qui pense, je puis m'appliquer à
la considération d'une chose qui pense, sans faire attention que
c'est moi , quoique en moi, moi et celui qui pense ne soit que la
même chose ; et ainsi l'idée que je concevrai d'une personne qui
pense , pourra représenter, non -seulement moi , mais toutes les
autres personnes qui pensent. De même , ayant figuré sur un pa
pier un triangle équilatère, si je m'attache à le cousidérer au lieu
où il est avec tous les accidents qui le déterminent, je n'aurai
l'idée que d'un seultriangle ; mais si je détourne mon esprit de la
considération de toutes ces circonstances particulières, et que je ne
l'applique qu'à penser que c'est une figure bornée par trois lignes
égales, l'idée que je m'en formerai me représentera d'une part
plus nettement cette égalité des lignes, et de l'autre sera capable
de me représenter tous les triangles équilatères. Que si je passe
plus avant, et que ne m'arrêtant plus à cette égalité des lignes, je
considère seulement que c'est une figure terminée par trois lignes
droites, je me formerai une idée qui peut représenter loutes sortes
de triangles. Si ensuite, ne m'arrêtant point au nombre des lignes,
je considère seulement que c'est une surface plate, bornée pardes
lignes droites, l'idée que je me formerai pourra représenter toutes
les figures rectilignes, et ainsi je puis monter de degré en degré
jusqu'à l'extension. Or, dans ces abstractions, on voit toujours
que le degré inférieur comprend le supérieur avec quelque déter
mination particulière, comme moi comprend ce qui pense, et le
triangle équilatère comprend le triangle, et le triangle la figure
rectiligne; mais que le degré supérieur étant moins déterminé
peut représenter plus de choses.
Enfin , il est visible que par ces sortes d'abstractions, les idées,
de singulières, deviennent communes, et les communes plus
communes, et ainsi cela nous donnera lieu de passer à ce que
nous avons à dire des idées considérées selon leur universalité
ou particularité.
54 LOGIQUE.

CHAPITRE VI.

Des idées considérées selon leur généralité, particularité


et singularité.

Quoique toutes les choses qui existent soient singulières,néano


moins, par le moyen des abstractions que nous venons d'expli
quer, nous ne laissons pas d'avoir tous plusieurs sortes d'idées,
dont les unes ne nous représentent qu'une seule chose, comme
l'idée que chacun a de soi-même, et les autres en peuvent égale
ment représenter plusieurs, comme lorsque quelqu'un conçoit un
triangle sans y considérer autre chose, sinon que c'est une figure
à trois lignes et à trois angles ; l'idée qu'il en a formée peut lui
servir à concevoir tous les autres triangles.
Les idées qui ne représentent qu'une seule chose s'appellent
singulières ou individuelles, et ce qu'elles représentent des inchi
vidus ; et celles qui en représentent plusieurs s'appellent univer
selles, communes, générales.
Les noms qui servent à marquer les premières s'appellent
propres , Socrate, Rome, Bucephale, et ceux qui servent à marquer
les dernières , communs et appellatifs, comme homme, ville,
cheval ; et tant les idées universelles que los noms communs, se
peuvent appeler termes généraux.
Mais il faut remarquer que les mots sont généraux en deux
manières : l’une, que l'on appelle univoque, qui est lorsqu'ils
sont liés avec des idées générales ; de sorte que le même mot
convient à plusieurs, et selon le son, et selon une même idée qui
y est jointe : tels sont les mots dont on vient de parler, d'homme,
de ville, de cheval .
L'autre, qu'on appelle équivoque, qui lorsqu'un même son
a été lié par les hommes à des idées différentes ; de sorte que le
même son convient à plusieurs, non selon une même idée, mais
selon les idées différentes auxquelles il se trouve joint dans
PREMIERE PARTIE . 55
1

l'usage : ainsi le mot de canon signifie une machine de guerre,


et un décret de concile, et une sorte d'ajustement ; mais il ne les
signifie que selon des idées toutes différentes.
Néanmoins cette universalité équivoque est de deux sortes.
Car les différentes idées jointes à un même son, n'ont aucun
rapport naturel entre elles, comme dans le mot de canon, ou en
ont quelqu'un, comme lorsqu'un mot étant principalement joint
à une idée , on ne le joint à une autre idée que parce qu'elle a un
rapport de cause ou d'effet, ou de signe , ou de ressemblance à la
première ; et alors ces sortes de mots équivoques s'appellent
analogues ; comme quand le mot de sain s'attribue à l'animal , à
l'air et aux viandes. Car l'idée jointeà ce mot est principalement
la santé qui ne convient qu'à l'animal ; mais on y joint une au
tre idée approchante de celle-là, qui est d'être cause de la santé,
qui fait qu'on dit qu'un air est sain, qu'une viande est saine,
parce qu'ils servent à conserver la santé.
Mais quand nous parlons ici de mots généraux, nous entendons
les univoques qui sont joints à des idées universelles et générales.
Or, dans ces idées universelles, il y a deux choses qu'il est très
important de bien distinguer, la compréhension et l'étendue.
J'appelle compréhension de l'idée, les attributs qu'elle renferme
en soi, et qu'on ne peut lui ôter sans la détruire, comme la com
préhension de l'idée du triangle enferme extension , figure,
trois lignes, trois angles, et l'égalité de ces trois angles à deux
droits , etc.
J'appelle étendue de l'idée les sujets à qui cette idée convient ;
ce qu'on appelle aussi les inférieurs d'un terme général, qui à
leur égard , est appelé supérieur, comme l'idée du triangle en
général s'étend à toutes les diverses espèces de triangle.
Mais, quoique l'idée générale s'étende indistinctement à tous
les sujets à qui elle convient, c'est-à - dire à tous ses inférieurs, et
que le nom commun les signifie tous, il y a néanmoins cette dif
férence entre les attributs qu'elle comprend et les sujets auxquels
elle s'étend, qu'on ne peut lui ôter aucun de ses attributs sans la
détruire, comme nous avons déjà dit ; au lieu qu'on peut la res
serrer, quant à son étendue, ne l'appliquant qu'à quelqu'un des
sujets auxquels elle convient, sans que pour cela on la détruise.
56 LOGIQUE .
Or, cette restriction ou resserrement de l'idée générale, quant
à son étendue, peut se faire en deux manières :
La première est par une autre idée distincte et déterminée
qu'on y joint, comme lorsqu'à l'idée générale du triangle, je joins
cello d'avoir un angle droit ; ce qui resserre cette idée à une seule
espèce de triangle, qui est le triangle rectangle.
L'autre , en y joignant seulement une idée indistincte et indé
terminée de partie, comme quand je dis : Quelque triangle; et on
dit alors que le terme commun devient particulier, parce qu'il ne
s'étend plus qu'à une partie des sujets auxquels il s'étendait au
paravant, sans que néanmoins on ait déterminé quelle est cette
partie à laquelle on l'a resserré,

CHAPITRE VII.
genus, species ,
Des cinq sortes d'idées universelles, genres, espèces, différences,
propres, accidents .
proprium, accidens

Ce que nous avons dit dans les chapitres précédents nous donne
moyen de faire entendre en peu de paroles les cinq Universaux
qu'on explique ordinairement dans l'école ' .
Car lorsque les idées générales nous représentent leurs objets
comme des choses, et qu'elles sont marquées par des termes
appelés substantifs ou absolus , on les appelle genres ou espèces.
Du genre.

On les appelle geares quand elles sont tellement communes,


qu'elles s'étendent à d'autres idées qui sont encore universelles.
comme le quadrilatère est genre à l'égard du parallélogramme et
du trapèze : la substance est genre à l'égard de la substance
1. Voy. l'Introduction aux Catégories par Porphyre (Elsaywyth nepi
tőv ITEUTÈ pov @v) à laquelle est empruntée tout ce qui suit .
PREMIÈRE PARTIE . 57

étendue qu'on appelle corps, et de la substance qui pense qu'on


appelle esprit.

De l'espèce

Et ces idées communes, qui sont sous une plus commune et


plus générale, s'appellent espèces ; comme le parallélogramme et
le trapèze sont les espèces du quadrilatère, le corps et l'esprit
sont les espèces de la substance.
Et ainsi la même idée peut être genre, étant comparée à une
autre qui est plus générale, comme corps, qui est un genre au
regard du corps animé et du corps inanimé, et une espèce au re
gard de la substance ; et le quadrilatère, qui est un genre au re
gard du parallélogrammeet du trapèze, est une espèce au regard
de la figure.
Mais il y a une autre notion du mot d'espèce, qui ne convient
qu'aux idées qui ne peuvent être genres ; c'est lorsqu'une idée n'a
sous soi que des individus et des singuliers, comme le cercle n'a
sous soi que des cercles singuliers qui sont tous d'une même es
pèce. C'est ce qu'on appelle espèce dernière, species infima.
Il y a un genre qui n'est point espèce, savoir, le suprême de
tous les genres, soit que ce genre soit l'être, soit que ce soit la
substance, ce qu'il est de peu d'importance de savoir, et qui re
garde plus la métaphysique que la logique.
J'ai dit que lesidées générales qui nous représentent leurs ob
jets comme des choses, sont appelées genres ou espèces. Car il
n'est pas nécessaire que les objets de ces idées soient effective
ment des choses et des substances; mais il suffit que nous les con
sidérions comme des choses , en ce que, lors même que ce sont
des modes, on ne les rapporte point à leurs substances, mais à
d'autres idées de modes moins générales ou plus générales,
comme la figure, qui n'est qu'un mode au regard du corps figuré,
est un genre au regard des figures curvilignes et rectilignes, etc.
Et au contraire les idées qui nous représentent leurs objets
comme des choses modifiées, et qui sont marquées par des ter
mes adjectifs ou connotatifs, si on les compare avec les sub
stances que ces termes connotatifs signifient confusément, quoi
58 LOGIQUE.
que directement, soit que dans la vérité ces termes connotatifs
signifient des attributs essentiels, qui ne sont en effet que la
chose même, soit qu'ils signifient de vrais modes, on ne les ap
pelle point alors genres ni espèces, mais, ou différences, ou propres,
ou accidents.
On les appelle differences, quand l'objet de ces idées est un
attribut essentiel qui distingue une espèce d'une autre, comme
étendu, pesant, raisonnable.
On les appelle propres, quand leur objet est un attribut qui ap
partient en effet à l'essence de la chose, mais qui n'est pas le
premier que l'on considère dans cette essence, mais seulement
une dépendance de ce premier, comme divisible, immortel, docile.
Et on les appelle accidents communs, quand leur objet est un
vrai mode qui peut être séparé, au moins par l'esprit, de la chose
dont il est dit accident, sans que l'idée de cette chose soit dé
truite dans notre esprit, comme rond, dur, juste, prudent. C'est
ce qu'il faut expliquer plus particulièrement.

De la différence.

Lorsqu'un genre a deux espèces, il faut nécessairement que


l'idée de chaque espèce comprenne quelque chose qui ne soit pas
compris dans l'idée du genre; autrement, si chacune ne compre
nait que ce qui est compris dans le genre, ce ne serait que le
genre ; et comme le genre convient à chaque espèce, chaque es
pèce conviendrait à l'autre . Ainsi le premier attribut essentiel
que comprend chaque espèce de plus que le genre, s'appelle sa
différence ; et l'idée que nous en avons est une idée 'universelle,
parce qu'une seule et même idée peut nous représenter cette dif
férence partout où elle se trouve, c'est-à -dire dans tous les infé .
rieurs de l'espèce.
Exemple. Le corps et l'esprit sont les deux espèces de la sub
stance. Il faut donc qu'il y ait dans l'idée du corps quelque chose
de plus que dans celle de la substance, et de même dans celle
de l'esprit. Or, la première chose que nous voyons de plus dans
le corps, c'est l'étendue , et la première chose que nous voyons
de plus dans l'esprit, c'est la pensée. Et ainsi la différence du
PREMIÈRE PARTIE . 59

corps sera l'étendue, et la différence de l'esprit sera la pensée,


c'est- à -dire que le corps sera une substance étendue, et l'esprit
une substance qui pense.
De là on peut voir, 1o.que la différence a deux regards : l'un
au genre qu'elle divise et partage; l'autre à l'espèce qu'elle con
stitue et qu'elle forme, faisant la principale partie de ce qui est
enfermé dans l'idée de l'espèce selon sa compréhension : d'où
vient que toute espèce peut être exprimée par un seul nom,
comme esprit, corps ; ou par deux mots, savoir, par celui du genre,
et par celui de sa différence joints ensemble ; ce qu'on appelle
définition, comme substance qui pense, substance étendue.
On peut voir en second lieu que, puisque la différence consti
tue l'espèce et la distingue des autres espèces, elle doit avoir la
même étendue que l'espèce, et ainsi qu'il faut qu'elles puissent
se dire réciproquement l'une et l'autre, comme tout ce qui pense
est esprit, et tout ce qui est esprit pense.
Néanmoins il arrive assez souvent que l'on ne voit dans cer
taines choses aucun attribut qui soit tel, qu'il convienne à toute
une espèce, et qu'il ne convienne qu'à cette espèce; et alors on
joint plusieurs attributs ensemble, dont l'assemblage ne se trou
vant que dans cette espèce, en constitue la différence . Ainsi les
Platoniciens, prenant les démons pour des animaux raisonnables
aussi bien que l'homme, ne trouvaient pas que la différence de
raisonnable fût réciproque à l'homme ; c'est pourquoi ils y en
ajoutaient une autre, comme mortel, qui n'est pas non plus ré
ciproque à l'homme, puisqu'elle convient aux bêtes ; mais toutes
deux ensemble ne conviennent qu'à l'homme . C'est ce que nous
faisons dansl'idée quenous nous formonsde la plupartdes animaux.
Enfin , il faut remarquer qu'il n'est pas toujours nécessaire
que les deux différences qui partagent un genre soient toutes
deux positives, mais que c'est assez qu'il y en ait une, comme
deux hommes sont distingués l'un de l'autre, si l'un a une charge
que l'autre n'a pas, puisque celui qui n'a pas de charge n'a rien
que l'autre n'ait. C'est ainsi que l'homme est distingué des bêtes
en général , en ce que l'homme est un animal qui a un esprit,
animal mente præditum , et que la bête est un pur animal , animal
merum . Car l'idée de la bête en général n'enferme rien de positif
60 LOGIQUE .

qui ne soit dans l'homme ; mais on y joint seulement la négation


de ce qui est en l'homme, savoir, l'esprit. De sorte que toute la
différence qu'il y a entre l'idée d'animal et celle de bèle est que
l'idée d'animal n'enferme pas la pensée dans sa compréhension,
mais ne l'exclut pas aussi et l'enferme même dans son étendue,
parce qu'elle convient à un animal qui pense ; au lieu que l'idée
de bête l'exclui dans sa compréhension , et ainsi ne peut conve
nir à l'animal qui pense.

Du propre .

Quand nous avons trouvé la différence qui constitue uno es


pèce, c'est- à -dire son principal attribut essentiel qui la distin
gue de toutes les autres espèces, si, considérant plus particuliè
rement sa nature, nous y trouvons encore quelque attribut qui
soit nécessairement lié avec ce premier attribut, et qui par con
séquent convienne à toute cette espèce et à cette seule espèce,
omni et soli, nous l'appelons propriété; et étant signifié par un
terme connotatif, nous l'attribuons à l'espèce comme son propre ;
et parce qu'il convient aussi à tous les inférieurs de l'espèce, et
que la seule idée que nous en avons une fois formée peut repré
senter cette propriété partout où elle se trouve, on en a fait le
quatrième des termes communs et universaux.
Exemple. Avoir un angle droit est la différence essentielle du
triangle rectangle. Et parce que c'est une dépendance nécessaire
de l'angle droit que le carré du côté qui le soutient soit égal aux
carrés des deux côtés qui le comprennent, l'égalité de ces carrés
est considérée comme la propriété du triangle rectangle, qui
convient à tous les triangles rectangles, et qui ne convient qu'à
eux seuls.
Néanmoins on a quelquefois étendu plus loin ce nom de propre
et on en a fait quatre espèces.
La 1re est celle que nous venons d'expliquer, quod convenit
omni, et soli, et semper, comme c'est le propre de tout cercle, du
seul cercle, et toujours, que les lignes tirées du centre à la cir
conférence soient égales.
La 2e, quod convenit omni, sed non soli, comme on dit qu'il
PREMIÈRE PARTIE . 61
est propre à l'étendue d'être divisible, parce que toute étendue
peut être divisée, quoique la durée, le nombre et la force le
puissent être aussi.
La 3e est quod convenit' soli, sed non omni, comme il ne con
vient qu'à l'homme d'être médecin ou philosophe, quoique tous
les hommes ne le soient pas.
La 48, quod convenit omni et soli, sed non semper, dont on rap
porte pour exemple le changement de la couleur du poil en blanc,
canescere ; ce qui convient à tous les hommes et aux seuls hom
mes, mais seulement dans la vieillesse.

De l'accident.

Nous avons déjà dit dans le chapitre second qu'on appelait


mode ce qui ne pouvait exister naturellement que par la sub
stance, et ce qui n'était point nécessairement lié avec l'idée
d'une chose, en sorte qu'on peut bien concevoir la chose sans
concevoir le mode, comme on peut bien concevoir un homme
sans le concevoir prudent, mais on ne peut concevoir la pru
dence sans concevoir, ou un homme, ou une autre nature in
telligente qui soit prudente.
Or, quand on joint une idée confuse et indéterminée de sub
stance avec une idée distincte de quelque mode, cette idée est
capable de représenter toutes les choses où sera ce mode, comme
l'idée de prudent, tous les hommes prudents , l'idée de rond ,
tous les corps ronds ; et alors cette idée, exprimée par un terme
connotatif prudent, rond , est ce qui fait le cinquième universel
qu'on appelle accident, parce qu'il n'est pas essentiel à la chose
à qui l'on attribue; car s'il l'était, il serait différence ou propre.
Mais il faut remarquer ici , comme on l'a déjà dit, que, quand
on considère deux substances ensemble, on peut en considérer
une comme mode de l'autre. Ainsi un homme habillé peut être
considéré comme un tout composé de cet homme et de ses ha
bits, mais être habillé au regard de cet homme, est seulement un
mode ou une façon d'être sous laquelle on le considère, quoique
ses habits soient des substances. C'est pourquoi être habillé
n'est qu'un cinquième universel.
62 LOGIQUE.
En voilà plus qu'il n'en faut touchant les cinq universaux
qu'on traite dans l'école avec tant d'étendue ; car il sert de très
peu de savoir qu'il y a des genres, des espèces, des différences,
des propres et des accidents ; mais l'importance est de recon
naître les vrais genres des choses, les vraies espèces de chaque
genre, leurs vraies différences, leurs vraies propriétés, et les
accidents qui leur conviennent; et c'est à quoi nous pourrons
donner quelque lumière dans les chapitres suivants, après avoir
dit auparavant quelque chose des termes complexes.

CHAPITRE VIII.

Des termes complexes et de leur universalité ou particularité.

On joint quelquefois à un terme divers autres termes qui com


posent dans notre esprit une idée totale, de laquelle il arrive
souvent qu'on peut affirmer ou nier ce qu'on ne pourrait pas
affirmer ou nier de chacun de ces termes étant séparés ; par
exemple, ce sont des termes complexes, un homme prudent, un
corps transparent; Alexandre, fils de Philippe.
Cette addition se fait quelquefois par le pronom relatif, comme
si je dis : Un corps qui est transparent; Alexandre qui est fils de
Philippe; le pape qui est vicaire de Jésus-Christ.
Et on peut dire même que si ce relatif n'est pas toujours ex
primé, il est toujours en quelque sorte sous-entendu, parce qu'il
peut s'exprimer, si l'on veut, sans changer la proposition.
Car c'est la même chose de dire, un corps transparent, ou un
corps qui est transparent.
Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces termes complexes,
est que l'addition que l'on fait à un terme est de deux sortes :
l'une qu'on peut appeler application et l'autre détermination .
Cette addition peut s'appeler seulement explication quand elle
90 fait que développer, ou ce qui était enfermé dans la compré
PREMIÈRE PARTIE . 63

hension de l'idée du premier terme, ou du moins ce qui lui con


vient comme un de ses accidents, pourvu qu'il lui convienne
généralement et dans toute son étendue ; comme si je dis :
L'homme qui est un animal doué de raison , ou l'homme qui dé
sire naturellement d'être heureux, ou l'homme qui est mortel. Ces
additions ne sont que des explications, parce qu'elles ne chan
gent point du tout l'idée du mot d'homme, et de la restreignent
point å ne signifier qu'une partie des hommes, mais marquent
seulement ce qui convient à tous les hommes.
Toutes les additions qu'on ajoute aux noms qui marquent dis
tinctement un individu, sont de cette sorte ; comme quand on
dit : Paris, qui est la plus grande ville de l'Europe ; Jules César,
qu a été le plus grand capitaine du monde ; Aristote, le prince des
philosophes ; Louis XIV, roi de France. Car les termes indivi
duels, distinctement exprimés, se prennent toujours dans toute
leur étendue, étant déterminés tout ce qu'ils le peuvent être.
L'autre sorte d'addition , qu'on peut appeler détermination, est
quand ce qu'on ajoute à un mot général en restreint la signifi.
cation, et fait qu'il ne se prend plus pour ce mot général dans
toute son étendue, mais seulement pour une partie de cette
étendue ; comme si je dis : Les corps transparents, les hommes sa
pants, un animal raisonnable. Ces additions ne sont point de
simples explications, mais des déterminations, parce qu'elles
restreignent l'étendue du premier terme, en faisant que le mot
de corps ne signifie plus qu'une partie des corps, le mot d'homme,
qu'une partie des hommes, le mot d'animal, qu'une partie des
animaux .
Et ces additions sont quelquefois telles, qu'elles rendent in
dividuel un mot général, quand on y ajoute des conditions in
dividuelles, comme quand je dis : Le pape qui est aujourd'hui,
cela détermine le mot général de pape à la personne unique et
singulière d'Alexandre VII.
On peut de plus distinguer deux sortes de fermes complexes,
les uns dans l'expression , et les autres dans le sens seulement.
Les premiers sont ceux dont l'addition est exprimée, tels que
sont tous les exemples qu'on a rapportés jusqu'ici.
Les derniers sont ceux dont l'un des termes n'est point ex
64 LOGIQUE .
primé, mais seulement sous- entendu, comme quand nous disons
en France le Roi, c'est un terme complexe dans le sens, parce
que nous n'avons pas dans l'esprit, en prononçant ce mot de roi,
la seule idée générale qui répond à ce mot ; mais nous y joi
gnons mentalement l'idée de Louis XIV qui est maintenant rol
de France. Il y a une infinité de termes dans les discours ordi
naires des hommes qui sont complexes en cette manière, comme
le nom de Monsieur dans chaque famille.
Il y a même des mots qui sont complexes dans l'expression
pour quelque chose, et qui le sontencore dans le sens pour d'au
tres; comme quand on dít : Le prince des philosophes, c'est un
terme complexe dans l'expression, puisque le mot de princeest dé
terminépar celui de philosophe; mais au regard d'Aristote que l'on
marque dans les écoles par ce mot, il n'est complexe que dans
lo sons, puisque l'idée d'Aristote n'est que dans l'esprit, sans
être exprimée par aucun son qui le distingue en particulier.
Tous les termes connotatifs ou adjectifs, ou sont parties d'un
terme complexe quand leur substantif est exprimé, ou sont com
plexes dans le sens, quand il est sous- entendu ; car, comme il a
été dit dans le chapitre 11, ces termes connotatifs marquent direc
tement un sujet, quoique plus confusément, et indirectement une
forme ou un mode, quoique plus distinctement; et ainsi ce sujet
n'est qu'une idée fort générale et fort confuse, quelquefois d'un
étre, quelquefois d'un corps qui est pour l'ordinaire déterminé
par l'idée distincte de la forme qui lui est jointe ; comme album
signifie une chose qui a de la blancheur ; ce qui détermine l'idée
confuse de chose à ne représenter que celles qui ont cette qualité.
Mais ce qui est de plus remarquable dans ces termes com
plexes, est qu'il y en a qui sont déterminés dans la vérité à un
soul individu, et qui ne laissent pas de conserver une certaine
universalité équivoque qu'on peut appeler une équivoque d'er
reur, parce que les hommes demeurant d'accord que ce terme
ne signifie qu'une chose unique, faute de bien discerner quelle
est véritablement cette chose unique, l'appliquent, les uns à une
chose, et les autres à une autre ; ce qui fait qu'il a besoin d'être
encore déterminé , ou par diverses circonstances , ou par la suite
du discours, afin que l'on sache précisément ce qu'il signifie.
PREMIÈRE PARTIE . 65

Ainsi le mot de véritable religion ne signifie qu'une seule et


unique religion , qui est dans la vérité la catholique, n'y ayant
que celle -là de véritable. Mais parce que chaque peuple et cha
que secte croit que sa religion est la véritable, ce mot est très
équivoque dans la bouche des hommes, quoique par erreur. Et
si on lit dans un historien qu'un prince a été zélé pour la véri
table religion , on ne saurait dire ce qu'il a entendu par là , si on
ne sait de quelle religion a été cet historien ; car si c'est un
protestant, cela voudra dire la religion protestante ; si c'est un
Arabe mahométan qui parlåt ainsi de son prince, cela voudra
dire la religion mahometane, et on ne pourrait juger que ce serait
la religion catholique, si on ne savait que cet historien est ca
tholique.
Les termes complexes, qui sont ainsi équivoques par erreur,
sont principalement ceux qui enſerment des qualités dont les sepis
ne jugent point, mais seulement l'esprit, sur lesquelles il est fa
cile que les hommes aient divers sentiments..
Si je dis par exemple : Il n'y avait que des hommes de six
pieds qui fussent enrôlés dans l'armée de Marius, ce terme com
plexe d'homme de six pieds n'est pas sujet à étre équivoque par
erreur, parce qu'il est bien aisé de mesurer des hommes, pour
juger s'ils ont six pieds. Mais si l'on eût dit qu'on ne devait en
rôler que de vaillants hommes, le terme de vaillants hommes eût
été plus sujet à être équivoque par erreur, c'est-à - dire à être
attribué à des hommes qu'on eût crus vaillants, et qui ne l'eus
sent pas été en effet.
Les termes de comparaison sont aussi fort sujets à être équi
voques par erreur, le plus grand géomètre de Paris, le plus san
vant homme, le plus adroit, le plus riche. Car, quoique ces termes
soient déterminés par des conditions individuelles, n'y ayant
qu'un seul homme qui soit le plus grand géomètre de Paris,
néanmoins ce mot peut être facilement attribué à plusieurs,
quoiqu'il ne convienne qu'à un seul dans la vérité, parce qu'il est
fort aisé que les hommes soient partagés de sentiments sur ce
sujet, et qu'ainsi plusieurs donnent ce nom à celui que chacun
croit avoir cet avantage par-dessus les autres .
Les mots de sens d'un auteur, de doctrine d'un autcur sur un
5
66 LOGIQUE .
tel sujet, sont encore de ce nombre,surtout quand un auteurn'est
pas si clair qu'on ne dispute quelle a été son opinion, comme
nous voyons que les philosophes disputent tous les jours touchant
les opinions d'Aristote, chacun le tirant, de son côté. Car, quoi
que Aristote, n'ait qu'un seul et unique sens sur un tel sujet,
néanmoins, comme il est différemment entendu, ces mots de sen
timent d'Aristote sont équivoques par erreur, parce que chacun
appelle sentiment d'Aristote ce qu'il a compris être son véritable
sentiment; et ainsi, l'un comprenant une chose et l'autre une
autre, ces termes de sentiment d'Aristote sur un tel sujet, quel
que individuels qu'ils soient en eux -mêmes, pourront convenir à
plusieurs choses, savoir : ; à tous les divers sentiments qu'on lui
aura attribués , et ils signifieront dans la bouche de chaque per
sonne ceque chaque personne aura conçu être lesentiment de ce
philosophe.
Mais , pour mieux comprendre en quoi consiste l'équivoque de
ces termes, que nous avons appelés équivaques par erreur, il
faut remarquer que ces mots sont connotatifs, ouexpressément,
ou dans le sens. Or, comme nous avons déjà dit, on doit consi
dérer, dans les mots connotatifs, le sujet, qui est directement,
mais confusément exprimé, et la formeou le mode, qui est dis
tinctement, quoique indirectement exprimé. Ainsi, le blanc si
gnifie confusement un corps, ot, la blancheur distinctement; isen
timent d'Aristote signifie confusément quelque opinion, quelque
pensée, quelque doctrine, etdistinctement la relation de cette
pensée à Aristote, auquel on l'attribue.
Or, quand il arrive de l'équivoque dansces mots, ce n'est pas
proprement à cause de cette forme ou de ce mode, qui, étant
distinct, est invariable ; cen'estpasaussi à cause du sujet confus,
lorsqu'il demeure dans cette confusion ; car, par exemple, le mot
de prince des philosophes ne peut jamais être équivoque, tant
qu'on appliquera cette idée de prince des philosophes à aucun in
dividu distinctement connu ; mais l'équivoque arrive seulement
parce que l'esprit, au lieu de ce sujet confus, y substitue sou
vent un sujet distinct et déterminé, auquel il attribue la forme
et le mode. Car, comme les hommes sont de différents avis sur
co sujet, ils peuvent donner cette qualité à diverses personnes,
PREMIÈRE PARTIE . 67

at les marquer ensuite par ce mot, qu'ils croient lour convenir,


comme autrefois on entendait Platon par le nom de prince des
philosophes, et maintenant on entend Aristote.
Le mot de véritable religion n'étant pas joint avec l'idée dis
tincte d'aucune religion particulière, et demeurant dans son idée
confuse, n'est point équivoque, puisqu'il ne signifie que ce qui
est en effet la véritable religion . Mais lorsque l'esprit a joint cette
idée de véritable religion à une idée distincte d'un certain culte
particulier distinctement connu , ce mot devient très- équivoque,
et signifie, dans la bouche de chaque peuple , le culte qu'il prend
pour véritable .
Il en est de même de ces mots , sentiment d'un tel philosophe
sur une telle matière; car, demeurant dans leur idée générale , ils
signifient simplement et en général ladoctrine que ce philosophe
a enseignée sur cette matière, comme ce qu'a enseigné Aristote
sur la nature de notre âme, id quod sensit talis scriptor ; et cet
id, c'est- à -dire cette doctrine, demeurant dans son idée confuse
sans être appliquée à une idée distincte, ces mots ne sont nulle.
ment équivoques ; mais lorsqu'au lieu de cet id confus, de cette
doctrine confusément conçue, l'esprit substitue une doctrine dis
tincte et un sujet distinct, alors, selon les différentes idées dis
tiactes qu'on y pourra substituer, ce terme deviendra équivoque.
Ainsi, l'opinion d'Aristote touchant la nature de notre âme est
un mot équivoque dans la bouche de Pomponace ', qui prétend
qu'il l'a crue mortelle, et dans celle de plusieurs autres inter
prètes de ce philosophe, qui prétendent, au contraire, qu'il l'a
crue immortelle, aussi bien que ses maîtres Platon et Socrates,

1. Pomponace, né à Mantoue en 1462 , mort en 1525 ou 1530. Dans


un traité de l'Immortalité de l'âme, publié à Bologne en 1516, il avança
qu'on ne trouvait dans Aristote aucun argument propre à l'établir. Ce
paradoxe dangereux fut vivement contesté, et faillit attirer une persé
cution à son auteur. Pomponace éluda les difficultés de ses adversai
res en distinguant la vérité philosophique et la vérité religieuse . Le
dix-huitième siècle a su faire son profit de cette distinction subtile ,
selon laquelle une chose peut être vraie pour la foi et fausse pour
la raison .
2. Malebranche (Rech . de la vérité, liv. II, part. II , chap . v) donne,
d'après le jésuite La Cerda, une liste assez exacte des philosophes qui
68 LOGIQUE .
Et de là il arrive que ces sortes de mots peuvent souvent signi.
fier une chose à qui la forme exprimée indirectement ne convient
pas. Supposant, par exemple, que Philippe n'ait pas été véritable
ment père d'Alexandre , comme Alexandre lui-même le voulait
faire croire, le mot de fils de Philippe, qui signifie en général ce
lui qui a été engendré par Philippe, étant appliqué par erreur à
Alexandre, signifiera une personne qui ne serait pas véritable
ment le fils de Philippe.
Le mot de sens de l'Écriture étant appliqué par un hérétique à
une erreur contraire à l'Écriture, signifiera dans sa bouche cette
erreur qu'il aura crue étre le sens de l'Écriture, et qu'il aura,
dans cette pensée, appelée le sens de l'Écriture. C'est pourquoi
les calvinistes n'en sont pas plus catholiques, pour protester
qu'ils ne suivent que la parole de Dieu ; car ces mots de parole
de Dieu signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu'ils pren
nent faussement pour la parole de Dieu.

CHAPITRE IX.
De la clarté et distinction des idées, et de leur obscurité et confusion .

On peut distinguer dans une idée la clarté d'avec la distinction,


et l'obscurité d'avec la confusion ; car on peut dire qu'une idée
nous est claire quand elle pous frappe vivement, quoiqu'elle ne
soit point distincte, comme l'idée de la douleur nous frappe très
vivement, et, selon cela, peut être appelée claire ; et néanmoins
elle est fort confuse, en ce qu'elle nous représente la douleur
comme dans la main blessée, quoiqu'elle ne soit que dans notre
esprit '.
ont pris part à ce débat. Il esti emarquer que e plus profond et le
plus savant des commentateurs du stagyrite Alexandre d’Aphrodise,
est favorable à l'opinion de Pomponace.
1. Leibnitz (Nouv. Essais sur l'entend . hum . , liv. II , chap. XXIX )
admet également qu'une idée peut être à la fois claire et confuse :
« Une idée est claire, dit-il, lorsqu'elle suffit pour reconnaitre la
PREMIÈRE PARTIE . 09

Néanmoins, on peut dire que toute idée est distincte en tant


que claire, et que leur obscurité ne vient que de leur con
fusion , comme dans la douleur le seul sentiment qui nous
frappe est clair et est distinct aussi ; mais ce qui est confus,
qui est que ce sentiment soit dans notre main, ne nous est
point clair.
Prenant donc pour une même chose la clarté et la distiction
des idées, il est très- important d'examiner pourquoi les unes sont
claires et les autres obscures.
Mais c'est ce qui se connait mieux par des exemples que par
tout autre moyen, et ainsi nous allons faire un dénombrement
des principales de nos idées qui sont claires et distinctes, et des
principales de celles qui sont confuses et obscures.
L'idée que chacun a de soi-même, comme d'une chose qui
pense, est très- claire, et de même aussi l'idée de toutes les dé
pendances de notre pensée, comme juger, raisonner, douter,
vouloir , désirer, sentir, imaginer.
Nous avons aussi des idées fort claires de la substance étendue
et de ce qui lui convient, comme figure, mouvement, repos ; car
quoique nous puissions feindre qu'il n'y a aucun corps ni aucune
figure, ce que nous ne pouvons pas feindre de la substance qui
pense tant que nous pensons, néanmoins nous ne pouvons pas

chose et pour la distinguer : comme lorsque j'ai une idée bien claire
d'une couleur, je ne prendrai pas une autre couleur pour celle que je
demande : et si j'ai une idée claire d'une plante, je la discernerai
parmi d'autres voisines : sans cela l'idée est obscure. Je crois que nous
n'en avons guère de parfaitement claires sur les choses sensibles. Il y
a des couleurs qui s'approchent de telle sorte qu'on ne saurait les dis
cerner par mémoire, et cependant on les discernera quelquefois, l'une
étant mise près de l'autre.
J'ai coutume de suivre ici , continue Leibnitz, le langage de
M. Descartes,chez qui une idée pourra être claire et confuse en même
emps : et telles sont les idées des qualités sensibles affectées aux or
ganes , comme celles de la couleur et de la chaleur. Elles sont claires,
car on les reconnait et on les discerne aisément les unes des autres ;
mais elles ne sont point distinctes , parce qu'on ne distingue pas ce
qu'elles renferment. Ainsi on n'en saurait donner la définition . On
ne les fait connaître que par des exemples ; et , au reste , il faut dire
que c'est un je ne sais quoi, jusqu'à ce qu'on en déchiffre la contex
ture .... >>
70 LOGIQUE .
nous dissimuler à nous-même que nous ne concevions claire
ment l'étendue et la figure.
Nous concevons aussi clairement l’étre, l'existence, la durée,
l'ordre, le nombre; pourvu que nous pensions seulement que la
durée de chaque chose est un mode ou unefaçon dont nous con
sidérons cette chose en tant qu'elle continue d'être, et que pa
reillement l'ordre et le nombre nediffèrent pas en effet des choses
ordonnées et nombrées.
Toutes ces idées- là sont si claires, que souvent, en voulant
les éclaircir davantage et ne pas se contenter de celles que
nous formons naturellement, on les obscureit.
Nous pouvous aussi dire que l'idée que nous avons de Dieu
en cette vie est claire en un sens, quoiqu'elle soit obscure en un
autre sens, et très- imparfaite.
Elle est claire en ce qu'elle suffit pour nous faire connaître en
Dieu un très grand nombre d'attributs que nous sommes assurés
ne se trouver qu'en Dieu seul ; mais elle est obscure, si on la
compare à celle qu'ont les bienheureux dans le ciel, et elle est
imparfaite en ce que notre esprit' étant fini, ne peut concevoir
que très-imparfaitement un objet infini. Mais ce sont différentes
conditions en une idée d'être parfaite et d'être claire; car elle
est parfaite quand elle nous représente tout ce qui est en son
objet ; et elle est claire quand elle nous en représente assez pour
' e concevoir clairement et distinctement.
Les idées confuses et obscures sont celles que nous avons des
qualités sensibles , comme des couleurs, des sons, des odeurs, des
goûts, du froid, du chaud, de la pesanteur, etc., comme aussi de
nos appétits, de la faim , de la soif, de la douleur corporelle, etc.,
et voici ce qui fait que ces idées sont confuses .
Comme nous avons été plutôt enfants qu'hommes, et que les
choses extérieures ont agi sur nous en causant divers sentiments
dans notre âme par les impressions qu'elles faisaient sur notre
corps, l'âme, qui voyait que ce n'était pas par sa volonté que ces
sentiments s'excitaient en elle, mais qu'elle ne les avait qu'à
l'occasion de certains corps, comme qu'elle sentait de la chaleur
en s'approchant du feu , ne s'est pas contentée de juger qu'il y
avait quelque chose hors d'elle qui était cause qu'elle avait, ces
PREMIÈRE PARTIE . 71

sentiments, en quoi elle ne se serait pas trompée ; mais ello al


passé plus outre, ayant cru que ce qui était dans ces objets était
entièrement semblable aux sentiments ou aux idées qu'elle avait
à leur occasion ; et de ces jugements elle en formedes idées, en
transportant ces sentiments de chaleur, de couleur, etc., dans
les :choses mêmes qui sont hors d'elle ; et ce sont là ces idées
obscures et confuses que nous avons des qualités sensibles,
l'aime ayant ajouté ses faux jugements à ce que la nature lui fai
sarit connaître..
Et comme ces idées ne sont point naturelles, mais arbitraires,
on y a agi avec une grande bizarrerie . Car quoique la chaleur et
la brûlure de soient que deux sentiments " , l'un plus faible at
l'autre plus fort, on y'a mis la chaleur dans le feu, et l'on a dit
que le feu a de la chaleur; 'mais on n'y a pas mis la brûlure out
la douleur qu'on sent en s'en approchant de trop près, et on ne
dit point que le feu a de la douleur.
Mais si les hommes ont bien vu que la douleur n'est pas dans!
le feu qui brule: la main , peut- être qu'ils se sont encore trompési
en croyant qu'elle est dans la main que le feu brúle ; au lieu qu'à

1. « Le vulgaire dit : le feu est. chaud , la neige est froide, le sucre


est doux ; nos sens nous l'attestent, et le nier ' est une absurdité. Les
philosophes disent : le chaud, le froid , le doux, ne sont que des seda
sations 'enl nous : supposer que ces sensations sont dans le feu , dans
la neige, dans le sucre, c'est une absurdité. La contradiction est plus
apparente que' réelle : ellé vient d'un abus de mots de la part des phi
losophes et d'une confusion d'idées de la part du vulgaire. Quand lo
philosophe dit qu'il n'y a point de chaleur dans le feu, qu'est-ce qu'il
entend ? que le feu n'éprouve pas la sensation de la chaleur; il a rai
son , et s'il prend la peine de s'expliquer, le vulgaire sera de son avis :
mais il s'exprime mal, car ill y'a réellement dans le feu une qualité
qu'on appelle chalecr, et les philosophes et le vulgaire désignent plus
souvent par ce nom la qualité que la sensation . Les philosophes pren
nent donc le terme dans un sens et le vulgaire l'entend dans un autre.
Dans le sens du vulgaire la proposition esť absurde' et le vulgaire
soutient qu'elle l'est :: dans le sens du philosophe elle est vraie, et le
vulgaire, l'avouera aussitôt qu'il l'aura - comprise : il sait très-bien que
le feu ne sent pas la chaleur , et c'est tout ce que le philosophe en
tend en disant qu'il n'y a pas de chaleur dans le feu . « Reid , Essais
sur les: Facutés intellectuelles, Ess . , II, chap. XVII . (OEuvres 'comp.,
t. III , p. 280.)
72 LOGIQUE .

le bien prendre, elle n'est que dans l'esprit, quoique à l'occasion


de ce qui se passe dans la main, parce que la douleur du corps
n'est autre chose qu'un sentiment d'aversion que l'âme conçoit
de quelque mouvement contraire à la constitution naturelle de
son corps .
C'est ce qui a été reconnu, non-seulement par quelques an
ciens philosophes , comme les Cyrénaïques, mais aussi par saint
Augustin en divers endroits. Les douleurs (dit- il dans le livre XIV
de la Cité de Dieu, chap. xv) qu'on appelle corporelles ne sont
pas du corps, mais de l'âme qui est dans le corps, et à cause du
corps : Dolores qui dicuntur carnis, animæ sunt in carne, et ex
carne; car la douleur du corps, ajoute-t- il, n'est autre chose qu'un
chagrin de l'âme, à cause de son corps, et l'opposition qu'elle a
à ce qui se fait dans le corps, comme la douleur de l'âme, qu'on
appelle tristesse, est l'opposition qu'à notre âme aux choses qui
arrivent contre notre gré : Dolor carnis tantummodo offensio est
animæ ex carne, et quædam ab ejus passione dissensio : sicuti
animæ dolor, quæ tristitia nuncupatur, dissensio est ab, his rebus,
quæ nobis nolentibus acciderunt.
Et au livre VII de la Genèse à la lettre, chap. xix , la répugance
que ressent l'âme de voir que l'action par laquelle elle gouverne
le corps est empêchée par le trouble qui arrive dans son tempé
rament, est ce qui s'appelle douleur. Cum afflictiones corporis
moleste sentit (anima), actionem suam , qua illi regendo adest, tur
bato ejus temperamento impediri offenditur, et hæc offensio dolor
vocatur.
En effet, ce qui fait voir que la douleur qu'on appelle corpo
relle est dans l'âme, non dans le corps , c'est que les mêmes
choses qui nous causent de la douleur quand nous y pensons, ne
nous en causent point lorsque notre esprit est fortement occupé
ailleurs, comme ce prêtre de Calame, en Afrique, dont parle saint
Augustin dans le livre XIy de la Cité le Dieu, chap. xxiv, qui,
toutes les fois qu'il voulait , s'aliénait tellement des sens, qu'il
demeurait comme mort, et non -seulement ne sentait pas quand
on le pinçait ou qu'on le piquait, mais non pas même quand on
le brûlait. Qui, quando ei placebat, ad imitatas quasi lamentantis
hominis voces, ita se auferebat a sensibus, et jacebat simillimus
PREMIÈRE PARTIE . 73

mortuo, ut non solum vellicantes atque pungentes minime senti


ret, sed aliquando etiam igne ureretur admoto , sine ullo doloris
sensu , nisi postmodum ex vulnere.
Il faut de plus remarquer que ce n'est pas proprement la mau
vaise disposition de la main , et le mouvement que la brûlure y
cause, qui fait que l'âme sent de la douleur ; mais qu'il faut que
ce mouvement se communique au cerveau par le moyen des pe
tits filets enfermés dans les nerfs, comme dans des tuyaux, qui
sont étendus comme de petites cordes, depuis le cerveau jusqu'à
la main et les autres parties du corps ; ce qui fait qu'on ne sau
rait remuer ces petits filets, qu'on ne remue aussi la partie du
cerveau d'où ils tirent leur origine : et c'est pourquoi, si quelque
obstruction empêche que ces filets de nerfs ne puissent commu
niquer leur mouvement au cerveau , comme il arrive dans la pa
ralysie, il se peut faire qu'un homme voie couper et brûler sa
main sans qu'il en sente de la douleur ; et au contraire, ce qui
semble bien étrange, on peut avoir ce qu'on appelle mal à la main
sans avoir de main, comme il arrive très - souvent à ceux qui ont
la main coupée, parce que les filets des nerfs qui s'étendaient de
puis la main jusqu'au cerveau, étant remués par quelque flexion
vers le coude, où ils se terminent, lorsqu'on a le bras coupé jus
que-là, peuvent tirer la partie du cerveau à laquelle ils sont atta
chés, en la même manière qu'ils la tiraient lorsqu'ils s'étendaient
jusqu'à la main , comme l'extrémité d'une corde peut être remuée
de la même sorte, en la tirant par le milieu, qu'en la tirant par
l'autre bout ; et c'est ce qui est cause que l'âme alors sent la
même douleur qu'elle sentait quand elle avait une main, parce
qu'elle porte son attention au lieu d'où avait accoutumé de venir
ce mouvement du cerveau ; comme ce que pous voyons dans un
miroir nous parait au lieu où il serait, s'il était vu par des rayons
droits, parce que c'est la manière la plus ordinaire de voir les
objets.
Et cela peut servir à faire comprendre qu'il est très-possible
qu'une ame séparée du corps soit tourmentée par le feu de
l'enfer et du purgatoire, et qu'elle sente la même douleur que
l'on sent quand on est brulé, puisque, lors même qu'elle était
dans le corps, la douleur de la brûlure était en elle, et non dans
74 LOGIQUE.
le corps, et que ce n'était autre chose qu'une pensée de tristesse
qu'elle ressentait à l'occasion de ce qui se passait dans le corps
auquel Dieu l'avait unie. Pourquoi donc ne pourrions-nous pas
concevoir que la justice de Dieu puisse tellement disposer une
certaine portion de la matière à l'égard d'un esprit, que lemou
vement' de cette matière soit une occasion à cet esprit d'avoir
dès pensées affligeantes, qui est tout ce qui arrive à notre åme
dans la douleur corporelle?'
Mais pour revenir aux idées confuses, celle de la pesanteur,
qui paraft si clairo , ne l'est pas moins que les autres dont nous
venons de parler ; car les enfants' voyant des pierres et autres
choses semblables quitombent en bas aussitôt qu'on cesse de l'es
soutenir , ils ont formé de lå l'idée d'une chose qui tombe, laquelle
idée est naturelle et'vraie, et de plus, de quelque cause de cette
chute, ce qui est encore vrai. Mais parce qu'ils ne voyaient rien
que la pierre, et qu'ils ne voyaient point ce qui la poussait, par
un jugemunt précipité , ils ont conclu que ce qu'ils ne voyaient
point n'était point, et qu'ainsi la pierre tombait d'elle -même par
un principa intérieur qui était en elle, sans que rien autre chose
la poussåt en bas, et c'est à cette idée confuse, et qui n'était née
que de leur erreur, qu'ils ont'attaché le nom de gravité et de
pesanteur.
Et il leur est encore ici arrivé de faire des jugements tout diffé
rents de choses dont ils devaient juger de la même sorte. Car,
comme ils ont vu des pierres qui se remuaient en bas vers la terre,
ils ont vu des pailles qui se remuaient vers l'ambre, et des mor
ceaux de fer ou d'acier qui se remuaient vers l'aimant ; ils avaient
donc autant de raison de mettre une qualité dans les pailles et
dans le fer pour se porter vers l'ambre ou l'aimant, que dans les
pierres pour se porter vers la terre. Néanmoins il ne leur a pas plu
de le faire; mais ils ont mis une qualité dans l'ambre pour attirer
les pailles, et une dans l'aimant pour attirer le fer, qu'ils ont ap
pelées des qualités attractives, comme s'il ne leur eût pas été aussi
facile d'en mettre une dans la terre pour attirer les choses pe- :
santes. Mais, quoi qu'il en soit, ces qualités attractives ne sont
nées, de même que la pesanteur , que d'un faux raisonnement,
qui a fait croire qu'il fallait que le fer attirat l'aimant, parce
PREMIERE . PARTIE . 75

qu'on ne voyait rienqui poussåt l'aimant vers le fer, quoiqu'il


soit impossible de concevoir qu'un corps en puisse attirer un
autre, si le corps qui attire ne se meut lui-même, et si celuiqui
est attiréine lui est joint ow.attaché par quelque lien
On doit aussi rapporterà ces jugements de notre enfance l'idée
qui nous représente les choses dures et pesantes, comme étant
plus matérielles et plus solides que des choses légères et déliées ,
ce qui nous fait croire qu'il y a bien plus de matière dans une
boite pleine d'or, que dans une autre qui ne serait pleine que
d'air ; car ces idées neviennent que de ce que nous avons jugé
dans notre enfance de toutes les choses extérieures, que par rap
port: aux impressions qu'elles faisaient sur nos sens ; et ainsi,
parce que lescorps durs etpesants agissaient bien plus sur nous
que lescorps légers, et subtils , nous nous sommes imaginé qu'ils
contenaient plus de matières ; au lieu , que la raison nous devait
faire juger que chaque partie de la matière n'occupant jamais
que sa place , un espace égal..est toujours, rempli d'une même
quantité de matière .
De: sorte qu’un vaisseau , d'un pied, cube, n'en contient pas
davantage étant plein d'or, qu'étant plein d'air ; et même il est
vrai, en un sens, qu'étant plein d'air, il comprendplus de matière
solide par une raison qu'il serait trop long d'expliquer ici.
Onpeut dire que c'estdecetteimagination que sont nées toutes
les opinions extravagantes de ceux qui ont cru que notre âme était
ou un air très - subtil composé d'atomes, comme Démocrite et les
Épicuriens, ou un air enflammé, comme lesStoïciens, ou unepor
tion de la lumière céleste, comme les anciens Manichéens, et Flud
méme de notre temps , ou un vent délié, comme les Sociniens :
car toutes ces personnes, n'auraient jamais cru qu'une pierre, du
bois, de la boue, fussent capables de penser ; et c'est pourquoi
Cicéron , en même temps qu'il veut, comme les Stoïciens, que
notre âme soit une fiamme subtile, rejette comme une absurdité
insupportable de s'imaginer qu'elle soit de terre, ou d'un air gros
sier : Quid enim, obsecro te; terrane tibi aut hoc nebuloso, aut ca
liginoso cælo, sata aut concreta esse videtur tanta vis memoria '!

1. Tusculanes , I , 25.
76 LOGIQUE.
Mais ils se sont persuadés qu'en subtilisant cette matière,
ils la rendraient moins matérielle, moins grossière et moins
corporelle, et qu'enfin elle deviendrait capable de penser, ce qui
est une imagination ridicule ; car une matière n'est plus subtile
qu'une autre, qu'en ce qu'étant divisée en parties plus petites et
plus agitées, elle fait d'une part moins de résistance aux autres
corps, et s'iosinue de l'autre plus facilement dans leurs pores :
mais, divisée ou non divisée, agitée ou non agitée, elle n'en est
ni moins matière, ni moins corporelle, ni plus capable de penser ;
étant impossible de s'imaginer qu'il y ait aucun rapport du mou
vement ou de la figure de la matière subtile ou grossière avec la
pensée, et qu'une matière qui ne pensait pas lorsqu'elle élait en
repos comme la terre , ou dans un mouvement modéré comme
l'eau , puisse parveoir à se connaitre soi-même , si on vient à la
remuer davantage, et à lui donner trois ou quatre bouillons de
plus.
On pourrait étendre cela beaucoup davantage ; mais c'est assez
pourfaire entendre toutes les autres idées confuses, qui ont pres
que toutes quelques causes semblables à ce que nous venons de
dire .
L'unique remède à cet inconvénient, est de nous défaire des
préjugés de notre enfance, et de ne rien croire de ce qui est du
ressort de notre raison, par ce que nous en avons jugé autrefois,
mais par ce que nous en jugeons maintenant ; et ainsi nous nous
réduirons à nos idées naturelles ; et pour les confuses, nous n'en
retiendrons que ce qu'elles ont de clair, comme qu'il y a quelque
chose dans le feu qui est cause que je sens de la chaleur, quo
toutes les choses qu'on appelle pesantes sont poussées en bas par
quelque cause, ne déterminant rien de ce qui peut être dans le
feu qui me cause ce sentiment, ou de la cause qui fait tomber
une pierre en bas, que je n'aie des raisons claires qui m'en don
dent la connaissance .
---
PREMIÈRE PARTIE . 77

CHAPITRE X.

Quelques exemples de ces idées confuses et obscuies ,


tirés de la morale.

On a rapporté dans le chapitre précédent divers exemples do


ces idées confuses, que l'on peut aussi appeler fausses, pour la
raison que nous avons dite; mais parce qu'ils sont tous pris de la
physique, il ne sera pas inutile d'y en joindre quelques autres
tirés de la morale, les fausses idées que l'on se forme à l'égard
des biens et des maux étant infiniment plus dangereuses.
Qu'un homme ait une idée fausse ou véritable, claire ou ob
scure, de la pesanteur, des qualités sensibles et des actions de
sens, il n'en est ni plus heureux, ni plus malheureux; s'il en est
un peu plus ou moins savant, il n'en est ni plus homme de bien
ni plus méchant. Quelque opinion que nous ayons de toutes ces
choses, elles ne changeront pas pour nous. Leur étre est indé
pendant de notre science, et la conduite de notre vie est indé
pendante de la connaissance de leur être : ainsi, il est permis à
tout le monde de s'en remettre à ce que nous en connaitrons
dans l'autre vie , et de se reposer généralement de l'ordre du
monde sur la bonté et sur la sagesse de celui qui le gouverne.
Mais personne ne se peut dispenser de former des jugements
sur les choses bonnes et mauvaises, puisque c'est par ces juge
ments qu'on doit conduire sa vie, régler ses actions, et se rendre
heureux ou malheureux éternellement ; et comme les fausses idées
que l'on a de toutes ces choses sont la source des mauvais juge
ments que l'on en fait, il serait infiniment plus important de
s'appliquer à les connaitre et à les corriger, que non pas à réfor
mer celles que la précipitation de nos jugements ou les préjugés
de notre enfance nous font concevoir des choses de la nature qui
ne sont l'objet que d'une spéculation stérile.
98 LOGIQUE .
Pour les découvrir toutes , il faudrait faire une morale tout
entière ; mais on n'a dessein ici que de proposer quelques exem
ples de la manière dont on les forme, en alliant ensemble diverses
idées qui ne sont pas jointes dans la vérité, dont on compose
ainsi de vains fantômes après lesquels les hommes courent , et
dont ils se repaissent misérablement toute leur vie.
L'homme trouve en soi l'idée du bonheur et du malheur, et
cette idée n'est pas fausse ni confuse tant qu'elle demeure géné
rale ; il a aussi des idées de petitesse, de grandeur, de bassesse,
d'excellence ; il désire le bonheur, il fuit le malheur ; il admire
l'excellence, il méprise la bassesse.
Mais la corruptiondu péché, qui le sépare deDieu, en qui seul
il pouvait trouver son véritable bonheur, et à qui seul par con
séquent il en devait attacher l'idée, la tuilfait joindre à une infi
nité de choses dans l'amour ’desquelles il s'est précipité pour y
chercher la félicité qu'il avait perdue ; et c'est par là qu'il s'est
forméune mfinité d'idées fausses' et obscures, en se représentant
tous les objets de son amour comme étant capables de le rendre
heureux, et ceux qui l'en privent 'comme te rendant'misérable .
Il a de même perdu par le péché la véritable grandeur et la véri
table excellence, et ainsi il est contraint, 'pour s'aimer, de so re
présenter à soi-même autre qu'il n'est en effet ; de se cacher ses
misères et sa pauvreté, et d'enfermer dans son idée un grand
nombre de choses qui en sont entièrement séparées, enfin de la
grossir et de l'agrandir; et voici la suite' ordinaire de ces fausses
idées .
La première et la principale pente de la concupiscenceest vers
le plaisir dessens qui'nail de certains objets extérieurs; et comme
l'âme s'aperçoit que ce plaisir qu'elle aime lui vient de ces choses,
elle y 'joint incontinent l'idée de bien, et celle dé mal à ce qui l'en
prive. Ensuite, voyant que les richesses et la puissance humaine
sont les moyens ordinaires de se rendre maitre de ces objets de
la concupiscence, elle commence à les regarder comme de grands
biens, et par conséquent elle juge heureux les riches et les grands
qui les possèdont, et malheureux les pauvres qui en sontprivés.
Or, comme il y a une certaine excellence dans le bonheur, elle
ne sépare jamais ces deux idées, et elle regarde toujours commo
PREMIÈRE PARTIE . 79

grands tous ceux qu'elle considère comme heureux, et comme


petits ceux qu'elle estime pauvres et malheureux , et c'est la
raison du mépris que l'on fait des pauvres , et de l'estime que
l'on fait des riches. Ces jugements sont si injustes et si faux, que
saint Thomas croit que c'est ce regard d'estime et d'admiration
pourles riches qui est condamné si sévèrement par l'apôtre saint
Jacques, lorsqu'il défend de donner un siége plus élevé aux riches
qulaux pauvres dans les assemblées ecclésiastiques " ; car ce pas
sage ne pouvant s'entendre à la lettre d'une défense de rendre
certains devoirs extérieurs plutôt aux riches qu'aux pauvres, puis
que l'ordre du monde, que la religion ne trouble point, souffre ces
préférences, et que les saints mêmes les ontpratiquées, il semble
qu'on doive l'entendre de cette préférence intérieure qui fait ro
garder les pauvres comme sous les pieds des riches, et les riches
.comme étant infiniment élevés au -dessus des pauvres.
Mais quoique ces idées et les jugements qui on -naissent soient
faux et déraisonnables, ils sont néanmoins communs à tous les
hommes qui ne les ont pas corrigés, parce qu'ils sont produits
par la concupiscence dont ils sont tous affectés. Et il arrive de
là gue l'on ne se forme pas seulement ces idées des riches, mais
que l'on sait que les autres ont pour eux les mêmes mouvements
d'estime et d'admiration; de sorte que l'on considère leur état,
non - seulement environné de toute la pompe et de toutes des com
modités qui y sont jointes, mais aussi de tous cesjugements avan
tageux que l'on forme des riches, et que l'on connaît par les dis
cours ordinaires des hommes et par sa propre expérience.
C'est proprement ce fantôme, composé de tous les admirateurs
des riches et des grands que l'on iconçoit environner leur trône, et
les regarder avec des sentiments intérieursdecrainte, de respect
et d'abaissement, qui fait l'idole des ambitieux, pour lequel ils
travaillent toute leur vie et s'exposent à tant de dangers.
Et pour montrer que c'est ce qu'ils recherchent et qu'ils ado
rent, il ne faut que considérer que s'il n'y avait au monde qu'un
homme qui pensåt, et que tout le reste de ceux qui auraient la
figure humaine ne fussent que des statues automates ; et que de
1. Chapitre 11, verset 3. (Note du Port- Royal.)
80 LOGIQUE.

plus ce seul homme raisonnable, sachant parfaitement que toutes


ces statues qui lui ressembleraient extérieurement seraient entiè
rement privées de raison et de pensée, sût néanmoins le secret de
les remuer par quelques ressorts , et d'en tirer tous les services
que nous tirons des hommes, on peut bien croire qu'il se diver
tirait quelquefois aux divers mouvements qu'il imprimerait à ces
statues; mais certainement il ne mettrait jamais son plaisir et sa
gloire dans les respects extérieurs qu'il se ferait rendre par elles ;
il ne serait jamais flatté de leurs révérences, et même il s'en lasse
rait aussitôt que l'on se lasse de marionnettes; de sorte qu'il se
contenterait ordinairement d'en tirer les services qui lui seraient
nécessaires, sans se soucier d'en amasser un plus grand nombre
que ce qu'il en aurait besoin pour son usage.
Ce n'est donc pas les simples effets extérieurs de l'obéissance
des hommes, séparés de la vue de leurs pensées, qui sont l'objet
de l'amour des ambitieux ; ils veulent commander à des hommes
et non à des automates, et leur plaisir consiste dans la vue des
mouvements de crainte, d'estime et d'admiration qu'ils excitent
dans les autres.
C'est ce qui fait voir que l'idée qui les occupe est aussi vaine et
aussi peu solide que celle de ceux qu'on appelle proprement
hommes vains, qui sont ceux qui se repaissent de louanges, d'ac
clamations, d'éloges, de titres et des autres choses de cette nature.
La seule chose qui les en distingue est la différence des mouve
ments et des jugements qu'ils se plaisent d'exciter ; car au lieu
que les hommes vains ont pour but d'exciter des mouvements
d'amour et d'estime pour leur science, leur éloquence, leur esprit,
leur adresse, leur bonté, les ambitieux veulent exciter des mou
vements de terreur, de respect et d'abaissement sous leur gran
deur, et des idées conformes à ces jugements par lesquels on les
regarde comme terribles, élevés, puissants. Ainsi, les uns et les
autres mettent leur bonheur dans les pensées d'autrui ; mais les
uns choisissent certaines pensées, et les autres d'autres.
Il n'y a rien de plus ordinaire que de voir ces vains fantômes,
composés des faux jugements des hommes, donner le branle aux
plus grandes entreprises et servir de principal objet à toute la
conduite de la vie des hommes.
PREMIÈRE PARTIE , 81

Cette valeur, stestimée dansle monde, qui fait que ceux qui
passent pour braves se précipitent sans crainte dans les plus
grands dangers, n’est souvent qu'un effet de l'application de leur
esprit à ces images vides et creuses qui lor remplissent. Peu de
personnes méprisent sérieusement la vie ; et ceux qui semblent:
affronter la mort avec tant de hardiesse à une brèche ou dans
une bataille; tremblentcomme les autres, et souvent plus queles
autres, lorsqu'elle vles attaque dans leur lit. Mais ce qui produit
la générosité qu'ils font paraitre en quelques rencontres , c'est
qu'ils envisagentd'une part les railleries que l'on fait des låches,
et de l'autre les louanges qu'on donne aux vaillants hommes;seti
ce double fantôme les occupant, les détourne de la considération
des dangers et de la mort.
C'est parcette raison que ceuxqui ont plus sujet de croire que
les hommes les regardent, étant plus remplis de la vue de ces
jugements, sont plus vaillants et plus généreux. Ainsi les capi
taines ont d'ordinaire plus de courage que les soldats, et les
gentilshommes que ceux qui ne le sont pas, parce qu'ayant plus
d'honneur à perdre ou à acquérir, ils en sont aussi plus vive
ment touchés. Les mêmes travaux , disait un grand capitaine, ne
sont pas également pénibles à un général d'armée et à un soldat,
parce qu'un général est soutenu par les jugements de toute une
armée qui a lesyeux sur lui, au lieu qu’un soldat n'a rien qui le
soutienne que l'espéranced'une petite récompense et d'une basse
réputation de bon soldat, qui ne s'étend pas souventau delà de
la compagnie
Qu'est-ce que se proposent ces gens qui bâtissent des maisons
superbes beaucoup au-dessus de leur condition et de leur fortune ?
Ce n'est pas la simple commodité qu'ils y recherchent ; cette ma
gnificence excessive y nuit plus qu'elle n'y sert, et il est visible
aussi que s'ils étaient'seuls au monde , ils ne prendraient jamais
cette peine; non plus que s'ils croyaient que tous ceux qui ver
raient leurs maisons n'eussent pour eux que des sentiments de
mépris. C'est donc pour les hommes qu'ils travaillent, et pour des
hommes qui les approuvent. Ils s'imaginerit que tous ceux qui
verront leur palais concevront des mouvements de respect et
d'admiration pour celui qui en est le maitre ; et ainsi ils se rep: e
6
82 LOGIQUE .
sentent à eux-mêmes au milieu de leur palais, environnés d'une
troupe de gens qui les regardent de bas en haut, et qui les jugent
grands, puissants, heureux, magnifiques; et c'est pour cette idée
qui les remplit qu'ils font toutes ces grandes dépenses et pren
nent toutes ces peines.
Pourquoi croit -on que l'on charge les carrosses de ce grand
nombre de laquais ? Ce n'est pas pour le service qu'on en tire : ils
incommodent plus qu'ils ne servent ; mais c'est pour exciter en
passant, dans ceux qui les voient, l'idée que c'est une personne :
de grande condition qui passe ; et la vue de cette idée, qu'ils
imaginent que l'on formera en voyant ces carrosses, satisfait la
vanité de ceux à qui ils appartiennent.
Si l'on examine de même tous les états , tous les emplois et
toutes les professions qui sont estimés dans le monde, on trouvera
que ce qui les rend agréables, et ce qui soulage les peines et les
fatigues qui les accompagnent, est qu'ils présentent souvent à
l'esprit des mouvements de respect, d'estime, de crainte, d'admi
ration que les au tres ont pour nous.
Ce qui rend au contraire la solitude ennuyeuse à la plupart
du monde, est que, les séparant de la vue des hommes, elle les
sépare aussi de celle de leurs jugements et de leurs pensées. Ainsi,
leur cæur demeure vide et affamé, étant privé de cette nourriture
ordinaire, et ne trouvant pas dans soi-même de quoi se remplir.
Et c'est pourquoi les philosophes paiens ont jugé la vie solitaire si
insupportable, qu'ils n'ont pas craint de dire que leur Sage ne vou
drait pas posséder tous les biens du corps et de l'esprit à condi
tion de vivre toujours seul et de ne parler de son bonheur avec
personne. Il n'y a que la religion chrétienne qui ait pu rendre la
solitude agréable, parce que, portant les hommes à mépriser ces
vaines idées, elle lour donne en même temps d'autres objets plus
capables d'occuper l'esprit , et plus dignes de remplir le cæur,
pour lesquels ils n'ont point besoin de la vue et du commerce des
hommes .
Mais il faut remarquer que l'amour des hommes ne se termine
pas promptement à connattre les pensées et les sentiments des
autres ; mais qu'ils s'en servent seulement pour agrandir et pour
rehausser l'idée qu'ils ont d'eux-mêmes, en y joignant et incor
PREMIÈRE PARTIE . 83

porant toutes ces idées étrangères, et s'imaginant, par une


illusion grossière, qu'ils sont réellement plus grands, parce
qu'ils sont dans une plus grande maison, et qu'il y a plus de gens
qui les admirent, quoique toutes ces choses qui sont hors d'eux,
et toutes ces pensées des autres hommes, ne mettant rien en eux,
les laissent aussi pauvres et aussi misérables qu'ils étaient au
paravant .
On peut découvrir par là ce qui rend agréable aux hommes
plusieurs choses qui semblent n'avoir rien d'elles-mêmes qui soit
capable de les divertir et de leur plaire ; car la raison du plaisir
qu'ils y prennent, est que l'idée d'eux-mêmes se représente à eux
plus grande qu'à l'ordinaire par quelque vaine circonstance que
l'on y joint.
On prend plaisir à parler des dangers que l'on a courus, parce
qu'on se forme sur ces accidents une idée qui nous représente à
nous-même ou comme prudents, ou comme favorisés particuliè
rement de Dieu. On aime à parler des maladies dont on est guéri ,
parce qu'on se représente à soi-même comme ayant beaucoup de
force pour résister aux grands maux.
On désire remporter l'avantage en toutes choses, et même
dans les jeux de basard , où il n'y a nulle adresse , lors même
qu'on ne joue pas pour le gain , parce que l'on joint à son idée
celle d'heureux : il semble que la fortune ait fait chois de nous,
et qu'elle uous ait favorisés comme ayant égard à notre mérite.
On conçoit même ce bonheur prétendu comme une qualité perma
nente qui donne droit d'espérer à l'avenir le même succès ; et c'est
pourquoi il y en a que les joueurs choisissent, et avec qui ils
aiment mieux se lier qu'avec d'autres, ce qui est entièrement ridi
cule ; car on peut bien dire qu'un homme a été heureux jusqu'à
un certain moment ; mais pour le moment suivant, il n'y a nullo
probabilité plus grande qu'il le soit, que ceux qui ont été les
plus malheureux.
Ainsi, l'esprit de ceux qui n'aiment que le monde n'a pour ob
jet, en effet, que de vains fantômes qui l'amusent et l'occupent
misérablement, et ceux qui passent pour les plus sages ne se re
paissent, aussi bien que les autres, que d'illusions et de songes.
Il n'y a que ceux qui rapportent leur vie et leurs actions aux
84 LOGIQUE .
choses éternelles, que l'on puisse dire avoir un objet solide, réel
et subsistant, étant vrai à l'égard de tous les autres qu'ils aiment
la vanité et le néant , et, qu'ils courent après la fausseté et le
mensonge.

CHAPITRE XI.

D'une autre cause qui met de la confusion dans nos pensées et dans
nos discours, qui est que nous les attachons à des mots.

Nous avons déjà dit que la nécessité que nous avons d'user de
signes extérieurs pour nous faire entendre, fait que nous atta
chons tellement nos idées aux mots, que souvent nous considé
rons plus les mots que les choses. Or, c'est une des causes les
plus ordinaires de la confusion de nos pensées et de nos dis
cours .

Car il faut remarquer que, quoique les hommes aient souvent


de différentes idées des mêmes choses, ils se servent néanmoins
des mêmes mots pour les exprimer : comme l'idée qu’un philo
sophe païen a de la vertu, n'est pas la même que celle qu'en a
un théologien, et néanmoins, chacun exprime son idée par le
mêrae mot de vertu ,
Le plus, les mêmes hommes en différents ages ont considéré
les mêmes choses en des manières très - différentes, et néanmoins
ils ont toujours rassemblé toutes ces idées sous un même nom :
ce qui fait que prononçant ce mot, ou l'entendant prononcer, on
se brouille facilement, le prenant tantôt selon une idée, tantôt
selon l'autre . Par exemple, l'homme ayant reconnu qu'il y avait
en lui quelque chose, quoi que ce fût, qui faisait qu'il se nouris
sait et qu'il croissait, a appelé cela ame, et a étendu cette idée à
ce qui est de semblable, non - seulement dans les animaux, mais
même dans les plantes . Et ayant vu encore qu'il pensait, il a
encore appelé du nom d'áme ce qui était en lui le principe de la
PREMIERE PARTIE . 85

pensée; d'où il est arrivé que, par cette ressemblance de nom, il


a pris pour la même chose ce qui pensait et ce qui faisait que le
corps se nourrissait et croissait. De même on a étendu également
le mot de vie à ce qui est cause des opérations des animaux, et
à ce qui nous fait penser, qui sont deux choses absolument diffé
rentes .
Il y a de même beaucoup d'équivoques dans les mots de sens
et de sentiments, lors même qu'on ne prend ces mots que pour
quelqu'un des cinq sens corporels ; car il se passe ordinairement
trois choses en nous lorsque nous usons de nos sens, comme
lorsque nous voyons quelque chose. La première est qu'il se fait
de certains mouvements dans les organes corporels, comme dans
l'eil et dans le cerveau ; la seconde, que ces mouvements don
nent occasion à notre âme de concevoir quelque chose, comme
lorsque en suite du mouvement qui se fait dans notre vil par la
réflexion 'de 'la lumière dans des gouttes de pluie 'opposées au
soleil, elle a des idées du rouge, du bleu et de 'Porangé; 'la troi
sième est le jugement que nous faisons de ce que nous voyons,
comme l'arc -en - ciel, à qui nous attribuons ces couleurs, et que
nous concevons d'une certaine grandeur, d'une certaine figure et
en une certaine distance. 'La première de ces trois choses est
uniquement dans notre corps ; les deux autres sont seulement en
notre âme, quoiqu'à l'occasion de ce qui se passe dans notre
corps ; et néanmoins nous comprenons 'toutes les trois, quoique
si différentes, sous le même nom de sens et de sentiment, ou de
vue, d'ouïe, etc. Car quandon dit que 'llæil voit, que l'oreille ouit,
cela ne peut s'entendre que selon le mouvement de l'organe cor
porel, étant bien clair que l'æil n'a aucune perception des objets
qui le frappent, et que ce n'est pas lui qui en juge. 'On dit au
contraire qu'on n'a pas vu une personne qui s'est présentée de
vant nous, et qui nous a frappé les yeux, lorsque nous 'n'y'avons
pas fait réflexion . Et alors ' on prend le mot de voir pour la pen
sée qui se forme en notre âme, ensuite de ce qui se passe dans
aotro ceil et dans notre cerveau ; et 'selon cette signification du
mot voir, c'est l'âme qui voit et non pas le corps, comme Platon
le soutient, et Cicéron après lui par ces paroles : Nos enim no
nunc quidem oculis cernimus ea quæ videntus. Neque enim est
86 LOGIQUE .
ullus sensus in corpore. Viæ quasi quædam sunt ad oculos, ad
aures, ad nares , a sede animi perforatæ . Itaque sæpe aut cogita
tione aut aliqua vi morbi impediti, apertis atque integris et oculis
et auribus, nec videmus, nec audimus; ut facile intelligi possit,
animum et videre et audire, non eas partes quæ quasi fenestræ
sunt animi ". Enfin, on prend les mots de sens, de la vue, de
l'ouïe, etc. , pour la dernière de ces trois choses, c'est- à -dire pour
les jugements que notre âme fait ensuite des perceptions qu'elle
a eues à l'occasion de ce qui s'est passé dans les organes corpo
rels, lorsque l'on dit que les sens se trompent, comme quand ils
voient dans l'eau un bâton courbé, et que le soleil ne nous pa
raît que de deux pieds de diamètre. Car il est certain qu'il ne
peut y avoir d'erreur ou de fausseté ni en tout ce qui se passe
dans l'organe corporel , ni dans la seule perception de notre
ame, qui n'est qu'une simple apprehension ; mais que toute
l'erreur ne vient que de ce que nous jugeons mal, en concluant,
par exemple, que le soleil n'a que deux pieds de diamètre, parce
que sa grande distance fait que l'image qui s'en forme dans le
fond de notre vil est à peu près de la même grandeur que celle
qu'y formerait un objet de deux pieds à une distance plus pro
portionnée à notre manière ordinaire de voir. Mais parce que
nous avons fait ce jugement dès l'enfance, et que nous y sommes
tellement accoutumés qu'il se fait au même instant que nous
voyons le soleil , sans presque aucune réflexion, nous l'attribuons
à la vue, et nous disons que nous voyons les objets petits ou
grands, selon qu'ils sont plus proches et plus éloignés de nous,
quoique ce soit notre esprit et non notre vil qui juge de leur
petitesse et de leur grandeur.
Toutes les langues sont pleines d'une infinité de mots sembla
bles, qui , n'ayant qu'un même son, sont néanmoins signes d'i
dées entièrement différentes.
Mais il faut remarquer que quand un nom équivoque signifie
deux choses qui n'ont nul rapport entre elles, et que les hommes
n'ont jamais confondues dans leur pensée, il est presque impos
sible alors qu'on s'y trompe, et qu'il soit cause d'aucune erreur;
1. Tusculanes, I, 20 .
PREMIÈRE PARTIE . 87

comme on ne se trompera pas, si l'on a un peu de sens commun,


par l'équivoque du mot bélier, qui signifie un animal, et un signe
du zodiaque.Au lieu que quand l'équivoque est venue de l'erreur
même des hommes, qui ont confondu par méprise des idées diffé
rentes, comme dans le mot d'âme, il est difficile de s'en détrom
per, parce qu'on suppose que ceux qui se sont les premiers servis
de ces mots, les ont bien entendus ; et ainsi nous nous conten
tons souvent de les prononcer, sans examiner jamais si l'idéo
que nous en avons est claire et distincte ; et nous attribuons
même à ce que nous nommons d'un même nom ce qui ne con
vient qu'à des idées de choses incompatibles, sans nous aperce
voir que cela ne vient que de ce que nous avons confondu deux
choses différentes sous un même nom .

CHAPITRE XII.

Du remède à la confusion qui nait dans nos pensées et dans nos discours
de la confusion des mots; où il est parlé de la nécessité et de l'utilité
de définir les mots dont on se sert, et de la différence de la définition
des choses d'avec la définition des noms.

Le meilleur moyen pour éviter la confusion des mots qui se


rencontrent dans les langues ordinaires, est de faire une nouvelle
langue et de nouveaux mots, qui ne soient attachés qu'aux idées
que nous voulons qu'ils représentent ; mais, pour cela, il n'est
pas nécessaire de faire de nouveaux sons, parce qu'on peut
se servir de ceux qui sont déjàen usage, en les regardant comme
s'ils n'avaient aucune signification , pour leur donner celle que
nous voulons qu'ils aient, en désignant par d'autres mots sim
ples, et qui ne soient point équivoques, l'idée à laquelle nous
voulons les appliquer : comme si je veux prouver que notre amo
est immortelle, le mot d'âme étant équivoque , comme nous
l'avons montré, fera naftre aisément de la confusion dans ce que
j'aurai à dire : de sorte que pour l'éviter, je regarderai le mot
88 LOGJQUE .
d'âme comme si c'était un son qui n'eût (point encore de sens, iet
je il'appliquerai uniquementà ce qui est en nous le principe de
da pensée, en disant : Sappelle ame ce qui est en nous le prêncipe
de da pensée .
C'est ice qu'on appelle la définition du mot, definitio nominis,
dont les géomètres se serventsi atilement, laquelle il faut bien
distinguer de la définition de la chose, definitio rei.
Car dans la définition de la chose , comme peut- être celle - ci :
L'homme est un animal raisonnable, le temps est la mesure du
-mouvement, on baisse au terme qu'on défimit, 'comme 'homme ou
temps, ‘ son idée ordinaire, dans laquello' on prétend que sont
zoontenues d'autres idées, comme animal raisonnable ou mesuro
du mouvement, au lieu que dans la défnilion du nom , comme
nous avons déjà dit, on ne regarde que le son, et ensuite on dé
termine ce son à être signe d'une idée que l'on désigne par
d'autres mots .
Il faut aussi prendre garde de ne pas confondre la définition
de noms dont nous parlons ici, avec celle dont parlent quelques
philosophes, qui entendent par là l'explication de ce qu'un mot
signifie selon l'usage ordinaire d'une langue, ou selon son éty
mologie : c'est de quoi nous pourronsparler en un autre endroit;
mais ici,i on ne regarde, sau contraire, que l'usage iparticulier
auquel celui qui définit en met 'veut qu'on le prenne pour bien
concevoir sa pensée, sans se mettre en peine si les autres le
prennent dans le mêmesens .
Et de là, il s'ensuit premièrement, que lesdéfinitions de noms
sont arbitraires , et que celles des choses ne le sont point; car
chaque son étant indifférent de soi-même et par sa nature à si
gniſer toutes sortes d'idées, il m'est permis , pour mon 'usage:
particulier, et pourvu que j'en avertisse les autres, de déterminer
un -son à signifier précisément une certaine 'chose, sans mélange
d'aucune autre ; mais il en est tout autrement de la définition des
choses : car il ne dépend point de la volonté des hommes que les
idées comprennent ce qu'ils voudraient qu'elles comprissent;
de sorte que si , en voulant les définir, nous'attribuons à ces idées
quelque chose qu'elles 'ne amiennent pas, nous tombons né
cessairement dans Perreur.
PREMIÈRE PARTIE . 89

Ainsi, pour donner un exemple de l'un et de l'autre, si, dó


pouillant le mot parallelogramme de toute signification, je l'ap
plique à signifier un triangle, cela m'est permis, et je ne commets
en cela aucune erreur, pourvu que je ne ilo prenne qu'en cette
sorte : et je pourrai dire alors que le parallélogramme a trois
angles égaux à deux droits ; mais si, laissant à ce mot ; sa signi
fication et son idée ordinaire, qui est de signifier une figure dont
les côtés sont parallèles, je venais à dire que le parallélogramme
est une figure'à trois lignes, parce que ce serait alors une défi
nition de choses, elle serait très-fausse, tétant impossible qu'une
figure à trois lignes ait ses côtés parallèles.
Il s'ensuit, on second lieu, que les définitions des noms ine
pouvent pas être contestées, par cela même qu'elles sont arbi
traires; car vous ne pouvez pas nier qu'un homme n'ait donné
à un son la signification qu'il dit lui avoir donnée, ni qu'il n'ait
cette signification dans l'usage qu'en fait cet homme, après nous
en avoir avertis ; mais pour les définitions des choses, on a sou
vent droit de les contester , puisqu'elles peuvent être fausses,
comme nous l'avons montré.
I s'ensuit troisièmement, que toute définition de nom , ne pou
vant être contestée, peut être prise pour principe, au lieu que
les définitions des choses ne peuvent point du tout : être prises
pour principes, et sont de véritables propositions qui peuvent
ietre niées par ceux qui y trouverontquelque obscurité , et par
conséquent elles ont besoin d'être prouvées comme i d'autres
propositions, etnedoiventpas être supposées, à moins qu'elles
ne fussent claires d'elles-mêmes comme des axiomes .
Néanmoins ce que je viens de dire, que la définition du nom
peut etre prise pour principe, a besoin d'explication; car cela
n'est vrai qu'à cause que l'on ne doit pas contester que l'idée
qu'on a désignée ne puisse être appelée du nom qu'on lui a
donné ;mais on n'en doit rien conclure à l'avantage de cette
idée,ni croire, pour cela seul qu'on lui a donné un nom , qu’elle
signifie quelque chose de réel. Car, par exemple, je puis définir
le mot de chimère en disant: J'appelle chimère ce qui implique
contradiction ; iet cependant, vil ne s'ensuivra pas de là que la
chimère soit quelque chose. De même, si un philosophe me dit :
90 LOGIQUE .
J'appelle pesanteur le principe intérieur qui fait qu'une pierre
tombe sans que rien la pousse, je ne contesterai pas cette défi
nition ; au contraire, je la recevrai volontiers , parce qu'elle me
fait entendre ce qu'il veut dire ; mais je lui nierai que ce qu'il
entend par ce mot pesanteur soit quelque chose de réel, parce
qu'il n'y a point de tel principe dans les pierres.
J'ai voulu expliquer ceci un peu au long, parce qu'il y a deux
grands abus qui se commettent sur ce sujet dans la philosophie
commune. Le premier est de confondre la définition de la chose
avec la définition du nom, et d'attribuer à la première ce qui ne
convient qu'à la dernière ; car, ayant fait à leur fantaisie cent
définitions, non de nom , mais de chose, qui sont très-fausses, et
qui n'expliquent point du tout la vraie nature des choses ni les
idées que nous en avons naturellement, ils veulent ensuite quel'on
considère ces définitions comme des principes que personne ne
peut contredire ; et, si quelqu'un les leur nie, commeelles sont très
niables, ils prétendent qu'on ne mérite pas de disputer avec eux.
Le second abus est que, ne se servant presque jamais de défini
tion de noms, pour en ôter l'obscurité et les fixer à de certaines
idées désignées clairement, ils les laissent dans leur confusion :
d'où il arrive que la plupart de leurs disputes ne sont que des dis
putes de mots ; et, de plus, qu'ils se servent de ce qu'il y a de clair
et de vrai dans les idées confuses, pour établir ce qu'elles ont
d'obscur et de faux ; ce qui se reconnaîtrait facilement si on avait
défini les noms. Ainsi, les philosophes croient d'ordinaire que la
chose du monde la plus claire est, que le feu est chaud, et qu'une
pierre est pesante, et que ce serait une folie de le nier, et en effet,
" ils le persuaderont à tout le monde, tant qu'on n'aura point défini
les noms ; mais, en les définissant, on découvrira aisément si ce
qu'on leur niera sur ce sujet est clair ou obscur; car il leur faut
demander ce qu'ils entendent par le mot de chaud et par le mot
de pesant. Que s'ils répondent que, par chaud,ilsentendent seulo
ment ce qui est propre à causer en nous le sentiment de la cha
leur, et par pesant, ce qui tombe en bas, n'étant point soutenu ,
ils ont raison de dire qu'il faut être déraisonnable pour nier que le
feu soit chaud , et qu'une pierre soit pesante ; mais, s'ils entendent
par chaud co qui a en soi une qualité semblable à ce que nous
PREMIÈRE PARTIE . 91

nous imaginons quand nous sentons de la chaleur, et par pesant


ce qui a en soi un principe intérieur qui le fait aller vers le centre,
sans être poussé par quoi que ce soit, il sera facile alors de leur
montrer que ce n'est point leur nier une chose claire, mais très
obscure, pour ne pas dire très-fausse, que de leur nier qu'en ce
sens le feu soit chaud , et qu'une pierre soit pesante; parce qu'il
est bien clair que le feu nous fait avoir le sentiment de la chaleur
par l'impression qu'il fait sur notre corps ; mais il n'estnullement
clair que le feu ait rien en lui qui soit semblable à ce que nous
sentons quand nous sommes auprès du feu : et il est de même
fort clair qu'une pierre descend en bas quand on la laisse ; mais
il n'est nullement clair qu'elle y descend d'elle-même, sans que
rien la pousse en bas.
Voilà donc la grande utilité de la définition des noms, de faire
comprendre nettement de quoi il s'agit, afin de ne pas disputer
inutilement sur des mots , que l'un entend d'une façon, et l'autre
de l'autre, comme on fait si souvent, même dans les discours or
dinaires.
Mais, outre cette utilité, il y en a encore une autre ; c'est qu'on
ne peut souvent avoir une idée distincte d'une chose qu'en y em
ployant beaucoup de mots pour la désigner: or, il serait impor
tun, surtout dans les livres de science, de répéter toujours cette
grande suite de mots. C'est pourquoi , ayant fait comprendre la
chose par tous ces mots, on attache à un seul mot l'idée qu'on a
conçue, et ce mot tient lieu de tous les autres. Ainsi , ayant com
pris qu'il y a des nombres qui sont divisibles en deux également,
pour éviter de répéter souvent tous ces termes, on donne un nom
à cette propriété, en disant : J'appelle tout nombre qui est di
visible en deux également, nombre pair : cela fait voir que toutes
les fois qu'on se sert du mot qu'on a défini, il faut substituer
mentalement la définition en la place du défini, et avoir cette
définition si présente, qu'aussitôt qu'on nomme, par exemple, le
nombre pair, on entende précisément que c'est celui qui est divi
sible en deux également, et que ces deux choses soient tellement
jointes et inséparables dans la pensée, qu'aussitôt que le discours
en exprime l'une, l'esprit y attache immédiatement l'autre. Car
ceux qui définissent les termes, comme font les géomètres, avec
92 LOGIQUE .
tant de soin , ne le font que pour abréger le discours, que de si
fréquentes circonlocutions rendraient ennuyeux. Ne assidue cir
cumloquendo moras faciamus, comme ditsaint Augustin ; mais ils
ne le font pas pour abréger les idées des choses dont ils discou
rent, parce qu'ils prétendent que l'esprit suppléera la définition
entière aux termes courts, qu'ils n'emploient que pour éviter
l'embarras que la multitude des paroles apporterait.

CHAPITRE XIII.

Observations importantes touchant la définition des noms.

. Après avoir expliqué ce quec'est que les définitions des noms,


et combien elles sont utiles et nécessaires, il est important de
faire quelques observationssur lamanière de s'en servir , afin de
ne pas en abuser .
X La première est qu'il ne faut pas entreprendre de définir tous
les mots, parce que cela souvent serait inutile, et qu'il estmême
impossible dele faire. Je dis qu'ilserait souvent inutilededéfinir
de certains noms; car, lorsquel'idée que les hommes ont dequel
que chose est distincte , et que tousceuxqui entendent unelangue
formont la même idée en entendant prononcer un mot, il serait
inutile de le définir, paisqu'on a déjà la fin de la définition, qui
est que le mot soit attaché à une idée claire'et distincte . C'est ce
qui arrive dans les choses fort simples dont tous les hommesont
natureliement la même idée ; de sorte que les mots par lesquels
on les signifie sont entendus de la même sorte par tous ceux qui
s'en servent, ou, s'ils y mêlent quelquefois quelque chose d'ob
scur, leur principale attention néanmoins va toujours 'à ce qu'il y
a de clair; et ainsi ceux qui ne s'en servent quepour en marquer
Vidéo -claire, n'ont pas sujet de craindre qu'ils ne soient "pas en
tendus. Tels sont lesmots d'étre, de pensée, d'étendue, d'égalitë,
de durée oude temps,et autres semblables . Car,encore que quel
PREMIÈRE PARTIE . 93

ques -uns obscurcissent l'idée du temps par diverses propositions


qu'ils en forment, et qu'ils appellent définitions , comme que le
temps est la mesure dumouvement selon l'antériorité et la poste
riorité , néanmoins ils ne s'arrêtent pas eux -mêmes à cette défi .
nition , quand ils entendent parler du temps, et n'en conçoivent
autre chose que ce que naturellement tous les autres en conçoi
vent : et ainsi les savants,et les ignorants entendent la même
chose , et avec la même facilité, quand on leur dit qu'un cheval
est moins de temps à faire une lieue qu'une tortue.
Je dis de plus qu'il serait impossible de définir tous les mots ;
car, pour définir un mot, op a nécessairement besoin d'autres
mots qui désignent l'idée à laquelle on veut attacher ce mot ; et,
si l'on voulait aussi définir les mots dont on se serait servi pour
l'explication de celui-là , on en aurait encore besoin d'autres, et
ainsi à l'infini. Il faut donc nécessairement s'arrêter à des termes
primitifs qu'on ne définisse point ; et ce serait un aussi grand dé
faut de vouloir trop définir, que de ne pas assez définir, parce
que, par l'un et par l'autre, on tomberait dans la confusion que
l'on prétend éviter.
X La seconda observation est qu'il ne faut point changer les dég
nitions déjà reçues, quand on n'a point sujet d'y trouver à re
dire, car il est toujours plus facile de faire entendre un mot,
lorsque l'usage déjà reçu, au moins parmi les savants, l'a attaché
à une idée, que lorsqu'il l'y faut attacher de nouveau , et le déta
cher de quelque autre idée avec laquelle on a accoutume de le
joindre. C'est pourquoi ce serait une faute de changer les défini
tionsreçues par les mathématiciens, si ce n'est qu'il y en eût quel
qu'une d'embrouillée, et dont l'idée n'aurait pas été désignée
assez nettement, comme peut- être celle de l'angle et de la pro
portion, dans Euclide.
* La troisième observation est que quand on est obligé de définir
un mot, on doit, autant que l'on peut, s'accommoder à l'usage, en
ne donnant pas aux mots des sens tout à fait éloignés de ceux
qu'ils ont, et qui pourraient même être contraires à leur étymolo
gie, comme qui dirait : l'appelle parallelogramme une figure ter
minée par trois lignes; mais se contentant pour l'ordinaire de
dépouiller les mots qui ont deu sens, de l'un de ces sens, pour
94 LOGIQUE.
l'attacher uniquement à l'autre. Comme la chaleur signifant,
dans l'usage commun , et le sentiment que nous avons, et une
qualité que nous nous imaginons dans le feu tout à fait semblable
à ce que nous sentons ; pour éviter cette ambiguïté, je puis me
servir du nom de chaleur, en l'appliquant à l'une de ces idées, et
le détachant de l'autre ; comme si je dis : J'appelle chaleur le sen
timent que j'ai quand je m'approche du feu, et donnant à la cause
de ce sentiment, ou un nom tout à fait différent, comme serait
celui d'ardeur, ou ce même nom, avec quelque addition qui le dé
termine et qui le distingue de chaleur prise pour le sentiment,
comme qui dirait la chaleur virtuelle .
La raison de cette observation est que les hommes, ayant une
fois attaché une idée à un mot, ne s'en défont pas facilement; et
ainsi leur ancienne idée, revenant toujours, leur fait aisément
oublier la nouvelle que vous voulez leur donner en définissant ce
mot ; de sorte qu'il serait plus facile de les accoutumer à un mot
qui ne signifierait rien du tout, comme qui dirait : J'appelle bara
une figure terminée par trois lignes, que de les accoutumer à dé
pouiller le mot de parallelogramme de l'idée d'une figure dont les
côtés opposés sont parallèles, pour lui faire signifier une figure
dont les côtés ne peuvent être parallèles.
C'est un défaut dans lequel sont tombés tous les chimistes, qui
ont pris plaisir de changer les noms à la plupart des choses dont
ils parlent, sans aucune utilité, et de leur en donner qui signifient
déjà d'autres choses qui n'ont nul véritable rapport avec les nou
velles idées auxquelles ils les lient. Ce qui donne même lieu à
quelques-uns de faire des raisonnements ridicules, comme est
celui d'une personne qui , s'imaginant que la peste est un mal sa
turnien , prétendait qu'on avait guéri des pestiférés en leur pen
dant au col un morceau de plomb, que les chimistes appellent
Saturne, sur lequel on avait gravé, un jour de samedi, qui porte
aussi le nom de Saturne, la figure dont les astronomes se servent
pour marquer cette planète ; comme si des rapports arbitraires
et sans raison entre le plomb et la planète de Saturne, et entre
celte même planète et le même jour du samedi, et la petite marque
dont on la désigne, pouvaient avoir des effets réels et guérir
effectivement des maladies,
PREMIÈRE PARTIE 95

Mais ce qu'il y a de plus insupportable dans ce langage des


chimistes est la profanation qu'ils font des plus sacrés mystères
de la religion pour servir de voile à leurs prétendus secrets, jus
que-là même qu'il y en a qui ont passé jusqu'à ce point d'impiété ,
que d'appliquer ce que l'Écriture dit des vrais chrétiens, qu'ils
sont la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peu
ple que Dieu s'est acquis, et qu'il a appelé des ténèbres son

admirable lumière, à la chimérique confrérie des Rose-croix !,


qui sont, selon eux, des sages qui sont parvenus à l'immortalité
bienheureuse, ayant trouvé le moyen, par la pierre philosophale,
de fixer leur âme dans leur corps, d'autant , disent-ils, qu'il n'y
a point de corps plus fixe et plus incorruptible que l'or. On peut
voir ces rêveries et beaucoup d'autres semblables, dans l'examen
qu'a fait Gassendi de la philosophie de Flud ', qui font voir
qu'il n'y a guère de plus mauvais caractère d'esprit que celui de
ces écrivains énigmatiques qui s'imaginent que les pensées les
moins solides, pour ne pas dire les plus fausses et les plus impies,
passeront pour de grands mystères, étant revêtues des matières
de parler inintelligibles au commun des hommes.

CHAPITRE XIV .

D'une autre sorte de définition de noms , par lesquels on marque


ce qu'ils signifient dans l'usage .

Tout ce que nous avons dit des définitions de noms ne doit


s'entendre que de celles où l'on définit les mots dont on se sert
1. La confrérie des Rose - Croix se donnait pour fondateur un gen
tilhomme allemand nommé Rosen Kreutz qui aurait vécu plus de cent
ans (1378-1484) , visité la Turquie et l'Arabie, et rapporté de ses voya
ges des secrets meryeilleux . Son premier chef connu, Valentin Andrea ,
publia en 1615 une Confession de la Rose - Croix, Confessio Roseo
Crucis, qui est l'euvre de l'illuminisme le plus exalté. Il n'est pas
étonnant que ces folies n'aient pas trouvé grâce devant la raison sévère
de l'écrivain de Port-Royal.
2. Voy. plus haut la note de a page 25 .
96 LOGIQUE .

en particulier ; et c'est ce qui les rend libres et arbitraires, parce


qu'il est permis: à chacun de se servir de tel: son qu'il lui plait
pour exprimer ses idées, pourvu qu'il en avertisse. Mais, comme
les hommes ne sont maitres que de leur langage, et non pas de
celui des autres, chacun a le droit de faire un dictionnaire pour
soi ; mais on n'a pas droit d'en faire pour les autres, ni d'expli
quer leurs paroles par ces significations particulières qu'on aura
attachées aux mots. C'est pourquoi, quand on n'a pas dessein de
faire connaître simplement en quel sens on prend un mot , mais
qu'on prétend expliquer celui auquel il est communément pris,
les définitions qu’oni en donne ne sont nullement arbitraires, mais
elles sont liées et astreintes à représenter, non la vérité, des
choses, mais la vérité de l'usage ; et on doit les estimer fausses,
si elles n'expriment pas véritablement cet usage , c'est - à - dire si
elles ne joignent pas aux sons les mêmes idées qui y sont jointes
par l'usage ordinaire de ceux qui: s'en servent; et c'est ce qui
fait voir aussi que ces définitions ne sont nullement exemptes
d'étre contestées, puisque l'on dispute tous les jours de la signi
fication que l'usage donne aux termes.
Or, quoique ces sortes de définitions de mots semblent être le
partage des grammairiens, puisque ce sont celles qui composent
les dictionnaires, qui ne sont autre chose que l'explication des
idées que les hommes sont convenus de lier à certains sons,
néanmoins l'on peut faire à ce sujet plusieurs réflexions très
importantes pour l'exactitude de nos jugements.
La première, qui sert de fondement aux autres, est que les
hommes ne considèrent pas souvent toute la signification des
mots, c'est-à-dire que les mots signifient souvent plus qu'il ne
semble, et que, lorsqu'on en veut expliquer la signification, on
ne représente pas toute l'impression qu'ils font dans l'esprit.
Car signifier, dans un son prononcé ou écrit, n'est autre chose
qu'exciter une idée liée à ce son dans notre esprit, en frappant
nos oreilles ou nos yeux. Or, il arrive souvent qu'un mot, outre
l'idée principale que l'on regarde comme la signification propre
de ce mot, excite plusieurs autres idées qu'on peut appeler acces
soires, ausquelles on ne prend pas garde , quoique l'esprit
reçoive l'impression ,
PREMIÈRE PARTIE . 97
Par exemple, si l'on dit à une personne : « Vous en avez
menti, » et que l'on ne regarde que la signification principale de
cette expression , c'est la même chose que si on lui disait : « Vous
savez le contraire de ce que vous dites ; » mais , outre cette si
gnification principale , ces paroles emportent dans l'usage une
idée de mépris et d'outrage, et elles font croire que celui qui nous
les dit ne se soucie pas de nous faire injure, ce qui les rend in
jurieuses et offensantes.
Quelquefois ces idées accessoires ne sont pas attachées aux
mots par un usage commun , mais elles y sont seulement jointes
par celui qui s'en sert ; et ce sont proprement celles qui sont
excitées par le ton de la voix, par l'air du visage , par les gestes,
et par les autres signes naturels qui attachent à nos paroles une
infinité d'idées qui en diversifient, changent, diminuent, aug.
mentent la signification, en y joignant l'image des mouvements,
des jugements et des opinions de celui qui parle.
C'est pourquoi , si celui qui disait qu'il fallait prendre la mesure
du ton de sa voix des oreilles de celui qui écoute, voulait dire
qu'il suffit de parler assez haut pour se faire entendre, il ignorait
une partie de l'usage de la voix , le ton signifiant souvent autant
que les paroles mêmes. Il y a voix pour instruire, voix pour flal
ter, voix pour reprendre ; souvent on ne veut pas seulement
qu'elle arrive jusqu'aux oreilles de celui à qui l'on parle, mais
on veut qu'elle le frappe et qu'elle le perce ; et personne ne trou
verait bon qu’un laquais , que l'on reprend un peu fortement, ré
pondit : « Monsieur, parlez plus bas, je vous entends bien ; »
parce que le ton fait partie de la réprimande, et est nécessaire
pour former dans l'esprit l'idée que l'on veut y imprimer.
Mais quelquefois ces idées accessoires sont attachées aux mots
mêmes, parce qu'elles s'excitent ordinairement par tous ceux qui
les prononcent ; et c'est ce qui fait qu'entre des expressions qui
semblent signifier la même chose , les unes sont injurieuses, les
autres douces ; les unes modestes, les autres impudentes ; les
unes honnêtes, et les autres déshonnétes ; parce qu'outre cette
idée principale en quoi elles conviennent, les hommes y ont
attaché d'autres idées, qui sont cause de cette diversité.
Cette remarque peut servir à découvrir une injustice assez
7
38 LOGIQUE .

Ordinaire à ceux qui se plaignent des reproches qu'on leur a


fails, qui est de changer les substantifs en adjectifs, de sorte
que, si on les a accusés d'ignorance ou d'imposture, ils disent
qu'on les a appelés ignorants ou imposteurs ; ce qui n'est pas
raisonnable , ces mots ne signifiant pas la même chose ; car les
mots adjectifs d'ignorant ou imposteur, outre la signification du
défaut qu'ils marquent, enferment encore l'idée du mépris; au
lieu que ceux d'ignorance et d'imposture marquent la chose telle
qu'elle est, sans l'aigrir ni l'adoucir. L'on en pourrait trouver
d'autres qui signifieraient la même chose d'une manière qui en
fermerait de plus une idée adoucissante et qui témoignerait
qu'on désire épargner celui à qui l'on fait ces reproches; et ce
sont ces manières que choisissent les personnes sages et modé
rées , à moins qu'elles n'aient quelque raison particulière d'agir
avec plus de force.
C'est encore par là qu'on peut reconnaître la différence du
style simple et du style figuré, et pourquoi les mêmes pensées
nous paraissent beaucoup plus vives quand elles sont exprimées
par une figure, que si elles étaient renfermées dans des expres
sions toutes simples ; car cela vient de ce que les expressions
figurées signifient, outre la chose principale, le mouvement et la
passion de celui qui parle, et impriment ainsi l'une et l'autre
idée dans l'esprit ; au lieu qui l expression simple ne marque que
la vérité toute nue.

Par exemple, si ce demi- vers de Virgile

Usque adeone mori miserum est 1 p

était exprimé simplement et sans figure, de cette sorte : Non est


usque adeo mori miserum , il est sans doute qu'il aurait beaucoup
moins de force ; et la raison en est, que la première expression
signifie beaucoup plus que la seconde; car elle n'exprime pas
seulement cette pensée, que la mort n'est pas un si grand mal
que l'on croit; mais elle représente de plus l'idée d'un homme
qui se roidit contre la mort, et qui l'envisage sans effroi, image

1. Enéide, XII , v. 646 .


PREMIÈRE PARTIE . 99

beaucoup plus vive què n'est la pensée même à laquelle elle est
jointe. Ainsi , il n'est pas étrange qu'elle frappe davantage, parce
que l'âme s'instruit par les images des vérités ; mais elle ne s'é
meut guère que par l'image des mouvements.
Si vis me flere, dolendum est
Primum ipsi tibi " .

Mais, comme le style figuré signifie ordinairement, avec les


choses, les mouvements que nous ressentons en les concevant et
en parlant, on peut juger par là de l'usage que l'on en doit faire
et quels sont les sujets auxquels il est propre . Il est visible qu'il
est ridicule de s'en servir dans les matières purement spécula
tives, que l'on regarde d'un wil tranquille, et qui ne produisent
aucun mouvement dans l'esprit : car, puisque les figures expri
ment les mouvements de notre âme , celles que l'on mêle en des
sujets où l'âme ne s'émeut point, sont des mouvements contre la
nature et des espèces de convulsions. C'est pourquoi il n'y a
rien de moins agréable que certains prédicateurs qui s'écrient
indifféremment sur tout, et qui ne s'agitent pas moins sur des
raisonnements philosophiques que sur les vérités les plus éton
nantes et les plus nécessaires pour le salut .
Et, au contraire, lorsque la matière que l'on traite est telle
qu'elle doit raisonnablement nous toucher, c'est un défaut d'en
parler d'une manière sèche , froide et sans mouvement, parce que
c'est un défaut de n'être pas touché de ce qui doit nous toucher.
Ainsi, les vérités divines n'étant pas proposées simplement
pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révé.
rées et adorées par les hommes, il est sans doute que la manière
noble , élevée et figurée dont les saints Pères les ont trailées,
leur est bien plus proportionnée qu'un style simple et sans
figure, comme celui des scolastiques, puisqu'elle ne nous en
seigne pas seulement ces vérités , mais qu'elle nous représenie
aussi les sentiments d'amour et de révérence avec lesquels les
Pères en ont parlé, et que, portant ainsi dans notre esprit l'image
de cette sainte disposition , elle peut beaucoup contribuer à y en

1. Horace, Art poétique, v. 102 .


100 LOGIQUE .
imprimer une semblable ; au lieu que le style scolastique, étant
simple et ne contenant que les idées de la vérité toute nue, est
moins capable de produire dans l'âme les mouvements de res
pect et d'amour que l'on doit avoir pour les vérités chrétiennes ;
ce qui le rend en ce point , non-seulement moins utile, mais aussi
moins agréable, le plaisir de l'âme consistant plus à sentir des
mouvements qu’à acquérir des connaissances .
Enfin, c'est par cette même remarque qu'on peut résoudre
cette question célèbre entre les anciens philosophes : s'il y a des
mots déshonnétes , et que l'on peut réfuter les raisons des Stoï
ciens, qui voulaient qu'on pût se servir indifféremment des expres
sions qui sont estimées ordinairement infâmes et impudentes.
Ils prétendent , dit Cicéron , dans une lettre qu'il a faite sur ce
sujet, qu'il n'y a point de paroles sales ni honteuses ; car, ou
l'infamie, disent-ils , vient des choses, ou elle est dans les paro
les ; elle ne vient pas simplement des choses, puisqu'il est per
mis de les exprimer en d'autres paroles qui ne passent point
pour déshonnêtes; elle n'est pas aussi dans les paroles considé
rées comme sons, puisqu'il arrive souvent , comme Cicéron le
montre , qu'un même son signifiant diverses choses, et étant estimé
déshonnête dans une signification, ne l'est point en une autre " .
Mais tout cela n'est qu'une vaine subtilité qui ne naît que de
ce que ces philosophes n'ont pas assez considéré ces idées ac
cessoires que l'esprit joint aux idées principales des choses : car
il arrive de là qu'une même chose peut être exprimée honnête
ment par un son , et déshonnêtement par un autre , si l'un de ces
sons y joint quelque autre idée qui en couvre l'infamie, et si
l'autre, au contraire, la présente à l'esprit d'une manière impu
dente . Ainsi les mots d'adultère, d'inceste , de péché abominable,
ne sont pas infâmes, quoiqu'ils représentent des actions très-in
fâmes, parce qu'ils ne les représentent que couvertes d'un voile
d'horreur, qui fait qu'on ne les regarde que comme des crimes ;
de sorte que ces mots signifient plutôt le crime de ces actions

1. Epist. ad div. , IX, 22. « Sed , ut dico, placet Stoicis suo quamque
u rem nomine appellare. Sic enim disserunt, nihil esse obscen un ,
& nihil turpe dictu. »
PREMIÈRE PARTIE . 101

que les actions mêmes : au lieu qu'il y a de certains mots qui les
expriment sans en Conner de l'horreur, et plutôt comme plai
santes que comme criminelles, et qui y joignent même une idée
d'impudence et d'effronterie, et ce sont ces mots- là qu'on ap
pelle infâmes et déshonnêtes.
Il en est de même de certains tours par lesquels on exprime
honnêtement des actions qui, quoique légitimes, tiennent quelque
chose de la corruption de la nature ; car ces tours sont en effet
honnêtes, parce qu'ils n'expriment pas simplement ces choses,
mais aussi la disposition de celui qui en parle de cette sorte, et
qui témoigne par sa retenue qu'il les envisage avec peine et qu'il
les couvre autant qu'il peut, et aux autres et à soi-même ; au lieu
que ceux qui en parleraient d'une autre manière ſeraient paraſ
tre qu'ils prendraient plaisir à regarder ces sortes d'objets ; et ce
plaisir étant infâme, il n'est pas étrange que les mots qui expri
ment cette idée soient estimés contraires à l'honnêteté.
C'est pourquoi il arrive aussi qu'un même mot est estimé hon
nête en un temps et honteux en un autre, ce qui a obligé les
docteurs hébreux de substituer, en certains endroits de la Bible,
des mots hébreux à la marge, pour être prononcés par ceux qui
la liraient, au lieu de ceux dont l'Écriture se sert ; car cela vient
de ce que ces mots, lorsque les prophètes s'en sont servis, n'é
taient point déshonnêtes, parce qu'ils étaient liés avec quelque
idée qui faisait regarder ces objets avec retenue et avec pudeur ;
mais depuis, cette idée en ayant été séparée, et l'usage y en
ayant joint une autre d'impudence et d'effronterie, ils sont deve
nus honteux ; et c'est avec raison que, pour ne pas frapper l’es
prit de cette mauvaise idée, les rabbins veulent qu'on en pro
nonce d'autres en lisant la Bible, quoiqu'ils n'en changent pas
pour cela le texte.
Ainsi , c'était une mauvaise défense à un auteur que la profes
sion religieuse obligeait à une exacte modestie, et à qui on avait
reproché avec raison de s'être servi d'un mot peu honnête pour
signifier un lieu infâme, d'alléguer que les Pères n'avaient pas
fait difficulté de se servir de celui de lupanar, et qu'on trouvait
souvent dans leurs écrits les mots de meretrix, de leno, et d'autres
qu'on aurait peine à souffrir en notre langue ; car la liberté avec
102 LOGIQUE .
laquelle les Pères se sont servis de ces mots devait lui faire con
naitre qu'ils n'étaient pas estimés honteux de leur temps, c'est
à-dire que l'usage n'y avait pas joint cette idée d'effronterie qui
les rend infâmes, et il avait tort de conclure de là qu'il lui fût
permis de se servir de ceux qui sont estimés déshonnêtes en no
tre langue, parce que ces mots ne signifient pas, en effet, la
même chose que ceux dont les Pères se sont servis, puisque,
outre l'idée principale en laquelle ils conviennent, ils enferment
aussi l'image d'une mauvaise disposition d'esprit et qui tient
quelque chose du libertinage et de l'impudence.
Ces idées accessoires étant donc si considérables et diversifiant
si fort les significations principales, il serait utile que ceux qui
font des dictionnaires les marquassent, et qu'ils avertissent, par
exemple, des mots qui sont injurieux, civils, aigres, bonnêtes,
déshonnêtes, ou plutôt qu'ils retranchassent entièrement ces
derniers, étant toujours plus utile de les ignorer que de les
savoir.

CHAPITRE XV .

Des idées que l'esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées
par les mots .

On peut encore comprendre sous le nom d'idées accessoires une


autre sorte d'idées que l'esprit ajoute à la signification précise
des termes par une raison particulière : c'est qu'il arrive souvent
qu'ayant conçu cette signification précise qui répond au mot, il
ne s'y arrête pas quand elle est trop confuse et trop générale;
mais, portant sa vue plus loin, il en prend occasion de considérer
encore dans l'objet qui lui est représenté d'autres attributs et
d'autres faces, et de le concevoir ainsi par des idées plus dis
tinctes.
C est ce qui arrive particulièrement dans les pronoms démon
PREMIÈRE PARTIE . 103

stratifs, quand au lieu du nom propre, on se sert du neutre hoc,


ceci ; car il est clair que ceci signifie cette chose, et que hoc si
gnifie hæc res, hoc negotium . Or, le mot de chose, res, marque un
attribut très -général et très-confus de tout objet, n'y ayant que
le néant à quoi on ne puisse appliquer le mot de chose.
Mais, comme le pronom démonstratif hoc ne marque pas sim
plement la chose en elle-même, et qu'il la fait concevoir commo
présente, l'esprit n'en demeure pas à ce seul attribut de chose, ir
y joint d'ordinaire quelques autres attributs distincts ; ainsi quand
on se sert du mot de ceci pour montrer un diamant, l'esprit ne se
contente pas de le concevoir comme une chose présente, mais
il y ajoute les idées de corps dur et éclatant qui a une telle
forme.
Toutes ces idées, tant la première et principale que celles que
l'esprit y ajoute, s'excitent par le mot de hoc appliqué à un
diamant; mais elles ne s'y excitent pas de la même manière,
car l'idée de l'attribut de chose présente s'y excite comme la
propre signification du mot, et les autres s'excitent comme des
idées que l'esprit conçoit liées et identifiées avec cette première
et principale idée , mais qui ne sont pas marquées précisément
par le pronom hoc : c'est pourquoi , selon que l'on emploie le
terme de hoc en des matières différentes, les additions sont diffé
rentes. Si je dis hoc en montrant un diamant, ce terme signifiera
toujours cette chose, mais l'esprit y suppléera, et ajoutera, qui
est un diamant, qui est un corps dur et éclatant; si c'est du vin,
l'esprit y ajoutera les idées de la liquidité, du goût et de la cou
leur du vin , et ainsi des autres choses.
Il faut donc bien distinguer ces idées ajoutées des idées signi.
fiées, car quoique les unes et les autres se trouvent dans un
même esprit, elles ne s'y trouvent pas de la même sorte ; et l'és .
prit, qui ajoute ces autres idées plus distinctes, ne laisse par de
concevoir que le terme de hoc ne signifie de soi -même qu'une
idée confuse , qui, quoique jointe à des idées plus distinctes,
demeure toujours confuse.
C'est par là qu'il faut démêler une chicane importune que les
ministres ont rendue célèbre , et sur laquelle ils fondent leur
principal argument pour établir leur sens de figure dans l'Eucha
104 LOGIQUE.
ristie : et l'on ne doit pas s'étonner que nous nous servions ici
de cette remarque pour éclaircir cet argument, puisqu'il est plus
digne de la logique que de la théologie.
Leur prétention est que , dans cette proposition de Jésus
Christ : Ceci est mon corps, le mot de ceci signifie le pain ; or, di
sent-ils, le pain ne peut être réellement le corps de Jésus -Christ,
donc la proposition de Jésus-Christ ne signifie point ceci est réel
lement mon corps.
Il n'est pas question d'examiner ici la mineure et d'en faire
voir la fausseté ; on l'a fait ailleurs ' ; et il ne s'agit que de la
majeure par laquelle ils soutiennent que le mot de ceci signifie
le pain ; et il n'y a qu'à leur dire sur cela, selon le principe que
nous avons établi , que le mot de pain marquant une idée dis
tincte n'est point précisément ce qui répond au terme de hoc,
qui ne marque que l'idée confuse de chose présente ; mais qu'il
est bien vrai que Jésus-Christ, en prononçant ce mot, et ayant
en même temps appliqué ses apôtres au pain qu'il tenait entre
ses mains, ils ont vraisemblablement ajouté à l'idée confuse de
chose présente, signifiée par le terme hoc, l'idée distincte du pain ,
qui était seulement excitée et non précisément signifiée par ce
terme.
Ce n'est que le manque d'attention à cette distinction néces
saire entre les idées excitées et les idées précisément signifiées
qui fait tout l'embarras des ministres ; ils font mille efforts inu
tiles pour prouver que Jésus-Christ montrant du pain, et les
apôtres le voyant et y étant appliqués par le terme de hoc, ils ne
pouvaient pas ne pas concevoir du pain . On leur accorde qu'ils
concurent apparemment dų pain, et qu'ils eurent sujet de lo
concevoir : il ne faut point tant faire d'efforts pour cela ; il
n'est pas question s'ils conçurent du pain, mais comment ils
concurent.
Et c'est sur quoi on leur dit que s'ils concurent , c'est - à -dire
s'ils eurent dans l'esprit l'idée distincte du pain , ils ne l'eurent
pas comme signifiée par le mot de hoc, ce qui est impossible,
puisque ce terme ne signifiera jamais qu'une idée confuse ; mais

1. Dans le Traité de la Perpétuité de la Foi.


PREMIÈRE PARTIE . 105
ils l'eurent comme une idée ajoutée à cette idée confuse et exci
tée par les circonstances.
On verra dans la suite l'importance de cette remarque ; mais
il est bon d'ajouter ici que cette distinction est si indubitable, que
lors même qu'ils entreprennent de prouver que le terme de ceci
signifie du pain, ils ne font autre chose que l'établir. Ceci, dit un
ministre qui a parlé le dernier sur cette matière, ne signifie pas
seulement cette chose présente, mais cette chose présente que vous
savez qui est du pain. Qui ne voit dans cette proposition que ces
termes, que vous savez qui est du pain, sont bien ajoutés au mot
de chose présente par une proposition incidente, mais ne sont pas
signifiés précisément par le mot chose présente, le sujet d'une
proposition ne signifiant pas la proposition entière ; et par consé
quent dans cette proposition qui a le même sens : Ceci que vous
savez qui est du pain, le mot de pain est bien ajouté au mot de
ceci, mais n'est pas signifié par le mot de ceci.
Mais qu'importe , diront les ministres , que le mot de ceci
signifie précisément le pain , pourvu qu'il soit vrai que les
apôtres concurent que ce que Jésus- Christ appelle ceci était du
pain?
Voici à quoi cela importe ; c'est que le terme de ceci ne signi-
fiant de soi-même que l'idée précise de chose présente, quoique
déterminée au pain par les idées distinctes que les apôtres y ajou
tèrent , demeura toujours capable d'une autre détermination et
d'être lié avec d'autres idées, sans que l'esprit s'aperçût de ce
changement d'objet. Et ainsi, quand Jésus -Christ prononça de ceci
que c'était son corps, les apôtres n'eurent qu'à retrancher l'addi
tion qu'ils y avaient faite par les idées distinctes de pain ; et,
retenant la même idée de chose présente, ils concurent, après la
proposition de Jésus-Christ achevée, que cette chose présente
était maintenant le corps de Jésus-Christ; ainsi ils lièrent le mot
de hoc, ceci, qu'ils avaient joint au pain par une proposition inci
dente, avec l'attribut de corps de Jésus-Christ. L'attribut de corps
de Jésus-Christ les obligea bien de retrancher les idées ajoutées ;
mais il ne leur fit point changer l'idée précisément marquée par
le mot de hoc, et ils concurent simplement que c'était le corps de
Jésus - Christ. Voilà tout le mystère de cette proposition , qui ne
106 LOGIQUE.
naft pas de l'obscurité des termes, mais du changement opéré
par Jésus - Christ , qui fit que ce sujet hoc a eu deux différentes
déterminations au commencementet à la fin de la proposition,
comme nous l'expliquerons dans la seconde partie, chap. XI , en
traitant de l'unité de confusion dans les sujets.
DEUXIÈME PARTIE
CONTENANT LES RÉFLEXIONS QUE LES HOMMES ONT FAITEZ
SUR LEURS JUGEMENTS.

CHAPITRE I.

Des mots par rapport aux propositions.

Comme nous avons dessein d'expliquer ici les diverses remar


ques que les hommes ont faites sur leurs jugements, et que ces
jugements sont des propositions qui sont composées de diverses
parties, il faut commencer par l'explication de ces parties, qui
sont principalement les només, les pronoms et les verbes.
Il est peu important d'examiner si c'est à la grammaire ou à la
logique d'en traiter, et il est plus court de dire que tout ce qui
est utile à la fin de chaque art lui appartient, soit que la connais
sance lui en soit particulière, soit qu'il y ait aussi d'autres arts
et d'autres sciences qui s'en servent.
Or, il est certainement de quelque utilité pour la fin de la lo
gique , qui est de bien penser, d'entendre les divers usages des
sons qui sont destinés à signifier les idées, et que l'esprit a cou
tume d'y lier si étroitement, que l'une ne se conçoit guère sans
l'autre ; en sorte que l'idée de la chose excite l'idée du son , et
l'idée du son, celle de la chose,
On peut dire en général sur ce sujet que les ont des sons
distincts et articulés dont les hommes ont fait des signes pour
marquer ce qui se passe dans leur esprit.
Et comme ce qui s'y passe se réduit à concevoir, juger, raison .
ner et ordonner, ainsi que nous l'avons déjà dit , les mots servent
108 LOGIQUE.
à marquer toutes ces opérations ; et pour cela on en a inventé
principalement de trois sortes qui sont essentiels, dont nous nous
contenterons de parler ; savoir, les noms , les pronoms et les
verbes , qui tiennent la place des noms, mais d'une manière dif
férente ; et c'est ce qu'il faut expliquer ici plus en détail .

DES NOMS .

Les objets de nos pensées étant, comme nous avons déjà dit,
ou des choses ou des manières de choses, les mots destinés à și
gnifier, tant les choses que les manières, s'appellent noms.
Ceux qui signifient les choses s'appellent noms substantifs,
comme terre, soleil. Ceux qui signifient les manières, en mar
quant en même temps le sujet auquel elles conviennent, s'ap
pellent noms adjectifs, comme bon, juste, rond.
C'est pourquoi, quand, par une abstraction de l'esprit, on
conçoit ces manières sans les rapporter à un certain sujet,
comme elles subsistent alors en quelque sorte dans l'esprit par
elles-mêmes, elles s'expriment par un mot substantif, comme
sagesse, blancheur, couleur.
Et, au contraire, quand ce qui est de soi-même substance et
chose vient à être conçu par rapport à quelque sujet, les mots
qui signifient en cette manière deviennent adjectifs, comme hu
main, charnel ; et en dépouillant ces adjectifs, formés des noms
de substance, de leur rapport, on en fait de nouveaux substan
tifs : ainsi , après avoir formé du mot substantif homme l'adjec
tif humain , on forme de l'adjectif humain le substantif huma
nité .
Il y a des noms qui passent pour substantifs en grammaire,
qui sont de véritables adjectifs, comme roi, philosophe, médecin,
puisqu'ils marquent une manière d'etre ou mode dans un sujet.
Mais la raison pourquoi ils passent pour substantifs, c'est que,
comme ils ne conviennent qu'à un seul sujet, on sous - entend
toujours cet unique sujet sans qu'il soit besoin de l'exprimer.
Par la même raison, ces mots le rouge, le blanc, etc. , sont de
véritables adjectifs, parce que le rapport est marqué ; mais la
raison pourquoi on n'exprime pas le substantif auquel ils se rap
DEUXIÈME PARTIE . 109

portent, c'est que c'est un substantif général, qui comprend tous


les sujets de ces modes, et qui est par là unique dans cette géné
ralité. Ainsi le rouge, c'est toute chose rouge ; le blanc, toute
chose blanche, ou , comme l'on dit en géométrie , c'est une chose
rouge quelconque.
Les adjectifs ont donc essentiellement deux significations :
l'une distincte, qui est celle du mode ou manière ; l'autre con
fuse, qui est celle du sujet : mais, quoiquela signification du mode
soit plus distincte , elle est pourtant indirecte, et, au contraire,
celle du sujet, quoique confuse , est directe . Le mot de blanc, can
didum , signifie indirectement, quoique distinctement, la blan
cheur.
DES PRONOMS .

L'usage des pronoms est de tenir la place des noms et de


donner moyen d'en éviter la répétition , qui est ennuyeuse ;
mais il ne faut pas s'imaginer qu'en tenant la place des noms,
ils fassent entièrement le même effet sur l'esprit ; cela n'est nul
lement vrai ; au contraire, ils ne remédient au dégoût de la répé
tition que parce qu'ils ne représentent les noms que d'une ma
nière confuse. Les noms découvrent en quelque sorte les choses
à l'esprit, et les pronoms les présentent comme voilées, quoique
l'esprit sente pourtant que c'est la même chose que celle qui est
signifiée par les noms. C'est pourquoi il n'y a point d'inconvé
nient que le nom et le pronom soient joints ensemble : Tec Pha
dria, Ecce ego Joannes.

DES DIVERSES SORTES DE PRONOMS .

Comme les hommes ont reconnu qu'il était souvent inutile et


de mauvaise grâce de se nommer soi-même , ils ont introduit le
pronom de la première personne pour mettre en la place de celui
qui parle, ego, moi, je.
Pour n'être pas obligés de nommer celui à qui on parle, ils
ont trouvé bon de le marquer par un mot qu'ils ont appelé pro
nom de la seconde personne, toi ou vous.
Et pour n'être pas obligés de répéter les noms des autres per
110 LOGIQUE

sonnes et des autres choses dont on parle, ils ont inventé les
pronoms de la troisième personne, ille, illa, illud, entre lesquels il
y en a qui marquent, comme au doigt, la chose doni on parle,
et qu'à cause de cela on nomme démonstratifs, hic, iste, celui-ci
celui- là .
Il y en a aussi un qu'on nomme réciproque, parce qu'il mar
que un rapport d'une chose à soi-même. C'est le pronom sui,
sibi, se : Caton s'est tué.
Tous les pronoms ont cela de commun, comme nous avons
déjà dit , qu'ils marquent confusément le nom dont ils tiennent la
place ; mais il y a cela de particulier dans le neutre de ces pro
noms illud, hoc, lorsqu'il est mis absolument, c'est- à -dire sans
nom exprimé, qu'au lieu que les autres genres, hic, hæc, ille, illa
peuvent se rapporter et se rapportent presque toujours à des idées
distinctes, qu'ils ne marquent néanmoins que confusément, illum
exspirantem flammas, c'est - à - dire illum Ajacem : His ego nec
metas rerum , nec tempora ponam , c'est- à -dire Romanis ; le neutre
au contraire, se rapporte toujours à un nom général et confus :
hoc erat in votis, c'est-à-dire, hæc res, hoc negotium erat in votis ;
hoc erat alma parens, etc. Ainsi il y a une double confusion dans
le neutre ; savoir celle du pronom, dont la signification est tou
jours confuse, et celle du mot negotium , chose, qui est encore
aussi générale et aussi confuse .

DU PRONOM RELATIF .

Il y a encore un autre pronom qu'on appelle relatif, qui, quæ ,


quod, qui, lequel, laquelle.
Ce pronom relatif a quelque chose de commun avec les autres
pronoms et quelque chose de propre.
Ce qu'il a de commun est qu'il se met au lieu du nom et en
excite une idée confuse .
Ce qu'il a de propre est que la proposition dans laquelleil entre
peut faire partie du sujet ou de l'attribut d'une proposition, et
former ainsi une de ces propositions ajoutées ou incidentes dont
nous parlerons plus bas avec plusd'étendue , Dieu qui est bon, le
monde qui est visible
DEUXIÈME PARTIE. 111

Je suppose ici qu'on entend ces termes de sujet et d'attributdes


propositions, quoiqu'on ne les ait pas encore expliqués expressé
ment, parce qu'ils sont si communs qu'on les entend ordinaire
ment avant que d'avoir étudié la logique : ceux qui ne les enten
draient pas n'auront qu'à recourir au lieu où on en marque les
sens. On peut résoudre par là cette question : Quel est le sens précis
du mot que, lorsqu'il suit un verbe et qu'il semble ne se rappor
ter à rien : Jean répondit qu'il n'était pas le Christ. Pilate dit qu'il
ne trouvait point de crime en Jésus-Christ ?
Il y en a qui en veulent faire un adverbe aussi bien que du
mot quod, que les Latins prennent quelquefois au même sens qu'à
notre que français quoique rarement : Non tibi objicio quod ho
minem spoliasti, dit Cicéron.
Mais la vérité est que les mots que, quod ne sont autre chose
que le pronom relatif et qu'ils en conservent le sens.
Ainsi dans cette proposition : Jean répondit qu'il n'était pas le
Christ, ce que conserve l'usage de lier une autre proposition, sa
voir, n'était pas le Christ, avec l'attribut enfermé dans le mot de
répondit qui signifie fuit respondens.
L'autre usage, qui est de tenir la place du nom et de s'y rap«
porter, y parait à la vérité beaucoup moins : ce qui a fait dire à
quelques personnes habiles que ce que en était entièrement privé
dans cette occasion . On pourrait dire néanmoins qu'il le retient
aussi ; car, en disant que Jean répondit, on entend qu'il fit une
réponse ; et c'est à cette idée confuse de réponse que se rapporte
ce que. De même, quand Cicéron dit : Non tibi objicio quod homi
nem spoliasti, le quod se rapporte à l'idée confuse de chose objec
tée, formée par le mot d'objicio ; et cette chose objectée , conçue
d'abord confusément, est ensuite particularisée par la proposi
tion incidente, liée par le quod, quod hominem spoliasti.
On peut remarquer la même chose dans ces questions : Je sup
pose que vous serez sage ; je vous dis que vous avez tort : ce terme,
je dis, fait concevoir d'abord confusément une chose dite , et c'est
à cette chose dite que se rapporte le que. Je dis que, c'est - à -dire
je dis une chose qui est. Et qui dit de même, je suppose, donne
l'idée confuse d'une chose supposée; car je suppose veut dire je
fais une supposition ; et c'est à cette idée de chose supposée, que se
112 LOGIQUE .

rapporte le que, je suppose que, c'est-à -dire, Je fais une suppo


sition qui est.
On peut mettre au rang des pronoms l'article grec 8, , cò, lors
qu'au lieu d'être devant le nom , on le met après : TOŪTO łoti
σώμα μου , το υπέρ υμών διδόμενον, dit saint Luc , car ce τo, le , re
présente à l'esprit le corps, côla, d'une manière confuse ; ainsi
il a la fonction de pronom .
Et la seule différence qu'il y a entre l'article employé à cet
usage et le pronom relatif, est que, quoique l'article tienne la
place du nom , il joint pourtant l'attribut qui le suit au nom qui
précède dans une même proposition ; mais le relatif fait, avec
l'attribut suivant, une proposition à part, quoique jointe à la pre
mière, 8 ottat, quod datur, c'est-à - dire, quod est datum .
On peut juger par cet usage de l'article, qu'il y a peu de soli
dité dans la remarque qui a été faite depuis peu par un minis
tre ' sur la manière dont on doit traduire ces paroles de l'Évan
gile de saint Luc, que nous venons de rapporter, parce que, dans le
texte grec, il y a non un pronom relatif, mais un article : C'est mon
corps donné pour vous, et non qui est donné pour vous, tÒ ÚTÈO
υμών διδόμενον, et non , 8 υπήρ υμών διδόται ; il pretend que c'est une
nécessité absolue, pour exprimer la force de cet article , de tra
duire ainsi ce texte : Ceci est mon corps ; mon corps donné pour
vous , ou , le corps donné pour vous ; et que ce n'est pas bien tra
duire que d'exprimer ce passage en ces termes : ceci est mon corps,
qui est donné pour vous.
Mais cette prétention n'est fondée que sur ce que cet auteur n'a
pénétré qu'imparfaitement la vraie nature du pronom relatif et de
l'article ; car il est certain que, comme le pronom relatif qui,
quæ , quod, en tenant la place du nom, ne le représente que d'une
manière confuse, de même l'article 8, 5 , tò, ne représente que con
fusément le nom auquel il se rapporte, de sorte que cette repré
sentation confuse étant proprement destinée à éviter la répétition
distincte du même mot, qui est choquante, c'est en quelque sorte
1. Évangile selon saint Luc, chap. XXII.
2. Jean Claude, le chef avoué du protestantisme en France sous le
règne de Louis XIV, est le plus modéré comme le plus habile des
écrivains de son parti .
DEUXIÈME PARTIE . 113

détruire la fin de l'article que de le traduire par une répétition


expresse d'un même mot : Ceci est mon corps, mon corps donné
pour vous, l'article n'étant mis que pour éviter cette répétition ;
au lieu qu'en traduisant par le pronom relatif : Ceci est mon corps,
qui est donné pour vous, on garde cette condition essentielle de
l'article, qui est de ne représenter le nom que d'une manière con
fuse, et de ne pas frapper l'esprit deux fois par la même image ;
et l'on manque seulement à en observer une autre, qui pourrait
paraitre moins essentielle, qui est que l'article tient de telle sorte
la place du nom, que l'adjectif que l'on y joint ne fait point une
nouvelle proposition , το υπέρ υμών διδόμελον ; au lieu que le relatif
qui, quæ , quod, sépare un peu davantage , et devient sujet d'une
nouvelle proposition, 8 Sep ūv dôótar. Ainsi il est vrai que ni
l'une ni l'autre de ces deux traductions : Ceci est mon corps qui est
donné pour vous ; Ceci est mon corps , mon corps donné pour vous,
n'est entièrement parfaite ; l'une changeant la signification con
fuse de l'article en une signification distincte, contre la nature de
l'article, et l'autre , qui conserve cette signification confuse , sépa
rant en deux propositions, par le pronom relatif, ce qui n'en fait
qu'une par le moyen de l'article . Mais si l'on est obligé par néces
sité à se servir de l’une ou'de l'autre, on n'a pas droit de choisir
la première en condamnant l'autre, comme cet auteur a prétendu
faire par sa remarque .

CHAPITRE II.

Du verbe .

Nous avons emprunté jusqu'ici ce que nous avons dit des noms
et des pronoms, d'un petit livre imprimé il y a quelque temps sous
le titre de Grammaire générale, à l'exception de quelques
points que nous avons expliqués d'une autre manière ; mais en co
qui regarde le verbe, dont il craite dans le chapitre XIII, je ne
8
114 LOGIQUE .

ferai que transcrire ce que cet auteur en dit, parce qu'il m'a
semblé que l'on n'y pouvait rien ajouter.
Les hommes, dit-il , n'ont pas eu moins besoin d'inventer des
mots qui marquassent l'affirmation, qui est la principale manière
de notre pensée, que d’en inventer qui marquassent les objets de
nos pensées.
Et c'est proprement en quoi consiste ce que l'on appelle verbe,
qui n'est rien autre qu'un mot dont le principal usage est de signi
fier l'affirmation , c'est - à -dire de marquer que le discours où ce
mot est employé est le discours d'un homme qui ne conçoit pas
seulement les choses, mais qui en juge et qui les affirme; en quoi
le verbe est distingué de quelques noms qui signifient aussi l'af
firmation, comme affirmans, affirmatio, parce qu'ils ne la signifient
qu'en tant que, par une réflexion d'esprit, elle est devenue l'objet
de notre pensée ; et ainsi ils ne marquent pas que celui qui se sert
de ces mots irme, mais seulement qu'il conçoit une affirmation .
J'ai dit que le principal usage du verbe était de signifier l'affir
mation , parce que nous ferons voir plus bas que l'on s'en sert
encore pour signifier d'autres mouvements de notre âme, comme
ceux de désirer, de prier, de commander, etc. Mais ce n'est qu'en
changeant d'inflexion et de mode , et ainsi nous ne considérons
le verbe, dans tout ce chapitre, que selon sa principale significa
tion, qui est celle qu'il a à l'indicatif. Selon cette idée, l'on peut
dire que le verbe, de lui-même, ne devrait point avoir d'autre
usage que de marquer la liaison que nous faisons dans notre esprit
des deux termes d'une proposition ; mais il n'y a que le verbe étre,
qu'on appelle substantif, qui soit demeuré dans cette simplicité,
et encore n'y est- il proprement demeuré que dans la troisième
personne du présent, est, et en de certaines rencontres: car,comme
les hommes se portent naturellement à abréger leurs expressions,
ils ont joint presque toujours à l'affirmation d'autres significations
dans le même mot.
I. Ils ont joint celle de quelque attribut, de sorte qu'alors deux
mots font une proposition, comme quand je dis : Petrus vivit,
Pierre vit, parce que le mot de vivit enferme seul l'affirmation ,
et de plus l'attribut d'être vivant ; et ainsi c'est la même chose de
dire Pierre vit, que de dire Pierre est vivant. De là est venue la
DEUXIÈME PARTIE . 115

grande diversité des verbes dans chaque langue ; au lieu que si


l'on s'était contenté de donner au verbe la signification générale
de l'affirmation, sans y joindre aucun attribut particulier, on
n'aurait eu besoin dans chaque langue que d'un seul verbe, qui
est celui que l'on appelle substantif.
II. Ils ont encore joint à de certaines rencontres le sujet de la
proposition ; de sorte qu'alors deux mots peuvent encore, et même
un seul mot, faire une proposition entière : deux mots , comme
quand je dis , sum homo, parce que sum ne signifie pas seulement
l'affirmation , mais enferme la signification du pronom ego, qui est
le sujet de cette proposition , et que l'on exprime toujours en fran
çais : je suis homme; un seul mot, comme quand je dis : vivo,
sedeo ; car ces verbes enferment dans eux-mêmes l'affirmation et
l'attribut, comme nous avons déjà dit, et étant à la première
personne, ils enferment encore le sujet je suis vivant, je suis
assis. De là est venue la différence des personnes qui est ordinai
rement dans tous les verbes.
III. Ils ont encore joint un rapport au temps au regard du
quel on affirme ; de sorte qu'un seul mot, comme cænasti, signi
fie que j'affirme de celui à qui je parle l'action de souper, non
pour le temps présent, mais pour le passé, et de là est venue la
diversité des temps , qui est encore pour l'ordinaire commune à
tous les verbes .
La diversité de ces significations, jointe à un même mot, est
ce qui a empêché beaucoup de personnes, d'ailleurs fort babiles,
de bien connaître la nature du verbe , parce qu'ils ne l'ont pas
considéré selon ce qui lui est essentiel , qui est l'affirmation ,
mais selon ces autres rapports qui lui sont accidentels en tant
que verbe .
Ainsi Aristote, s'étant arrêté à la troisième des significations
ajoutées à celle qui est essentielle au verbe, l'a défini, vox signi
ficans cum tempore ', un mot qui signifie avec teraps.

1. « Le verbe ,dit Aristote (Hermeneia, chap . III) , est le mot qui, outre
sa signification propre, embrasse l'idée de temps, et dont aucune
partie isolée n'a de sens par elle-même; et il est toujours le signe des
choses attribuées à d'autres choses . Je dis qu'il embrasse l'idée de
temps , outre sa signification propre ; par exemple , la santé n'est
116 LOGIQUE.
D'autres, comme Buxtorf ', y ayant ajouté la seconde , l'ont
défini, vos flexilis cum tempore et persona , un mot qui a diverses
inflexions avec temps et personnes.
D'autres, s'étant arrêtés à la première de ces significations
ajoutées, qui est celle de l'attribut, et ayant considéré que les
attributs que les hommes ont joints à l'affirmation dans un même
mot, sont d'ordinaire des actions et des passions, ont cru que
l'essence du verbe consistait à signifier des actions ou des pas
sions .
Et enfin, Jules -César Scaliger a cru trouver un mystère dans
son livre des Principes de la langue latine, en disant que la dis
tinction de choses in permanentes et fluentes, en ce qui demeure
et ce qui passe, était la vraie origine de la distinction entre les
noms et les verbes, les noms étant pour signifier ce qui demeure
et les verbes ce qui passe .
Mais il est aisé de voir que toutes ces définitions sont fausses
et n'expliquent point la vraie nature du verbe.
La manière dont sont conçues les deux premières le fait assez
voir , puisqu'il n'y est point dit ce que le verbe signifie, mais seu
lement ce avec quoi il signifie cum tempore, cum persona.
Les deux dernières sont encore plus mauvaises ; car elles ont
les deux plus grands vices d'une définition, qui est de ne conve
nir ni à tout le défini ni au seul défini, neque omni , neque soli.
Car il y a des verbes qui ne signifient ni des actions, ni des
passions, ni ce qui passe , comme existit, quiescit, friget, alget,
tepet, calet, albet, viret, claret, etc.
Et il y a des mots qui ne sont point verbes qui signifient des
actions et des passions, et même des choses qui passent, selon la
définition de Scaliger ; car il est certain que les participes sont
de vrais noms, et que néanmoins ceux des verbes actifs ne si
qu'un nom : il se porte bien, est un verbe ; car il exprime en outre
que la chose est dans le moment actuel. De plus, il est toujours le
signe de choses attribuées à d'autres choses ; par exemple , de choses
dites d'un sujet ou qui sont dans un sujet. »
1. Buxtorf, un des plus célèbres grammairiens du seizième siècle.
Il était né en Westphalie en 1564, et mourut à Bâle, sa patrie d'a
doption, en 1629. On lui doit plusieurs ouvrages sur la langue hé.
braïque et la littérature des rabbins,
DEUXIÈME PARTIE. 117

gnifient pas moins des actions , et ceux des passifs des passions,
que les verbes mêmes dont ils viennent ; et il n'y a aucune raison
de prétendre que fluens ne signifie pas une chose qui passe, aussi
bien que fluit.
A quoi on peut ajouter, contre les deux premières définitions
du verbe , que les participes signifient aussi avec temps, puisqu'il
y en a du présent , du passé et du futur, surtout en grec ; et ceux
qui croient, non sans raison , qu'un vocatif est une vraie seconde
personne , surtout quand il a une terminaison différente du nomi
natif, trouveront qu'il n'y aurait de ce côté-là qu'une différence
du plus ou du moins entre le vocatif et le verbe.
Et ainsi la raison essentielle pourquoi un participe n'est point
un verbe, c'est qu'il ne signifie point l'affirmation ; d'où vient
qu'il ne peut faire une proposition , ce qui est le propre du verbe,
qu'en y ajoutant un verbe, c'est-à-dire en y remettant ce qu'on
en a ôté en changeant le verbe en participe . Car pourquoi est-ce
que Petrus vivit, Pierre vit, est une proposition , et que Petrus
vivens, Pierre vivant, n'en est pas une, si vous n'y ajoutez est,
Petrus est vivens, Pierre est vivant , sinon parce que l'affirmation
qui est enfermée dans vivit en a été ôtée pour en faire le parti
cipe vivens ? D'où il paraît que l'affirmation qui se trouve, ou qui
ne se trouve pas dans un mot , est ce qui fait qu'il est verbe ou
qu'il n'est pas verbe.
Surquoi on peut encore remarquer, en passant , que l'infinitif,
qui est très-souvent nom , ainsi que nous dirons, comme lorsqu'on
dit le boire, le manger, est alors différent des participes, en ce
que les participes sont des noms adjectifs, et que l'infinitif est
un nom substantif fait par abstraction de cet adjectif, de même
que de candidus se fait candor, et de blanc vient blancheur.
Ainsi rubet, verbe, signifie est rouge, enfermant tout ensemble
l'affirmation et l'attribul; rubens , participe, signifie simplement
rouge sans affirmation ; et rubere, pris pour un nom , signifie
tougeur.
Il doit donc demeurer pour constant qu'à ne considérer simple
ment que ce qui est essentiel au verbe , sa seule vraie définition
est, vox significans affirmationem , un mot qui signifie l'affirma
tion ; car on ne saurait trouver de mot qui marque l'affirmation
118 LOGIQUE.
qui ne soit verbe, ni de verbe qui ne serve à la marquer au
moins dans l'indicatif. Et il est indubitable que, si l'on en avait
inventé un , comme serait est, qui marquât toujours l'affirmation ,
sans aucune différence ni de personne ni de temps, de sorte que
la diversité des personnes se marquåt seulement par les noms et
les pronons, et la diversité des temps par les adverbes, il ne lais
serait pas d'être un vrai verbe. Comme en effet dans les propo
sitions que les philosophes appellent d'éternelle vérité, comme
Dieu est infini; tout corps est divisible ; le tout est plus grand que
sa partie, le mot est ne signifie que l'affirmation simple, sans
aucun rapport au temps , parce que cela est vrai selon tous les
temps, et sans que notre esprit s'arrête à aucune diversité de
personnes .
Ainsi le verbe, selon ce qui lui est essentiel, est un mot qui
signifie l'affirrnation ; mais si l'on veut mettre dans la définition
du verbe ses principaux accidents, on pourra le définir ainsi :
Voc significans affirmationem , cum designatione persona , numeri
et temporis ; un mot qui signifie l'affirmation, avec désignation de
la personne, du nombre et du temps. Ce qui convient proprement
au verbe substantif.
Car pour les autres verbes, en tant qu'ils diffèrent du verbe
substantif par l'union que les hommes ont faite de l'affirmation
avec de certains attributs, on peut les définir de cette sorte : Vox
significans affirmationem alicujus attributi , cum designatione
personæ , numeri et temporis ; « un mot qui marque l'affirmation
de quelque attribut, avec désignation de la personne, du nombre
et du temps . »
Et l'on peut remarquer, en passant, que l'affirmation, en tant
que conçue , pouvant être aussi l'attribut du verbe , comme dans
le verbe affirmo, ce verbe signifie deux affirmations, dont l'une
regarde la personne qui parle, et l'autre la personne de qui on
parle, soit que ce soit de soi-même, soit que ce soit d'un autre.
Car quand je dis Petrus affirmat, affirmat est la même chose que
est affirmans, et alors est marque mon affirmation ou lejugement
que je fais touchant Pierre ; et affirmans, l'affirmation que je
conçois et que j'attribue à Pierre. Le verbe nego, au contraire,
contient une affirmation et une négation par la même raison .
DEUXIÈME PARTIE 449

Car il faut encore remarquer que, quoique tous nos jugements


ne soient pas affirmatifs, mais qu'il y en ait de négatifs, les verbes
néanmoins ne signifient jamais d'eux-mêmes que des affirma
tions, la négation ne se marquant que par des particules , non ,
ne, ou par des noms qui l'enferment, nullus, nemo, nul, personne
qui, étant joints aux verbes, changent l'affirmation en négation,
nul homme n'est immortel, nullum corpus est indivisibile.

CHAPITRE III.

Ce que c'est qu'une proposition , et des quatre sortes


de propositions.

Après avoir conçu les choses par nos idées, nous comparóns
ces idées ensemble ; et trouvant que les unes conviennent entre
elles , et que les autres ne conviennent pas, nous les lions ou dé
lions, ce qui s'appelle affirmer ou nier, et généralement juger .
Ce jugement s'appelle aussi proposition, et il est aisé de voir
qu'elle doit avoir deux termes : l'un de qui l'on affirme ou de qui
l'on nie, lequel l'on appelle sujet; et l'autre que l'on affirme ou
que l'on nie, lequel s'appelle attribut ou prædicatum .
Et il ne suffit pas de concevoir ces deux termes ; mais il faut
que l'esprit les lie ou les sépare ; et cette action de notre esprit
est marquée dans le discours par le verbe est, ou seul quand nous
affirmons, ou avec une particule négative quand nous nions. Ainsi
quand je dis Dieu est juste, Dieu est le sujet de cette proposition ,
et juste en est l'attribut ; et le mot est marque l'action de mon
esprit qui affirme, c'est-à -dire qui lie ensemble les deux idées de
Dieu et de juste comme convenant l'un à l'autre . Que si je dis
Dieu n'est pas injuste, est, étant joint avec les particules ne, pas,
signifie l'action contraire à celle d'affirmer, savoir : celle de nier,
par laquelle je regarde ces idées comme répugnantes l'une à
l'autre, parce qu'il y a quelque chcse d'enfermé dans l'idée
120 LOGIQUE .
d'injuste qui est contraire à ce qui est enfermé dans l'idée de
Dieu ?.
Mais, quoique toute proposition enferme nécessairement ces
trois choses, néanmoins, comme l'on a dit dans le chapitre pré
cédent, elle peut n'avoir que deux mots ou même qu'un .
Car les hommes, voulant abréger leurs discours, ont fait une
infinité de mots, qui signifient tout ensemble l'affirmation, c'est
à-dire ce qui est signifié par le verbe substantif, et de plus un
certain attribut qui est affirmé. Tels sont tous les verbes, hors
celui qu'on appelle substantif, comme Dieu esiste, c'est-à-dire
est existant; Dieu aime les hommes , c'est -à-dire Dieu est aimant
les hommes : et le verbe substantif, quand il est seul , comme
quand je dis je pense , donc je suis, cesse d'être purement sub
stantif, parce qu'alors on y joint le plus général des attributs, qui
est l'étre ; car je suis veut dire, je suis un étre, je suis quelque chose.
Il y a aussi d'autres rencontres où le sujet et l'affirmation sont
renfermés dans un même mot, comme dans les premières et se
condes personnes des verbes, surtout en latin ; comme quand je
dis : Sum christianus; car le sujet de cette proposition est ego,
qui est renfermé dans sum.

1. Le jugement consiste dans l'affirmation d'une idée . La proposi


tion qui est le jugement exprimé ne suppose donc que deux termes ,
l'un qui désigne l'idée, l'autre qui désigne l'affirmation . Le premier
est le sujet, le second est le verbe est. Si la plupart des propositions ren
ferment un troisième terme, l'attribut, c'est qu'en général l'esprit ne
juge pas seulement de l'existence des choses, mais encore de leur ma
nière d'être . Arnauld part de l'hypothèse que tout jugement est une
perception de rapport; mais cette théorie, pour avoir été ancienne
ment admise, n'en est pas plus fondée. Elle suppose en effet que
l'esprit qui juge est toujours en possession de deux idées qu'il com
pare entre elles, et dont il découvre le rapport à la suite de cette com
paraison. Or, il n'en est pas toujours ainsi. Soit par exemple le juge
ment le plus simple de tous : J'existe, je le porte spontanément, dès
la première sensation que j'éprouve, dès la première opération qui a
lieu dans mon âme , sans que j'aie eu au préalable l'idée du moi et celle
d'existence. Il y a plus ; je n'aurais jamais formé la notion abstraite
d'existence si je n'avais connu d'abord mon existence personnelle ;
l'abstraction suppose ici , comme partout , un jugement particulier
qu'elle décompose et dont elle tire les notions qui sont plus tard la
matière des jugements comparatifs.
DEUXIÈME PARTIE . 121

D'où il paraft que dans cette même langue , un seul mot fait
une proposition dans les premières et les secondes personnes
des verbes, qui, par leur nature, renferment déjà l'affirmatio
avec l'attribut ; comme veni, vidi, vici, sont trois propositions.
On voit par là que toute proposition est affirmative ou néga
tive, et que c'est ce qui est marqué par le verbe, qui est affirmé
ou nié .
Mais il y a une autre différence dans les propositions, laquelle
naît de leur sujet, qui est d'être universelles, ou particulières , ou
singulières .
Car les termes, comme nous avons déjà dit dans la première
partie, sont ou singuliers, ou commums'et universels.
Et les termes universels peuvent être pris, ou selon toute leur
étendue en les joignant aux signes universels exprimés ou sous
entendus, comme omnis, tout, pour l'affirmation ; nullus, nul,
pour la négation : tout homme, nul homme.
Ou selon une partie indéterminée de leur ét ndue, qui est
lorsqu'on y joint le mot aliquis, quelque, comme quelque homme,
quelques hommes, ou d'autres selon l'usage des langues.
D'où il arrive une différence notable dans les propositions :
car, lorsque le sujet d'une proposition est un terme commun qui
est pris dans toute son étendue, la proposition s'appelle uni
verselle, soit qu'elle soit affirmative, comme : Tout impie est fou ,
ou négative, comme : Nul vicieux n'est heureux.
t lorsque le terme commun n'est pris que selon une partie
indéterminée de son étendue, à cause qu'il est réservé par le
mot indéterminé quelque, la proposition s'appelle particulière,
soit qu'elle affirme, comme : Quelque cruel est lâche ; soit qu'elle
nie , comme : Quelque pauvre n'est pas malheureux .
Que si le sujet d'une proposition est singulier, comme quand
je dis : Louis XIII a pris la Rochelle, on l'appelle singulière.
Mais, quoique cette proposition singulière soit différente de
l'universelle en ce que son sujet n'est pas commun , elle doit
néanmoins plutôt s'y rapporter qu'à la particulière, parce que
son sujet, par cela même qu'il est singulier, est nécessairement
pris dans toute son étendue ; ce qui fait l'essence d'une propo
sition universelle, et qui la distingue de la particulière ; car il
122 LOGIQUE.
importe peu pour l'universalité d'une proposition, que l'étendue
de son sujet soit grando ou petite, pourvu que, telle qu'elle soit,
on la prenne tout entière ; et c'est pourquoi les propositions sill
gulières tiennent lieu d'universelles dans l'argumentation. Ainsi
l'on peut réduire loutes les propositions à quatre sortes, que l'on
a marquées par ces quatre voyelles A , E, I, O, pour soulager la
mémoire .

A. L'universelle affirmative, comme : Tout vicieux est esclave.


E. L'universelle négative, comme : Nul vicieux n'est heureux.
1. La particulière affirmative, comme : Quelque vicieux est riche.
0. La particulière négative, comme : Quelque vicieux n'est pas
riche.

Et pour les faire mieux retenir, on a fait ces deux vers :

Asserit A , negat E , verum generaliter ambo ;


Asserit I, negat 0, sed particulariter ambo.
On a aussi accoutumé d'appeler quantité, l'universalité ou la
particularité des propositions.
Et on appelle qualité, l'affirmation ou la négation qui dépen
dent du verbe qui est regardé comme la forme de la propo
sition .
Et ainsi A et E conviennent selon la quantité et diffèrent selon
la qualité, et de même I et 0.
Mais A et I conviennent selon la qualité, et diffèrent selon la
quantité, et de même E et O ' .
Les propositions se divisent encore, selon la matière, en vraies
et en fausses; et il est clair qu'il n'y en peut point avoir qui ne
soient ni vraies ni fausses, puisque toute proposition marquant
le jugement que nous faisons des choses, elle est vraie quand ce
jugement est conforme à la vérité, et fausse lorsqu'il n'y est pas
conforme.
Mais, parce que nous manquons souvent de lumière pour re

1. Cette division des propositions est empruntée à Aristote. Herme


neia, chap. vii et sq.
DEUXIÈME PARTIE . 123

connaitre le vrai et le faux, outre les propositions qui nous pa


raissent certainement vraies, et celles qui nous paraissent cer
tainement fausses, il y en a qui nous semblent vraies , mais dont
la vérité ne nous est pas si évidente que nous n'ayons quelque
appréhension qu'elles ne soient fausses, ou bien qui nous sem
blent fausses, mais de la fausseté desquelles nous ne nous tenons
pas assurés. Ce sont les propositions qu'on appelle probables,
dont les preinières sont plus probables, et les dernières moins
probables. Nous dirons quelque chose dans la quatrième partie
de ce qui nous fait juger avec certitude qu'une proposition est
vraie .

CHAPITRE IV .

De l'opposition entre les propositions qui ont même sujet


et même attribut .

Nous venons de dire qu'il y a quatre sortes de propositions,


A , E, I, O. On demande maintenant quelle convenance ou dis
convenance elles ont ensemble, lorsqu'on fait du même sujet et
du même attribut diverses sortes de propositions. C'est ce qu'on
appelle opposition .
Et il est aisé de voir que cette opposition ne peut être que de
trois sortes, quoique l'une des trois se divise en deux autres.
Car, si elles sont opposées en quantité et en qualité tout en
semble, comme A , O et E , I , on les appelle contradictoires,
comme : Tout homme est animal, quelque homme n'est pas animal;
nul n'est impeccable, quelque homme est impeccable.
Si elles diffèrent en quantité seulement, et qu'elles convien
nent en qualité, comme A , I et E, 0, on les appelle subalternes,
comme : Tout homme est animal, quelque homme est animal ; nul
homme n'est impeccable, quelque homme n'est pas impeccable.
Et si elles diffèrent en qualité et qu'elles conviennent en
quantité, alors elles sont appelées contraires, ou subcontraires;
124 LOGIQUE .
contraires, quand elles sont universelles, comme : Tout homme est
animal, nul homme n'est animal.
Subcontraires, quand elles sont particulières , comme, quelque
homme est animal, quelque homme n'est pas animal.
En regardant maintenant ces propositions opposées selon la
vérité ou la fausseté, il est aisé de juger :
1° Que les contradictoires ne sont jamais ni vraies, ni fausses
ensemble ; mais si l'une est vraie, l'autre est fausse ; et si l'une
est fausse, l'autre est vraie : car s'il est vrai que tout homme soit
animal , il ne peut pas être vrai que quelque homme n'est pas
animal ; et si, au contraire, il est vrai que quelque homme n'est
pas animal , il n'est donc pas vrai que tout homme soit animal.
Cela est si clair, qu'on ne pourrait que l'obscurcir en l'expliquant
davantage .
20 Les contraires ne peuvent jamais être vraies ensemble ;
mais elles peuvent être toutes deux fausses. Elles ne peuvent
être vraies, parce que les contradictoires seraient vraies ; car s'il
est vrai que tout homme soit animal, il est faux que quelque
homme n'est pas animal, qui est la contradictoire, et par consé
quent encore plus faux que nul homme ne soit animal, qui est la
contraire.
Mais la fausseté de l'une n'emporte pas la vérité de l'autre ;
car il peut être faux que tous les hommes soient justes , sans
qu'il soit vrai pour cela que nul homme ne soit juste, puisqu'il
peut y avoir des hommes justes, quoique tous ne soient pas
justes.
3° Les subcontraires, par une règle tout opposée à celle des
contraires, peuvent être vraies ensemble, comme ces deux - ci,
quelque homme est juste, quelque homme n'est pas juste, parce que
la justice peut convenir à une partie des hommes, et ne pas con
venir à l'autre ; et ainsi l'affirmation et la négation ne regardent
pas le même sujet, puisque quelque homme est pris pour une
partie des hommes dans l'une des propositions, et pour une autre
partie dans l'autre. Mais elles ne peuvent être toutes deux fausses;
puisque autrement les contradictoires seraient toutes deux
fausses, car s'il était faux que quelque homme fût juste, il serait
donc vrai que nul homme n'est juste, qui est la contradictoire, et
DEUXIÈME PARTIE . 125

à plus forte raison que quelque homme n'est pas juste, qui est la
subcontraire.
40 Pour les subalternes, ce n'est pas une véritable opposition,
puisque la particulière est une suite de la générale ; car, si tout
homme est animal , quelque homme est animal ; nul homme
n'est singe, quelque homme n'est pas singe . C'est pourquoi la
vérité des universelles emporte celle des particulières ; mais la
vérité des particulières n'emporte pas celle des universelles ; car
il ne s'ensuit pas que, parce qu'il est vrai que quelque homme
est juste , il soit vrai aussi que tout homme est juste ; et, au con
traire, la fausseté des particulières emporte la fausselé des uni
verselles : car s'il est faux que quelque homme soit impeccable ,
il est encore plus faux que tout homme soit impeccable . Mais la
fausseté des universelles n'emporte pas la fausseté des particu
lières ; car, quoiqu'il soit faux que tout homme soit juste, il ne
s'ensuit pas que ce soit une fausseté de dire que quelque homme
est juste. D'où il s'ensuit qu'il y a plusieurs rencontres où ces
propositions subalternes sont toutes deux yraies, et d'autres où
elles sont toutes deux fausses .
Je ne dis rien de la réduction des propositions opposées en un
même sens, parce que cela est tout à fait inutile, et que les règles
qu'on en donne ne sont la plupart vraies qu'en latin.

CHAPITRE V.

Des propositions simples et composées. Qu'il y en a de simples qui


paraissent composées et qui ne le sont pas, et qu'on peut appeler
complexes. De celles qui sont complexes par le sujet ou par l'attribut.

Nous avons dit que toute proposition doit avoir au moins un


sujet et un attribut; mais il ne s'ensuit pas de là qu'elle ne puisse
avoir plus d'un sujet et plus d'un attribut. Celles donc qui n'ont
qu'un sujet et qu'un attribut s'appellent simples, et celles qui
126 LOGIQUE
ont plus d'un sujet ou plus d'un attribut s'appellent composées,
comme quand je dis : Les biens et les maux , la vie et la mort,
la pauvreté et les richesses viennent du Seigneur ; cet attribut
venir du Seigneur, est affirmé, non d'un seul sujet, mais de plu
sieurs, savoir : des biens et des maux, etc.
Mais, avant que d'expliquer ces propositions composées, il faut
remarquer qu'il y en a qui le paraissent, et qui sont néanmoins
simples : car la simplicité d'une proposition se prend de l'unité
du sujet et de l'attribut. Or, il y a plusieurs propositions qui
n'ont proprement qu'un sujet et qu’un attribut ; mais dont le su
jet et l'attribut est un terme complexe , qui enferme d'autres
propositions qu'on peut appeler des incidentes, qui ne font que
partie du sujet ou de l'attribut, y étant jointes par le pronon rela
tif qui, lequel, dont le propre est de joindre ensemble plusieurs
propositions, en sorte qu'elles n'en composent toutes qu'une
seule .
Ainsi, quand JÉSUS -CHRIST dit : Celui qui fera la volonté de
mon Père, qui est dans le ciel, entrera dans le royaume des cieux,
le sujet de cette proposition contient deux propositions, puisqu'il
comprend deux verbes : mais comme ils sont joints par des qui,
ils ne font partie que du sujet : au lieu que quand je dis : les
biens et les maux viennent du Seigneur, il y a proprement deux
sujets, parce que j'affirme également de l'un et de l'autre qu'ils
viennent de Dieu .
Et la raison de cela est que les propositions jointes à d'autres
par des qui, ou ne sont des propositions que fort imparfaitement,
selon ce qui sera dit plus bas , ou ne sont pas tant considérées
comme des propositions que l'on fasse alors, que comme des pro
positions qui ont été faites auparavant, et qu'alors on ne fait
plus que concevoir, comme si c'étaient de simples idées. D'où
vient qu'il est indifférent d'énoncer ces propositions incidentes
par des noms adjectifs ou par des participes sans verbes et sans
qui, ou avec des verbes et des qui ; car c'est la même chose de
dire : Dieu invisible a créé le monde visible, ou Dieu qui est invi
sible, a créé le monde qui est visible. Alexandre, le plus généreux
de tous les rois, a vaincu Darius, ou Alexandre, qui a été le plus
généreux de tous les rois a vaincu Darius ; et dans l'un et dans
DEUXIÈME PARTIE . 127

l'autre, mon but principal n'est pas d'affirmer que Dieu soit in
visible, ou qu'Alexandre ait été le plus généreux de tous les rais ;
mais supposant l'un et l'autre comme affirmé auparavant, j af
firme de Dieu conçu comme invisible, qu'il a créé le monde
visible, et d'Alexandre conçu comme le plus généreux de tous
es rois, qu'il a vaincu Darius.
Mais si je disais : Alexandre a été le plus généreux de tous les
rois et le vainqueur de Darius, il est visible que j'affirmerais éga
lement d'Alexandre, et qu'il aurait été le plus généreux de tous
les rois, et qu'il aurait été le vainqueur de Darius. Et ainsi c'est
avec raison qu'on appelle ces dernières sortes de propositions
des propositions composées, au lieu qu'on peut appelerles autres
des propositions complexes.
Il faut encore remarquer que ces propositions complexes peu
vent être de deux sortes : car la complexion , pour parler ainsi,
peut tomber ou sur la matière de la proposition , c'est-à-dire sur
le sujet ou sur l'attribut, ou sur tous les deux , ou bien sur la
forme seulement.
1° La complexion tombe sur le sujet, quand le sujet est un
terme complexe, comme dans cette proposition : Tout homme
qui ne craint rien est roi : Rex est qui metuit nihil....
Beatus ille qui procul negotiis,
Ut prisca gens mortalium ,
Paterna rura bobus exercet suis,
Solutus omni fenore '.

Car le verbe est est sous-entendu dans cette dernière propo


sition , et beatus en est l'attribut, et tout le reste le sujet.
2. La complexion tombe sur l'attribut, lorsque l'attribut est un
lerme complexe, comme : La piété est un bien qui rend l'homme
heureux dans les plus grandes adversités.
Sum pius Æneas fama super æthera notus '. '

Mais il faut particulièrement remarquer ici que toutes les pro

1. Horace, Épodes, 2.
2. Énéide, 1 , v. 382
128 LOGIQUE.
positions composées de verbes actifs et de leur régime peuvent
être appelées complexes, et qu'elles contiennent en quelque ma
nière deux propositions. Si je dis, par exemple : « Brutus a tué un
tyran , v cela veut dire que Brutus a tué quelqu'un, et que celui
qu'il a tué était tyran . D'où vient que cette proposition peut être
contredite en deux manières, ou en disant : « Brutus n'a tué per
conne, » ou en disant que celui qu'il a tué n'était pas tyran ..Cequ'il
est très- important de remarquer, parce que lorsque ces sortes
de propositions entrent en des arguments , quelquefois on n'en
prouve qu'une partie en supposant l'autre : ce qui oblige sou
vent, pour réduire ces arguments dans la forme la plus naturelle,
de changer l'actif en passif, afin que la partie qui est prouvée
soit exprimée directement, comme nous remarquerons plus au
long quand nous traiterons des arguments composés de ces pro
positions complexes.
3° Quelquefois la complexion tombe sur le sujet et sur l'attri
but ; l'un et l'autre étant un terme complexe , comme dans cette
proposition : Les grands qui oppriment les pauvres seront punis
de Dieu , qui est le protecteur des opprimés.

Ille ego qui quondam gracili modulatus avena


Carmen , et egressus silvis vicina coegi,
Ut quamvis avido , parerent arva colono,
Gratum opus agricolis : at nunc horrentia Martis
Arma virumque cano , Trojæ quiprimus ab oris
Italiam , fato profugus, Lavinaque venit
Littora '.

Les trois premiers vers et la moitié du quatrième composent


le sujet de cette proposition ; le reste en compose l'attribut, et
l'affirmation est enfermée dans le verbe cano .
Voilà les trois manières selon lesquelles les propositions peu
vent être complexes quant à leur matière , c'est-à-dire quant a
leur sujet et à leur attribut.

1. Énéide, 1, 8. 1 et sq.
DEUXIÈME PARTIE . 129

CHAPITRE VI.

De la nature des propositions incidentes, qui font partie


des propositions complexes.

Mais, avant que de parler des propositions dont la complexion


tombe sur la forme, c'est - à -dire sur l'affirmation ou la négation,
il y a plusieurs remarques importantes à faire sur la nature des
propositions incidentes, qui font partie du sujet ou de l'attribut
de celles qui sont complexes selon la matière .
10 On a déjà vu que ces propositions incidentes sont celles
dont le sujet est relatif qui : comme, les hommes qui sont créés
pour connaitre et pour aimer Dieu , ou les hommes qui sont pieux :
ôtant le terme d'hommes, le reste est une proposition incidente .
Mais il faut se souvenir de ce qui a été dit dans le chapitre vill
de la première partie, que les additions des termes complexes
sont de deux sortes : les unes qu'on peut appeler de simples
explications, qui est lorsque l'addition ne change rien dans l'idée
du terme, parce que ce qu'on y ajoute lui convient généralement
et dans toute son étendue, comme dans le premier exemple, les
hommes, qui sont créés pour connaître et pour aimer Dieu .
Les autres qui peuvent s'appeler des déterminations, parce
que ce qu'on ajoute à un terme ne convenant pas à ce terme
dans toute son étendue, en restreint et en détermine la signifi
cation , comme dans le second exemple : les hommes qui sont
pieuc . Suivant cela, on peut dire qu'il y a un qui explicatif et
un qui déterminatif.
Or, quand le qui est explicatif, l'attribut de la proposition in
cidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte, quoique
ce ne soit qu'incidemment au regard de la proposition totale , de
sorte qu'on peut substituer le sujet même au qui, comme on peut
voir dans le premier exemple : les hommes, qui ont été créés pour
9
130 LOGIQUE.
connaître et pour aimer Dieu ; car on peut dire : les hommes ont
été créés pour connaitre et pour aimer Dieu .
Mais quand le qui est déterminatif, l'attribut de la proposition
incidente n'est point proprement affirmé du sujet auquel le qui
se rapporte ; car si , après avoir dit les hommes qui sont pieuw
sont charitables, on voulait substituer le mot d'hommes au qui en
disant les hommes sont pieux, la proposition serait fausse, parce
que ce serait affirmer le mot pieux des hommes comme hommes,
mais en disant, les hommes qui sont pieux sont charitables, on
n'affirme ni des hommes en général ni d'aucun homme en par
ticulier, qu'ils sont pieux ; mais l'esprit, joignant ensemble l'idée
de pieux avec celle d'hommes, et en faisant une idée totale , juge
que l'attribut de charitable convient à cette idée totale, et ainsi
tout le jugement qui est exprimé dans la proposition incidente
est seulement celui par lequel notre esprit juge que l'idée de
pieux n'est pas incompatible avec celle d'homme, et qu'ainsi il
peut les considérer comme jointes ensemble, et examiner ensuite
ce qui leur convient selon cette union .
2° Il y a souvent des termes qui sont: doublement et triple
ment complexes, étant composés de plusieurs parties dont cha
cune à part est complexe ; et ainsi il pent s'y rencontrer diverses
propositionsincidentes et de diverse espèce, le qui de l'une étant
déterminatif, et le qui de l'autre explicatif. C'est ce qu'on verra
mieux par cet exemple : La doctrine qui met le souverain bien
dans la volupté du corps, laquelle a été enseignée par Épicure ,
est indigne d'un philosophe . Cette proposition a pour attribut,
indigne d'un philosophe, et tout le reste pour sujet; ainsi ce sujet
est un terme complexe qui enfermedeux propositions incidentes :
la première est, qui met le sowengin bien dans la volupté du
1. Epicure n'a point placé le souverain , bien dans la volupté. du
corps , mais dans les jouissances de l'esprit (Diogène Laērce , X , 136 ;
Cicéron de Finibus , I et II) . Après tout, comme nous l'avons dit ail
leurs, la doctrine l'Epicure, malgré ses raffinements, n'est toujours
que l'égoïsme, c'est-à -dire un système également tlétri par la nature
et par la raison, où l'on échange des voluptés pour des voluptés, des
tristesses pour des tristesses , des craintes pour des craintes , où la
morale devient un calcul, la vertu une transaction , où il n'y a plus
d'héroïsme parce qu'il n'y a plus de désintéressement..
DEUXIÈME PARTIE . 131

corps ; le qui, dans cette proposition incidente, est déterminatif,


car il détermine le mot de doctrine qui est général , à celle qui
affirmeque le souverain bien de l'hommeest dans la volupté du
corps,, d'où vient qu'on ne pourrait, sans absurdité, substituer
au qui le mot de doctrine, en disant : la doctrine met le souverain
bien dans la volupté du corps. La seconde proposition incidente
est qui a été enseignée par Épicure, et le sujet auquel ce qui se
rapporte est tout le terme complexe : la doctrine qui met le souve
rain bien dans la volupté du corps, qui marque une doctrine sin
gulière et individuelle, capable de divers accidents, comme d'être
soutenuepar diverses personnes, quoiqu'elle soit déterminée en
elle-même à être toujours prise de la même sorte, au moins
dans ce point précis, selon lequel on l'entend ; et c'est pourquoi
lequi de la seconde proposition incidente, qui a été enseignée par
Épicure, n'est point déterminatif, mais seulement explicatif; d'où
vient qu'on peut substituer le sujet auquel ce qui se rapporte en
la place du qui , en disant : la doctrine qui met le souverain bien
dans la volupté du corps, a été enseignée par Épicure.
3º La dernière remarque est que, pour juger de la nature de
ces propositions, et pour savoir si le qui est déterminatif ou ex
plicatif, il faut souvent avoir plus d'égard au sens et à l'intention
de celui qui parle qu'à la seule expression ..
Car il y a souvent des termes complexes qui paraissent incom
plexes, ou qui paraissent moins complexes qu'ils ne le sont en
effet, parce qu'une partie de ce qu'ils enferment dans l'esprit do
celui qui parle est sous-entendue et non exprimée, selon ce qui
a été dit dans le chapitre viii de la première partie, où l'on a fait
voir qu'il n'y avait rien de plus ordinaire dans les discours des
hommes, que de marquer des choses singulières par des noms
communs, parce que les circonstances du discours font assez voir
qu’on joint à cette idée commune qui répond à ce mot une idée
singulière et distincte, qui le détermine à ne signifier qu'une
seule et unique chose,
J'ai dit que cela se reconnaissait d'ordinaire par les circon
stances, comme, dans la bouche des Français, le mot de roi si
gnifie Louis XIV. Mais voici encore une règle qui peut servir à
faire juger quand un terme commun demeure dans son idée gé
132 LOGIQUE .
nérale, ou quand il est déterminé par une idée distincte et parti
culière, quoique non exprimée.
Quand il y a une absurdité manifeste à lier un attribut avec un
sujet demeurant dans son idée générale, on doit croire que celui
qui fait cette proposition n'a pas laissé ce sujet dans son idée
générale. Ainsi, si j'entends dire à un homme : Rex hoc mihi
imperavit; le roi m'a commandé telle chose, je suis assuré qu'il
n'a pas laissé le mot de roi dans son idée générale ; car le roi en
général ne fait point de commandement particulier.
Si un homme m'avait dit : La gazette de Bruxelles, du 14 jan
vier 1662, touchant ce qui se passe à Paris, est fausse, je serais
assuré qu'il aurait quelque chose dans l'esprit de plus que ce qui
serait signifié par ces termes, parce que tout cela n'est point ca
pable de faire juger si cette gazette est vraie ou fausse, et qu’ainsi
il faudrait qu'il eût conçu une nouvelle distincte et particulière ,
laquelle il jugeât contraire à la vérité, comme si cette gazette
avait dit que le roi a fait cent chevaliers de l'ordre du Saint- Esprit.
De même dans les jugements que l'on fait des opinions des phi
losophes, quand on dit que la doctrine d'un tel philosophe est
fausse, sans exprimer distinctement quelle est cette doctrine,
comme, que la doctrine de Lucrèce touchant la nature de notre âme
est fausse, il faut nécessairement que, dans ces sortes de juge
ments, ceux qui les font conçoivent une opinion distincte et par
ticulière sous le mot général de doctrine d'un tel philosophe, parce
que la qualité de fausse ne peut pas convenir à une doctrine
comme étant d'un tel auteur, mais seulement comme étant une
telle opinion en particulier, contraire à la vérité ; et ainsi ces
0

sortes de propositions se résolvent nécessairement en celles-ci :


L'ne telle opinion , qui a été enseignée par un tel auteur, est fausse :
l'opinion que notre âme soit composée d'atomes, qui a été ensei
gnée par Lucrèce, est fausse. De sorte que ces jugements enfer
ment toujours deux affirmations, lors même qu'elles ne sont pas
distinctement exprimées : l'une principale, qui regarde la vérité
en elle-même, qui est que c'est une grande erreur de vouloir que
notre âme soit composée d'atomes ; l'autre incidente , qui ne
regarde qu'un point d'histoire, qui est que cette erreur a éte
enseignée par Lucrèce.
DEUXIÈME PARTIE . 133

CHAPITRE VII. 1

De la fausseté qui peut se trouver dans les termes complexes


et dans les propositions incidentes.

Ce que nous venons de dire peut servir à résoudre une question


célèbre, qui est de savoir si la fausseté ne peut se trouver que
dans les propositions, et s'il n'y en a point dans les idées et dans
les simples termes.
Je parle de la fausseté plutôt que de la vérité, parce qu'il y a
une vérité qui est dans les choses par rapport à l'esprit de Dieu,
soit que les hommes y pensent ou n'y pensent pas ; mais il ne
peut y avoir de fausseté que par rapport à l'esprit de l'homme,
ou à quelque esprit sujet à erreur, qui juge faussement qu'une
chose est ce qu'elle n'est pas.
On demande donc si cette fausseté no se rencontre que dans
les propositions et dans les jugements.
On répond ordinairement que non, ce qui est vrai en un sens ;
mais cela n'empêche pas qu'il n'y ait quelquefois de la fausseté,
non dans les idées simples, mais dans leſ termes complexes,
parce qu'il suffit pour cela qu'il y ait quelque jugement et quel
que affirmation, ou expresse, ou virtuelle.
C'est ce que nous verrons mieux en considérant en particulier
les deux sortes de termes complexes, l'un dont le qui est expli
catif, l'autre dont il est déterminatif.
Dans la première sorte de termes complexes, il ne faut pas
s'étonner s'il peut y avoir de la fausseté; parce que l'attribut de
la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rap
porte. Alexandre, qui est fils de Philippe; j'affirme, quoique inci
demment, le fils de Philippe, d'Alexandre, et par conséquent il
y a en cela de la fausseté, si cela n'est pas.
Mais il faut remarquer deux ou trois choses
134 LOGIQUE.

la fausseté de la proposition incidente n'empêche pas , pour


l'ordinaire, la vérité de la proposition principale. Par exemple,
Alexandre, qui a été fils de Philippe, a vaincu les Perses : cette
proposition doit passer pour vraie quand Alexandre ne serait pas
fils de Philippe, parce que l'affirmation de la proposition princi
pale ne tombe que sur Alexandre, et ce qu'on y a joint incidem
ment, quoique faux, n'empêche point qu'il ne soit vrai qu'Alexan
dre ait vaincu les Perses.
Que si néanmoins l'attribut de la proposition principale avait
rapport à la proposition incidente, comme si je disais : Alexandre,
fils de Philippe, était petit- fils d'Amyntas, ce serait alors seule
ment que la fausseté de la proposition incidente rendrait fausse
la proposition principale.
20 Les titres qui se donnent communément à certainesdignités
peuvent se donner à tous ceux qui possèdent cette dignité, quoi
que ce qui est signifié par ce titre ne leur convienne en aucune
sorte . Ainsi , parce qu'autrefois le titre de saint et de très- saint
se donnait à tous les évêques, on voit que les évêques catho
liques dans la conférence de Carthage, ne faisaient point de
difficulté de donner ce nom aux évêques donatistes, sanctis
simus Petilianus dixit, quoiqu'ils sussent bien qu'il ne pou
vait pas y avoir de véritable sainteté dans un évêque schisma
tique. Nous voyons aussi que saint Paul, dans les Actes, donne
le titre de très - bon ou très -excellent à Festus, gouverneur de
Judée ", parce que c'était le titre qu'on donnait d'ordinaire à ces
gouverneurs.
3° Il n'en est pas de même quand une personne est l'auteur
d'un titre qu'il donne à un autre, et qu'il le lui donne parlant de
lui-même, non selon l'opinion des autres, ou selon l'erreur popu
laire ; car on peut alors lui imputer avec raison la fausseté de ces
propositions. Ainsi , quand un homme dit : Aristote qui est le
prince des philosophes, ou simplement, le prince des philosophes
a cru que l'origine des nerfs était dans le cæur, on n'aurait pas
droit de lui dire que cela est faux, parce qu'Aristote n'est pas le
plus excellent des philosophes; car il suffit qu'il ait suivi en cela
1. Actes des apôtres, chap . XXIV, v. 27 .
DEUXIÈME PARTIE. 135

l'opinion commune , quoique l'ausse. Mais si un homme disait :


Gassendi, qui est le plus habile des philosophes, croit qu'il y a du
vide dans la nature, on aurait sujet de disputer à cet homme la
qualité qu'il voudrait donner à Gassendi,et de le rendre respon
sable de la fausseté qu'on pourrait prétendre se trouver dans
cette proposition incidente. L'on peut donc être accusé de faus.
seté en donnant à la même personne'un titre qui ne lui convient
pas, et n'en être pas accusé en lui en donnant un autre qui
lui convient encore moins dans la vérité. Par exemple : Le pape
Jean XII n'était ni saint, ni chaste, ni pieux ", comme Baro
nius le reconnaft; et cependant ceux qui l'appelaient très - saint ne
pouvaient être repris de mensonge, et ceux qui l’eussent appelé
très-chaste"ou très-pieux eussent été de fort grands menteurs,
quoiqu'ils ne l'eussent fait que par des propositions incidentes,
comme s'ils eussent dit : Jean XII,très -chaste pontife, a ordonné
telle chose .
Voilà pour ce qui est des premières sortes de propositions in
cidentes dont le qui est explicatif; quant aux autres, dont le qui
est déterminatif, comme : Les hommes qui sont pieux , les rois qui
aiment leurs peuples, il est certain que, pour l'ordinaire, elles
ne sont pas susceptibles de fausseté, parce que l'attribut de la
proposition incidente n'y est pas affirmé du sujet auquel le qui se
rapporte.
Car, si l'on dit, par exemple, que les juges qui ne font jamais
rien par prière et par faveur sont dignes de louanges, on ne dit
pas pour cela qu'il y ait aucun juge sur la terre qui soit dans
cette perfection . Néanmoins je crois qu'il y a toujours dans ces
propositions une affirmation tacite et virtuelle, non de la conve
nance actuelle de l'attribut au sujet auquel le qui se rapporte ,
mais de la convenance possible. Et si on se trompe en cela, je
crois qu'on a raison de trouver qu'il y aurait de la fausseté dans
ces propositions incidentes, comme si on disait : Les esprits qui
sont carrés sont plus solides que ceux qui sont ronds, l'idée de
carré et de rond étant incompatible avec l'idée d'esprit pris pour

1. Jean XII, élu pape en 955 à l'âge de 18 ans, déposé par le con
cile de Rome en 963, mort en 964.
136 LOGIQUE .
le principe de la pensée, j'estime que ces propositions incidentes
devraient passer pour fausses.
Et l'on peut même dire que c'est de là que paissent la plupart
de nos erreurs ; car ayant l'idée d'une chose, nous y joignons
souvent une autre idée incompatible , quoique par erreur nous
l'ayons crue compatible , ce qui fait que nous attribuons à cette
même idée ce qui ne peut lui convenir .
Ainsi, trouvant en nous-mêmes deux idées, celle de la substance
qui pense, et celle de la substance étendue, il arrive souvent que
lorsque nous considérons notre ame, qui est la substance qui
pense, nous y melons insensiblement quelque chose de l'idée de
la substance étendue, comme quand nous nous imaginons qu'il
faut que notre âme remplisse un lieu, ainsi que le remplit un
corps, et qu'elle ne serait point, si elle n'était nulle part , qui
sont des choses qui ne conviennent qu'au corps; et c'est de là
qu'est née l'erreur impie de ceux qui croient l'âme mortelle. On
peut voir un excellent discours de saint Augustin sur ce sujer,
dans le livre X de la Trinité , où il montre qu'il n'y a rien de plus
facile à connaître que la nature de notre åme ; mais que ce qui
brouille les hommes est que, voulant la connaitre, ils ne se con
tentent pas de ce qu'ils en connaissent sans peine, qui est que
c'est une substance qui pense, qui veut, qui doute, qui sait ;
mais ils joignent à ce qu'elle est ce qu'elle n'est pas, se la vou
lant imaginer sous quelques-uns de ces fantômes sous lesquels ils
ont accoutume de concevoir les choses corporelles.
Quand d'autre part nous considérons les corps, nous avons
bien de la peine à nous empêcher d'y mêler quelque chose de
l'idée de la substance qui pense ; ce qui nous fait dire des corps
pesants qu'ils veulent aller au centre ; des plantes, qu'elles cher
chent les aliments qui leur sont propres ; des crises d'une mala
die, que c'est la nature qui s'est voulu décharger de ce qui lui
nuisait ; et de mille autres choses, surtout dans nos corps, que la
nature veut faire ceci ou cela , quoique nous soyons bien assurés
que nous ne l'avons pas voulu , n'y ayant pensé en aucune sorte,
el qu'il soit ridicule de s'imaginer qu'il y ait en nous quelque
autre chose que nous-même qui connaisse ce qui nous est propre
ou nuisible, qui cherche l'un et qui fuie l'autre.
DEUXIÈME PARTIE . 137

Je crois que c'est encore à ce mélange d'idées incompatibles


qu'on doit attribuer tous les murmures que les hommes font
contre Dieu ; car il serait impossible de murmurer contre Dieu,
si on le concevait véritablement selon ce qu'il est, tout-puissant,
tout sage et tout bon ; mais les méchants le concevant comme
tout-puissant et comme le maître souverain de tout le monde, lui
attribuent tous les malheurs qui leur arrivent, en quoi ils ont
raison ; et parce qu'en même temps ils le conçoivent cruel et
injuste, ce qui est incompatible avec sa bonté, ils s'emportent
contre lui, comme s'il avait eu tort de leur envoyer les maux
qu'ils souffrent.

CHAPITRE VIII.

Des propositions complexes selon l'affirmation ou la négation , et d'une


espèce de ces sortes de propositions que les philosophes appellent
modales.

Outre les propositions dont le sujet ou l'attribut est un terme


complexe, il y en a d'autres qui sont complexes parce qu'il y a
des termes ou des propositions incidentes qui ne regardent que la
forme de la proposition , c'est- à -dire l'affirmation ou la négation
qui est exprimée par le verbe, comme si je dis : Je soutiens que
la terre est ronde ; je soutiens n'est qu'une proposition incidente
qui doit faire partie de quelque chose dans la proposition princi
pale ; et cependant il est visible qu'elle ne fait partie ni du sujet
ni de l'attribut ; car cela n'y change rien du tout, et ils seraient
conçus entièrement de la même sorte, si je disais simplement : la
terre est ronde, et ainsi cela ne tombe que sur l'affirmation qui
est exprimée en deux manières : l'une à l'ordinaire par le verbe
est : la terre est ronde ; et l'autre plus expressément par le verbe
je soutiens.
C'est de même quand on ditje nie, il est vrai, il n'est pas vrai,
138 LOGIQUE .
ou qu'on ajoute dans une proposition ce qui en appuie la vérité,
comme quand je dis : Les raisons d'astronomie nous convainquent
que le soleil est beaucoup plus grand que la terre ; car cette pre
mière partie n'est que l'appui de l'affirmation .
Néanmoins il est important de remarquer qu'il y a de ces
sartes de propositions qui sont ambiguës et qui peuvent etre
prises différemment, selon le dessein de celui qui les prononce,
comme si je dis : Tous les philosophes nous assurent que les choses
pesantes tombent d'elles-mêmes en bas ; si mon dessein est de
montrer que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en bas, la
première partie de cette proposition ne sera qu'incidente et ne fera
qu'appuyer l'affirmation de la dernière partie ; mais si , au contraire,
je n'ai dessein que de rapporter cette opinion des philosophes,
sans que moi-même je l'approuve , alors la première partie sera
la proposition principale , et la dernière sera seulement une partie
de l'attribut ; car ce que j'affirmerai ne sera pas que les choses
pesantes tombent d'elles -mêmes, mais seulement que tous les
philosophes l'assurent. Et il est aisé de voir que ces deux diffé
rentesmanières de prendre cette même proposition la changent
tellement, que ce sont deux différentes propositions, et qui ont
des sens tout différents. Mais il est souvent aisé de juger par la
suite auquel de ces deux sens on la prend ; car, par exemple, si,
après avoir fait cette proposition , j'ajoutais : or les pierres sont
pesantes ; donc elles tombent en bas d'elles-mêmes, il serait visible
que je l'aurais prise au premier sens, et que la première partie
ne serait qu'incidente ; mais si, au contraire, je concluais ainsi :
or , cela est une erreur ; et par conséquent il peut se faire qu'une
erreur soit enseignée par tous les philosophes, il serait manifeste
que je l'aurais prise dans le second sens, c'est -à -dire que la pre
mière partie serait la proposition principale, et que la seconde
ferait partie seulement de l'attribut.
De ces propositions complexes, où la complexion tombe sur le
verbe et non sur le sujet ni sur l'attribut, les philosophes ont par
ticulièrement remarqué celles qu'ils ont appelées modales, parce
que l'affirmation ou la négation y est modifiée par l'un de ces
quatre modes : possible, contingent, impossible , nécessaire ; et
parce que chaque mode peut être affirmé ou nié, comme : il est
DEUXIÈME PARTIE . 139

impossible, il n'est pas impossible, et en l'une et en l'autre façon


être joint avec une proposition affirmative ou négative , que la
terre est ronde, que la terre n'est pas ronde; chaque mode peut
avoir quatre propositions, et les quatre ensemble seize, qu'ils ont
marquées par ces quatre mots : PURPUREA , ILIACE , AMABIMUS ,
EDENTULI, dont voici tout le mystère. Chaque syllabe marque un
de ces quatre modes.

La 1re, possible;
La 2e, contingent ;
La 3., impossible ;
La 40 , nécessaire.

Et la voyelle qui se trouve dans chaque syllabe, qui est ou A,


ou E, ou I , ou U, marque si le mode doit être affirié ou nié, et si
la proposition qu'ils appellent dictum doit être affirmée ou niée
en cette manière :

A, l'affirmation du mode et l'affirmation de la proposition ;


E, l'affirmation du mode et la négation de la proposition ;
I , la négation du mode et l'affirmation de la proposition ;
U, la négation du mode et la négation de la proposition ;

Ce serait perdre le temps que d'en apporter des exemples qui


sont faciles à trouver . Il faut seulement observer que PURPUREA
répond à l'A des propositions complexes, ILTACE à E , AMABIMUS à
I , EDENTULI å U, et qu’ainsi, si on veut que les exemples soient
vrais, il faut, ayant pris un sujet, prendre pour purpurea un at
tribut qui en puisse etre universellement affirmé; pour iliace,
qui en puisse être universellement nie ; pour amabimus, qui en
puisse être affirmé particulièrement, 'et pour edentuli, qui on
puisse être nié particulièrement.
Mais quelque attribut qu'on prenne, il est toujours vrai que
toutes les quatre propositions d'un même mot n'ont que le même
sens ; de sorte que l'une étant vraie , toutes les autres le sont
aussi.
140 LOGIQUE .

CHAPITRE IX . 7

Des diverses sortes de propositions composées. .

Nous avons déjà dit que les propositions composées sont celles
qui ont ou un double sujet ou un double attribut. Or, il y en a
de deux sortes : les unes où la composition est expressément
marquée, et les autres où elle est plus cachée, et que les logi
ciens, pour cette raison, appellent exponibles, qui ont besoin
d'être exposées ou expliquées.
On peut réduire celles de la première sorte à six espèces : les
copulatives et les disjonctives, les conditionnelles et les cau
sales, les relatives et les discrétives .

DES COPULATIVES .

On appelle copulatives celles qui enferment ou plusieurs sujets


ou plusieurs attributs joints par une conjonction affirmative ou
négative, c'est-à - dire et ou ni; car ni fait la même chose que et
en ces sortes de propositions, puisque ni signifie et avec une
négation qui tombe sur le verbe et non sur l'union des deux
mots qu'il joint, comme si je dis que la science et les richesses ne
rendent pas un homme heureux, j'unis autant la science aux ri
chesses, en assurant de l'une et de l'autre qu'elles ne rendent
pas un homme heureux, que si je disais que la science et les ri
chesses rendent un homme vain.

On peut distinguer de trois sortes de ces propositions :


1° Quand elles ont plusieurs sujets.
Mors et vita in manu linguæ .
La mort et la vie sont en la puissance de la langue.
DEUXIÈME PARTIE. 141

20 Quand elles ont plusieurs attributs.


Auream quisquis mediocritatem
Diligit, tutus caret obsoleti
Sordibus tecti , caret invidenda
Sobrius aula ".

Celui qui aime la médiocrité, qui est si estimable en toutes


choses, n'est logé ni malproprement ni superbement.
Sperat infaustis, metuit secundis
Alteram sortem , bene præparatum
Pectus ?.

Un esprit bien fait espère une bonne fortune dans la mauvaise


et en craint une mauvaise dans la bonne.

3º Quand elles ont plusieurs sujets et attributs.


Non domus et fundus, non æris acervus et auri,
Ægroto domini deduxit corpore febres ,
Non animo curass .

Ni les maisons, ni les terres, ni les plus grands amas d'or et


d'argent ne peuvent ni chasser la fièvre du corps de celui qui
les possède, ni délivrer son esprit d'inquiétude et de chagrin.

La vérité de ces propositions dépend de la vérité de toutes les


deux parties ; ainsi, si je dis : la foi et la bonne vie sont néces
saires au salut, cela est vrai, parce que l'une et l'autre y est
nécessaire ; mais si je disais : la bonne vie et les richesses sont
nécessaires au salut, cette proposition serait fausse, quoique la
bonne vie y soit nécessaire, parce que les richesses n'y sont pas
nécessaires .
Les propositions qui sont considérées comme négatives et con
tradictoires à l'égard des copulatives, et de toutes les autres com
posées, ne sont pas toutes celles où il se rencontre des négations,
mais seulement celles où la négation tombe sur la conjonction ;

1. Horace, Odes, II , 10.


2. Id . , ibid.
3. Horace, Épitres, 1, 2, v. 48.
1

142 LOGIQUE.

ce qui se fait en diverses manières , comine en mettant lo nom à


la tête de la proposition, non enim amas et deseris, dit saint Au
gustin ; c'est- à -dire, il ne faut pas croire que vous aimez une
personne et que vous l'abandonniez.
Car c'est encore en cette manière qu'on rend une proposition
contradictoire à la copulative, en niant expressémentla conjonc
tion ; comme lorsqu'on dit qu'il ne peut pas se faire qu'une chose
soit en même temps cela et cela :
Qu'on ne peut pas être amoureux et sage,
Amare et sapere, vix Deo conceditur .

Que l'amour et la majesté ne s'accordent point ensemble ,


Non bene conveniunt, nec in una sede morantur
Majestas et amor ?

DES DISJONCTIVES .

Les disjonctives sont de grand usage, et ce sont celles où entro


la conjonction disjonctive vel, ou.
L'amitié , ou trouve les amis égaux, ou les rend égaux.
Amicitia pares aut accipit, aut facit 3.
Une femme aime ou hait, il n'y a point de milieu .
Aut amat , aut odit mulier , nihil est tertium “ ,

1. Celui qui vit dans une entière solitude est une bête ou un ange
(dit Aristote)%.
Les hommes ne se remuent que par l'intérêt ou par la crainte.
La terre tourne autour du soleil , ou le soleil autour de la
terre .

1. P. Syrus, Sententi., 20 .
2. Ovide, Métamorph . , II,, 846
3. P. Syrus, Sentent. , 26.
4. P. Syrus, Sentent.
5. « Celui qui reste sauvage par organisation et non par l'effet du
hasard , est certainement ou dégradé, ou supérieur à l'espèce humaine . »
Aristote , Politiqué, 1 , 1 .
DEUXIÈME PARTIE . 143

Toute action faite avec jugement est bonne ou mauvaise.


La vérité de ces propositions dépend de l'opposition nécessaire
des parties, qui ne doivent point souffrir de milieu ; mais, comme
il faut qu'elles n'en puissent souffrir du tout pour être nécessai.
rement vraies,il suffit qu'elles n'en souffrent point ordinairement
pour être considérées comme moralement vraies. C'est pourquoi
il est absolument vrai qu'une action faite avec jugement est bonne
on mauvaise, les théologiens faisant voir qu'il n'y en a point en
particulier qui soit indifférente ; mais quand on dit que les hom
mes de seremuent que par l'intérêt ou par la crainte, cela n'est
pas vrai absolument , puisqu'il y en a quelques- uns qui ne se re
muent ni par l'une ni par l'autre de ces passions, mais par la
considération de leur devoir ; et ainsi, toute la vérité qu'il y peut
être est que ce sont les deux ressorts qui remuent la plupart des
hommes.
Les propositions contradictoires aux disjonctives sont celles où
on nie, la vérité de la disjonction ; ce qu'on fait en latin comme en
toutes les autres propositions composées, en mettant la négation
à la tête : Non omnis actio est bona vel mala ; et en français : Il
n'est pas vrai que toute action soit bonne ou mauvaise ".

DES CONDITIONNELLES .

Les conditionnelles sont celles qui ont deux parties liées par la
condition si, dont la première, qui est celle où est la condition ,
s'appelle l'antécédent , et l'autre le conséquent. Si l'âme est spi
nituelle , c'est l'antécédent ; elle est immortelle , c'est le consé
quent.
Cette conséquence est quelquefoismédiate et quelquefois im .
médiate ; elle n'est que médiate, quand il n'y a rien dans les
termes de l'une et de l'autre partie qui les lie ensemble, comme
si je dis :
Si la terre est immobile, le soleil tourne ;
Si Dieu est juste , les méchants seront punis.
Ces conséquences sont fort bonnes; mais elles ne sont pas im
médiates, parce que les deux parties n'ayant pas de terme com
144 LOGIQUE .
mun , elles ne se lient que par ce qu'on a dans l'esprit, et qui
n'est pas exprimé, que la terre et le soleil se trouvant sans cesse
en des situations différentes l'une à l'égard de l'autre, il faut né
1
cessairement que si l'une est immobile, l'autre se remue.
Quand la conséquence est immédiate, il faut pour l'ordinaire,
1 ° Ou que les deux parties aient un même sujet :
Si la mort est un passage à une vie plus heureuse, elle est dési
rable.
Si vous avez manqué à nourrir les pauvres, vous les avez tués,
Si non pavisti, occidisti.

20 Ou qu'elles aient le même attribut:


Si toutes les épreuves de Dieu nous doivent être chères, les ma
ladies nous le doivent étre.

30 Ou que l'attribut de la premièro partie soit l'attribut de la


seconde :
Si la patience est une vertu , il y a des vertus pénibles.
4º Ou enfin que le sujet de la première partie soit l'attribut de
la seconde, ce qui ne peut être que quand cette seconde partie
est négative.
Si tous les vrais chrétiens vivent selon l'Évangile, il n'y a guère
de vrais chrétiens.

On ne regarde, pour la vérité de ces propositions, que la vérité


de la conséquence ; car, quoique l'une et l'autre partie fussent
fausses, si néanmoins la conséquence de l'une à l'autre est bonne,
la proposition , en tant que conditionnelle, est vraie, comme :
Si la volonté de la créature est capable d'empêcher que la volonté
absolue de Dieu ne s'accomplisse, Dieu n'est pas tout-puissant.
Les propositions considérées comme négatives et contradic
toires aux conditionnelles, sontcelles -là seulement dans lesquelles
la condition est niée ; ce qui se fait en latin, en mettant une
négation à la tête.
DEUXIÈME PARTIE . 145

Non si miserum fortuna Sinonem


Finxit, vanum etiam mendacemque improba finget !.
Mais en français on exprime ces contradictoires par quoique et
une négation .
Si vous mangez du fruit défendu , vous inourrez .
Quoique vous mangiez du fruit défendu , vous ne mourrez.
Oa bien par il n'est pas vrai :
Il n'est pas vrai que, si vous mangez du fruit défendu, vous
mourrez ,

DES CAUSALES .

Les causales sont celles qui contiennent deux propositions liées


par un mot de cause, quia, parce que, ou ut, afin que :
Malheur aus riches , parce qu'ils ont leur consolation en ce
monde.
Les méchants sont élevés, afin que, tombant de plus haut, leur
chute en soit plus grande.
Tolluntur in altum ,
Ut lapsu graviore ruant ?.

Ils le peuvent, parce qu'ils croient le pouvoir,


Possunt, quia posse videntur .

Un tel prince a été malheureux parce qu'il était né sous une


telle constellation .
On peut aussi réduire à ces sortes de propositions celles qu'on
appelle réduplicatives :
L'homme, en tant qu'homme, est raisonnable .
Les rois, en tant que rois, ne dépendent que de Dieu seul.
Il est nécessaire, pour la vérité de ces propositions, que l'une
des parties soit cause de l'autre ; ce qui fait aussi qu'il faut que

1. Énéide, II, v. 79.


2. Claudien, In Rufum , I , 22 .
3. Énéide, v , v. 231.
10
146 LOGIQUE .
l'une et l'autre soient vraies ; car ce qui est faux n'est point cause,
et n'a point de cause ; mais l'une et l'autre partie peuvent être
vraies, et la causale être fausse, parce qu'il suffit pour cela que
l'une des parties ne soit pas cause de l'autre ; ainsi un prince peut
avoir été malheureux et être né sous une telle constellation , qu'il
ne laisserait pas d'être faux qu'il ait été malheureux pour être
né sous cette constellation .
C'est pourquoi c'est en cela proprement que consistent les con
tradictoires de ces propositions, quand on nie qu'une soit cause
de l'autre : Non ideo infelis quia sub hoc natus sidere.

DES RELATIVES .

Lesrelatives sont celles qui renferment quelque comparaison et


quelque rapport:
Où est le trésor, là est le cour .
Telle est la vie, telle est la mort.
Tanti es , quantum habeas ' .

On est estimé dans le monde à proportion de son bien.


La vérité dépend de la justesse du rapport, et on les contredit
en niant le rapport.
Il n'est pas vrai que telle est la vie, telle est la mort.
Il n'est pas vrai que l'on soit estimé dans le monde à propor
tion de son bien.

DES DISCRÉTIVES.

Ce sont celles où l'on fait des jugements différents, en mar


quant cette différence par les particules sed, mais ; tamen , néan
moins; ou autres semblables exprimées ou sous -entendues.
Fortuna opes auferre , non animum potest ?.
La fortune peut ôter le bien , mais elle ne peut ôter le coeur .

1. Sénèque, Epist., 115 .


2. Sénèque, Médée, V, 172.
DEUXIÈME PARTIE . 147

Et mihi res, non me rebus submittere conor .


Je tâche de me mettre au -dessus des choses, et non pas d'y
être asservi.

Coelum , non animum mutant qui trans mare currunt ?.


Ceux qui passent les mors ne changent que de pays, et non
pas d'esprit.
La vérité de cette sorte de proposition dépend de la vérité de
toutes les deux parties et de la séparation qu'on y met; car quoi
queles deux parties fussent vraies, une proposition de cette sorte
serait ridicule, s'il n'y avait point entre elles d'opposition, comme
si je disais :
Judas était un larron , et néanmoins il ne put souffrir que Marie
répandit ses parfums sur JÉSUS-Carist.
Il peut y avoir plusieurs contradictoires d'une proposition de
cette sorte , comme si on disait :
Ce n'est pas des richesses, mais de la science que dépend le bon
heur.

On peut contredire cette proposition en toutes ces manières :


Le bonheur dépend des richesses, et non pas de la science .
Le bonheur ne dépend ni des richesses ni de la science.
Le bonheur dépend des richesses et de la science.
Ainsi l'on voit que les copulatives sont contradictoires des dis
crétives ; car ces deux dernières propositions scot copulatives.

1. Horace, Epist., I, 11.


2. Horace, Epist., 1, 2 ,
148 LOGIQUE .

CHAPITRE X.
Des propositions composées dans le sens.

Il y a d'autres propositions composées, dont la composition


est plus cachée , et on peut les réduire à ces quatre sortes :
1º exclusives; 2º exceptives ; 3º comparatives ; 4 ° inceptives ou
désitives.
1. DES EXCLUSIVÈS .

On appelle exclusives , celles qui marquent qu'un attribut con


vient à un sujet, et qu'il ne convient qu'à ce seul sujet, ce qui
est marquer qu'il ne convient pas à d'autres; d'où il s'ensuit
qu'elles enferment deux jugements différents , et que par consé
quent elles sont composées dans le sens. C'est ce qu'on exprime
par le mot seul, ou autre semblable , ou en français, il n'y a. Il
n'y a que Dieu seul aimable pour lui-même.
Deus solus fruendus, reliqua utenda.
C'est - à -dire nous devons aimer Dieu pour lui-même, et n'ai
mer les autres choses que pour Dieu.
Quas dederis solas semper habebis opes '.
Les seules richesses qui vous demeureront toujours, seront
celles que vous aurez données libéralement.
Nobilitas sola est atque unica virtus.
La vertu fait la noblesse, et toute autre chose ne rend point
vraiment noble .
Hoc unum scio quod nihil scio , disaient les Académiciens .

1. Martial, Epist ., V, v. 43.


2. Juvénal , Sat. , VIII, v. 20.
DEUXIÈME PARTIE . 149

I est certain qu'il n'y a rien de certain , et il n'y a qu'obscurité


et incertitude en toute autre chose.
Lucain parlant des Druides, fait cette proposition disjonctive
composée de deux exclusives.
Solis nosse deos, et cæli numina vobis,
Aut solis nescire datum est ,

Ou vous connaissez les dieux, quoique tous les autres les igno
rent :

Ou vous les ignorez quoique tous les autres les connaissent.


Ces propositions se contredisent en trois manières ; car , 1 ° on
peut nier que ce qui est dit convenir à un seul sujet, lui convienne
en aucune sorte .
2° On peut soutenir que cela convient à autre chose.
30 On peut soutenir l'une et l'autre.
Ainsi , contre cette sentence, la seule vertu est la vraie noblesse,
on peut dire :
10 Que la seule vertu ne rend point noble.
2° Que la naissance rend noble aussi bien que la vertu.
30 Que la naissance rend noble, et non la vertu .
Ainsi cette maxime des Académiciens, que cela est certain
qu'il n'y a rien de certain , était contredite différemment par les
dogmatiques et par les Pyrrhoniens ; car les dogmatiques la com
battaient en soutenant que cela était doublement faux, parce
qu'il y avait beaucoup de choses que nous connaissions très-cer
tainement ; et qu'ainsi il n'était point vrai que nous fussions
certains de ne rien savoir, et les Pyrrhoniens disaient aussi que
cela était faux , par une raison contraire, qui est que tout était
tellement incertain qu'il étaitmême incertain s'il y avait rien de
certain .
C'est pourquoi il y a un défaut de jugement dans ce que Lucain
dit des Druides , parce qu'il n'y a point de nécessité que les seuls
Druides fussent dans la vérité au regard des dieux, ou qu'eux

1. Pharsale, I, v. 451.
150 LOGIQUE .
souls fussent dans l'erreur ; car, pouvant y avoir diverses era
reurs touchant la nature de Dieu, il pouvait fort bien se faire
que, quoique les Druides eussent des pensées, touchant la na
ture de Dieu , différentes de celles des autres nations, ils ne fus
sent pas moins dans l'erreur que les autres nations.
Ce qui est ici de plus remarquable, est qu'il y a souvent de ces
propositions qui sont exclusives dans le sens, quoique l'exclusion
ne soit pas exprimée : ainsi ce vers de Virgile, où l'exclusion est
marquée,
Una salus victis nullam sperare salutem '.
a été traduit heureusement par ce vers français, dans lequel
l'exclusion est sous-entendue :
Le salut des vaincus est de n'en point attendre .

Néanmoins il est bien plus ordinaire en latin qu'en français de


sous -entendre les exclusions : de sorte qu'il y a souvent des pas.
sages qu'on ne peut traduire dans toute leur force, sans en faire
les propositions exclusives, quoique en latin l'exclusion ne soit
pas marqué.
Ainsi , 2 Cor. x. 17. Qui gloriatur, in Domino glorietur, doit
etre traduit : Quecelui qui se glorifie, ne se glorifie qu'au Seigneur,
Galat. VI. 8. Quæ seminaverit homo, hæc et metet : L'homme ne
recueillera que ce qu'il aura semé.
Ephes. iv. 5. Unus Dominus, una fides, unum baptisma : Il n'y
a qu'un Seigneur, qu'une foi, qu’un baptême.
Matth. v. 46. Si diligitis eos qui vos diligunt, quam mercedem
habebitis ! Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle ré
compense en mériterez - vous?
Sénèque, dans la Troade :
Nullas habet spes Troja , si tales habet.
Si Troie n’a que cette espérance, elle n'en a point ; comme s'il
y avait, si tantum tales habet.

1. Énéide, II, v. 352 .


DEUXIÈME PARTIE. 151

2. DES EXCEPTIVES .

Les exceptives sont celles où l'on affirme une chose de tout


un sujet, à l'exception de quelqu'un des inférieurs de ce sujet à
qui on fait entendre, par quelque particule exceptive, que cela
ne convient pas, ce qui visiblement enferme deux jugements, et
ainsi rend ces propositions composées dans le sens, comme si
je dis :
Toutes les sectes des anciens philosophes, hors celles des Pla
toniciens, n'ont point reconnu que Dieu fût sans corps.
Cela veut dire deux choses : la première , que les philosophes
anciens ont cru Dieu corporel ; la seconde, que les Platoniciens
ont cru le contraire.

Avarus, nisi cum moritur, nil recte facit',


L'avare ne fait rien de bien, si ce n'est de mourir.
Et miser nemo, nisi comparatus”,
Nul ne se croit misérable qu'en se comparant à de plus beu
reux .

Nemo læditur , nisi a seipso ,


Nous n'avons de mal que celui que nous nous faisons à nous
mêmes .
Excepté le sage, disaient les Stoiciens, tous les hommes sont
vraiment fous.

Ces propositions se contredisent, de même que les exclusives,


1° En soutenant que le sage des Stofciens était aussi fou que
les autres hommes ;
20 En soutenant qu'il y en avait d'autres que ce sage qui n'é
taient point fous;
30 En prétendant que ce sage des Stofciens était fou, et que
d'autres hommes ne l'étaient pas .

1. Syrus, Sentent., 62 .
2. Sénèque, Troas, v. 102.
3. Ce paradoxe du stoïcisme a inspiré à Horace l'une de ses meilleures
satires, Sermon ., II, III.
152 LOGIQUE.
Il faut remarquer que les propositions exclusives et les excep
tives ne sont, pour ainsi dire, que la même chose exprimée un
peu différemment, de sorte qu'il est toujours fort aisé de les
changer réciproquement les unes aux autres; et ainsi nous voyons
que cette exceptive de Térence,
Imperitus, nisi quod ipse facit, nil rectum putar '.
a été changée par Cornélius Gallus en cette exclusive :
Hoc tantum rectum quod facit ipse putats,

3. DES COMPARATIVES,

Les propositions où l'on compare enferment deux jugements,


parce que c'en sont deux de dire qu'une chose est telle, et de
dire qu'elle est telle plus ou moins qu'une autre ; et ainsi ces sortes
de propositions sont composées dans le sens.
Amicum perdere est damnorum maximums,
La plus grande de toutes les pertes, est de perdre un ami.
Ridiculum acri,
Fortius et melius magnas plerumque secat res *.
On fait souvent plus d'impression dans les affaires, même les
plus importantes , par une raillerie agréable , que par les meil
leures raisons.

Meliora sunt vulnera amici, quam fraudulenta oscula inimicis.


Les coups d'un ami valent mieux que les baisers trompeurs
d'un ennemi .

1. Térence , Adelph. , acte I , scène 11, v . 99 et 100 ,


Homine imperito numquam quidquam injustiu'st,
Qui, nisi quod ipse fecit, nil rectum putat.
2. Eleg . I, in Senectutem , v. 198.
Hoc tantum rectum , quod sapit ipse, putat.
3. P. Syrus, Sentent., 34.
4. Horace, Serm ., 1 , x , v. 15 .
5. Salomon , Proverb ., XXVII , 6.
DEUXIÈME PARTIE . 153

On contredit ces propositions en plusieurs manières, comme


cette maxime d'Epicure, la douleur est le plus grand de tous les
maux, était contredite d'une sorte par les Stoïciens, et d'une autre
par les Péripatéticiens; car les Péripatéticiens avouaient que la
douleur était un mal; mais ils soutenaient que les vices et les
autres déréglements d'esprit étaient de bien plus grands maux ;
au lieu que les Stoïciens ne voulaient pas même reconnaitre que
sa douleur fût un mal, bien loin d'avouer que ce fût le plus grand
de tous les maux .
Mais on peut traiter ici une question, qui est de savoir s'il est
toujours nécessaire que, dans ses propositions, le positif du com
paratif convienne à tous les deux membres de la comparaison ,, et
s'il faut, par exemple, supposer que deux choses soient bonnes,
afin de pouvoir dire que l'une est meilleure que l'autre.
Il semble d'abord que cela devrait être ainsi ; mais l'usage est
au contraire, puisque nous voyons que l'Éeriture se sert du mot
meilleur, non - seulement en comparant deux biens ensemble,
melior est sapientia quam vires, et vir prudens quam fortis ' ;; la
sagesse est meilleure que la force , et l'homme prudent que
l'homme vaillant;
Mais aussi en comparant un bien à un mal,, melior est patiens
arrogante "; un homme patient vaut mieux qu'un homme superbe;
Et même en comparant deux maux ensemble , melius est habi
tare cum dracone , quam cum muliere litigiosa ”; il vaut mieux
demeurer avec un dragon qu'avec une femme querelleuse. Et
dans l'Évangile : Il vaut mieox être jeté dans la mer une pierre
au col, que de scandaliser le moindre des fidèles.
La raison de cet usage est qu'un plus grand bien est meilleur
qu’un moindre, parce qu'il a plus de bon té qu'un moindre bien
Or, par la même raison, on peut dire, quoique moios propre
ment, qu’un bien est meilleur qu'un mal, parce que ce qui a de
la bonté en a plus que ce qui n'en a point; et l'on peut dire aussi
qu’un moindre mal est meilleur qu'un plus grand mal, parce que

1. Sapient., vi, v. 1 .
2. Eccles ., VII, 9.
3. Prorcrb ., XXI , v . 9 .
154 LOGIQUE .
la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui
est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté que ce qui est
plus mauvais.
Il faut donc éviter de s'embarrasser mal à propos par la chaleur
de la dispute à chicaner sur ces façons de parler, comme fit un
grammairien donatiste, nommé Cresconius, en écrivant contre
saint Augustin ; car ce saint ayant dit que les catholiques avaient
plus de raison de reprocher aux donatistes d'avoir livré les livres
sacrés, que les donatistes n'en avaient de le reprocher aux catho
liques : Traditionem nos vobis probabilius objicimus, Cresconius
s'imagina avoir droit de conclure de ces paroles, que saint
Augustin avouait par là que les donatistes avaient raison de lo
reprocher aux catholiques. Si enim vos probabilius, disait -il, nos
ergo probabiliter : nam gradus iste quod ante positum est auget,
non quod ante dictum est improbat. Mais saint Augustin réfute
premièrement cette vaine subtilité par des exemples de l'Écriture,
et entre autres par ce passage de l'Épitre aux Hébreux, où saint
Paul ayant dit que la terre qui ne porte que des épines était
maudite et ne devait attendre que le feu , il ajoule ' : Confidimus
autem de oubis, fratres charissimi, meliora ; non quia, dit ce
Père, bona illa erant quæ supra dixerat, proferre spinas et tribu
los, et ustionem mereri, sed magis quia mala erant, ut illis devi
tatis meliora eligerent et optarent, hoc est, bona tantis malis con
traria . Et il lui montre ensuite, par les plus célèbres auteurs de
son art, combien la conséquence était fausse, puisqu'on aurait pu,
de la même sorte, reprocher à Virgile d'avoir pris pour une
bonne chose la violence d'une maladie qui porte les hommes å
se déchirer avec leurs propres dents, parce qu'il souhaite une
meilleure fortune aux gens de bien .
Di meliora piis erroremque hostibus illum !
Discissos nudis laniabant dentibus artus ?.

Quomodo ergo « meliora piis, » dit ce Père, quasi bona essent


istis, ac non potius magna mala, qui
Discissos nudis laniabant dentibus artus ?

1. Contra Cresconium grammaticum partis Donati , lib. III ,


cap . LXXIII, LXXIV et Lxxv.
2. Virgile, Géorg ., lib. III, v. 513 , 514.
DEUXIÈME PARTIE . 155

4. DES INCEPTIVES OU DÉSITIVES .

Lorsqu'on dit qu'une chose a commencé ou cessé d'être telle,


on fait deux jugements : l'un de ce qu'était cette chose avant le
temps dont on parle ; l'autre de ce qu'elle est depuis ; et ainsi
ces propositions, dont les unes sont appelées inceptives, et les
autres désitives , sont composées dans le sens, et elles sont si
semblables, qu'il est plus à propos de n'en faire qu'une espèce,
et de les traiter ensemble.

Les Juifs ont commencé, depuis le retour de la captivité de Ba


bylone, à ne plus se servir de leurs caractères anciens, qui sont
ceux qu'on appelle maintenant samaritains.
La langue latine a cessé d'étre vulgaire en Italie depuis cinq
cents ans .

Les Juifs n'ont commencé qu'au cinquième siècle depuis 2. C. d


se servir des points pour marquer les voyelles.
Ces propositions se contredisent selon l'un et l'autre rapport
aux deux temps différents. Ainsi il y en a qui contredisent cette
dernière, en prétendant, quoique faussement, que les Juifs ont
toujours eu l'usage des points, au moins pour les livres, et qu'ils
étaient gardés dans le temple; et d'autres la contredisent, en
prétendant, au contraire, que l'usage des points est même plus
nouveau que le cinquième siècle.

RÉFLEXION GÉNÉRALE .

Quoique nous ayons montré que les propositions exclusives,


exceptives, etc.. , pouvaient être contredites en plusieurs maniè
res , il est vrai néanmoios que quand on les nie simplement sans
s'expliquer davantage, la négation tombe naturellement sur l'ex
clusion, ou l'exception, ou la comparaison, ou le changement
marqué par les mots de commencer et de cesser . C'est pourquoi
si une personne croyait qu'Epicure n'a pas mis le souverain bien
dans la volupté du corps, et qu'on lui dit que le seul Épicure y a
156 LOGIQUE.
mis le souverain bien , si elle le niait simplement sans ajouter
autre chose, elle ne satisferait pas à sa pensée, parce qu'on au
rait sujet de croire, sur cette simple négation, qu'elle demeure
d'accord qu'Epicure a mis en effet le souverain bien dans la vo
lupté du corps, mais qu'elle ne le croit pas seul de cet avis.
De même, si, connaissant la probité d'un juge, on me deman
dait s'il ne vend plus la justice, je ne pourrais pas répondre sim
plement par non, parce que le non signifierait qu'il ne la vend
plus, mais laisserait croire en même temps que je reconnais qu'il
l'a autrefois vendue.
Et c'est ce qui fait voir qu'il y a des propositions auxquelles il
serait injuste de demander qu'on y répondit simplement par oui
ou par non, parce qu'en formant deux sens, on n'y peut faire de
réponse juste qu'en s'expliquant sur l'un et sur l'autre.

CHAPITRE XI.

Observations pour reconnaitre dans quelques propositions exprimées


d'une manière moins ordinaire, quel en est le sujet et quel en est
l'attribut.

C'est sans doute un défaut de la logique ordinaire, qu'on n'ac


coutume point ceux qui l'apprennent à reconnaitre la nature des
propositions et des raisonnements, qu'en les attachant à l'ordre
et à l'arrangement dont on les forme dans les écoles, qui est
souvent très - différent de celui dont on les forme dans le monde
et dans les livres, soit d’éloquence, soit de morale,soit des autres
sciences.
Ainsi on n'a presque point d'autre idée d'un sujet et d'un at
tribut, sinon que l'un est le premier terme d'une proposition, et
l'autre le dernier ; et de l'universalité, ou particularité, sinon
qu'il y a dans l'uno omnis ou nullus, tout ou nul, et dans l'autre
aliquis, quelque.
• Cependant tout cela trompe tras -souvent, et il est besoin de
DEUXIÈME PARTIE . 157

jugement pour discerner ces choses en plusieurs propositions.


Commençons par le sujet et l'attribut.
L'unique et véritable règle est de regarder par le sens ce
dont on affirme, et ce qu'on affirme; car le premier est tou
jours le 'sujet, et le dernier l'attribut, en quelque ordre qa'ils se
trouvent.
Ainsi il n'y a rien de plus commun en latin que ces sortes de
propositions: Turpe est obsequi dibidini; vil est honteux d'être
esclave de ses passions ; où il est visible par le sens, que turpe,
honteux, est ce qu'on affirme, et par conséquent l'attribut, et
obsequi libidini, etre esclave de ses passions, ce dont on affirme,
c'est-à - dire ce qu'on assure têtre honteux, et par conséquent le
sujet. De même dans saint Paul: Est quæstus magnus pietas cum
sufficimtia ", le vrai ordre serait, pietas cum sufficientia est quase
tus magnus
Et de même dans ces vers :
Felix qui potuit rerum cognoscere causas;
Atque metus omnes, et inexorabile fatum
Subjecit pedibus , strepitumque Acherontis avari '.
Felis est l'attribut, et le reste le sujet.
Le sujet et l'attribut sont souvent encore plus difficiles à re
connaître dans les propositions complexes ; et nous avons déjà
vu qu'on ne peat quelquefois juger que par la suite du discours
et l'intention d'un auteur, quelle est la proposition principale,
et quelle est l'incidente dans ces sortes de propositions.
Mais, outre ce que nous avons dit, on peut encore remarquer
que, dans ces propositions complexes, où la première partie
n'est que la proposition incidente, et la dernière est la prin
cipale , comme dans la majeure et la conclusion de ce raisonne
ment :
Dieu commande d'honorer les rois.
Louis XIV est roi.
Donc Dieu commande d'honorer Louis XIV,
il faut souvent changer le verbe actif en passif, pour avoir lo

1. Ad Timoth ., vi , 6.
2. Virgile, Géorg ., III, v. 400 et sq .
158 LOGIQUE .
vrai sujet de cette proposition principale , comme dans cet
exemple même ; car il est visible que, raisonnant de la sorte,
mon intention principale, dans la majeure, est d'affirmer quelque
chose des rois, dont je puisse conclure qu'il faut honorer
Louis XIV ; et ainsi ce que je dis du commandement de Dieu
n'est proprement qu'une proposition incidente qui confirme
cette affirmation : Les rois doivent être honorés ; reges sunt ho
norandi. D'où il s'ensuit que les rois est le sujet de la majeure, et
Louis XIV le sujet de la conclusion, quoique à ne considérer les
choses que superficiellement, l'un et l'autre semblent n'être
qu'une partie de l'attribut.
Ce sont aussi des propositions fort ordinaires à notre langue:
C'est une folie que de s'arrêter à des flatteurs; c'est de la gréle qui
tombe; c'est un Dieu qui nous a rachetés. Or, le sens doit faire
encore juger que, pour les remettre dans l'arrangement naturel,
en plaçant le sujet avant l'attribut, il faudrait les exprimer ainsi :
S'arrêter à des flatteurs 'est une folie ; ce qui tombe est de la grêle;
celui qui nous a rachetés est Dieu ; et cela est presque universel
dans toutes les propositions qui commencent par c'est, où l'on
trouve après un qui ou un que, d'avoir leur attribut au commen
cement et le sujet à la fin . C'est assez d'en avoir averti une fois,
et tous ces exemples ne sont que pour faire voir qu'on en doit
juger par le sens, et non par l'ordre des mots. Ce qui est un
avis très - nécessaire pour ne pas se tromper, en prenant des
syllogismes pour vicieux qui sont en effet très-bons ; parce que,
faute de discerner dans les propositions le sujet et l'attribut, on
croit qu'ils sont contraires aux règles lorsqu'ils y sont très- con
formes .
DEUXIÈME PARTIE . 159

.
CHAPITRE XII.

Des sujets confus équivalents à deux sujets.

Il est important, pour mieux entendre la nature de ce qu'on


appelle sujet dans les propositions, d'ajouter ici une remarque
qui a été faite dans des ouvrages plus considérables que celui-ci,
mais qui , appartenant à la logique, peut trouver ici sa place.
C'est que, lorsque deux ou plusieurs choses qui ont quelque
ressemblance se succèdent l'une à l'autre dans le même lieu , et
principalement quand il n'y paraft pas de différence sensible,
quoique les hommes puissent les distinguer en parlant métaphysi
quement, ils ne les distinguent pas néanmoins dans leurs discours
ordinaires ; mais les réunissant sous une idée commune qui n'en
fait pas voir la différence et qui ne marque que ce qu'ils ont de
commun, ils en parlent comme si c'était une même chose.
C'est ainsi que, quoique nous changions d'air à tout moment,
nous regardons néanmoins l'air qui nous environne comme étant
toujours le même, et nous disons que de froid il est devenu chaud
comme si c'était le même ; au lieu que souvent cet air, que nous
sentons froid, n'est pas le même que celui que nous trouvions
chaud .
Cette eau, disons -nous aussi en parlant d'une rivière, était
trouble il y a deux jours , et la voilà claire comme du cristal :
cependant combien s'en faut- il que ce soit la même eau ! In idem
flumen bis non descendimus, dit Sénèque ; manet idem fluminis
nomen , aqua transmissa est ! .
Nous considérons le corps des animaux, et nous en parlons

1. Epist., Sénèque ne fait que traduire dans ce passage une pensée


d'Héraclite citée par Platon . Cratyle, p. 402 Å, de l'édition de Henri
Estienne.
160 LOGIQUE
comme étant toujours le même, quoique nous ne soyons pas assu
rés qu'au bout de quelques années il reste aucune partie de la
première matière qui le composait ; et non-seulement nous en
parlons comme d'un même corps sans y faire réflexion, mais nous
le faisons aussi lorsque nous y faisons une réflexion expresse. Car
le langage ordinaire permet de dire ; le corps de cet animal était
composé, il y a dix ans, de certaines parties de matière, etmain
tenant il est composé de parties toutes différentes ". Il semble
qu'il y ait de la contradiction dans ce discours; car si les parties
sont toutes différentes, ce n'est donc pas le même corps": il est
vrai; mais on en parle néanmoins comme d'un même corps; int
ce qui rend tes propositions véritables, c'est que le premier
terme est pris pour différents sujets dans cette différente appli
cation .
Auguste disait de la ville de Rome qu'il l'avait trouvée de bri
que, et qu'il la 'laissait de marbre. On dit de même d'une ville,
d'une maison , d'une église, qu'elle a été ruinée en un tel temps,
et rétablie en un autre temps. Quelle est donc cette Rome qui est
tantôt de brique et tantôt de marbre ? quelles sont ces villes, ces
maisons , ces églises qui sont ruinées'en un temps et rétablies en
un autre? Cette Rome, qui était de brique, était-elle la même que
Rome de marbre ? Non ; mais l'esprit ne laisse pas de se former
une certaine idée confuse de Rome à qui il attribue ces deux qua
lités, d'être de brique en un temps et de marbre en un autre ; et
quand il en fait ensuite des propositions, et qu'il dit, par exem
ple, que Rome, qui avait été de brique avant Auguste, était de
marbre quand il mourut, le mot de Rome, qui ne parait «qu'un
sujet, en marque néanmoins deux réellement distincts, mais
réunis sous une idée confuse de Rome, qui fait que l'esprit no
s'aperçoit pas de la distinction de ces sujets.
1. Ce renouvellement perpétuel du corps fournit une belle preuve
de la spiritualité de l'âme. L'âme en effet est identique ; j'ai la certi
tude d'être aujourd'hui ce que j'étais hier, il y a un mois, il y a des
années ; mes idées changent, mes facultés se développent ou s'altèrent,
mes goûts et mes penchants se modifient; mais la substance qui est
le fond même de mon être et en qui réside ma personnalité, demeure
invariable. Or, puisque le corps n'a qu'une identité apparente de forme,
il est bien clair qu'il ne peut pas être cette substance.
DEUXIÈME PARTIE .
161
C'est par là qu'on a éclairci , dans le livre dont on a emprunté
cette remarque ' , l'embarras affecté que les ministres se plai
sent à trouver dans cette proposition : Ceci est mon corps, que
personne n'y trouvera en suivant les lumières du sens commun .
Car, comme on ne dira jamais que c'était une proposition fort
embarrassée et fort difficile à entendre que de dire d'une église
qui aurait été brûlée et rebâtie : Cette église fut brûlée il y a dix
ans , et elle a été rebâtie depuis un an ; de même , on ne saurait
dire raisonnablement qu'il y ait aucune difficulté à entendre
cette proposition : Ceci qui est du pain dans ce moment- ci, est
mon corps dans cet autre moment. Il est vrai que ce n'est pas le
même ceci dans ces différents moments, comme l'église brûlée et
l'église rebâtie ne sont pas réellement la même église ; mais
l'esprit, concevant et le pain et le corps de Jésus-Christ sous une
idée commune d'objet présent qu'il exprime par ceci, attribue à
cet objet réellement double, et qui n'est un que d'une unité de
confusion , d'être pain en un certain moment et d'être le corps de
Jésus-Christ en un autre ; de même qu'ayant formé de cette
église brûlée et de cette église rébâtie une idée commune d'église,
il donne à cette idée confuse deux attributs qui ne peuvent con
venir au même sujet.
Il s'ensuit de là qu'il n'y a aucune difficulté dans cette propo
sition : Ceci est mon corps, pris au sens des catholiques, puis
qu'elle n'est que l'abrégé de celle autre proposition parfaitement
claire : Ceci, qui est pain dans ce moment-ci, est mon corps dans
cet autre moment ; et que l'esprit supplée tout ce qui n'est pas
exprimé. Car, comme nous avons remarqué à la fin de la première
partie, quand on se sert du pronom démonstatif hoc, pour mar
quer quelque chose exposé aux sens, l'idée formée précisement
par le pronom demeurant confuse, l'esprit y ajoute des idées clai
res et distinctes tirées des sens par forme de proposition inci
dente. Ainsi, Jésus - Christ prononçant le mot de ceci, l'esprit des
Apôtres y ajoutait qui est du pain , et comme il concevait qu'il
était pain dans ce moment-là , il y faisait aussi cette addition du
temps; et ainsi le mot ceci formait cette idée : Ceci qui est pain

1. Dans le Traité de la Perpétuité de la Foi.


11
162 LOGIQUE .
dans ce moment-ci. De même quand il dit que c'était son corps ,
ils concurent que ceci était son corps dans ce moment- là . Ainsi
l'expression, ceci est mon corps, forma en eux cette propo
sition totale : Ceci, qui est pain dans ce moment-ci, est mon
corps dans cet autre moment; et cette expression étant claire,
l'abrégé de la proposition, qui ne diminue rien de l'idée, l'est
aussi ,
Et quant à la difficulté proposée par les ministres, qu'une même
chose ne peut être pain et corps de Jésus- Christ, comme elle
regarde également la proposition étendue : Ceci, qui est pain dans
ce moment-ci, est mon corps dans cet autré moment, et la propo
sition abrégée: ceci est mon corps, il est clair que ce ne peut être
qu'une chicanerie frivole pareille à celle qu'on pourrait alléguer
contre ces propositions: Cette église fut brûlée :en un tel temps,
et elle a été rétablie dans cetautre temps, et qu'elles se doivent
toutes démêler par cette manière de concevoir plusieurs sujets
distincts sous une même idée , qui fait que le même terme est
tantôt pris pour un sujet et tantôt pour un autre, sans que l'es
prit s'aperçoive de ce passage d'un -sujet àunautre.
Au reste, on ne prétend pas décider ici cette importante ques
tion , de quelle sorte on doit entendre ces paroles : Ceci est mon
-corps, si c'est dans un sens de figure ou dans un sens de réalité.
Car il ne suffit pas de prouver qu'uneproposition peut se prendre
dans un certain sens; il faut, de plus,prouver qu'elle doit s'y
prendre. Mais comme il y a des ministres qui, par les principes
d'une très -fausse logique, soutiennent opiniâtrément que les pa
roles de Jésus -Christ ne peuvent recevoir,le sens catholique, il
n'est point hors de propos d'avoir montré ici en abrégé que le
sens catholique n'a rien que de clair, de raisonnable et de con
forme au langage commun de tous les hommes,
DEUXIÈME PARTIE . 163

CHAPITRE XIII.

Autres observations pour reconnaître si les propositions


sont universelles ou particulières.

On peut faire quelques observations semblables, et non noins


nécessaires, touchant l'universalité et la particularité.
OBSERVATION I. Il faut distinguer deux sortes d'universalités :
l'une qu'on peut appeler métaphysique, et l'autre morale .
J'appelle universalité métaphysique, lorsqu'une universalité est
parfaite et sans exception , comme : Tout 'homme est vivant ; cela
ne reçoit pas d'exception.
Et j'appelle universalité morale celle qui reçoit quelque excep
tion , parce que, dans les choses morales, on se contente que les
choses soient telles ordinairement ; ut plurimum, comme ce que
saint Paul rapporte et approuve :
Cretenses semper mendaces , malæ bestiæ, ventres pigri ' ,
Ou ce que dit le même apôtre : Omnes quæ sua sunt quærunt,
non quæ Jesu Christiº,
Ou ce que dit Horace ::
Omnibus hoc vitium est cantoribus , inter amicos
Ut nunquam inducant animum cantare rogati,
Injussi nunquam desistants.
Ou ce qu'on dit d'ordinaire :
Que toutes les femmes aiment à parler ;
Que tous les jeunes gens sont inconstants ;
Que tous les vieillards louent le temps passé.
Il suffit, dans toutes ces sortes de propositions, qu'ordinaire
1. Epist. ad Titum , I, 15.
2. Philipp ., II, 21 .
3. Serm . , I,
164 LOGIQUE .
ment cela soit ainsi , et on ne doit pas aussi en conclure rien à la
rigueur.
Car, comme ces propositions ne sont pas tellement générales
qu'elles ne souffrent des exceptions, il pourrait se faire que la
conclusion serait fausse. Comme on n'aurait pas pu conclure de
chaque Crétois en particulier, qu'il aurait été un menteur et une
méchante bête, quoique l'Apôtre approuve en général ce vers
d'un de leurs poëtes : Les Crétois sont toujours menteurs, méchan
tes bétés, grands mangeurs, parce que quelques-uns de cette fle
pouvaient ne pas avoir les vices qui étaient communs aux au
tres ' .
Ainsi la modération qu'on doit garder dans ces propositions
qui ne sont que moralement universelles, c'est, d'une part, de
n'en tirer qu'avec grand jugement des conclusions particulières,
et, de l'autre, de ne pas les contredire ni ne pas les rejeter comme
fausses, quoiqu'on puisse opposer des instances où elles n'ont pas
de lieu , mais de se contenter, si on les étendait trop loin , de
montrer qu'elles ne doivent pas se prendre à la rigueur.

OBSERVATION II . Il y a des propositions qui doivent passer pour


métaphysiquement universelles, quoiqu'elles puissent recevoir
des exceptions, lorsque da i l'usage ordinaire ces exceptions
extraordinaires ne passent poiut pour devoir être comprises dans
ces termes universels, comme si je dis : Tous les hommes n'ont que
deux bras ; cette proposition doit passer pour vraie dans l'usage
ordinaire ; et ce serait chicaner que d'opposer qu'il y a eu des
monstres qui n'ont pas laissé d'être hommes, quoiqu'ils eussent
quatre bras, parce qu'on voit assez qu'on ne parle pas des
monstres dans ces propositions générales, et qu'on veut dire

1. Cette remarque peut servir à résoudre le sophisme célèbre du


Menteur, que voici sous sa forme la plus simple : « Epimenide a dit :
les Crétois sont menteurs : or Epimenide était Crétois : dunc Epime
nide était menteur ; donc Epimenide a menti en disant que les Crétois
sont menteurs ; donc les Crétois ne sont pas menteurs ; donc Épimé
nide qui était Crétois n'a pas menti en disant que les Crétois sont
menteurs, etc. » Si les Crétois sont en général menteurs, il ne s'ensuit
pas que tous le soient, et s'ils mentent le plus souvent, il ne s'ensuit
pas qu'ils mentent toujours et sur toutes choses.
DEUXIEME PARTIE . 165

seulement que, dans l'ordre de la nature, les hommes n'ont que


deux bras. On peut dire de même que tous les hommes se ser
vent des sons pour exprimer leurs pensées, mais que tous ne se
servent pas de l'écriture : et ce ne serait pas une objection rai
sonnable que d'opposer les muets pour trouver de la fausseté
dans cette proposition parce qu'on voit assez , sans qu'on l'ex
prime, que cela ne doit s'entendre que de ceux qui n'ont point
d'empêchement naturel à se servir des sons , ou pour n'avoir pu
les apprendre, comme ceux qui sont nés sourds, ou pour ne pou
voir les former, comme les muets.

OBSERVATION III . Il y a des propositions qui ne sont universelles


que parce qu'elles doivent s'entendre de generibus singulorum , et
non ' pas de singulis generum, comme parlent les philosophes,
c'est-à -dire de toutes les espèces de quelque genre, et non pas
de tous les particuliers de ces espèces . Ainsi l'on dit que tous les
animaux furent sauvés dans l'arche de Noé, parce qu'il en fut
sauvé quelques-uns de toutes les espèces. Jésus-Christ dit aussi
des Pharisiens, qu'ils payent la dîme de toutes les herbes, de
cimatis onine olus ', non qu'ils payassent la dîme de toutes le
herbes qui étaient dans le monde , mais parce qu'il n'y avait point
de sortes d'herbes dont ils ne payassent la dîme . Ainsi saint
Paul dit : Sicut et ego omnibus per omnia placeo ?, c'est-à-dire
qu'il s’accommodait à toutes sortes de personnes , Juifs, Gentils,
Chrétiens, quoiqu'il ne plût pas à ses persécuteurs, qui étaient en
si grand nombre. Ainsi l'on dit d'un homme qu'il a passépar toutes
les charges, c'est - à -dire par toutes sortes de charges.
OBSERVATION IV. Il y a des propositions qui ne sont universelles
que parce que le sujet doit être pris comme restreint par une
partie de l'attribut ; je dis par une partie, car il serait ridicule
qu'il fût restreint par tout l'attribut, comme qui prétendrait que
cette proposition est vraie : Tous les hommes sont justes, parce
qu'il l'entendrait en ce sens, que tous les hommes justes sont

1. Luc, XI, 42. Decimatis mentham , et rutam , et omne olus. o


2. I Corinth ., x 33 .
166 LOGIQUE .
justes, ce qui serait impertinent. Mais quand l'attribut est com-.
plexe, et a deux partiesy comme dans cette proposition : Tous les
hommes sont justes par la grâce de Jésus-Christ, c'est avec raison
que l'on peut prétendre que le terme de justes est isous- entendu
dansle sujet, quoiqu'il n'y soit pas exprimé,parce qu'il estassez
clair qu'on veut dire seulement que tous les hommes qui sont
justes ne sont justes que par la grâce de Jésus -Christ ;, et ainsi
cette proposition est vraie en toute rigueur, quoiqu'elle paraisse
fausse à ne considérer que ce qui est exprimé dans le sujet, y
ayant tant d'hommes qui sont méchants et pécheurs, et qui, par
conséquent, n'ont point été justifiés par la grâce de Jésus-Christ.
Il y a un très-grand nombre de propositions dans l'Écriture, qui
doivent être prises en ce sens, entre autres ce que dit saint
Paul : Comme tousmeurent par Adam , ainsi tous seront vivifiés
par Jésus- Christ', car il est certain qu'une infinité de païens,
qui sont morts dans leur infidélité, n'ont point été vivifiés
par Jésus-Christ, et qu'ils n'auront , aucune part à la vie de la
gloire dont parle saint Paul en cet endroit; et ainsi le sens de
l'Apôtre est que, comme tous ceux qui meurent meurent par
Adam , tous ceux aussi qui sont vivifiés sont vivifiés par Jésus
Christ.
Il y a aussi beaucoup de propositions qui ne sont moralement
universelles qu'en cette manière, comme quand on dit : Les Fran
çais sont bons soldats ; les Hollandais sont bonsmatelots ; les Fla
mands sont bons peintres , les Italiens sont bons comédiens ; cela
veut dire que les Français qui sont soldats sont ordinairement
bons soldats ; et ainsi des autres...

OBSERVATION V. Il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait point


d'autre marque de particularité que ces mots : quidam, aliquis,
quelque, et semblables, car, au contraire, il arrive assez rare
ment que l'on s'en serve, surtout dans notre langue ..
Quand la particule des ou de est le pluriel de l'article un, selen
la nouvelle remarque de la Grammaire générale , elle fait que

1. I Corinth ., XV, 22.


2. Ile partie, chap. VII.
DEUXIÈME PARTIE . 167

les nomsse prennent particulièrement, au lieu que, pour l'ordi


naire,' ils se prennent généralement avec l'article les. C'est pour
quoi il y a bien de la différence entre ces deux propositions: Les
médecins croient maintenant qu'il est bon de boire pendant le
chaud de la fièvre, et des médecins croient maintenant que le sang
ne se fail pas dans le foie. Car les médecins, dans la première,
marque: le commun des médecins d'aujourd'hui, et des médecins,
dans la seconde, marque seulement quelques médecins parti
culiers.
Mais souvent avant des, ou de, ou un au singulier, on met il y
a; comme: Il y a des médecins, et cela en deux manières.
La première est, en mettant seulement après des, ou un, un
substantif pour être le sujet de la proposition, et un adjectif pour
en être l'attribut, soit qu'il soit le premier ou le dernier, comme :
Il y a des douleurs salutaires ; il y a des plaisirs funestes; il y a
de faux amis ; il y a une humilité généreuse; il y a des vices cou
verts de l'apparence de la vertu. C'est comme on exprime dans
notre langue ce qu'on exprime par quelque dans le style de l'é
cole : Quelques douleurs sont nécessaires ; quelques humilités sont
généreuses, et ainsi des autresi
La seconde manière est de joindre par un qui l'adjectif au sub
stantif : Il y a des craintes qui sont raisonnables. Mais ce qui
n'empêche pas que ces propositions ne puissent être simples
dans le sens, quoique complexes dans l'expression : car c'est
comme si on disait simplement : Quelques craintes sont raison
nables. Ces façons de parler sont encore plus ordinaires que les
précédentes : Il y a des hommes qui n'aiment qu'eux -mêmes ; il
ywdes chrétiens qui sont indignes de ce nom.
On se sert quelquefois en latin d'un mot semblable . HORAC :
Sunt quibus in satyra videor nimis acer , et ultra
Legem tendere opus ' !
Ce qui est la même chose que s'il avait dit :
Quidam existimant me nimis acrem esse in satyra.
Il y en a qui me croient trop piquant dans la satire .

1. Serm ., 11 , 1 .
168 LOGIQUE .
De même dans l'Écriture : Est qui nequiter se humiliat " ; il y
en a qui s'humilient, mal .
Omnis, tout, avec une négation, fait aussi une proposition
particulière, avec cette différence, qu'en latin la négation pré
cède omnis, et en français elle suit tout : Non omnis qui dicit
mihi, Domine, Domine, intrabit in regnum cælorum . « Tous ceux
qui me disent, Seigneur, Seigneur, n'entreront point dans le
royaume des cieux . » Non omne peccatum est crimen. « Tout pé
ché n'est pas un crime. »
Néanmoins dans l'hébreu , non omnis est souvent pour nullus,
comme dans le psaume : Non justificabitur in conspectu tuo om
nis vivens 3. « Nul homme vivant ne se justifiera devant Dieu . )
Cela vient de ce qu'alors la négation ne tombe que sur le verbe,
et non point sur omnis.

OBSERVATION VI . Voilà quelques observations assez utiles


quand il y a un terme d'universalité, comme tout, nul, etc. Mais
quand il n'y en a point, et qu'il n'y a point aussi de particula
rité, comme quand je dis : L'homme est raisonnable, l'homme est
juste, c'est une question célèbre parmi les philosophes, si ces
propositions, qu'ils appellent indéfinies, doivent passer pour uni
verselles ou pour particulières , ce qui doit s'entendre quand
elles sont sans aucune suite de discours, ou qu'on ne les a point
déterminées par la suite à aucun de ces sens ; car il est indubi
table qu'on doit prendre le sens d'une proposition , quand elle a
quelque ambiguïté, de ce qui l'accompagne dans le discours de
celui qui s'en sert .
La considérant donc en elle-même, la plupart des philosophes
disent qu'elle doit passer pour universelle dans une matière né
cessaire, et pour particulière dans une matière contingente.
Je trouve cette maxime approuvée par de fort habiles gens, et
néanmoins elle est très-fausse ; et il faut dire, au contraire, que
lorsqu'on attribue quelque qualité à un termo commun , la pro

1. Eccles., XIX, 23 .
2. S. Matth ., VII , 21.
3. Psalm ., cxLII , 2.
DEUXIÈME PARTIE . 169

position indéfinie doit passer pour universelle en quelque ma


tière que ce soit : et ainsi, dans une matière contingente, elle ne
doit point être considérée comme une proposition particulière,
mais comme une universelle qui est fausse ; et c'est le jugement
naturel que tous les hommes en font, les rejetant comme fausses
lorsqu'elles ne sont pas vraies généralement, au moins d'une gé
néralité morale , dont les hommes se contentent dans les discours
ordinaires des choses du monde.
Car qui souffrirait que l'on dît : que les ours sont blancs, que
les hommes sont noirs, que les Parisiens sont gentilshommes , les
Polonais sont sociniens, les Anglais sont trembleurs ? Et cepen
dant, selon la distinction de ces philosophes, ces propositions
devraient passer pour très-vraies, puisque étant indéfinies dans
une matière contingente , elles devraient être prises pour parti
culières. Or, il est très-vrai qu'il y a quelques ours blancs,
comme ceux de la Nouvelle-Zemble ; quelques hommes qui sont
noirs, comme les Éthiopiens ; quelques Parisiens qui sont gen
tilshommes ; quelques Polonais qui sont sociniens ; quelques An
glais qui sont trembleurs. Il est donc clair qu'en quelque matière
que ce soit, les propositions indéfinies de cette sorte sont prises
pour universelles, mais que dans une matière contingente, on se
contente d'une universalité morale. Ce qui fait qu'on dit fort
bien : Les Français sont vaillants, les Italiens sont soupçonneux ,
les Allemands sont grands , les Orientaux sont voluptueux, quoi
que cela ne soit pas vrai de tous les particuliers, parce qu'on se
contente qu'il soit vrai de la plupart.
Il y a donc une autre distinction sur ce sujet, laquelle est plus
raisonnable, qui est que ces propositions indéfinies sont univer
selles en matière de doctrine, comme : Les anges n'ont point de
corps, et qu'elles ne sont que particulières dans les faits et dans
les narrations, comme quand il est dit dans l'Évangile : Milites
plectentes coronam de spinis , imposuerunt capiti ejus ", il est
bien clair que cela ne doit être entendu que de quelques soldats,
et non pas de tous les soldats. Donc la raison est qu'en matière
d'actions singulières, lors surtout qu'elles sont déterminées à un
i S. Matth ., XXVI, 29.
170 LOGIQUE

certain temps, elles ne conviennent ordinairement à un termey


commun qu'à cause de quelques particuliers, dont l'idée distincte
est dans l'esprit deceux qui font ces propositions : de sorte qu'à
le bien prendre, ces propositions sont plutôt singulières que par
ticulières, comme on pourra le juger par ce qui a été dit des
termes complexes dans le sens, Ire partie, chap. VIII, et Ile par
tie, chap . vi.

OBSERVATION VII. Les noms de corps , de communauté; de


peuple, étant pris collectivement, comme ils le sont d'ordinaire,
pour tout le corps, toute la communauté, tout le peuple, ne font
point les propositions où ils entrent, proprement universelles, ni
encore moins particulières, mais singulières, comme quand jo
dis : Les Romains ont vaincu les Carthaginois; les: Vénitiens font
la guerre aux Turcs; les juges d'un tel lieu ont condamné un cri
minel; ces propositions ne sont point universelles, autrement on
pourrait conclure de chaque Romain, qu'il aurait vaincu les Car-..
thaginois, ce qui serait faux : et elles ne sont point aussi parti
culières ; car cela veut dire plus que si je disais, que quelques
Romains ont vaincu les Carthaginois, mais elles son singulièo.
res, parce que l'on considère chaque peuple comme une personne
morale, dont la durée est de plusieurs siècles, qui subsiste tant
qu'il compose un État, et qui agit en tous ces temps par ceux
qui le composent, comme un homme agit par ses membres. D'où
vient que l'on dit , que les Romains qui ont été vaincus par les
Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au temps de
César , attribuant ainsi à ce même terme de Romains d'avoir été
vaincus en un temps, et d'avoir été victorieux en l'autre, quoi.
qu'en l'un de ces temps il n'y ait eu aucun de ceux qui étaient
en l'autre : et c'est ce qui fait voir sur quoi est fondée la vanité
que chaque particulier prend des belles actions de sa nation ,
auxquelles, il n'a point eu de part, et qui est aussi sotte que celle
d'une oreille , qui, étant sourde, se glorifierait de la vivacité de
l'œil ou de l'adresse de la main .
DEUXIÈME PARTIE . 171

CHAPITRE XIV .

Des propositions où l'on donne aux signes le nom des choses.

Nous avons dit dans la première partie, que des idées, les
unes avaient pour objet des choses, les autres des signes. Or,
ces idées de signes attachées à des mots, venant à composer des
propositions, il arrive une chose qu'il est important d'examiner
en ce lieu, et qui appartient proprement à la logique, c'est qu'on
en affirme quelquefois les choses signifiéest; et il s'agit de savoir
quand on a droit de le faire, principalement à l'égard des
signes d'institution ; car, à l'égard des signes naturels, il n'y a
pas de difficulté, parce que le rapport visible qu'il y a entre ces
sortes de signes et les choses, marque clairement que quand on
affirme du signe la chose signifiée, on veut dire,, non que ce signe
soit réellement cette chose, mais qu'il l'est en signification et en
figure , et ainsi. l'on dira sans préparation et sans façon d'un
portrait de César, que c'est César ; et d'une carte d'Italie, que
c'est l'Italie .
Il n'est donc besoin d'examiner cette règle qui permet d'affir
mer les choses signifiées de leurs signes, qu'à l'égard des signes
d'institution qui n'avertissent pas par un rapport, visible du sens
auquel on entend ces propositions ; et c'est ce qui a donné lieu à
bien des disputes.
Car il semble à quelques-uns que cela puisse se faire indiffé
remment, et qu'il suffise pour montrer qu'une proposition est
raisonnable en la prenant en un sens de figure et de signe, de
dire qu'il est ordinaire de donner au signe le nom de la chose
signifiée : et cependant cela n'est pas vrai ; car il y a une infinité
de propositions qui seraient extravagantes, si l'on donnait aux
signes le nom des choses signifiées ; ce que l'on ne fait jamais,
parce qu'elles sont extravagantes. Ainsi un homme qui aurait
172 LOGIQUE .

établi dans son esprit que certaines choses en signifieraient d'au


tres, serait ridicule, si, sans en avoir averti personne, il pre
nait la liberté de donner à ces signes de fantaisie le nom de ces
choses et disait, par exemple , qu'une pierre est un cheval, et
un åne un roi de Perse, parce qu'il aurait établi ces signes dans
son esprit. Ainsi la première règle qu'on doit suivre sur ce sujet,
est qu'il n'est pas permis indifféremment de donner aux signes le
nom des choses.
La seconde, qui est une suite de la première , est que la seule
incompatibilité évidente des termes n'est pas une raison suffi
sante pour conduire l'esprit au sens de signe, et pour conclure
qu'une proposition ne pouvant se prendre proprement, se doit
donc expliquer en un sens de signe. Autrement il n'y aurait
point de ces propositions qui fussent extravagantes, et plus elles
seraient impossibles dans le sens propre, plus on retomberait,
facilement dans le sens du signe, ce qui n'est pas néanmoins :
car qui souffrirait que, sans autre préparation , et en vertu seu
lement d'une destination secrète, on dit que la mer est le ciel, '
que la terre est la lune, qu'un arbre est un roi ? Qui ne voit
qu'il n'y aurait point de voie plus courte pour s'acquérir la ré
putation de folie, que de prétendre introduire ce langage dans
le monde ? Il faut donc que celui à qui on parle soit prcparé
d'une certaine manière, afin qu'on ait droit de se servir de ces
sortes de propositions , et il faut remarquer, sur ces prépara
tions, qu'il y en a de certainement insuffisantes, et d'autres qui
sont certainement suffisantes .
1° Les rapports éloignés qui ne paraissent point aux sens, ni à:
la première vue de l'esprit, et qui ne se découvrent que par mé
ditation, ne suffisent nullement pour donner d'abord aux signes
le nom des choses signifiées : car il n'y a presque point de
choses, entre lesquelles on ne puisse trouver de ces sortes de
rapports, et il est clair que des rapports qu'on ne voit pas d'a
bord ne suffisent point pour conduire au sens de figure.
2° Il ne suffit pas, pour donner à un signe le nom de la chose
signifiée dans le premier établissement qu'on en fait, de savoir
que ceux à qui on parle le considèrent déjà comme un signe
d'une autre chose toute différente . On sait, par exemple, que le
DEUXIÈME PARTIE . 173

laurier est signe de la victoire , et l'olivier de la paix ; mais cette


connaissance ne prépare nullement l'esprit à trouver bon qu'un
homme à qui il plaira de rendre le laurier signe du roi de la
Chine, et l'olivier du grand Seigneur, dise sans façon, en se pro
menant dans un jardin : « Voyez ce laurier, c'est le roi de la
Chine ; et cet olivier, c'est le Grand Turc . »
30 Toute préparation qui applique seulement l'esprit à attendre
quelque chose de grand, sans le préparer à regarder en particu
lier une chose comme signe , ne suffit nullement pour donner
droit d'attribuer à ce signe le nom de la chose signifiée dans la
première institution . La raison en est claire , parce qu'il n'y a
nulle conséquence directe et prochaine entre l'idée de grandeur
et l'idée de signe ; et ainsi l'une ne conduit point à l'autre.
Mais c'est certainement une préparation suffisante pour donner
aux signes le nom des choses, quand on voit dans l'esprit de
ceux à qui on parle que, considérant certaines choses comme
signes; ils sont en peine seulement de savoir ce qu'elles signifient.
Ainsi Joseph a pu répondre à Pharaon , que les sept vaches
grasses et les sept épis pleins qu'il avait vus en songe, étaient sept
années d'abondance ; et les sept vaches maigres et les sept épis
maigres, sept années de stérilité ; parce qu'il voyait que Pharaon
n'était en peine que de cela, et qu'il lui faisait intérieurement
cette question : a Qu'est-ce que ces vaches grasses et maigres,
ces épis pleins et vides sont en signification ' ?
Ainsi Daniel répondit fort raisonnablement à Nabuchodonosor,
qu'il était la tête d'orº ; parce qu'il lui avait proposé le songe
qu'il avait eu d'une statue qui avait la tête d'or, et qu'il lui en
avait demandé la signification.
Ainsi, quand on a proposé une parabole, et qu'on vient à l'ex
pliquer, ceux à qui l'on parle, considérant déjà tout ce qui la
compose comme des signes, on a droit, dans l'explication de
chaque partie, de donner au signe le nom de la chose signifiée.
Ainsi Dieu ayant fait voir au prophète Ézéchiel en vision , in
spiritu , un champ plein de morts, et les prophètes distinguant

1. Genèse, LII .
2. Daniel, xi.
174 LOGIQUE .
les visions des réalités, et étant accoutumés à les prendre pour
des signes, Dieu lui parla fort intelligiblement en lui disant, que
ces os étaient la maison d'Israël ' ; c'est- à -dire qu'ils la sigoi
fiaient.
Voilà les préparations certaines ; et comme on ne voit pas
d'autres exemples où l'on convienne que l'on ait donné au signe
le nom de la chose signifiée, que ceux où elle se trouve, on
en peut tirer cette maxime de sens commun ; que l'on ne donne
aux signes le nom des choses, que lorsqu'on a droit de supposer
qu'ils sont déjà regardés comme signes, et que l'on voit dans
l'esprit des autres qu'ils sont en peine de savoir, non ce qu'ils
sont, mais ce qu'ils signifient.
Mais comme la plupart des règles morales ont des exceptions,
on pourrait douter s'il n'en faudrait point faire une à celle - ci en
un seul cas ; c'est quand la chose signifiée esttelle, qu'elle exige
en quelque sorte d'être marquée par un signe :de sorte que, sitôt
que le nom de cette chose est prononcé, l'esprit conçoit incon
tinent que le sujet auquel on l'a joint est destiné pour la dési
gner. Ainsi, comme les alliances sont lordinairement marquées
par des signes extérieurs, si l'on affirmait le mot d'alliance de
quelque chose extérieure, l'esprit pourrait être porté à conce
voir qu'on l'affirmerait comme de sonsigne : de sorte que, quand
il y aurait dans l'Écriture que la Circoncision est l'alliance, peut
être n'y aurait -il rien de surprenant, car l'alliance porte l'idéedu
signe sur la chose à laquelle elle est jointe : et ainsi, comme ce
lui qui écoute une proposition conçoit l'attribut et les qualités de
l'attribut avant qu'il en fasse l'union avec le sujet, on peut sup
poser que celui qui entend cette proposition, la Circoncision est
l'alliance, est suffisamment préparé à concevoir que da Cir
concision n'est alliance qu'en signe, le mot d'alliance luisayant
donné lieu de former cette idée, non avantqu'il soit prononcé,
mais avant qu'il fût joint dans son esprit avec le mot de Cörcon
cision .
J'ai dit que l'on pourrait croire que les choses qui exigent, par
une convenance de raison, d'être marquées par des signes, se
1. Ezéchiel, XXXVI .
DEUXIÈME PARTIE . 175

raient une exception de la règle établie , qui demande une prépa


ration précédente qui fasse regarder le signe comme signe, afin
qu'on en puisse affirmer la chose signifiée, parce que l'on pour
rait croire aussi le contraire : car 1° cette proposition , la Circon
cision est l'alliance, n’est point dans l'Écriture, qui porte seule
ment : Voici l'alliance que vous observerez entre vous, votre pos
térité etmoi: Tout mále parmi vous sera circoncis ". Or, il n'est
pas dit dans ces paroles que la Circoncision soit l'alliance ,
mais la Circoncision y est commandée comme condition de l'al
liance. Il est vrai que Dieu exigeait cette condition, afin que
la Circoncision fût signe de l'alliance, comme il est porté dans
le verset suivant : Ut sit in signum fæderis, mais afin qu'elle
fût signe , il en fallait commander l'observation , et la faire cor
dition de l'alliance, et c'est ce qui est contenu dans le verset
précédent.
20 Ces paroles de saint Luc : Ce calice est la nouvelle alliance
en mon isang , que l'on allègue aussi, ont encore moins d'évi
dence pour confirmer cette exception ; car, en traduisant littéra
lement, il y a dans saint Luc : Ce calice est le nouveau testament
ken mon sang. Or, comme le mot de testament ne signifie pas
seulement la dernière volonté du testateur, mais encore plus
-proprement l'instrument qui la marque, il n'y a point de figure
à appeler le calice du sang de Jésus -Christ, testament, puis
que c'est proprement la marque, de gage et le signe de la
dernière volonté de Jésus-Christ, l'instrument de la nouvelle al
liance.
Quoi qu'il en soit, cette exception étant douteuse d'une part,
et étant très -rare de l'autre, et y ayant très-peu de chose qui
exigent d'elles -mêmes d'être marquées par des signes, elles n'em
pêchent pas l'usage et l'application de la règle à l'égard de
toutes les autres choses qui n'ont pas cettė qualité, et que les
hommes n'ont point accoutumé de marquer par des signes d'in
stitution. Car il faut se souvenir de ce principe d'équité, que la
plupart des règles ayant des exceptions, elles ne laissent pas

1. Genèse, XVII.
2. S. Luc , XXII, 20.
176 LOGIQUE .

d'avoir leur force dans les choses qui ne sont point comprises
dans l'exception .
C'est par ces principes qu'il faut décider cette importante
question , si l'on peut donner à ces paroles, ceci est mon corps,
le sens de figure ; ou plutôt , c'est par ces principes que toute la
terre l'a décidée , toutes les nations du wonde s'étant portées na
turellement à les prendre au sens de réalité, et en extraire le
sens de figure; car les apôtres ne regardant pas le pain comme
un signe, et n'étant point eu peine de ce qu'il signifiait, Jésus
Christ n'aurait pu donner aux signes le nom des choses, sans
parler contre l'usage de tous les hommes, et sans les trompers
ils pouvaient peut-être regarder ce qui se faisait comme quelque
chose de grand ; mais cela ne suffit pas.
Je n'ai plus à remarquer sur le sujet des signes, auxquels l'on
donne le nom des choses, sinon qu'il faut extrêmement distinguer
entre les expressions où l'on se sert du nom de la chose pour
marquer le signe, comme quand on appelle un tableau d'Alexan
dre du nom d'Alexandre, et celles dans lesquelles le signe étant
marqué par son nom propre , ou par un pronom, on en affirme la
chose signifiée; car cette règle, qu'il faut que l'esprit de ceux à
qui on parle regarde déjà le signe comme signe, et soit en peine
de savoir de quoi il est signe, ne s'entend nullement du premier
genre d'expressions, mais seulement du second, où l'on affirme
expressément du signe de la chose signifiée; car on ne se sert de
ces expressions que pour apprendre à ceux à qui l'on parle ce
que signifie ce signe, et on ne le fait en cette manière que lors
qu'ils sont suffisamment préparés à concevoir que le signe n'est
la chose signifiée qu'en signification et en figure.
DEUXIÈME PARTIE . 177

CHAPITRE XV.

De deux sortes de propositions qui sont de grand usage dans les sciences,
la division et la définition, et premièrement de la division.

Il est nécessaire de dire quelque chose en particulier de deux


sortes de propositions qui sontde grand usage dans les sciences ,
la division et la définition .
La division est le partage d'un tout en ce qu'il contient.
Mais comme il y a deux sortes de tout, il y a aussi deux sortes
de divisions. Il y a un tout composé de plusieurs parties réelle
ment distinctes, appelé en latin totum , et dont les parties sont
appelées parties intégrantes. La division de ce tout s'appelle pro
prement partition ; comme quand on divise'une maison en ses
appartements, une ville en ses quartiers, un royaume ou un État
en ses provinces , l'homme en corps et en âme , le corps en ses
membres. La seule règle de cette division est de faire des dénom
brements bien exacts et auxquels il ne manque rien.
L'autre tout est appelé en latin omne, et ses parties, parties
subjectives ou inférieures; parce que ce tout est un terme commun,
et ses parties sont les sujets compris dans son étendue. Le mot
d'animal est un tout de cette nature, dont les inférieurs , comme
homme et béte, qui sont compris dans son étendue, sont les par
ties subjectives. Cette division retient proprement le nom de
division , et on en peut remarquer de quatre sortes.
La 1re' est quand on divise le genre par espèces : Toute sub
stance est corps ou 'esprit; tout animal est homme ou béte.
La 2e est quand on divise , le genre par ses différences : Tout
animal est raisonnable ou privé de raison ; ut nombre est pair cu
impair; toute proposition est vraie ou fausse; toute ligne est droite
ou courbe.
La 3e quand on divise un sujet commun par les accidents pro
pres dont il est capable , ou selon ses divers inférieurs, ou en
12
178 LOGIQUE .
divers temps, comme : Tout astre est lumineux par soi-même, ou
seulement par réflexion ; tout corps est en mouvement ou en repus ;
tous les Français sont nobles ou roturiers; tout homme est sain ou
malade;; tous les peuples se servent pour s'exprimer, ou de la pa
role seulement ou de l'écriture outre la parole .
La 4e d'un accident en ses divers sujets, comme la division des
biens en ceux de l'esprit et du corps.
Les règles de la division sont : 1° qu'elle soit entière, c'est-à
dire que les membres de la division comprennent toute l'étendue
du terme que l'on divise, comme pair et impair comprennent
toute l'étendue du terme de nombre, n'y en ayant point qui ne
soit pair ou impair. Il n'y a presque rien qui fasse faire tant de
faux raisonnements que le défaut d'attention à cette règle ; et ce
qui trompe est qu'il y a souvent des termes qui paraissent telle
ment opposés, qu'ils semblent ne point souffrir de milieu, et qui
ne laissent pas d'en avoir. Ainsi , entre ignorant et savant, il y a
une certaine médiocrité de savoir qui tire un homme du rang des
ignorants, et qui ne le met pas encore au rang des savants.
Entre vicieux et vertueux, il y a aussi un certain état dont on
peut dire ce que Tacite dit de Galba , magis extra vitia, quam cum
virtutibus ' ; car il y a des gens qui, n'ayant point de vices
grossiers, ne sont pas appelés vicieux, et qui, ne faisant point de
bien , ne peuvent point être appelės vertueux, quoique devant
Dieu ce soit un grand vice que de n'avoir point de vertu. Entre
sain et malade, il y a l'état d'un homme indisposé ou conva
lescent : entre le jour et la nuit, il y a le crépuscule : entre les
vices opposés, il y a le milieu de la vertu, comme la piété entre
l'impiété et la superstition ; et quelquefois ce milieu est double ,
comme entre l'avarice et la prodigalité, il y a la libéralité, et une
épargne louable : entre la timidité qui craint tout et la témérité
qui ne craint rien, il y a la générosité qui ne s'étonne point des
périls, et une précaution raisonnable, qui fait éviter ceux auxquels
il n'est pas à propos de s'exposer.
La deuxième règle, qui est une suite de la première , est que les
membres de la division soient opposés, comme pair, impair ; rai
1. Hist., I , 49.
DEUXIÈME PARTIE . 179

sonnable, privé de raison . Mais il faut remarquer ce qu'on a déjà


dit dans la première partie, qu'il n'est pas nécessaire que toutes
les différences qui font ses membres opposés soient positives;
mais qu'il suffit que l'une le soit , et que l'autre soit le genre seul
avec la négation de l'autre différence ; et c'est même par là qu'on
fait que les membres sont plus certainement opposés . Ainsi , la
différence de la bête d'avec l'homme n'est que la privation de la
raison , qui n'est rien de positif : l'imparité n'est que la négation
de la divisibilité en deux parties égales. Le nombre premier n'a
rien que n'ait le nombre composé ; l'un et l'autre ayant l'unité
pour mesure, et celui qu'on appelle premier n'étant différent du
composé, qu'en ce qu'il n'a point d'autre mesure que l'unité.
Néanmoins, il faut ajouter que c'est le meilleur d'exprimer les
différences opposées par des termes positifs, quand cela se peut ;
parce que cela fait mieux entendre la nature des membres de la
division. C'est pourquoi la division de la substance en celle qui
pense et celle qui est étendue, est beaucoup meilleure que la
commune, en celle qui est matérielle, et celle qui est immatérielle,
ou bien en celle qui est corporelle, et celle qui n'est pas cor
porelle ; parce que les mots d'immatérielle ou d'incorporelle ne
nous donnent qu'une idée fort imparfaite et fort confuse de ce
qui se comprend beaucoup mieux par les mots de substance qui
pense .
La troisième règle, qui est une suite de la seconde , est que
l'un des membres ne soit pas tellement enfermé dans l'autre, que
l'autre en puisse être affirmé, quoiqu'il puisse quelquefois y étre
enfermé en une autre manière ; car la ligne est enfermée dans la
surface comme le terme de la surface, et la surface dans le solide
comme le terme du solide. Mais cela n'empêche pas que l'étendue
ne se divise en ligne, surface et solide, parce qu'on ne peut pas
dire que la ligne soit surface, ni la surface solide. On ne peut pas,
au contraire, diviser le nombre en pair, impair et carré, parce
que tout nombre carré étant pair ou impair, il est enfermé dans
les deux premiers membres.
On ne doit pas aussi diviser les opinions en vraies, fausses et
probables, parce que toute opinion probable est vraie ou fausse.
Mais on peut les diviser premièrement en vraies et en fausses,
180 LOGIQUE .
et puis diviser les unes et les autres en certaines et en pro
bables '.
Ramus et ses partisans se sont fort tourmentés pour montrer
que toutes les divisions ne doivent avoir que deux membres.
Tant qu'on peut le faire commodément ,. c'est le meilleur ; mais la
clarté et la facilité étant ce qu'on doit le plus considérer dans les
sciences, on ne doit pas rejeter les divisions en trois membres, et
plus encore , quand elles sont plus naturelles, et qu'on aurait
besoin de subdivisions forcées pour les faire, toujours en deux
membres : car alors, au lieu de soulager l'esprit, ce qui est. le.
principal fruit de la division , on l'accable par un grand nombre
de subdivisions, qu'il est bien plus difficile de retenir, que si tout
d'un coup on avait fait plus de membres à ce que l'on divise . Par
exemple, n'est-il pas plus court, plus simple et plus naturel de
dire : Toute étendue est ou ligne , ou surface, ou solide, que de
dire comme Ramus : Magnitudo est linea vel lineatum : lineatum
est superficies vel solidum .
Enfin, on peut remarquer que c'est un égal défaut de ne faire
pas assez et de faire trop de divisions ; l'un n'éclaire pas assez
l'esprit, et l'autre le dissipe trop. Crassot ?, qui est un philo
sophe estimable entre les interprètes d'Aristote, a nuià son livre
par le trop grand nombre de divisions. On retombe par là dans la
confusion que l'on prétend éviter : confusum est quidquid in pul
verem sectum est 3.

1. Le P. Buffier (Cours de sciences, p. 880) a critiqué ce passage ,


et suivant nous , avec raison. Toute opinion, comme il le remarque, est
sans doute conforme ou non conforme à son objet, et par conséquent
vraie ou fausse, sans milieu. Mais si on considère nos pensées dans leur
rapport avec l'âme elle - même , on reconnaîtra que plusieurs de nous
paraissent pas assez évidentes pour les déclarer vraies, assez obscures
pour les juger fausses , et qu'il convient de les appeler seulement vrai
semblables ou probables.
2. Jean Crassot , natif de Langres, mort en 1616 , enseigna la phi
losophie pendant plus de trente ans dans l'Université de Paris. Il a
laissé des Éléments de Physique et de Logique publiés après sa mort.
3. « Rien n'est moins judicieux que de multiplier les classes au delà
du besoin.... On veut éclairer les objets et l'on disperse les rayons de
lumière. On veut soulager l'esprit, on le surcharge, on l'accable. Il y
rurait ici moins d'inconvénients à pécher par défautque par excès. En
81
DEUXIÈME PARTIE .

CHAPITRE XVI .

De la définition qu'on appelle définition des choses.

Nous avons parlé fort au long , dans la première partie, des défi
nitions de noms, et nous avons montré qu'il ne fallait pas les con
fondre avec les définitions des choses ; parce que les définitions
des noms sont arbitraires , au lieu que les définitions des choses 0

ne dépendent point de nous, mais de ce qui est enfermé dans la


véritable idée d'une chose, et ne doivent point être prises pour
principes, mais être considérées comme des propositions qui
doivent souvent être confirmées par raison , et qui peuvent être
combattues. Ce n'est donc que de cette dernière sorte de défini
tion que nous parlons en ce lieu.
Il y en a de deux sortes : l'une plus exacte, qui retient le nom
de définition ; l'autre moins exacte, qu'on appelle description.
La plus exacte est celle qui explique la nature d'une chose par
ses attributs essentiels, dont ceux qui sont communs s'appellent
genre, et ceux qui sont propres différence.
Ainsi on définit l'homme un animal raisonnable ; l'esprit, uno
substance qui pense ; le corps une substance étendue ; Dieu ,
l'être parfait. Il faut, autant que l'on peut , que ce qu'on mel
pour genre dans la définition , soit le genre prochain du défini, et
non pas seulement le genre éloigné.
On définit aussi quelquefois par les parties intégrantes, comme
lorsqu'on dit que l'homme est une chose composée d'un esprit,
et d'un corps. Mais alors même il y a quelque chose qui tient lieu
de genre , commele mot de chose composée, et le reste tient lieu
de différence.

divisant trop peu , nous ne voyons pas tout , il est vrai , mais du
moins, ce que nous avons sous les yeux nous le voyons. En divi: ant
trop , au contraire, tout échappe au regard , tout se perd dans la con
fusion . » LAROMIGUIÈRE , Leç. de Philosophie, part. II , leg. X.
182 LOGIQUE .
La définition moins exacte, qu'on appelle description, est celle
qui donne quelque connaissance d'une chose par les accidents
qui lui sont propres , et qui la déterminent assez pour en donner
quelque idée qui la discerne des autres.
C'est en cette manière qu'on décrit les herbes, les fruits, les
animaux , par leur figure, par leur grandeur, par leur couleur et
autres semblables accidents. C'est de cette nature que sont les
descriptions des poëtes et des orateurs.
Il y a aussi des définitions ou descriptions qui se font par les
causes , par la matière, par la forme, par la fin, etc. , comme si on
définit une horloge , une machine de fer composée de diverses
$
roues , dont le mouvement réglé est propre à marquer les heures,
Il y a trois choses nécessaires à une bonne définition : qu'elle
soit universelle , qu'elle soit propre, qu'elle soit claire .
1° Il faut qu'une définition soit universelle, c'est - à -dire qu'elle
comprenne tout le défini. C'est pourquoi la définition commune
du temps, que c'est la mesure du mouvement, n'est peut-être pas
bonne , parce qu'il y a grande apparence que le temps ne mesure
pas moins le repos que le mouvement, puisqu'on dit aussi bien
qu'une chose a été tant de temps en repos , comme on dit qu'elle
s'est remuée pendant tant de temps ; de sorte qu'il semble que le
temps ne soit autre chose que la durée de la créature en quelque
état qu'elle soit.
20 Il faut qu'une définition soit propre, c'est-à-dire qu'elle ne
convienne qu'au défini. C'est pourquoi la définition commune des
éléments, un corps simple corruptible, ne semble pas bonne , car
les corps célestes n'étant pas moins simples que les éléments par
le propre aveu de ces philosophes, on n'a aucune raison de croire
qu'il ne se fasse pas dans les cieux des altérations semblables à
celles qui se font sur la terre, puisque, sans parler des comėtes,
qu'on sait maintenant n'être point formées des exhalaisons de la
terre , comme Aristote se l'était imaginé, on a découvert des ta
ches dans le soleil qui s'y forment, et qui s'y dissipent de la même
sorte que nos nuages, quoique ce soient de bien plus grands
corps .
30 Il faut qu'une définition soit claire, c'est- à- dire qu'elle nous
serve à avoir une idée plus claire et plus distincte de la chose
DEUXIÈME PARTIE . 183

qu'on définit, et qu'elle nous en fasse, autant qu'il se peut, com


prendre la nature ; de sorte qu'elle puisse nous aider à rendre
raison de ses principales propriétés. C'est ce qu'on doit principa
lement considérer dans les définitions, et c'est ce qui manque à
une grande partie des définitions d'Aristote .
Car qui est celui qui a mieux compris la nature du mouvement
par cette définition : Actus entis in potentia quatenus in potentia,
a l'acte d'un être en puissance en tant qu'il est en puissance ? ? »
L'idée que la nature nous en fournit n'est-elle pas cent fois plus
claire que celle-là ? et à qui servit- elle jamais pour expliquer au
cune des propriétés du mouvement ?
Les quatre célèbres définitions de ces quatre premières qualités,
le sec, l'humide, le chaud, le froid ne sont pas meilleures .
Le sec, dit-il , est ce qui est facilement retenu dans ses bornes,
et difficilement dans celles d'un autre corps : Quod suo termino
facile continetur, difficulter alieno.
Et l'humide, au contraire, ce qui est facilement retenu dans les
bornes d'un autre corps, et difficilement dans les siennes : Quod
suo termino difficulter continetur, facile alieno ?.

1. Métaphys., XI , p . 230 de l'édition de Brandis , 'H TOû òuvatoù


δυνατόν εντελέχεια κίνησις εστιν . Aristote distingue deux points de vue
de l'existence , la puissance (ouváves) qui n'est que la possibilité de
l’être , et l'acte (èvepréca , ÉVTE ).éxela ), c'est- à -dire l’être réalisé . Une
chose qui n'existe pas encore, mais qui existera, possède déjà le pou
voir d'exister ; elle est possible avant que d'être réelle. Ainsi une statue
existe en puissance dans le bloc de marbre d'où le ciseau du sculpteur
ne l'a pas encore dégagée. Appliquez ceci au mouvement. Un corps
qui est en repos a la possibilité de se mouvoir. Et que sera son mou
vement ? Rien autre chose que cette possibilité même réduite en acte.
On voit d'après cela que l'obscure formule critiquée par la Logique de
Port-Royal est la conséquence la plus directe des principes de la mé
taphysique péripatéticienne. Leibnitz, juge plus impartial que les car
tésiens , disait avec sa sincérité et son exactitude ordinaires , Nouv .
Essais, liv. III , chap. IV : « La définition d'Aristote n'est pas si absurde
qu'on pense, faute d'entendre que le grec xívnois chez lui ne signifiait
pas ce que nous appelons mouvement, mais ce que nous exprimerions
par le mot de changement : d'où vient qu'il lui donne une définition
si abstraite et si métaphysique, ou bien que ce nous appelons mou
vement est appelé chez lui popà , latio; et se trouve entre les espèces
du changement ( tñs xivnosws) .
2. De Generat., I , 2.
184 LOGIQUE .
Mais premièrement ces deux définitions conviennent mieux aux
corps durs et aux corps liquides qu'aux corps secs et aux corps
humides ; car on dit qu'un air est sec et qu'un autre air est hu
mide, quoiqu'il soit toujours facilement retenu dans les bornes
d'un autre corps, parce qu'il est toujours liquide ; et de plus, on
ne voit pas comment Aristote a pu dire que le feu , c'est -à -dire la
flamme, était sèche selon cette définition, puisqu'elle s'accom
mode facilement aux bornes d'un autre corps, d'où vient aussi
que Virgile appelle le feu liquide : Et liquidi simul ignis '. Et
c'est une vaine subtilité de dire avec Campanelle que le feu
étant renfermé, aut rumpit, aut numpiturº ; car ce n'est point
à cause de sa prétendue sécheresse, mais parce que sa propre
fumée l'étouffe, s'il n'a de l'air. C'est pourquoi il s'accommo
dera fortbien aux bornes d'un autre corps, pourvu qu'il ait quel
que ouverture par où il puisse chasser ce qui s'en exbale sans
cesse .

Pour le chaud, il le définit, ce qui rassemble les corps sem


blables et désunit les dissemblables : Quod congregat homogenea
et disgregat heterogenea.
Et le froid, ce qui rassemble les corps dissemblables et désunit
les semblables : Quod congregat heterogenea et disgregat homoge
nea . C'est ce qui convient quelquefois au chaud et au froid ,
mais non pas toujours, et ce qui de plus ne sert de rien à nous
faire entendre la vraie cause qui fait que nous appelons un corps
chaud et un autre froid ; de sorte que le chancelier Bacon avait
raison de dire que ces définitions étaient semblables à celle qu'on
ferait d'un homme en le définissant : un animal qui fait des
souliers et qui laboure les vignes. Le même philosophe définit la
nature: Principium motuset quietis in eo in quo est , « le principe
du mouvement et du repos en ce en quoi elle est. - Ce qui n'est
fondé que sur une imagination qu'il a eue que les corpsnaturels
étaient en cela différents des corps artificiels, que les naturels
1. Énéide, vi , v . 33.
2. De sensu rerum , II , C. V.
3. De Generat., I , 2.
4. Physic., II, 1 : “ Η φύσις ούτω λέγεται η πρώτη εκάστω υποκειμένη
όλη των εχόντων εν εαυτοίς κινήσεως αρχήν και μεταβολής..
DEUXIÈME PARTIE. 185
avaient en eux le principe de leur mouvement et que les artificiels
ne l'avaient que de dehors ; au lieu qu'il est évident et certain
que nul corps ne peut se donner le mouvement à soi-même,
parce que la matière étant de soi-même indifférente au mouve
ment et au repos, ne peut être déterminée à l'un ou à l'autre que
par une cause étrangère ; ce qui ne pouvant aller à l'infini, il
faut nécessairement que ce soit Dieu qui ait imprimé le mouve
ment dans la matière, et que ce soit lui qui l'y conserve.
La célèbre définition de l'âme paraît encore plus défectueuse :
Actus primus corporis naturalis organici potentia vitam habentis,
« l'acte premier du corps naturel organique qui a la vie en puis
sance ' . » On ne sait ce qu'il a voulu définir : car , 10 si c'est l'âme
en tant qu'elle est commune aux hommes et aux bêtes, c'est une
chimère qu'il a définie , n'y ayant rien de commun entre ces
deux choses. 2º Il a expliqué un terme obscur par quatre ou
cinq plus obscurs ; et , pour ne parler que du mot de vie,
l'idée qu'on a de la vie n'est pas moins confuse que celle qu'on
1. De anima , II , Cap . 1. "Έστιν η ψυχη εντελέχεια πρώτη σώματος
φυσικού οργανικού ζωήν δυνάμει έχοντος. Cette definition n'est pas ir
réprochable , et l’Art de Penser en signale avec raison le vice principal
qui est de s'appliquer indifféremment aux âmes de toutes les espèces ,
et de ne pas distinguer l'âme de l'homme de celle des animaux. Ce
pendant elle a trop longtemps régné dans les écoles pour ne pas avoir
un sens qu'il faut s'efforcer de comprendre . L'âme est certainement une
substance; mais quelle espèce de substance ? se demande Aristote.
Est-elle un composé de matière et de forme ? Nullement. Ce composé,
par exemple, c'est l'homme, le lion , le chêne. Or, l'âme de l'homme
se distingue de l'homme lui-même . Est-elle la matière dont une chose
est faite ? Mais la matière est la même pour tous les animaux , tandis
que l'âme varie selon les espèces. L'âme ne peut être que la forme,
une forme agissante, un acte , une énergie , évépyela, ou encore une
entéléchie, łyteléyeld, c'est-à- dire une substance qui tend d'elle-même
vers sa fin . Et comme elle n'est pas une entéléchie pure, invariable,
éternelle, affranchie de tout contact avec la matière, ce qui est le pri
vilége de Dieu ; comme elle est unie à un corps vivant qu'elle anime,
il s'ensuit qu'elle peut être définie l’entéléchie d'un corps organisé
ayant le pouvoir de vivre. Tel est le résumé des développements qui,
chez Aristote même, préparent et expliquent la définition de l'âme.
Cette définition , nous le répétons, est vicieuse en ce qu'elle s'applique
à la vie considérée d'une manière générale, plutôt qu'à ce principe
intelligent et libre qui a conscience de lui-même, et dans lequel nous
nous reconnaissons.
196 LOGIQUE .
a de l'âme, ces deux termes étant également ambigus et équi
voques.
Voilà quelques règles de la division et de la définition ; mais
quoiqu'il n'y ait rien de plus important dans les sciences que de
bien diviser de bien définir, il n'est pas nécessaire d'en rien
dire ici davantage , parce que cela dépend beaucoup plus de la
connaissance de la matière que l'on traite que des règles de la
logique.

CHAPITRE XVII.

De la conversion des propositions , où l'on explique plus à fond la


nature de l'affirmation et de la négation , dont cette conversion
dépend , et premièrement de la nature de l'affirmation .

(Les chapitres suivants sont un peu difficiles à comprendre, et ne sont


nécessaires que pour la spéculation. C'est pourquoi ceux qui ne voudront
pas se fatiguer l'esprit à des choses peu utiles pour la pratique, peuvent
les passer.)

J'ai réservé jusqu'ici à parler de la conversion des propositions,


parce que de là dépendent les fondements de toute l'argumenta
tion dont nous devons traiter dans la partie suivante ; et ainsi il
a été bon que cette matière ne fût pas éloignée de ce que nous
avions à dire du raisonnement, quoique, pour bien la traiter, il
faille reprendre quelque chose de ce que nous avons dit de l'affir
mation ou de la négation , et expliquer à fond la nature de l'une
et de l'autre .
Il est certain que nous ne saurions exprimer une proposition
aux autres que nous ne nous servions de deux idées : l'une pour
le sujet et l'autre pour l'attribut , et d'un autre mot qui marque
l'union que notre esprit y conçoit.
Cette union ne peut mieux s'expliquer que par les paroles
mêmes dont on se sert pour affirmer, en disant qu'une chose est
une autre chose.
Et de là il est clair que la nature de l'affirmation est d'unir et
DEUXIÈME PARTIE. 187

d'identifier, pour le dire ainsi , le sujet avec l'attribut, puisque


c'est ce qui est signifié par le mot est.
Et il s'ensuit aussi qu'il est de la nature de l'affirmation de
mettre l'attribut dans tout ce qui est exprimé dans le sujet, selon
l'étendue qu'il a dans la proposition ; comme quand je dis que
tout homme est animal, je veux dire et je signifie que tout ce
qui est homme est aussi animal ; et ainsi je conçois l'animal dans
tous les hommes .
Que sije dis seulement : Quelque homme estjuste, je ne mets pas
juste dans tous les hommes , mais seulement dans quelque
homme ,
Mais il faut pareillement considérer ici ce que nous avons déjà
dit, qu'il faut distinguer dans les idées la compréhension de l'ex
tension , et que la compréhension marque les attributs contenus
dans une idée , et l'extension , les sujets qui contiennent cette
idée.
Car il s'ensuit de là qu'une idée est toujours affirmée selon sa
compréhension, parce qu'en lui ôtant quelqu'un de ses attributs
essentiels, on la détruit et on l'anéantit entièrement, et ce n'est
plus la même idée ; et, par conséquent, quand elle est affirmée,
elle l'est toujours selon tout ce qu'elle comprend en soi. Ainsi ,
quand je dis qu'un rectangle est un parallelogramme , j'affirme du
rectangle tout ce qui est compris dans l'idée du parallelogramme ;
car, s'il y avait quelque partie de cette idée qui ne convint pas
au rectangle, il s'ensuivrait que l'idée entière ne lui convien
drait pas, mais seulement une partie de cette idée ; et ainsi le
mot de parallélogramme, qui signifie l'idée totale , 'devrait être
nie et non affirmé du rectangle. On verra que c'est le principe de
tous les arguments affirmatifs.
Et il s'ensuit, au contraire, que l'idée de l'attribut n'est pas
prise selon toute son extension , à moins que son extension ne
fût pas plus grande que celle du sujet .
Car si je dis que tous les impudiques ront damnés , je ne dis
pas qu'ils seront eux seuls tous les damnés, mais qu'ils seront
du nombre des damnés .
Ainsi l'affirmation, mettant l'idée de l'attribut dans le sujet,
c'est proprement le sujet qui détermine l'extension de l'attribut
188 LOGIQUE .
dans la proposition affirmative, et l'identité qu'elle marque re
garde l'attribut comme resserré dans une étendue égale à celle
du sujet, et non pas dans toute sa généralité, s'il en a une plus
grande que le sujet ; car il est vrai que les lions sont tous ani
maux, c'est-à -dire que chacun des lions renferme l'idée d'ani
mal ; mais il n'est pas vrai qu'ils soient tous les animaux.
J'ai dit que l'attribut n'est pas pris dans toute sa généralité,
s'il en a une plus grande que le sujet ; car n'étant restreint que
par le sujet, si le sujet est aussi général que cet attribut, il est
clair qu'alors l'attribut demeurera dans toute sa généralité,
puisqu'il en aura autant que le sujet ; et nous supposons que,
par sa nature, il n'en peut avoir davantage.
De là on peut recueillir ces quatre axiomes indubitables.

AXIOME I. L'attribut est mis dans le sujet par la proposition


affirmative, selon toute l'extension que le sujet a dans la propo
sition ; c'est- à -dire que si le sujet est universel, l'attribut est
conçu dans toute l'extension du sujet; et si le sujet est particu
lier, l'attribut n'est conçu que dans une partie del'extension du
sujet. Il y en a des exemples ci-dessus.

AXIOME 'II. L'attribut d'uneproposition affirmative test affirmé


selon toute sa compréhension , c'est - à-dire selon tous ses attributs.
La preuve en est ci-dessus.

AXIOME III. L'attribut d'une proposition affirmative n'est point


affirmé selon toute son extension, isi elle est de soi-même plus
grande que celle du sujet.

AXIOME IV . L'extension de l'attribut est resserrée par celle du


sujet, en sorte qu'il ne signifie plus que la partie de son extension
qui convient au sujet; comme quand on dit que les hommes sont
animaux, le mot d'animal nesignifie plus tous lesanimaux, mais
seulement les animaux qui sont hommes .
DEUXIÈME PARTIE. 189

CHAPITRE XVIII.

De la conversion des propositions affirmatives.

On appelle conversion d'une proposition, lorsqu'on change le


sujet en attribut, et l'attribut en sujet, sans que la proposition
cesse d’être vraie, si elle l'était auparavant , ou plutôt en sorte
qu'il s'ensuive nécessairement de la conversion, qu'elle est vraie,
supposé qu'elle le fût.
Or,,ce que nous venons de dire fera entendre facilement com
ment cette conversion doit se faire ; car , comme il est impossible
qu'une chose soit jointe et unie à une autre , que cette autre ne
soit jointe aussi à la première, et qu'il s'ensuit fort bien que si
A est joint à B , B aussi est joint à A , il est clair qu'il est impos
sible que deux choses soient connues comme identifiées, qui est
la plus parfaite de toutes les unions, que cette union ne soit ré
ciproque, c'est- à -dire que l'on ne puisse faire une affirmation
mutuelle des deux termes unis en la manière qu'ils sont unis ; ce
qui s'appelle conversion .
Ainsi, comme dans les propositions particulières affirmatives,
par exemple, lorsqu'on dit : Quelque homme est juste, le sujet et
l'attribut sont tous deux particuliers, le sujet d'homme étant par
ticulier par la marque de particularité que l'on y ajoute, et l'at
tribut juste l'étant aussi, parce que, son étendue étant resserrée
par celle du sujet, il ne signifie pas que la seule justice qui est
en quelquehomme ;, il est évident que si quelque homme est
identifié avec quelque homme, quelque juste aussi est identifié
avec quelque juste; et qu'ainsi il n'y a qu'à changer simplement
l'attribut en sujet, en gardant la même particularité, pour con
vertir ces sortes de propositions.
On ne peutpas dire la même chose des propositions universelles
allirmatives, à cause que, dans ces propositions, il n'y a que le
190 LOGIQUE .
sujet qui soit universel, c'est-à-dire qui soit pris selon toute
son étendue, et que l'attribut, au contraire, est limité et res
.reint; et partant, lorsqu'on le rendra sujet par la conversion , il
audra lui garder sa même restriction, et y ajouter une marque
qui le détermine, de peur qu'on ne le prenne généralement. Ainsi,
quand je dis que l'homme est animal, j'unis l'idée d'homme avec
celle d'animal, restreinte et resserrée aux seuls hommes, et par
tant, quand je voudrai envisager cette union comme par une autre
face, en commençant par l'animal, et aflirmer ensuite l'homme,
il faut conserver à ce terme sa même restriction , et de peur que
l'on ne s'y trompe, y ajouter quelque note de détermination .
De sorte que de ce que les propositions universelles affirma
tives ne peuvent se convertir qu'en particulières affirmatives, on
ne doit pas conclure qu'elles se convertissent moins proprement
que les autres ; mais comme elles sont composées d'un sujet gé
néral et d'un attribut restreint, il est clair que lorsqu'on les con
vertit, en changeant l'attribut en sujet, elles doivent avoir un
sujet restreint et resserré, c'est-à-dire particulier.
De là on doit tirer ces deux règles.

RÈGLE . I. Les propositions universelles affirmatives peuvent se


convertir en ajoutant une marque de particularité à l'attribut de
venu sujet.

RÈGLE II. Les propositions particulières affirmatives doivent


se convertir sans aucune addition, ni changement, c'est-à-dire en
retenant, pour l'attribut devenu sujet, la marque de particularité
qui était au premier sujet.
Mais il est aisé de voir que ces deux règles peuvent se réduire
à une seule qui les comprendra toutes deux.
L'attribut étant restreint par le sujet dans toutes les proposi
tions affirmatives, si on veut le faire devenir sujet, il faut lui
conserver sa restriction , et par conséquent lui donner une marque
de particularité, soit que le premier sujet fút universel, soit qu'il
fút particulier.
Néanmoins, il arrive assez souvent que des propositions uni
verselles allirmatives peuvent se convertir en d'autres univer
DEUXIÈME PARTIE . 191
selles ; mais c'est seulement lorsque l'attribut n'a pas de soi
même plus d'étendue que le sujet, comme lorsqu'on affirme la
différence ou le propre de l'espèce, ou la définition du défini; car
alors l'attribut, n'étant pas restreint, peut se prendre dans la
conversion aussi généralement que se prenait le sujet : Tout
homme est raisonnable . Tout raisonnable est homme .
Mais ces conversions n'étant véritables qu'en des rencontres
particulières, on ne les compte point pour de vraies conversions,
qui doivent être certaines et infaillibles par la seule transposition
des termes.

CHAPITRE XIX

De la nature des propositions négatives.

La nature d'une proposition négative ne peut s'exprimer plus


clairement qu'en disant que c'est concevoir qu'une chose n'est
pas une autre.
Mais afin qu'une chose ne soit pas une autre, il n'est pas né
cessaire qu'elle n'ait rien de commun avec elle, et il suffit qu'elle
n'ait pas tout ce que l'autre a , comme il suffit, afin qu'une bête
ne soit pas homme, qu'elle n'ait pas tout ce qu'a l'homme, et il
n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de ce qui est dans l'homme ;
et de là on peut tirer cet axiome.

AXIOME V. La proposition négative ne sépare pas du sujet toutes


les parties contenues dans la compréhension de l'attribut, mais
elle sépare seulement l'idée totale et entière composée de tous ces
attributs unis .

Si je dis que la matière n'est pas une substance qui pense, je


ne dis pas pour cela qu'elle n'est pas substance , mais je dis
qu'elle n'est pas substance pensante, qui est l'idée totale et en
tière que je nie de la matière.
192 LOGIQUE .

Il en est tout a'r contraire de l'extension de l'idée ; car la pro


position négative sépare du sujet l'idée de l'attribut selon toute
son extension' : et la raison en est claire; car être sujet d'une
idée et être contenu dans son extension, n'est autre chose qu'en
fermer cette idée ; et par conséquent, quand on dit qu'une idée
n'en renferme pas une autre, qui est ce qu'on appelle nier, on

dit qu'elle n'est pas un des sujets de cette idée.


Ainsi, si je dis que l'homme n'est pas un être insensible , je veux
dire qu'il n'est aucun des êtres insensibles, et par conséquent je
les sépare tous de lui ; et de là on peut tirer cet autre axiome.

AXIOME VI . L'attribut d'une proposition négative est toujours


pris généralement. Ce qui peut aussi s'exprimer ainsi plus dis
tinctement. Tous les sujets d'une idée qui est niée d'une autre, sont
aussi niés de cette autre idée ; c'est-à- dire qu'une idée est toujours
niée selon toute extension. Si le triangle est nié des carrés , tout
ce qui est triangle sera nié du carré. On exprime ordinairement
dans l'école cette règle en ces termes, qui ont le même sens : Si
on nie le genre, on nie aussi l'espèce ; car l'espèce est un sujet du
genre , l'homme est un sujet d’animal, parce qu'il est contenu
dans son extension.
Non-seulement les propositions négatives séparent l'attribut
du sujet selon toute l'extension de l'attribut, mais elles séparent
aussi cet attribut du sujet selon toute l'extension qu'a le sujet
dans la proposition ; c'est-à-dire qu'elles l’en séparent univer
sellement si le sujet est universel , et particulièrement s'il est
particulier. Si je dis que nul vicieux n'est heureux, je sépare tou
tes les personnes heureuses de toutes les personnes vicieuses ; et
si je dis que quelque docteur n'est pas docte , je sépare docte de
quelque docteur, et de là on doit tirer cet axiome.

AXIOME VII. Tout attribut nié d'un sujet est nié de tout ce que
est contenu dans l'étendue de cette proposition
DEUXIÈME PARTIE . 193

CHAPITRE XX.

De la conversion des propositions négatives.

Comme il est impossible qu'on sépare deux choses totalement,


que cette séparation ne soit mutuelle et réciproque , il est clair
que si je dis que nul homme n'est pierre, je puis dire aussi que
nulle pierre n'est homme ; car si quelque pierre était homme, cet
homme serait pierre, et par conséquent il ne serait pas vrai que
nul homme ne fût pierre. Et ainsi :

RÈGLE III. Les propositions universelles négatives peuvent se


convertir simplement en changeant l'attribut en sujet, et conser
vant à l'attribut, devenu sujet, la même universalité qu'avait le
premier sujet.
Car l'attribut, dans les propositions négatives, est toujours
pris universellement, parce qu'il est nié selon toute son étendue,
ainsi que nous l'avons montré ci-dessus .
Mais, par cette même raison , on ne peut faire de conversion
des propositions négatives particulières, et on ne peut pas dire,
par exemple; que quelque médecin n'est pas homme, parce que
l'on dit que quelque homme n'est pas médecin. Cela vient, comme
j'ai dit , de la nature même de la négation que nous venons
d'expliquer, qui est que dans les propositions négatives l'attribut
est toujours pris universellement et selon toute son extension ;
de sorte que lorsqu'un sujet particulier devient attribut par la
conversion dans une proposition négative particulière, il devient
universel , et change de nature contre les règles de la véritable
conversion , qui ne doit point changer la restriction ou l'étendue
des lermes. Ainsi, dans cette proposition : Quelque homme n'est
pas médecin , le terme d'homme est pris particulièrement. Mais
dans cette fausse conversion : Quelque médecin n'est pas homme,
le mot d'homme est pris universellement.
13
194 LOGIQUE .
Or, il ne s'ensuit nullement de ce que la qualité de médecin
est séparée de quelque homme dans cette proposition : Quelque
homme n'est pas médecin , et de ce que l'idée de triangle est sé
parée de celle de quelque figure en cette autre proposition : Quel
que figure n'est pas triangle, il ne s'ensuit, dis -je, nullement,
qu'il y ait des médecins qui ne soient pas hommes, ni des trian
gles qui ne soient pas figures '.

1. C'est Aristote qui a posé le premier, dans les Premiers Analyti


ques , les règles de la conversion des propositions exposées dans ce
chapitre.
TROISIÈME PARTIE .

DU RAISONNEMENT.

Cette partie que nous avons maintenant à traiter, qui comprend


les règles du raisonnement, est estimée la plus importante de la
logique, et c'est presque l'unique qu'on y traite avec quelque
soin ; mais il y a sujet de douter si elle est aussi utile qu'on se
l'imagine. La plupart des erreurs des hommes, comme nous
avons déjà dit ailleurs, viennent bien plus de ce qu'ils raisonnent
sur de faux principes, que non pas de ce qu'ils raisonnent
mal suivant leurs principes '. Il arrive rarement qu'on se laisse
tromper par des raisonnements qui ne soient faux que parce que
la conséquence en est mal tirée, et ceux qui ne seraient pas ca
pables d'en reconnaftre la fausseté par la seule lumière de la
raison, ne le seraient pas ordinairement d'entendre les règles
quel'on en donne et encore moins de les appliquer. Néanmoins,
quand on ne considérerait ces règles que comme des vérités spé
culatives, elles serviraient toujours à exercer l'esprit ; et de plus ,
on ne peut nier qu'elles n'aient quelque usage en quelques ren
contres, et à l'égard de quelques personnes, qui, étant d'un na
turet vif et pénétrant, ne se laissent quelquefois tromper par de
fausses conséquences, que faute d'attention, à quoi l'a réflexion
qu'ils feraient sur ces règles serait capable de remédier. Quoi
qu'il en soit, voilà ce qu'on en dit ordinairement, et quelque
chose même de plus que ce qu'on en dit.

1. Voyez plus haut , p . 11 , note 1 .


196 LOGIQUE.

CHAPITRE PREMIER .

De la nature du raisonnement, et des diverses espèces


qu'il peut y en avoir .

La nécessité du raisonnement n'est fondée que sur les bornes


étroites de l'esprit humain qui , ayant à juger de la vérité ou de
la fausseté d'une proposition qu'alors on appelle question , ne peut
pas toujours le faire par la considération des deux idées qui la
composent, dont celle qui en est le sujet est aussi appelée le petit
terme, parce que le sujet est d'ordinaire moins étendu que l'at
tribut, et celle qui en est l'attribut est aussi appelée le grand
terme par une raison contraire. Lors donc que la seule considé
ration de ces deux idées ne suffit pas pour faire juger si l'on doit
affirmer ou nier l'une de l'autre , il a besoin de recourir à une
troisième idée, ou incomplexe ou complexe (suivant ce qui a été
dit des termes complexes), et cette troisième idée s'appelle moyen.
Or, il ne servirait de rien, pour faire cette comparaison de
deux idées ensemble par l'entremise de cette troisième idée, de
la comparer seulement avec un des deux termes. Si je veux sa
voir, par exemple, si l'âme est spirituelle, et que, ne le péné
trant pas d'abord, je choisisse, pour m'en éclaircir, l'idée de
pensée, il est clair qu'il me sera inutile de comparer la pensée
avec l'âme, si je ne conçois dans la pensée aucun rapport avec
l'attribut de spirituelle, par le moyen duquel je puisse juger s'il
convient ou ne convient pas à l'âme. Je dirai bien, par exemple,
l'âme pense ; mais je n'en pourrai pas conclure : Donc elle est
spirituelle, si je ne conçois aucun rapport entre le terme de pen
ser et celui de spirituelle.
Il faut donc que ce terme moyen soit comparé tant avec le su
jet ou le petit terme, qu'avec l'attribut ou le grand terme , soit
qu'il ne le soit que séparément avec chacun de ces termes, comme
dans les syllogismes qu'on appelle simples pour cette raison, soit
TROISIÈME PARTIE. 197

qu'il le soit tout à la fois avec to s les deux, comme dans les ar
guments qu'on appelle conjonctifs.
Mais en l'une ou l'autre manière, cette comparaison demande
deux propositions.
Nous parlerons en particulier des arguments conjonctifs; mais
pour les simples cela est clair, parce que le moyen étant une
fois comparé avec l'attribut de la conclusion (ce qui ne peut être
qu'en affirmant ou niant) fait la proposition qu'on appelle ma
jeure, à cause que cet attribut de la conclusion s'appelle grand
terme.
Et, étant une autre fois comparé avec le sujet de la conclu
sion, fait celle qu'on appelle mineure, à cause que le sujet de la
conclusion s'appelle petit terme.
Et puis la conclusion , qui est la proposition méme qu'on avait
à prouver, et qui , avant que d'être prouvée, s'appelait question .
Il est bon de savoir que les deux premières propositions s'ap
pellent aussi prémisses ( præmissæ ), parce qu'elles sont mises au
moins dans l'esprit avant la conclusion qui en doit être une suite
nécessaire si le syllogisme est bon ; c'est-à-dire que, supposé la
vérité des prémisses, il faut nécessairement que la conclusion soit
vraie .
Il est vrai que l'on n'exprime pas toujours les deux prémisses,
parce que souvent une seule suffit pour en faire concevoir deux
à l'esprit ; et, quand on n'exprime ainsi que deux propositions,
cette sorte de raisonnement s'appelle enthymème , qui est un
véritable syllogisme dans l'esprit, parce qu'il supplée la propo
sition qui n'est pas exprimée , mais qui est imparfait dans l'ex
pression , et ne conclut qu'en vertu de cette proposition sous
entendue.
J'ai dit qu'il y avait au moins trois propositions dans un rai
sonnement; mais il pourrait y en avoir beaucoup davantage, sans
qu'il fût pour cela défectueux, pourvu qu'on garde toujours les
règles ; car, si , après avoir consulté une troisième idée, pour sa
voir si un attribut convient ou ne convient pas à un sujet, et
l'avoir comparée avec un des termes , je ne sais pas encore s'il
convient ou ne convient pas au second terme, j'en pourrais choisir
une quatrième pour m'en éclaircir, et une cinquième si celle-là
198 LOGIQUE .
ne suffit pa's, jusqu'à ce que je vinsse à une idée qui liat l'attribut
de la conclusion avec le sujet.
Si je doute, par exemple, si les avares sont misérables, je pour
rai considérer d'abord que les avares sont pleins de désirs et de
passions ; si cela ne me donne pas lieu de conclure : Donc ils sont
misérables, j'examinerai ce que c'est que d'être plein de désirs,
et je trouverai dans cette idéo celle de manquer de beaucoup de
choses que l'on désire, et la misère dans cette privation de ce
que l'on désire, ce qui me donnera lieu de former ce raisonne
ment : Les avares sont pleins de désirs : ceux qui sont pleins de
désirs manquent de beaucoup de choses, parce qu'il est impossible
qu'ils satisfassent tous leurs désirs : ceux qui manquent de ce qu'ils
désirent sont misérables ; donc les avares sont misérables.
Ces sortes de raisonnements, composés de plusieurs proposi
tions dont la seconde dépend de la première, et ainsi du reste,
s'appellent sorites, et ce sont ceux qui sont les plus ordinaires
dans les mathématiques ; mais parce que, quand ils sont longs,
l'esprit a plus de peine à les suivre, et que le nombre des trois
propositions est assez proportionné avec l'étendue de notre esprit,
on a pris plus de soin d'examiner les règles des bons et des mau
vais syllogismes , c'est-à-dire des arguments de trois proposi
tions ; ce qu'il est bon de suivre, parce que les règles qu’on en
donne peuvent facilement s'appliquer à tous les raisonnements
comp sés de plusieurs propositions, d'autant qu'ils peuvent tous
se réduire en syllogismes, s'ils sont bons.

CHAPITRE II.

Division des syllogismes en simples et en conjonctifs, et des simples


en incomplexes et en complexes .

Les syllogismes sont simples ou conjonctifs. Les simples, son't


ceux où le moyen n'est joint à la fois qu'à un des termes de la
TROISIÈME PARTIE. 199

conclusion : les conjonctifs sont ceux où il est joint à tous les


deux ; ainsi cet argument est simple :
Tout bon prince est aimé de ses sujets :
Tout roi pieux est bon prince ;
Donc tout roi pieux est aimé de sessujets :
parce que le moyen est joint séparément avec roi pieux, qui est
le sujet de la conclusion , et avec aimé de ses sujets, qui en est
l'attribut. Mais celui- ci est conjonctif par une raison contraire :
Si un état électif est sujet aux divisions, il n'est pas de longue
durée :
Or, un état électif est sujet aux divisions ;
Donc un état électif n'est pas de longue durée :
puisque état électif, qui est le sujet, et de longue durée, qui est
l'attribut, entrent dans la majeure.
Comme ces deux sortes de syllogismes ont leurs règles sépa
rées, nous en parlerons séparément.
Les syllogismes simples, qui sont ceux où le moyen est joint
séparément avec chacun des termes de la conclusion , sont encore
de deux sortes.
Les uns, où chaque terme est joint tout entier avec le moyen ,
savoir, avec l'attribut tout entier dans la majeure, et avec le
sujet tout entier dans la mingure.
Les autres, où la conclusion étant complexe, c'est- à - dire com
posée de termes complexes , on ne prend qu'une partie du sujet,
ou une partie de l'attribut,pourjoindre avec le moyen dans l'une
des propositions, et on prend tout le reste qui n'est plus qu'un
seul terme, pour joindre,avec le moyen dans l'autre proposition,
comme dans cet argument :
La loï divine oblige d'honorer'les rois :
Louis XIV est roi ;
Donc la loi divine oblige d'honorer Louis XIV .
Nous appellerons les premières sortes d'arguments, démêlés et
incomplexes, et les autres impliqués ou complexes; non que tous
200 LOGIQUE .
ceux où il y a des propositions complexes soient de ce dernier
genre, mais parce qu'il n'y en a point de ce dernier genre où il
n'y ait des propositions complexes.
Cr, quoique les règles qu'on donne ordinairement pour les
syllogismes simples puissent avoir lieu dans tous les syllogismes
complexes en les renversant, néanmoins, parce que la force de
la conclusion ne dépend point de ce renversement-là, nous n'ap
pliqueron's ici les règles des syllogismes simples qu'aux incom
plexes , en nous réservant de traiter à part des syllogismes
complexes.

CHAPITRE III.

Règles générales des syllogismes simples incomplexes.

(Ce chapitre et les suivants, jusqu'au douzième, sont de ceux dont il est
parlé dans le Discours, quicontiennent des choses subtiles et nécessaires pour
ſa spéculation de la logique, mais qui sont de peu d'usage .)

Nous avons déjà vu dans les chapitres précédents qu'un syllo


gisme simple ne doit avoir que trois termes, les deux termes
de la conclusion et un seul moyen , dont chacun étant répété
deux fois, il s'en fait trois propositions : la majenre où entre le
moyen et l'attribut de la conclusion appelée le grand terme ; la
mineure où entre aussi le moyen , et le sujet de la conclusion
appelée le petit terme ; et la conclusion , dont le petit terme est
le sujet, et le grand terme l'attribut.
Mais parce qu'on ne peut pas tirer toutes sortes de conclusions
de toutes sortes de premisses, il y a des règles générales qui font
voir qu'une conclusion ne saurait être bien tirée dans un syllo
gisme où elles ne sont pas observées : et ces règles sont fondées
sur les axiomes qui ont été établis dans la seconde partie, tou
chant la nature des propositions affirmatives et négatives, uni
verselles et particulières , tels que sont ceux - ci, qu'on ne fera
que proposer, ayant été prouvés ailleurs.
TROISIÈME PARTIE. 201

1. Les propositions particulières sont enfermées dans les gé.


nérales de même nature, et non les générales dans les particu
lières, I dans A , et 0 dans E , et non A dans I , ni B dans 0.
2. Le sujet d'une proposition, pris universellement ou parti
culièrement, est ce qui la rend universelle ou particulière.
3. L'attribut d'une proposition affirmative n'ayant jamais plus
d'étendue que le sujet, est toujours considéré comme pris particu
lièrement, parce que ce n'est que par accident s'il est quelquefois
pris généralement.
4. L'attribut d'une proposition négative est toujours pris gé
néralement.
C'est principalement sur ces axiomes que sont fondées les règles
générales des syllogismes, qu'on ne saurait violer sans tomber
dans de faux raisonnements.
aut semel , aui iterum medius generaliter eitr.
RÈGLE I. Le moyen ne peut être pris deux fois particulièrement;
mais il doit être pris au moins une fois universellement.
Car, devant unir ou désunir les deux termes de la conclusion ,
il est clair qu'il ne peut le faire s'il est pris pour deux parties
différentes d'un même tout, parce que ce ne sera pas peut-être la
même partie qui sera unie ou désunie dans ces deux termes. Or,
étant pris deux fois particulièrement, il peut être pris pour deux
différentes parties du même tout ; et par conséquent on n'en
pourra rien conclure, au moins nécessairement ; ce qui suffit pour
rendre un argument vicieux, puisqu'on n'appelle bon syllogisme,
comme on vient de le dire, que celui dont la conclusion ne peut
être fausse, les prémisses étant vraies. Ainsi , dans cet argument:
Quelque homme est saint : quelque homme est voleur : donc quelque
voleur est saint, le mot d'homme étant pris pour diverses parties
des hommes, ne peut unir voleur avec saint, parce que ce n'est
pas le même homme qui est saint et qui est voleur.
On ne peut pas dire de même du sujet et de l'attribut de la
conclusion : car, encore qu'ils soient pris deux fois particulière
ment, on peut néanmoins les unir ensemble en unissant un de ces
termes au moyen dans toute l'étendue du moyen ; car, il s'ensuit
de là fort bien que si ce moyen est uni dans quelqu'une de ses
202 LOGIQUE
parties à quelque partie de l'autre terme, ce premier terme que
nous avons dit ' être joint à tout le moyen, se trouvera joint aussi
avec le terme auquel quelque partie du moyen est jointe. S'il y
a quelques Français dans chaque maison de Paris, et qu'il y ait
des Allemands en quelques maisons de Paris, il y a des maisons
où il y'a tout ensemble un Français et un AHemand.
Si quelques riches sont sots,
Et que tout riche soit honoré,
N y a des sots honarés.

Car ces riches qui sont sots , sont aussi honorés , puisque
tous les riches sont honorés, et par conséquent, dans ces riches
sots et honorés, les qualités de sat et d'honoré sont jointes en
semble.
Llum bume quam promite condusis non vidro
REGLE II. Les termes de la conclusion ne peuvent point étre pris
plus universellement dans la conclusion que dans les prémisses.
C'est pourquoi, lorsque l'un ou l'autre est pris universellement
dans la conclusion, le raisonnement sera faux s'il est pris parti
culièrement dans les deux premières propositions.
La raison est qu'on ne peut rien conclure du particulier au
général (selon le premier axiome)'; car de ce que quelque homme
est noir, on ne peut pas conclure que tout homme est noir .
fer Corollaire. Il doit toujours y avoir dans les prémisses un
terme universel de plus que dans la conclusion ; car tout terme
qui est général dans la conclusion , doit aussi l'êtredans les pré
misses ; et de plus, le moyen doit y être pris au moins une fois
généralement.
2e Corollaire. Lorsque la conclusion est inégative, il faut né
cessairement que le grand terme soit pris généralement dans
la majeure ; car il est pris généralement dans la conclusion
négative (par lo quatrième axiome) , et par conséquent il doit
aussi être pris généralement dans la majeure (par la seconde
règle).
ze Corollaire. La majeure d'un argument dont la conclusion
est négative, ne peut jamais être une particulière affirmative, car
TROISIÈME PARTIE . 203

le sujet et l'attribut d'une proposition affirmative sont tous deux


pris particulièrement (par le deuxième et le troisième axiome);
et ainsi le grand terme n'y serait pris que particulièrement
contre le second corollaire.
4€ Corollaire. Le petit terme est toujours dans la conclusion
comme dans les prémisses, c'est -à -dire que, comme il ne peut
être que particulier dans la conclusion quand il est particulier
dans les premisses, il peut , au contraire, etre toujours général
dans la conclusion, quand il l'est dans les prémisses ; car le petit
terme ne saurait être général dans la mineure, lorsqu'il en est
le sujet, qu'il ne soit généralement uni au moyen ou désuni du
moyen , et il n'en peut être l'attribut, et y être pris générale
ment, que la proposition ne soit négative, parce que l'attribut
d'une proposition affirmative est toujours pris particulièrement ;
or, les propositions négatives marquent que l'attribut pris selon
toute son étendue, est désuni d'avec le sujet.
Et par conséquent , une proposition où le petit terme est géné
ral , morque ou une union du moyen avec tout ce petit terme, ou
une désunion du moyen d'avec tout le petit terme.
Or, si, par cette union du moyen avec le petit terme, on con
clut qu'une autre idée est jointe avec ce petit terme, on doit con
clure qu'elle est jointe à tout le petit terme, et non -seulement à
une partie ; car le moyen étant joint à tout le petit terme, ne
peut rien prouver par cette union d'une partie qu'il ne le prouve
aussi des autres, puisqu'il est joint à toutes.
De même, si la désunion du moyen d'avec le petit terme prouve
quelque chose de quelque partie du petit terme, elle le prouve
de toutes les parties, puisqu'il 'est également désuni de toutes
ses parties.
5e Corollaire. 'Lorsque la mineure est une 'négative universelle,
si on en peut tirer une conclusion légitime, elle peut être tou
jours générale. C'est une suite du précédent corollaire , car le
petit terme ne saurait manquer d'être pris généralement dans la
mineure, lorsqu'elle est négative universelle , soit qu'il en soit le
sujet (par le deuxième axiome ), soit qu'il en soit l'attribut ( par
le quatrième axiome).
204 LOGIQUE.
RÈGLE III. On ne peut rien conclure de deus propositions né
gatives.
Whaque si prve milso neas nibil inde sequelar.
Car deux propositions négatives séparent le sujet du moyen ,
t l'attribut du même moyen ; or, de ce que deux choses sont
séparées de la même chose , il ne s'ensuit, ni qu'elles soient, ni
qu'elles ne soient pas la même chose . De ce que les Espagnols ne
sont pas Turcs , et de ce que les Turcs ne sont pas chrétiens, il
ne s'ensuit pas que les Espagnols ne soient pas chrétiens, et il
ne s'ensuit pas aussi que les Chinois le soient, quoiqu'ils ne
soient pas plus Turcs que les Espagnols.

RÈGLE IV. On ne peut prouver une proposition négative par deux


propositions affirmatives.
ambor alfirmantis nequeunt generare neganten
Car de ce que les deux termes de la conclusion sont unis avec
un troisième, on ne peut pas prouver qu'ils soient désunis entre
eux .

RÈGLE V. La conclusion suit toujours la plus faible partie ,


c'est - à -dire que ,
s'il y a une des deux propositions qui soit néga
tive, elle doit être négative, et s'il y en a une particulière, elle
doit être particulière.
Fejorem sequitur semper condhawawis partem.
La preuve en est que, s'il y a une proposition négative, le
moyen est désuni de l'une des parties de la conclusion , et ainsi
il est incapable de les unir, ce qui est nécessaire pour conclure
affirmativement.
Et s'il y a une proposition particulière, la conclusion n'en peut
être générale ; car si la conclusion est générale et affirmative, le
sujet étant universel , il doit aussi être universel dans la mineure,
et par conséquent il en doit être le sujet, l'attribut n'étant jamais
pris généralement dans les propositions affirmatives : donc le
yen, joint à ce sujet, sera particulier dans la mineure : don'c
il sera général dans la majeure , parce qu'autrement , il sera
deux fois particulier : donc il en sera le sujet, et le terme no
saurait être général dans la mineure, lorsqu'il en est le sujet,
qu'il ne le soit généralement, et par conséquent cette majeure
TROISIÈME PARTIE. 205
sera aussi universelle; et ainsi il ne peut y avoir de proposition
particulière dans un argument affirmatif dont la conclusion est
générale.
Cela est encore plus clair dans les conclusions universelles né
gatives ; car de là il s'ensuit qu'il doit y avoir trois termes uni
versels dans les deux prémisses, suivant le premier corollaire;
or, comme il doit y avoir une proposition affirmative, par la
troisième règle, dont l'attribut est pris particulièrement, il s'en
suit que tous les autres trois termes sont pris universellement,
ct par conséquent les deux sujets des deux propositions, ce qui
les rend universelles : ce qu'il fallait démontrer.

6e Corollaire. Ce qui conclut le général, conclut le particulier.

Ce qui conclut A conclut I ; ce qui conclut E conclut 0 ; mais


ce qui conclut le particulier ne conclut pas pour cela le général :
c'est une suite de la règle précédente et du premier axiome ; mais
il faut remarquer qu'il a plu aux hommes de ne considérer les
espèces d'un syllogisme que selon sa plus noble conclusion , qui
est la générale : de sorte qu'on ne compte point pour une espèce
particulière de syllogisme celui où on ne conclut le particulier
que parce qu'on ne peut aussi conclure le général.
C'est pourquoi il n'y a point de syllogisme où la majeure étant
A, et la mineure E , la conclusion soit 0 ; car (par le cinquième
corollaire) la conclusion d'une mineure universelle négative peut
toujours être générale ; de sorte que si on ne peut pas la tirer gé
nérale, ce sera parce qu'on n'en pourra tirer aucune . Ainsi A,
E, 0, n'est jamais un syllogisme à part, mais seulement en tant
qu'il peut être enfermé dans A, E, E.

RÈGLE VI. De deux propositions particulières il ne s'ensuit rien .


nüsenitus geminis particularibus wa wam
Car si elles sont toutes deux affirmatives, le moyen y sera pris
deux fois particulièrement , soit qu'il soit sujet (par le deuxième
axiome), soit qu'il soit attribut (par le troisième axiome ) ; or, par
la première règle , on ne conclut rien par un syllogisme dont le
moyen est pris deux fois particulièrement,
206 LOGIQUE .
Et , s'il y en avait une négative , la conclusion l'étant aussi
(par la règle précédente ), il doit y avoir au moins deux termes
universels dans les prémisses (suivant le deuxième corollaire);
donc il doit y avoir une proposition universelle dans ces deux
prémisses, étant impossible de disposer trois termes en deux pro
positions où il doit y avoir deux termes pris universellement, en
sorte que l'on ne fasse ou deux attributs négatifs, ce qui serait
contre la troisième règle, ou quelqu'un des sujets universels, ce
qui fait la proposition universelle

CHAPITRE IV.

Des figures et des modes des syllogismes en général; qu'il ne peut


y, en avoir que quatre figures.

Après l'établissement des règles générales qui doivent être né


cessairement observées dans tous les syllogismes simples, il reste
à voir combien il y peut y avoir de ces sortes de syllogismes.
On peut dire en général, qu'il y en a autant de sortes qu'il
peut y avoir de différentes manières de disposer, en gardant ces
règles, les trois propositions d'un syllogisme, et les trois termes
dont elles sont composées .
La disposition des trois propositions selon les quatre diffé
rences, A , E, I, O , s'appelle mode.

1. Les règles du syllogisme ont été formulées par les scolastiques en


buit vers latins que voici :
Terminus esto triplex , medius, majorque minorque,
Latius hunc quam præmissæ conclusio non vulita
Nequaquam medium capiat conelusio fàs est,
Aut semel aut iterum medius generaliter esto;
Utraque si præmissa neget, nihil inde sequetur,
Nii sequitur geminis ex particularibus unquam.
Ambæaffirmantes nequeunt generare negantem ,
Pejarem sequitur semper conclusio partem .
TROISIÈME PARTIE . 207

Et la disposition des trois termes, c'est- à -dire du moyen avec


les deux termes de la conclusion , s'appelle figure.
Or, on peut compter combien il peut y avoir de modes con
cluants, à n'y considérer point les différentes figures selon les
quelles un même mode peut faire divers syllogismes ; car , par la
doctrine des combinaisons, quatre termes (commesont A , E , 1,0 ),
étant pris trois à trois, ne peuvent être différemment arrangés
qu'en soixante - quatre manières ; mais de ces soixante - quatre
diverses manières, ceux qui voudront prendre la peine de les
considérer chacun à part, trouveront qu'il y en a
28.9 exclues par la troisième et la sixième règle, qu'on ne con
clut rien de deux négatives et de deux particulières ;
18, par la cinquième, que la conclusion suit la plus faible
partie ;
6, par la quatrième; qu'on ne peut conclure négativement de
deux affirmatives ;
1 ,,savoir I, E , 0, par le troisième corollaire des règles géné
rales ;
I , savoir A , E, 0, par le sixième corollaire des règles géné
rales .

Ce qui fait en tout cinquante-quatre, et par conséquent, il ne


reste que dix mođes, concluants.
E, A, E.
A , A , A. A , E , E.
Affirmatifs
A , I , I. E, A , 0 .
A , A , 1. 6 Négatifs . A , 0,0
I, A , I. 0 , A, O .
E , I, O.

Mais cela ne fait pas qu'il n'y ait que dix espèces de syllo
gismes , parce qu'un seul de ces modes en peut faire diverses
espèces selon l'autre manière d'où se prend la diversité des syl
logismes , qui est la différente disposition des trois termes , que
nous avons déjà dit s'appeler figure.
Or, pour cette disposition des trois termes , elle ne peut re
garder que les deux premières propositions, parce que la con
clusion est supposée avant qu'on fasse. le syllogisme pour la
208 LOGIQUE.
prouver ; et ainsi, le moyen ne pouvant s'arranger qu'en quatre
manières différentes avec les deux termes de la conclusion , il n'y
a aussi que quatre figures possibles.
Car, ou le moyen est sujet en la majeure et l'attribut en la mi
neure, ce qui fait la première figure ;
Ou il est attribut en la majeure et en la mineure, ce qui fait la
deuxième figure ;
Ou il est sujet en l'une et l'autre ce qui fait la troisième
figure ;
Ou il est enfin attribut dans la majeure et sujet en la mineure ,
ce qui peut faire une quatrième figure; étant certain que l'on
peut conclure quelquefois nécessairement en cette manière , ce
qui suffit pour faire un vrai syllogisme. On en verra des exem
ples ci-après.
Néanmoins, parce qu'on ne peut conclure de cette quatrième
manière, qu'en une façon qui n'est nullement naturelle, et où
l'esprit ne se porte jamais, Aristote et ceux qui l'ont suivi n'ont
pas donné à cette manière de raisonner le nom de figure. Galien
a soutenu le contraire, et il est clair que ce n'est qu'une dispute
de mots, qui doit se décider en leur faisant dire de part et d'autre
ce qu'ils entendent par le mot de figure.
Mais ceux-là se trompent sans doute, qui prennent pour une
quatrième figure qu'ils accusent Aristote de n'avoir pas recon
nue, les arguments de la première dont la majeure et la mineure
sont transposées, comme lorsqu'on dit : Tout corps est divisible ;
tout ce qui est divisible est imparfait; donc tout corps est impar
fait. Je m'étonne que Gassendi soit tombé dans cette erreur ;
car il est ridicule de prendre pour la majeure d'un syllogisme la
proposition qui se trouve la première, et pour mineure celle qui
se trouve la seconde ; si cela était, il faudrait prendre souvent la
conclusion même pour la majeure ou la mineure d'un argument,
puisque c'est assez souvent la première ou la seconde des trois
propositions qui le composent, comme dans ces vers d’Horace, la
conclusion est la première , la mineure la seconde et la majeure
la troisième :

1. Institut. log ., P. III, c . 1.


TROISIÈME PARTIE . 209
Qui melior servo, qui liherior sit avarus ,
In triviis fixum cum se dimittit ob assem ,
Non video : nam qui cupiet, metuet quoque ; porro
Qui metuens vivit, über mihi non erit unquam ' .
Car tout se réduit à cet argument :
Celui qui est dans de continuelles appréhensions n'est point
libre :
Tout avare est dans de continuelles appréhensions ;
Donc nul avare n'est libre.

Il ne faut donc point avoir égard au simple arrangement local


des propositions qui ne changent rien dans l'esprit; mais on doit
prendre pour syllogisme de la première figure tous ceux où le
mibieu est sujet dans la proposition où se trouve le grand terme
( c'est- à-dire l'attributde la conclusion) , et attribut dans celle où
se trouve le petit terme (c'est - à-dire le sujet de la conclusion);
et ainsi il ne reste pour quatrième figure que ceux au contraire
où le milieu est attribut dans la majeure et sujet dans la mi
neure ; et c'est ainsi que nous les appellerons, sans que personne
puisse le trouver mauvais, puisque nous avertissons par avance
que nous n'entendons par ce terme de figure qu'une différente
disposition du moyen .

CHAPITRE V.

Règles, modes et fondements de la première figure.

La première figure est donc celle où le moyen est sujet dans


la majeure et attribut dans la mineure.
Cette figure n'a que deux règles.

1. Epist., I , 16.
14
210 LOGIQUE .
RÈGLE I. Il faut que la mineure soit affirmative.
Car si elle était négative , la majeure serait affirmative par la
troisième règle générale, et la conclusion négative par la cin
quième : donc le grand terme serait pris universellement dans la
conclusion, parce qu'elle serait négative, et particulièrement
dans la majeure, parce qu'il en est l'attribut dans cette figure, et
qu'elle serait affirmative: ce qui serait contre la seconde règle,
qui défend de conclure du particulier au général . Cette raison a
lieu aussi dans la troisième figure, où le grand terme est aussi
attribut dans la majeure .

RÈGLE II . La majeure doit être universelle.


Car la mineure étant affirmative par la règle précédente, le
moyen qui y est attribut, y est pris particulièrement : donc il
doit être universel dans la majeure où il est sujet, ce qui la rend
universelle ; autrement il serait pris deux fois particulièrement
contre la première règle générale.

Démonstration.

Qu'il ne peut y avoir que quatre modes de la première figure.


On a fait voir dans le chapitre précédent qu'il ne peut y avoir
que dix modes concluants ; mais de ces dix modes, A , E, E et A ,
0 , 0, sont exclus par la première règle de cette figure, qui est
que la mineure doit être affirmative.
1 , A , I, et 0, A , O, sont exclus par la deuxième, qui est que
la majeure doit être universelle .
A , A , I, et E, A, 0, sont exclus par lo quatrième corollaire des
trègles générales ; car le petit terme étant sujet dans la mineure,
elle ne peut être universelle que la conclusion ne puisse l'être
aussi .
Et par conséquent, il ne reste que ces quatre modes :
( E , A , E.
2 Affirmatifs. A, A ,
A.
{
A , I, I. 2 Négatifs. {E, A,
, , O.
Ce qu'il fallait démontrer.
TROISIÈME PARTIE . 211

Ces quatre modes, pour être plus facilement retenus, ont été
réduits à des modes artificiels, dont les trois syllabes marquent
les trois propositions, et la voyelle de chaque syllabe marque
quelle doit être cette proposition ; de sorte que ces mots ont cela
de très -commode dans l'École, qu'on marque clairement par un
seul mot une espèce de syllogisme, que sans cela on ne pourrait
faire entendre qu'avec beaucoup de discours.

BAR- Quiconque laisse mourir de faim ceux qu'il doit nourrir,


esthomicide .
BA Tous les riches qui ne donnent point l'aumône dans les
nécessités publiques laissent mourir de faim ceux qu'ils
doivent nourrir ;
RA . Donc ils sont homicides .

CE- Nul voleur impénitent ne doit s'attendre d'étre sauve :


LA Tous ceux qui meurent après s'être enrichis du bien de
l'Église, sans vouloir le restituer, sont des voleurs im
pénitents ;
RENT . Donc nul d'eux ne doit s'attendre d'être sauvé.

DA Tout ce qui sert au salut est avantageux :


RI
Il y a des afflictions qui servent au salut ;
1. Donc il y a des afflictions qui sont avantageuses.
FE Ce qui est suivi d'un juste repentir n'est jamais à sou
haiter :
RI Il y a des plaisirs qui sont suivis d'un juste repentir ;
0,
Donc il y a des plaisirs qui ne sont point à souhaiter.

Fondement de la première figure.

Puisque dans cette figure le grand terme est affirmé ou nié du


moyen pris universellement, et ce même moyen affirmé ensuite
dans la mineure du petit terme, ou sujet de la conclusion , il est
clair qu'elle n'est fondée que sur deux principes, l'un pour les
inodes affirmatifs, l'autre pour les modes négatif:.
212 LOGIQUE .

Principe des modes affirmatifs.

Ce qui convient 'à une idée prise universellement convient aussi


à tout ce dont cette idée est affirmée, ou qui est sujet de cette idée,
ou qui est compris dans l'extension de cette vidée : car ces expres
sions sont synonymės .
Ainsi l'idée d'animal convenant à tous les hommes, convient
aussi à tous les Éthiopiens. Ce principe a été tellement éclairci
dans le chapitre où nous avons traité de la nature des propositions
affirmatives, qu'il n'est pas nécessaire de l'éclaircir ici davan
tage . Il suffira d'avertir qu'on l'exprime ordinairemennt dans
l'École en cette manière : Quod convenit consequenti, convenit
antecedenti; et que l'on entend par terme conséquent une idée
générale qui est affirmée d'une autre, et par antécédent le sujet
dont elle est affirmée, parce qu'en effet l'attribut se tire par con
séquent du sujet ; s'il est homme, il est animal.

Principes des modes négatifs.

Ce qui est nié d'une idée prise'universellement, est nie de tout ce


dont cette idée est affirmée.
Arbre est nié de tous les animaux ; il est donc nié de tous les
hommes, parce qu'ils sont animaux. On l'exprime ainsi dans
l'École : Quod negatur de consequenti, negatur de antecedenti.
Ce que nous avons dit en traitant des propositions négatives
me dispense d'en parler ici davantage.
Il faut remarquer qu'il n'y a que la première figure qui con
clut tout, A , E, I , O.
Et qu'il n'y a qu'elle aussi qui conclut A, dont la raison est,
qu'afin que la conclusion soit universelle affirmative, il faut que
le petit terme soit pris généralement dans la mineure, et par
conséquent qu'il en soit sujet, et que le moyen en soit l'attribut :
d'où il arrive que le moyen y est pris particulièrement ; il faut
donc qu'il suit pris généralement dans la majeure (par la pre
TROISIÈME PARTIE . 213

mière règle générale), et que par conséquent il en soit le sujet.


Or c'est en cela que consiste la première figure, que le moyen y
est sujet en la majeure, et attribut en la mineure.

CHAPITRE VI.

Règles modes et fondements de la seconde figuro.

La seconde figure est celle où le moyen est deux fois attribut,


et de là il s'ensuit qu'afin qu'elle conclue nécessairement, il fav
que l'on garde ces deux règles.
RÈGLE I. Il faut qu'il y ait unedes deux propositions négatives,
et par conséquent que la conclusion le soit aussi par la sixième
règle générale.
Car, si elles étaient toutes deux affirmatives, le moyen , qui est
toujours attribut, serait pris deux fois particulièrement contre la
première règle générale.
RÈGLE II . Il faut que la majeure soit universelle.
Car, la conclusion étant négative, le grand terme ou l'attribut
est pris universellement . Or ce même terme est sujet de la ma
jeure : donc il doit être universel, et, par conséquent, rendre la
majeure universelle.

Démonstration ,

Qu'il ne peut y avoir que quatre modes dans la seconde figure.


Des dix modes concluants, les quatre affirmatifs sont exclus
par la première règle de cette figure, qui est que l'une des pré
misses doit être négative .
0 , A , O est exclu par la seconde règle, qui est que la majeure
doit être universelle .
214 LOGIQUE .
E, A , O est exclu par la même raison qu'en la première figure ,
parce que le petit terme est aussi sujet en la mineure.
Il ne reste donc de ces dix modes que ces quatre :
( E , A, E. ( E, 1 , 0.
2 Généraux . 2 Particuliers .
A , E , E. 1A , 0, 0.
Ce qu'il fallait démontrer.
On a compris ces quatre modes sous ces mots artificiels .
CE- Nul menteur n'est croyable :
SA Tout homme de bien est croyable ;
RE . Donc nul homme de bien n'est menteur.
CA- Tous ceux qui sont à JÉSUS -CHRIST crucifient leur chair :
MES Tous ceux qui mènent une vie molle et voluptueuse no
crucifient point leur chair ;
TRES. Donc nul d'eux n'est à JÉSUS -CHRIST.
FES Nulle vertu n'est contraire à l'amour de la vérité :
TI
Il y a un amour de la paix qui est contraire à l'amour
de la vérité ;
NO .
Donc il y a un amour de la paix qui n'est pas vertu .
BA Toute vertu est accompagnée de discrétion :
RO Il y a des zèles sans discrétion ;
CO . Donc il y a des zèles qui ne sont pas vertu .

Fondement de la seconde figure.

Il serait facile de réduire toutes ces diverses sortes d'argu


ments à un même principe par quelques détours ; mais il estplus
avantageux d'en réduire deux à un principe et deux ä un autre,
parce que la dépendance et la liaison qu'ils ont avec ces deux
principes est plus claire et plus immédiate.
Principe des arguments en Cesare et Festino.

Le premier de ces principes est celui qui sert aussi de fonde


ment aux arguments négatifs de la première figure ;. savoir,
TROISIÈME PARTIE. 215

que ce qui est nié d'une idée universelle est aussi nié de tout ce
dont cette idée est affirmée, c'est-à -dire de tous les sujets de cette
idée : car il est clair que les arguments en Cesare et Festino sont
établis sur ce principe. Pour montrer, par exemple, que nul
homme de bien n'est monteur, j'ai affirmé croyable de tout
homme de bien , et j'ai nié menteur de tout homme croyable, en
disant que nul menteur n'est croyable. Il est vrai que cette façon
de nier est indirecte , puisque, au lieu de nier menteur de
croyable, j'ai nié croyable de menteur ; mais comme les propo
sitions négatives universelles se convertissent simplement en
niant l'attribut d'un sujet universel, on nie ce sujet universel de
l'attribut.
Cela fait voir néanmoins que les arguments en Cesare sont, en
quelque manière, indirects, puisque ce qui doit être nié n'y est
nié qu'indirectement ; mais comme cela n'empêche pas que l'es .
prit ne comprenne facilement et clairement la force de l'argu
ment, ils peuvent passer pour directs, entendant ce terme pour
des arguments clairs et naturels.
Cela fait voir aussi que ces deux modes Cesare et Festino ne
sont différents des deux de la première figure, Celarent et Ferio,
qu'en ce que la majeure en est renversée ; mais quoique l'on
puisse dire que les modes négatifs de la première figure sont
plus directs, il arrive néanmoins souvent que ces deux de la
deuxième figure qui y répondent sont plus naturels, et que l'es
prit s'y porte plus facilement; car , par exemple, dans celui que
nous venons de proposer, quoique l'ordre direct de la négation
demandatque l'on dit : « Nul homme croyable n'est menteur, ce
qui eût fait un argument en Celarent, néanmoins notre esprit se
porte naturellement à dire que nul menteur n'est croyable.

Principe des arguments en Camestres et Baroco.

Dans ces deux modes, le moyen est affirmé de l'attribut de la


conclusion et nié du sujet : ce qui fait voir qu'ils sont établis
directement sur ce principe : Tout ce qui est compris dans l'ex
tension d'une idée universelle, ne convient à aucun des sujets dont
on la nie, l'attribut d'une proposition négative étant pris selon
210 LOGIQUE .

toute son extension , comme on l'a prouvé dans la secondo


partie.
Vrai chrétien est compris dans l'extention de charitable, puis
que tout vrai chretien est charitable ; charitable est nié d'im
pitoyable envers les pauvres ; donc vrai chrétien est nie
d'impitoyable envers les pauvres , ce qui fait cet argument :
Tout vrai chrétien est charitable :
Nul impitoyable envers les pauvres n'est charitable ;
Donc nul impitoyable envers les pauvres n'est vrai chrétien .

CHAPITRE VII .

Règles, modes et fondements de la troisième figure.

Dans la troisième figure le moyen esti deux fois sujet; d'où il


s'ensuit :

RÈGLE I. Que la mineure doit être affirmatiue .


Ce que nous avons déjà prouvé par la première règle de la pre
mière figure; parce que dans l'une et dans l'autre l'attribut de la
conclusion est aussi attribut dans la majeure.
RÈGLE II. L'on n'y peut conclure que particulièrement.
Car la mineure étant toujours affirmative, le petit terme qui y
est attribut est particulier; dont il' ne peut être universel dans
la conclusion où il est sujet , parce que ce serait conclure le
général du particulier contre ladeuxième règle générale.

Démonstration .

Qu'il ne peut y avoir que six modes dans la troisième figure.


Des dix modes concluants, A , E , E , et A , 0 , 0 , sont exclus
TROISIÈME PARTIE . 217

par la première règle de cette figure, qui est que la mineure ne


peut être négative..
A, A, A, et E, A, E, sont exclus par la deuxième règle qui est
que la conclusioni n'y peut être générale.
Il ne reste donc que ces six modes :
( A , A , I, E , A , 0.
3 Affirmatifs. A , I, I. 3 Négatifs. E, I, O.
( I, A, I. ( 0 , A , 0.
Ce qu'il fallait démontrer.

C'est ce qu'on a réduit à ces six mots artificiels, quoique dans


un autre ordre ..

DA La divisibilité de la matière à l'infini est incompréhensible:


RA La divisibilité de la matière à l'infini est très -certaine;
PTI . Il y a donc des choses très -certaines qui sont incompréhen
sibles .

FE- Nul homme ne peut se quitter soi-même :


LA Tout homme est ennemi de soi -même ;
PTON . Il y a donc des ennemis qu'on ne saurait quitter.
DI Il y a des méchants qui font les plus grandes fortunes :
SA Tous les méchants sont misérables ;
MIS . Il y a donc des misérables dans les plus grandes fortunes.
DA Tout serviteur de Dieu est Roi :
TI Il y a des serviteurs de Dieu qui sont pauvres ;
SI . Il y a donc des pauvres qui sont rois.
Bo Il y a des colères qui ne sont pas blåmables :
CAR Toute colère est une passion ;
DO . Donc il y a des passions qui ne sont pas blåmables.
FE Nulle sottise n'est éloquente :
RI ILy a des sottises en figures ;
SON . Il y a donc des figures qui ne sont pas éloquentes.
218 LOGIQUE .

Fondement de la troisième figuro.

Les deux termes de la conclusion étant attribués dans les deux


prémisses à un même terme qui sert de moyen , on peut réduire
les modes affirmatifs de cette figure à cọ principe :

Principe des modes affirmatifs .

Lorsque deux termes peuvent s'affirmer d'une même chose, ils


peuvent aussi s'affirmer l'un de l'autre pris particulièrement
Car, étant unis ensemble dans cette chose, puisqu'ils lui con
viennent, il s'ensuit qu'ils sont quelquefois unis ensemble, et,
partant, que l'on peut les affirmer l'un de l'autre particulière
ment ; mais, afin qu'on soit assuré que ces deux termes aient
été affirmés d'une même chose qui est le moyen , il faut que
ce moyen soit pris au moins une fois universellement, car s'il
était pris deux fois particulièrement , ce pourrait être deux
diverses parties d'un terme commun, qui ne serait pas la même
chose.

Principe des modes négatifs.

Lorsque de deux termes l'un peut être nié et l'autre affirmė


de la même chose, ils peuvent se nier particulièrement l'un de
l'autre.

Car il est certain qu'ils ne sont pas toujours joints ensemble,


puisqu'ils n'y sont pas joints dans cette chose : donc on peut les
nier quelquefois l'un de l'autre , c'est- à - dire que l'on peut les nier
l'un de l'autre pris particulièrement ; mais il faut, par la même
raison, afin que ce soit la même chose, que le moyen soit pris
au moins une fois universellement.
TROISIÈME PARTIE . 219

CHAPITRE VIII.

Mode de la quatrième figure

La quatrième figure est celle où le moyen est attribut dans la


majeure et sujet dans la mineure : elle est si peu naturelle, qu'il
est assez inutile d'en donner les règles. Les voilà néanmoins, afin
qu'il ne manque rien à la démonstration de toutes les manières
simples de raisonner.

RÈGLE I. Quand la majeure est affirmative, la mineure est tou


jours universelle.
Car le moyen est pris particulièrement dans la majeure affir
mative, parce qu'il en est l'attribut. Il faut donc (par la première
règle générale) qu'il soit pris généralement dans la mineure, et
que par conséquent il la rende universelle, parce qu'il en est
le sujet.

RÈGLE II. Quand la mineure est affirmative, la conclusion est


toujours particulière.

Car le petit terme est attribut dans la mineure, et par consé


quent il y est pris particulièrement, quand elle est affirmative ;
d'où il s'ensuit (par la deuxième règle générale) qu'il doit être
aussi particulier dans la conclusion , ce qui la rend particulière,
parce qu'il en est le sujet.

RÈGLE III. Dans les modes négatifs, la majeure doit être


générale.
Car la conclusion étant négative, le grand terme y est pris gé
néralement. Il faut donc (par la deuxième règle générale) qu'il
soit pris aussi généralement dans les prémisses. Or il est le sujet
220 LOGIQUE .

de la majeure aussi bien que dans la deuxième figure, et par


conséquent il faut, aussi bien que dans la deuxième figure,
qu'étant pris généralement, il rende la majeure générale.

Démonstration .

Qu'il ne peut y avoir que cinq modes dans la quatrième figure.


Des dix modes concluants, A, I, I, et A, 0, 0 , sont exclus par
la première règle.
A, A , A , et E , A , E , sont exclus par la deuxième.
0, A, O, par la troisième.
Il ne reste donc que ces cïng :
A , E, E
( A , A , I.
2 Affirmatifs . 3 Négatifs. E , A , 0.
I, A, I.
E , I, O.
Cus cinq modes peuvent se renfermer dans ces modes arti
ficiels .

BAR- Tous les miracles de la nature sont ordinaires :


BA Tout ce qui est ordinaire' ne nous frappe point;
RI. Donc il y a des choses qui ne nous frappent point, qui sont
des miracles de la nature .

CA Tous les maux de la vie sont des maukk ' passagers :


LEN Tous les maux passagers ne sont point à craindre ;
TES .
Donc nul' des maux qui sont à craindre n'est un mal de
cette vie.

Di- Quelquefou dit vrai :


BA Quiconque dit vrai mérite d'être suivi ,
TIS .
Donc il y en a qui méritent d'être suivis, qui ne laissent
pas d'étre fous.
FES- Nulle vertu n'est une qualité naturelle :
PA Toute qualité naturelle a Dieu pour premier auteur ;
NO .
Donc il y a des qualités qui ont Dieu pour auteur, qui ne
sont pas des vertus .
TROISIÈME PARTIE. 221

FRE- Nul malheureux n'est content :


SI Il y a des personnes contentes qui sont pauvres ;
SOM . Il y a donc des pauvres qui ne sont pas malheureux .
Il est bon d'avertir que ‘Pon exprime ordinairement ces cinq
modes en cette façon : Baralipton , Celantes, Dibatis, Fespamo,
Fresisomorum ; ce qui est venu de ce qu'Aristote n'ayant pas fait
une figure séparéede cesmodes, onne les a regardés que comme
des modes indirects de la première figure, parce qu'on a prétendu
que la conclusion en était renversée, et que l'attribut en était le
véritable sujet. C'est pourquoi ceux qui ont suivi cette opinion
ont mis pour première proposition celle où le sujet de la conclu
sion entre, et pour mineure celle où entre l'attribut.
Et ainsi ils ont donné neuf modes à la première figure, quatre
directs et cinq indirects, qu'ils unt renfermés dans ces deux vers :

Barbara, Celarent, Darii, Ferio , Baralipton ,


Celantes, Dabitis, Fapesmo, Fresisomorum .
Et pour les deux autres figures :
Cesare, Camestres, Festino, Baroco, Darapti,
Felapton, Disamis, Datisi, Bocardo, Ferison .
Mais, comme la conclusion étant toujours supposée, puisque
c'est ce qu'on veut prouver, on ne peut pas dire proprement qu'elle
soit jamais renversée, nous avons cru qu'il était plus avantageux
de prendre loujours pour majeure la proposition où entre l'attri
but de la conclusion : ce qui nous a obligés , pour mettre la ma
jeure la première, de renverser ces mots artificiels. De sorte que,
pour mieux les retenir, on peut les renfermer en ce vers :
Barbari, Calentes, Dibatis, Fespamo, Fresisom .

Récapitulation des diverses espèces de syllogismes.

De tout ce qu'on vient de dire, on peut conclure qu'il y a dix


neuf espèces de syllogismes, qu'on peut diviser en diverses ma
nières.
222 LOGIQUE .
Généraux 5. Affirmatifs 1.
2o En
1. En
1 Particuliers 14 . { Négatifs 12 .

A, 1 .
E , 4.
3° En ceux qui concluent.
I, 6.
0, 8.
40 Selon les différentes figures , en les subdivisant par les
modes ; ce qui a déjà été assez fait dans l'explication de chaque
figure.
5° Ou, au contraire , selon les modes, en les subdivisant par les
figures; ce qui fera encore trouver dix-neuf espèces de syllo
gismes, par ce qu'il y a trois modes, dont chacun ne conclut
qu'en une seule figure ; six dont chacun conclut en deux figures;
et ur qui conclut en toutes les quatre.

CHAPITRE IX.

Des syllogismes complexes, et comment on peut les réduire aux


syllogismes communs, et en juger par les mêmes règles..

Il faut avouer que s'il y en a à qui la logique sert, il y en a


beaucoup à qui elle nuit ; et il faut reconnaître , en même temps,
qu'il n'y en a point à qui elle nuise davantage qu'à ceux qui s'en
piquent le plus, et qui affectent avec plus de vanité de paraître
bons logiciens : car cette affectation même étant la marque d'un
Esprit bas et peu solide , il arrive que, s'attachant plus à l'écorce
des règles qu'au bon sens qui en est l'âme, ils se portent facile
ment à rejeter comme mauvais des raisonnements qui sont très
bons ; parce qu'ils n'ont pas assez de lumière pour les ajuster
aux règles qui ne servent qu'à les tromper, parce qu'ils ne les
somprennent qu'imparfaitement.
Pour éviter ce défaut qui ressent beaucoup cet air de pédan
terie si indigne d'un honnête homme, nous devons plutôt exami
TROISIÈME PARTIE . 223

ner la solidité d'un raisonnement par la lumière naturelle que par


les formes; et un des moyens d'y réussir, quand nous y trouvons
quelque difficulté, est d'en faire d'autres semblables en différentes
matières ; et lorsqu'il nous parait clairement qu'il conclut bien , à
ne considérer que le bon sens, si nous trouvons en même temps
qu'il contienne quelque chose qui ne nous semble pas conforme
aux règles, nous devons plutôt croire que c'est faute de bien le
démêler, que non pas qu'il y soit contraire en effet.
Mais les raisonnements dont il est plus difficile de bien juger,
et où il est plus aisé de se tromper, sont ceux que nous avons
déjà dit se pouvoir appeler complexes, non pas simplement parce
qu'il s'y trouvait des propositions complexes, mais parce que les
termes de la conclusion étaient complexes, n'étant pas pris tout
entiers dans chacune des prémisses pour être joints avec le
moyen, mais seulement une partie de l'un des termes, comme en
cet exemple :
Le soleil est une chose insensible : -
Les Perses adoraient le soleil :
Donc les Perses adoraient une chose insensible ;

où l'on voit que la conclusion ayant pour attribut adoraient une


chose insensible, on n'en met qu'une partie dans la majeure, sa
voir : une chose insensible, et adoraient, dans la mineure.
Or, nous ferons deux choses touchant ces sortes de syllogismes.
Nous montrerons , premièrement, comment on peut les réduire
aux syllogismes incomplexes dont nous avons parlé jusqu'ici
pour en juger par les mêmes règles.
Et nous ferons voir, en second lieu , que l'on peut donner des
règles plus générales pour juger tout d'un coup de la bonté ou du
vice de ces syllogismes complexes, sans avoir besoin d'aucune
réduction .
C'est une chose assez étrange que, quoique l'on fasse peut-être
beaucoup plus d'état de la logique qu'on ne devrait, jusqu'à sou
tenir qu'elle est absolument nécessaire pour acquérir les sciences,
on la traite néanmoins avec si peu de soin , que l'on ne dit pres
que rien de ce qui peut avoir quelque usage ; car on se contente
d'ordinaire de donner des règles des syllogiepes simples; et pres
224 LOGIQUE .

quetous desexemples qu'on en apporte sont composés deprapo


sitions incomplexes, qui sont si claires, que personne ne s'est
jamais avisé de les proposer sérieusement dans aucun discours ;
car à qui a - t -on jamais oui faire ces syllogismes : Tout hommo
est animal : Pierre est homme :: donc Pierre est animal.
Mais on se met peu en peine d'appliquer les règles des syl
logismes aux arguments dont les propositions sont complexes,
quoique cela soit souvent assez difficile, et qu'il y ait plusieurs
arguments de cette nature qui paraissent mauvais, et qui sont
néanmoins fort bans ; et que d'ailleurs l'usage de ces sortes d'ar
guments soit beaucoup plus fréquent que celui des syllogismes
entièrement simples. C'est ce qu'il sera plus aisé de faire voir
par des exemples que par des règles.

EXEMPLE I. Nous avons dit, par exemple, que toutes les propo
sitions composées de verbes actifs sont complexes en quelque
manière ; et de ces propositions on en fait souvent des arguments
dont la forme et la force sont difficiles à reconnaitre, comme ce
lui-ci, que nous avons déjà proposé en exemple :
La loi divine commande d'honorer les rois :
Louis XIV est roi ;
Donc la loi divine commande d'honorer Louis XIV .

Quelques personnes peu intelligentes ont accusé ces sortes de


syllogismes d'être défectueux, parce que, disaient-elles, ils sont
composés de pures affirmatives dans la deuxième figure, ce qui
est un défaut essentiel ; mais ces personnes ont bien montré
qu'elles consultaient plus la lettre et l'écorce des règles, que non
pas la lumière de la raison , par laquelle ces règles ont été trou
vées ; car cet argument est tellement vrai et concluant que, s'il
était contre la règle, ce serait une preuve que la règle serait
fausse et non pas que l'argument fût mauvais.
Je dis donc, premièrement, que cet argument est bon ; car dans
cette preposition , la loi divine commande d'honorer les rois, ce
mot de rois est pris généralement pour tous les rois en particu
lier , et par conséquent Louis XIV est du nombre de ceux que la
loi divine commande d'honorer.
TROISIÈME PARTIE . 225

Je dis, en second lieu , que roi, qui est le moyen , n'est point
attribut dans cette proposition : La loi divine commande d'honorer
les rois, quoiqu'il soit joint à l'attribut commande, ce qui est bien
différent ; car ce qui est véritablement attribut est affirmé et con.
vient : or, 10 noi n'est point affirmé, et ne convient point à la lot
de Dieu ; 2° l'attribut est restreint par le sujet : or, le mot de roi
n'est point restreint dans cette proposition , la loi divine com
mande d'honorer les rois, puisqu'il se prend généralement.
Mais si l'on demande ce qu'il est donc, il est facile de répondre
qu'il est sujet d'une autre proposition enveloppée dans celle-là ;
car, quand je dis que la loi divine commande d'honorer les rois,
comme j'attribueà la loi de commander, j'attribue aussi l'honneur
aux rois, car c'est comme si je disais : La loi divine commande
que les rois soient honorés.
De même , dans cette conclusion : La loi divine commande d'ho
norer Louis XIV, Louis XIV n'est point l'attribut, quoique joint
à l'attribut, et il est, au contraire , le sujet de la proposition en
veloppée ; car c'est autant que si je disais : La loi divine commande
que Louis XIV soit honoré.

Ainsi , ces propositions étant développées en cette manière :


La loi divine commande que les rois soient honorés :
Louis XIV est roi ;
Donc la loi divine commande que Louis XIV soit honoré ;
il est clair que tout l'argument consiste dans ces propositions :
Les rois doivent être honorés :
Louis XIV est roi ;
Donc Louis XIV doit être honore ;
et que cette proposition : La loi divine commande, qui paraissait
la principale, n'est qu'une proposition incidente à cet argument,
qui est jointe à l'affirmation à qui la loi divine sert de preuve.
Il est clair de même que cet argument est de la première figure
en Barbara, les termes singuliers, comme Louis XIV, passant
pour universels, par ce qu'ils sont pris dans toute leur étendue,
comme nous avons déjà marqué.
16
226 LOGIQUE .

EXEMPLE II. Par la même raison , cet argument, qui parait de


la deuxième figure et conforme aux règles de cette figure,ne
vaut rien.
Nous devons oroire l'Écriture :
La tradition n'est point l'Écritore ;
Donc nous ne devons point croire latradition .
Car il doit se réduire à la première figure comme s'il y
avait :
L'Ecriture doit être crue :
La tradition n'est point l'Écriture:
.
Donc la tradition nedoit pas être crue.

Or, l'on ne peut rien conclure dans la première figure d'une


mineure négative.

EXEMPLE III. Il y a d'autres arguments dont les propositions


paraissent de pures affirmatives dans la deuxième figure, et qui
ne laissent pas d'être fort bons, comme :
Tout bon pasteur est prêt à donner sa vie pour ses berbis :
Or, il y a aujourd'hui peu de pasteursqui soient préts à donner
leur vie pour leurs brebis ;
Donc il y a aujourd'hui peu de bons pasteurs.
Mais ce qui fait que ce raisonnement est bon, c'est qu'on n'y
conclut affirmativement qu'en apparence ; car la mineure est une
proposition exclusive, qui contient dans le sens cetle négative :
Plusieurs des pasieurs d'aujourd'hui ne sont pas prêts à donner
leur vie pour leurs brebis; et la conclusion aussi se réduit à cette
négative : Plusieurs des pasteurs d'aujourd'hui nesontpas de bons
pasteurs.

EXEMPLE IV. Voici encore un argument qui, étant de la pro


mière figure, parait avoir la mineure négative, et qui 'néanmoins
ost fort bon .

Tous ceux à qui on ne peut ravir ce qu'ils aiment sont hors


d'atteinte à leurs ennemis.
TROISIÈME PARTIE . 227

Or, quand un homme n'aime que Dieu , on ne peut lui ravir ce


qu'il aime ;
Donc tous ceux qui n'aiment que Dieu sont hors d'atteinte à
leurs ennemis .

Ce qui fait que cet argument est fort bon, c'est que la mineure
n'est négative qu'en apparence, et est en effet affirmative.
Car le sujet de la majeure , qui doit être attribut dans la mi
beure , n'est pas ceux à qui on peut ravir ce qu'ils aiment, mais
c'est, au contraire, ceux à qui on ne peut le ruvir; or, e'est ce
qu'on affirme de ceux qui n'aiment que Dieu ; de sorte que le
sens de la mineure est :

Or, tous ceux qui n'aiment que Dieu sontdu nombre de ceuco
à qui on ne peut ravir ce qu'ils aiment: ce qui est visiblement
une proposition affirmative.

EXEMPLE V. C'est ce qui arrive encore quand la majeure est


une proposition exclusive, comme :
Lesseuls amis de Dieu sont heureux :
Or, il y a des riches qui ne sont pas amis de Dieu ,
Donc il y a des riches qui ne sont pas heureuso; car la particule
seuls fait que la première proposition de ce syllogisme vaut ces
deux - ci : les amis de Dieu sont heureux : et , tous les autres hom
mes qui ne sont point amis de Dieu nesont point heureux .
Or, comme c'est de cette seconde proposition que dépend la
force de ce raisonnement, la mineure, qui semblait négative, de
vient affirmative ; parce que le sujet de la majeure, qui doit être
attribut dans la mineure, n'est pas amis de Dieu, mais ceux qui
ne sont pas ainis de Dieu, de sorte que lout l'argument doit s
prendre ainsi :
Tous ceux qui ne sont point amis de Dieu ne sont pas heu
reuoc :

Or, il y a des riches qui sont du nombre de oeux qui ne sont pas
amis de Dieu ;
Doncil y a des riches qui ne sont point heureux .
228 LOGIQUE .
Mais ce qui fait qu'il n'est pas nécessaire d'exprimer la mineure
de cette sorte , et qu'on lui laisse l'apparence d'une propo
sition négative, c'est que c'est la même chose de dire négative
ment qu'un homme n'est pas ami de Dieu , et de dire affirmative
ment qu'il est non ami de Dieu , c'est-à-dire du nombre de ceux
qui ne sont pas amis de Dieu.

EXEMPLE VI. Il y a beaucoup d'arguments semblables dont


toutes les propositions paraissent négatives, et qui néanmoins
sont très -bons, parce qu'il y en a une qui n'est négative qu'en
apparence, et qui est affirmative en effet, comme nous venons
de le faire voir, et comme on verra encore par cet exemple :
Ce qui n'a point de parties ne peut périr par la dissolution de
ses parties :
Notre âme n'a point de parties ;
Donc notre âme ne peut périr par la dissolution de ses parties.
Il y a des gens qui apportent ces sortes de syllogismes pour
montrer que l'on ne doit pas prétendre que cet axiome de la logi
que : On ne conclut rien de pures négatives, soit vrai généralement
et sans distinction ; mais ils n'ont pas pris garde que, dans le
sens, la mineure de ce syllogisme et autres semblables est affir
mative, parce que le milieu , qui est le sujet de la majeure, en est
l'attribut ; or, le sujet de la majeure n'est pas ce qui a des parties,
mais ce qui n'a point de parties ; et ainsi le sens de la mineure
est : notre ame est une chose qui n'a point de parties, ce qui est
une proposition affirmative d'un attribut négatif.
Ces mêmes personnes prouvent encore que les argumentsnéga
tifs sont quelquefois concluants, par ces exemples : Jean n'est pas
raisonnable : donc il n'est point homme. Nul animal ne voit : donc
nul homme ne voit. Mais elles devaient considérer que ces exem
ples ne sont que des enthymèmes, et que nul enthymème ne con
clut qu'en vertu d'une proposition sous-entendue, et qui par
conséquent doit être dans l'esprit, quoiqu'elle ne soit pas expri
mée ; or, dans l'un et l'autre de ces exemples, la proposition
sous-entendue est nécessairement affirmative. Dans le premier,
celle -ci : Tout homme est raisonnable : Jean n'est point raisonna
TROISIÈME PARTIE . 229

ble ; donc Jean n'est point homme; et, dans l'autre : Tout homme
est animal : nul animal ne voit; donc nul hornme ne voit ; or, on
ne peut pas dire que ces syllogismes soient de pures négatives ;
et, par conséquent, les enthymèmes, qui ne concluent que parce
qu'ils enferment ces syllogismes entiers dans l'esprit de celui qui
les fait, ne peuvent être apportés en exemple, pour faire voir
qu'il y a quelquefois des arguments de pures négatives qui con
cluent.

CHAPITRE X.

Principe général par lequel, sans aucune réduction aux figures et aux
modes , on peut juger de la bonté ou du défaut de tout syllogisme.

Nous avons vu comme on peut juger si les arguments com


plexes sont concluants ou vicieux, en les réduisant à la forme des
arguments plus communs, pour en juger ensuite par les règles
communes ; mais comme il n'y a point d'apparence que notre
esprit ait besoin de cette réduction pour faire ce jugement, cela
a fait penser qu'il fallait qu'il y eût des règles plus générales , sur
lesquelles même les communes fussent appuyées, par où l'on
reconnût plus facilement la bonté ou le défaut de toutes sortes de
syllogismes : et voici ce qui en est venu dans l'esprit.
Lorsqu'on veut trouver une proposition dont la vérité ne paraft
pas évidemment, il semble que tout ce qu'on a à faire soit de
trouver une proposition plus connue qui confirme celle-là , la
quelle, pour cette raison, on peut appeler la proposition conte
nante. Mais , parce qu'elle ne peut pas la contenir expressément
et dans les mêmes termes, puisque, si cela était, elle n'en serait
point différente , et ainsi elle ne servirait de rien pour la rendre
plus claire, il est nécessaire qu'il y ait encore une autre proposi
tion qui fasse voir que celle que nous avons appelée contenante
contient en effet celle que l'on veut prouver ; 'et celle -là peut
s'appeler applicative.
230 LOGIQUE .
Dans les syllogismes affirmatifs, il est souvent indifférent lan
quelle des deux on appelle contenante, parce qu'elles contiennent.
toutes deux, en quelque sorte, la conclusion , et qu'elles servent
naturellement à faire voir que l'autre la contient.
Par exemple, si je doute si un homme vicieux est malheureux ,
et que je raisonne ainsi :

Tout esclave de ses passions est malheureur :


Tout vicieux est esclave de ses passions ;
Donc tout vicieux est malheureux ;

quelque proposition que vous preniez, vous pourrez dire qu'elle


contient la conclusion , et que l'autre le fait voir ; car la majeure
la contient, parce qu'esclave de ses passions contient sous soi
vicieux ; c'est-à-dire que vicieux est renfermé dans son étendue
et est un de ses sujets, commela mineure le fait voir : et la mi
neure la contient aussi , parce qu'esclave de ses passions com
prend dans son idée celle de malheureux, comme la majeure le
fait voir.
Néanmoins, comme la majeure est presque toujours plus géw
nérale , on la regarde d'ordinaire comme la proposition conte
nante, et la mineure comme applicative.
Pour les syllogismes négatifs, comme il n'y a qu'une propo
sition négative, et que la négation n'est proprement enfermée que
dans la négation, il semble qu'on doive toujours prendre la pro
position négative pour la contenante, et l'affirmative pour l'ap
plicative seulement, soit que la négative soit la majeure, comme
en Celarent, Ferio , Cesare, Festino ; scit'que ce soit la mineure,
comme en Camestres et Baroco.
Car si je prouve par cet argument que nul'avare n'est heureux
Tout heureux est content :
Nul avare n'est content ;
Donc nut avare n'est heureux ;

il est plus naturel de dire que la mineure, qui est négative, con
tient la conclusion, qui est aussi négative; et que la majeure est
pour montrer qu'elle la contient : car cette mineure nul avare
TROISIÈME PARTIE . 231

niest content, séparant totalement content d'avoc ' aware, on sér


pare aussi heureuse, puisque, selon la majeure , heureudo est to
talement enfermé dans l'étendue de contento .
Il n'est pas difficile de montrer que toutes les règles que nous
avons données ne servent qu'à faire voir que la conclusion est :
contenue dans l'une des premières propositions, et que l'autre le
fait voir; et que les arguments ne sont vicieux que quand on .
manque à observer cela, et qu'ils sont toujours bons quand on
l'observe. Car toutes ces règles se réduisent à deux principales,
qui sont lefondement desautres : l'une, que nulterme ne peutêtre :
plus général dans la conclusion que dans les premisses ; oc, cela
dépendi visiblement de ce principe général que les premisses dois
vent contenir la conclusion : ce qui ne pourrait pas être si, le
même terme étant dans les prémisses et dans la conclusion , il
avait moins d'étendue ,dans les prémisses que dans la conclu +
sion ; car le moins général ne contient pas le plus général, quel
que homme ne contient pas tout homme.
L'autre règle générale est, que le moyen doit être pris au moins
une fois universellement; ce qui dépend encore de ce principe,
que la conclusion doil être contenue dans les premisses. Car, sup
posons que nous ayons à prouver que quelque ami de Dieu est
pauvre, et que nous nous servions pour cela de cette proposition :
Quelque saint est pauvre, je dis qu'on ne verra jamais évidem
ment que cette proposition contient la conclusion que par une
autre proposition où le moyen, qui est saint, soit pris universel
lement; car , il est visible qu'afin que cette proposition : Quelque
saint est pauvre , contienne la conclusion : Quelque ami de Dieu est.
pauvre, il faut et il suffit. que le terme quelque saint contienne,le
terme quelque ami de Dieu , puisque pour l'autre, elles l'ont com
mun. Or, un terme particulier n'a point d'étendue déterminée ;
il ne contient certainement que ce qu'il enferme dans sa com
préhension et dans son idée.
Et par conséquent, afin que le terme quelque saint contienne
le terme quelque ami de Dieu , il faut qu'ami de Dieu soit con
tenu dans la compréhension de l'idée de saint.
Or, tout ce qui est contenu dans la compréhension d'une idée
en peut être universellement affirmé ; tout ce qui est enfermé
232 LOGIQUE .

dans la compréhension de l'idée de triangle peut être affirmé


de tout triangle; tout ce qui est enfermé dans l'idée d'homme
peut être affirmé de tout homme, et, par conséquent, afin qu'ami
de Dieu soit enfermé dans l'idée de saint, il faut que tout saint
soit ami de Dieu ; d'où il s'ensuit que cette conclusion : Quelque
ami de Dieu est pauvre, ne peut être contenue dans cette propo
sition : Quelque saint est pauvre, où le moyen saint n'est pris parti
culièrement, qu'en vertu d'une proposition où il soit pris univer
sellement, puisqu'elle doit faire voir qu'un ami de Dieu est con
tenu dans la compréhension de l'idée de saint : c'est ce qu'on ne
peut montrer qu'en affirmant ami de Dieu de saint pris univer
sellement. Tout saint est ami de Dieu , et par conséquent nulle
des prémisses ne contiendrait la conclusion , si le moyen étant
pris particulièrement dans l'une des propositions, il n'était pris
universellement dans l'autre ; ce qu'il fallait démontrer '.

CHAPITRE XI.

Application de ce principe général à plusieurs syllogismes


qui paraissent embarrassés.

Sachant donc, par ce que nous avons dit dans la seconde partie,
ce que c'est que l'étendue et la compréhension des termes, par où
l'on peut juger quand une proposition en contient ou n'en con
tient pas une autre, on peut juger de la bonté ou du défaut de

1. On peut pousser la réduction des règles du syllogisme plus loin


que ne le fait Arnauld dans ce chapitre. Le vrai principe du raisonne
ment, c'est que tout ce qui se trouve dans le contenu se trouve dans
le contenant, et que tout ce qui est hors du contenant est hors du
contenu. Leibnitz parait avoir entrevu cette vérité que le P. Buffier
(Cours de Sciences, p. 766) et Euler ( Lettres à une Princesse d'Alle
magne , part. II , lett. 35 et suiv., édit. de M. Cournot), ont mise dans
tout sonjour.
TROISIÈME PARTIE . 233

tout syllogisme , sans considérer s'il est simple ou composé , com


plexe ou incomplexe , sans prendre garde aux figures ni aux
modus, par ce seul principe général : que l'une des deux propo
sitions doit contenir la conclusion, et l'autre faire voir qu'elle la
contient : c'est ce qui se comprendra mieux par des exemples.

EXEMPLE J. Je doute si ce raisonnement est bon :


Le devoir d'un chrétien est de ne point louer ceux qui commettent
des actions criminelles :
Or, ceux qui se battent en duel commettent une action crimi
nelle ;
Donc le devoir d'un chrétien est de ne point louer ceux qui se
battent en duel .

Je n'ai que faire de me mettre en peine pour savoir à quello


figure ni à quel mode on peut le réduire ; mais il me suffit de
considérer si la conclusion est contenue dans l'une des deux pre
mières propositions, et si l'autre le fait voir. Et je trouve d'abord
que la première n'ayant rien de différent de la conclusion, sinon
qu'il y a en l'une, ceux qui commettent des actions criminelles, et
en l'autre, ceux qui se battent en duel, celle où il y a, commettre
des actions criminelles, contiendra celle où il y a, se battre en duel,
pourvu que commettent des actions criminelles contienne se battre
en duel.
Or, il est visible, par le sens, que le terme de ceux qui com
mettent des actions criminelles, est pris universellement, et que
cela s'entend de tous ceux qui en commettent, quelles qu'elles
soient : et ainsi la mineure, ceux qui se battent en duel com
mettent une action criminelle, faisant voir que, se battre en duel
est contenu sous ce terme de commettre des actions criminelles,
elle fait voir aussi que la première proposition contient la con
clusion .

EXEMPLE II . Je doute ce raisonnement est bon :

L'Évangile promet le salut aux chrétiens :


Il y a des méchants qui sont chrétiens ;
Donc l'Évangile promet le salut aux méchants.
23:44 LOGIQUE
Pour en juger, je n'ai qu'à regarder que la majeure ne peut
contenir la conclusion, si le mot de chrétiens n'y'est pris généra
lement pour tous les chrétiens, et non pour quelques chrétiens
seulement; car, si l'Évangile ne promet le salut qu'à quelques
chrétiens, il ne s'ensuit, pas qu'il le promette à des méchants qui
seraient chrétiens, parce que ces méchants peuvent n'être pas du
nombre de ces chrétiens auxquels l'Évangile promet le salit;
c'est pourquoi ce raisonnement conclut bien . Mais la majeure est
fausse, si le mot de chrétiens se prend dans la majeure pour tous.
les chrétiens; et il conclut mal, s'il ne se prend que pour quelques
chrétiens; car alors la première proposition ne contiendrait point.
la conclusion .
Mais , pour savoir s'il doit se prendre universellement, cela .
doit se juger par une autre règle que nous avons donnée dans la
seconde partie, qui est que, hors les faits, ce dont on affirme est
pris universellement quand il est esprime indéfiniment; car
quoique ceux quicommettent des actions criminelles, dans le pre
mier exemple, et chrétiens, dans le deuxième, soient partie d'un
attribut, ils tiennent lieu néanmoins de sujet au regard de l'autre
partie du même attribut; car ils sont ce dont on affirme qu'on ne
doit pas les louer, ou qu'on leur promeo le salut : et par consé
quent, n'étant point restreints, ils doivent être pris universellos.
ment, et ainsi, l'un et l'autre argument est bon dans la forme;
mais la majeure du second est fausse, si ce n'est qu'on entendit
parle mot de chrétiens, ceux qui vivent conformément à l'Évad
gile, auquel cas la mineure serait fausse, parce qu'il n'y a poing
de méchants qui vivent conformément à l'Évangileu
EXEMPLE IH . Il estaiséde voir , panile même principe, que cæc+
raisonnement ne vaut rien ::

La loi divine commande d'oléir aux magistrats séculiers :


Les évéques ne sont point des magistrats séculiers ;
Donc la loi divine ne commande point d'obéir aux évéques.
Car nulle des premières propositions ne contient la conclusion ;
puisqu'il ne s'ensuit pas que la loi divine, commandant une chose,
n'en commande pas une autre; et ainsi, la mineure fait bien voir
TROISIÈME PARTIE . 235

que les dueques ne sont pas compris sous lenomde magistrats


séculiers, et que le commandementd'honorer les magistrats sécu
liers ne comprend point les évêques ; mais la majeure ne dit pasi
que Dieu n'ait fait d'autres commandements que celui-là , comme
il faudrait qu'elle fit pour enfermer la conclusion en vertu de cette
mineure : ce qui fait que cet autre argument est bony :

EXEMPLE IV. Le christianisme n'oblige les serviteurs de servir


leurs maitres que dans les choses qui ne sont point contre la loi de
Dieu :
Or, un mauvais commerce est contre la loi de Dieu ;
Donc le christianismen'oblige point les serviteurs de servir leurs
mattres dans un mauvais commerce!

Car la majeure contient la conclusion , puisque la mineure ,


mauvais commerce, est contenue dans le nombre des choses qui
sont contre la loi de Dieu ,, et que la majeure, étant exclusive, vaut
autant que si on disait : La loi divine n'oblige point les serviteurs.
de servir leurs maitres dans toutes les choses qui sont contre la loi
de Dieu .

EXEMPLE V. On peut résoudre facilement ce sophisme.commun,


par ce seul principe :
Celui qui dit que vous êtes un animal dit vrai :
Celui qui dit que vous étes un oison dit que vous êtes un animal ;
Donc celui qui dit que vous êtes un oison dit vrai.
Car il suffit de dire que nulle de ces deux premières proposi
tions ne contient la conclusion ; puisque, si la majeure la conte
nait , n'étant différente de la conclusion qu'en ce qu'il y a animal
dans la majeure, oison dans la conclusion , il faudrait qu'animal
contint oison ; mais animal est pris particulièrement dans cette
majeure, puisqu'il est attribut de cette proposition incidente
affirmative, vous êtes un animal; et par conséquent il ne pour
rait contenir oison que dans sa compréhension ; ce qui obligerait,
pour le faire voir, de prendre le mot d'animal universellement
dans la mineure, en affirmant oison de tout animal : ce qu'on
236 LOGIQUE.
ne peut faire, et ce qu'on ne fait pas aussi, puisque animal est
encore pris particulièrement dans la mineure , étant encore ,
aussi bien que dans la majeure, l'attribut de cette proposition
affirmative incidente : Vous êtes un animal.

EXEMPLE VI. On peut encore résoudre par là cet ancien so


phisme, qui est rapporté par saint Augustin :
Vous n'êtes pas ce que je suis :
Je suis homme ;
Donc vous n'êtes pas homme.
Cet argument ne vaut rien par les règles des figures, parce
qu'il est de la première, et que la première proposition, qui en
est la mineure, est négative : mais il suffit de dire que la conclu
sion n'est point contenue dans la première de ces propositions,
et que l'autre proposition : Je suis homme, ne fait point voir qu'elle
y soit contenue ; car la conclusion étant négative , le terme
d'homme y est pris universellement, et ainsi n'est point contenu
dans le terme ce que je suis, parce que celui qui parle ainsi n'est
pas tout homme, mais seulement quelque homme, comme il paraft
en co qu'il dit seulement dans la proposition applicative : Je suis
homme, où le terme d'homme est restreint à une signification
particulière, parce qu'il est attribut d'une proposition affirma
tive : or, le général n'est pas contenu dans le particulier.

CHAPITRE XII.

Des syllogismes conjonctifs.

Les syllogismes conjonctifs ne sont pas tous ceux dont les pro
positions sont conjonctives ou composées, mais ceux dont la
majeure est tellement composée qu'elle enferme toute la conolu
TROISIÈME PARTIE . 237

sion : on peut les réduire à trois genres, les conditionnels, les


disjonctifs, et les copulatifs.

Des syllogismes conditionnels.

Les syllogismes conditionnels sont ceux où la majeure est


une proposition conditionnelle qui contient toute la conclusion,
comme :

S'il y a un Dieu, il faut l'aimer :


Ory il y a un Dieu ;
Donc il faut l'aimer .
La majeure a deux parties : la première s'appelle l'antécédent,
s'il y a un Dieu ; la deuxième, le conséquent, il faut l'aimer.
Ce syllogisme peut être de deux sortes, parce que de la même
majeure on peut former deux conclusions.
La première est, quand, ayant affirmé le conséquent dans la
majeure, on affirme l'antécédent dans la mineure, selon cette
règle : en posant l'antécédent, on pose le conséquent.
Si la matière ne peut se mouvoir d'elle-même, il faut que le
premier mouvement lui ait été donné de Dieu :
Or, la matière ne peut se mouvoir d'elle-même ;
Il faut donc que le premier mouvement lui ait été donné de Dieu .
La deuxième sorte est , quand on öte le conséquent pour ôter
l'antécédent, selon cette règle : 6tant le conséquent, on 6te l'ante
cédent .

Si quelqu'un des élys périt, Dieu se trompe :


Mais Dieu ne se trompe point ;
Donc aucun des élus ne périt.
C'est le raisonnement de saint Augustin : Horum si quisquam
perit, fallitur Deus ; sed nemo eorum perit, quia non fallitur Deus.
Les arguments conditionnels sont vicieux on deux manières :
l'une est, quand la majeure est une conditionnelle déraisonnable,
et dont la conséquence est contre les règles, comme si je concluais
238 LOGIQUE. '

le général du particulier, en disant : Si nous nous trompons en


quelque chose, nous nous trompons en tout.
Mais cette fausseté dans la majeure de ces syllogismes en re
garde plutôt la matière que la forme; ainsi, ou ne les considère
comme vicieux selon la forme, que quand on tire une mauvaise
conclusion de la majeure, vraie ou fausse, raisonnable ou dérai
sonnable : ce qui se fait de deux sortes.
La première, lorsqu'on infère l'antécédent du conséquent,
comme si on disait :
Si les Chinois sont mahometans, ils sont infidèles :
Or, ils sont infidèles ;
Donc ils sont mahométans.

La deuxième sorte d'arguments conditionnels qui sont faux,


est quand de la négation de l'antécédent on infère la négation du
conséquent, comme dans le même exemple :
Si les Chinois sont mahometans, ils sont infidèles :
Or, (ils ne sont pas mahometans ;
Donc ils nesont pas infidèles.
Hysa néanmoins de ces arguments conditionnels qui seinblent
avoir ce second défaut, qui ne laissent pas d'être fort bons, parce
qu'il y a une exclusion sous-entendue dans la majeure, quoique
non exprimée. Exemple : Cicéren ayant publié une loi contre
ceux qui achèteraient les suffrages, et Muréna étant accusé de les
avoir achetés, Cicéron , qui plaidait pour lui , se justifie par cet
argument du reproche que lui faisait Caton, d'agir, dans cette
défense, contre sa loi : Etenim si largitionem factam esse confi
terer, idque recte factam esse.defenderem , facerem improbe,etiamsi
alius legem tulisset ; cum vero nihil .commissum contra legem
esse defendam , quid est quod meam defensionem latio legis im
pediat ? Il semble que cet argument soit semblable à celui d'un
blasphémateur, qui dirait pour s'excuser : Si je niais qu'il y eút
un Dieu, je serais un méchant; muis quoique je blasphème, je ne
nie pas qu'il y ait un Dieu : donc je ne suis pas un méchant.
Cet argument ne vaudrait rien , parce qu'il y a d'autres crimes
que l'athéisme qui rendent un homme méchant; mais ce qui fait
TROISIÈME PARTIE . 239

que celui de Cicéron est bon , quoique Ramus l'ait proposé pour
exemple d'un mauvais raisonnement, c'est qu'il enferme dans le
sens une particule exclusive, et qu'il faut le réduire à ces termes :
Ce serait alors seulement qu'on pourrait me reprocher avec rai
son d'agir contre ma doi, si j'avouais que Muréna eût acheté les
suffrages, et que je ne laissasse pas de justifier son action :
Mais je prétends qu'il n'a point acheté les suffrages ;
Et par conséquent je ne fais rien contre ma loi.
Il faut dire la même chose de ce raisonnement de Vénus dans
Virgile, en parlant à Jupiter :
Si sine pace tua atque invito numine Troes
Italiam petiere, luant peccata , neque illos
Juveris auxilio : sin tot responsa secuti ,
Qux superi manesque dabant , cur nunc tua quisquam
Flectere jussa potest, aut cur nova condere fata ?
car ce raisonnement se réduit à ces termes :

Si les Troyens étaient venus en Italie contre le gré des dieux ,


ils seraient punissables :
Mais ilsne sont pasvenus contre le gré des dieux ;
Donc ils ne sont pas punissables.
Il faut donc y suppléer quelque chose; autrement il serait sem
blable à celui-ci, qui certainement ne conclut pas :
Si Judas était entré dans l'apostolat sans vocation , il aurait dú
être rejeté de Dieu :
Mais il n'est pas entré sans vocation ;
Donc il n'a pas dû être rejeté de Dieu.
Mais ce qui fait que celui de Vénus, dans Virgile, n'est pas
vicieux, c'est qu'il faut considérer la majeure comme étant exclu
sive dans le sens , de même que s'il у avait :

Ce serait alors seulement que les Troyens seraient punissables


et indignes du secours des dieux, s'ils étaient enus en Italie contre
leur gré :
Donc, etc.

1. Énéide, XI, v. 32 et suiv .


240 LOGIQUE .
Ou bien il faut dire, ce qui est la même chose, que l'affirmative,
si sine pace tua, etc. , enferme dans le sens cette négative :
Si les Troyens ne sont venus dans l'Italie que par l'ordre des
dieux, il n'est pas juste que les dieux les abandonnent :
Or, ils n'y sont venus que par l'ordre des dieux ;
Donc , etc.

Des syllogismes disjonctifs.

On appelle syllogismes disjonctifs ceux dont la première pro


position est disjonctive, c'est - à -dire dont les parties sont jointes
par vel, ou, comme celui- ci de Cicéron :
Ceux qui ont tué César sont parricides ou défenseurs de la
liberté :
Or, ils ne sont point parricides ;
Donc ils sont défenseurs de la liberté.
Il y en a de deux sortes : la première, quand on ôte une partie
pour garder l'autre, comme dans celui que nous venons de pro
poser, ou dans celui-ci :
Tous les méchants doivent être punis en ce monde ou en l'autre :
Or, il y a des méchants qui ne sont point punis en ce monde ;
Donc ils le seront en l'autre.

Il y a quelquefois trois membres dans cette sorte de syllo


gismes, et alors on en ôte deux pour en garder un, comme dans
cet argument de saint Augustin , dans son livre du Mensonge,
chap. VIII.
Aut non est credendum bonis, aut credendum est eis quos cre .
dimus debere aliquando mentiri, aut non est credendum bonos
aliquando mentiri . Horum primum perniciosum est ; secundum
stultum ; restat ergo ut nunquam mentiantur boni.
La seconde sorte, mais moins naturelle, est quand on prend
une des parties pour ôter l'autre, comme si l'on disait :
Saint Bernard, témoignant que Dieu avait confirmé par des
TROISIÈME PARTIE . 241

miracles sa prédication de la croisade, était un saint ou un im


posteur :
Or, diétait un saint ;
Donc ce n'était pas un imposteur.
Ces syllogismes disjonctifs ne sont guère faux que par la faus
Beté de la majeure, dans laquelle la division n'est pas exacte, se
trouvant un milieu entre les membres opposés , comme si je
disais :

Il faut obéir aux princes en ce qu'ils commandent contre la loi


de Dieu , ou se révolter contre eux :
Or, il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de
Dieu ;
Donc il faut'se révolter contre eux ,
Ou Or, il ne faut pas se révolter contre eux :
Donc il faut leurobéir en ce qui est contre la loi de Dieu .
L'un et l'autre raisonnement est faux, parce qu'il y a un milieu
dans cette disjonction , qui a été observé par les premiers chré
tiens, qui est de souffrir patiemment toutes choses, plutôt que de
rien faire contre la loi de Dieu , sans néanmoins se révolter contre
les princes .
: Ces fausses disjonctions sont une des sources les plus com
munes des faux raisonnements des hommes..

Des syllogismes cupulatifs.

Ces syllogismes ne sont que d'une sorte , qui est quand on


prend une proposition copulative niante, dont ensuite on établi
une partie pour ôter l'autre :
Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu et idolâtre
de son argent :
Or, l'avare est idolâtre de son argent ;
Donc il n'est pas serviteur de Dieu.
Car cette sorte de syllogisme no conclut point nécessairement
16
242 LOGIQUE .
quand on ôte une partie pour mettre l'autre, comme on peut voir
par ce raisonnement tiré de la même proposition :
Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu, et idolatre
de l'argent :
Or, les prodigues ne sont point idolâtres de l'argent;
Donc ils sont serviteurs de Dieu.

CHAPITRE XIII.

Des syllogismes dont la conclusion est conditionnelle .

On a fait voir qu'un syllogisme parfait ne peut avoir moins de


trois propositions ; mais cela n'est vrai que quand on conclut
absolument, et non quand on ne le fait que conditionnellement,
parce qu'alors la seule proposition conditionnelle peut enfermer
une des prémisses outre la conclusion , et même toutes les deux.
EXEMPLE : Si je veux prouver que la lune est un corps raboteux,
et non poli comme un miroir , ainsi qu'Aristote se l'est imaginé,
je ne puis le conclure absolument qu'en trois propositions :
Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts est raboteus :
Or, la lune réfléchit la lumière de toutes parts;
Donc la lune est un corps raboteux .
Mais je n'ai besoin que de deux propositions pour la conclure
conditionnellement en cette manière :
Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts est raboteus;
Donc si la lune réſéchit la lumière de toutesparts, c'est un corps
raboteux .

Et je puis même renfermer ce raisonnement en une seule


proposition , ainsi :
Si tout corps qui réfléchit la lumière de tou !es parts est raboteux,
TROISIÈME PARTIE . 243

et que la lune réfléchisse la lumière de toutes parts, il faut avouer


que ce n'est point un corps póli, mais raboteux .
Ou bien en liant une des propositions par la particule causale,
parce que, ou puisque, comme :
Si tout vrai ami doit être prêt à donner sa vie pour son ami,
Il n'y a guère de vrais amis,
Puisqu'il n'y en a guère qui le soient jusqu'à ce point.
Cette manière de raisonner est très-:commune et très-belle, et
c'est ce qui fait qu'il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait de rai
sonnement que lorsqu'on voit trois propositions séparées et ar
rangées comme dans l'école; car il est certain que cette seule
proposition comprend ce syllogisme entier :
Tout vrai ami doit être prêt à donner sa vie pour ses amis :
Or il n'y a guère de gens qui soient prêts à donner leur vie pour
leurs amis ;
Donc il n'y a guère de vrais amis.
Toute la différence qu'il y a entre les syllogismes absolus et
ceux dont la conclusion est enfermée avec l'une des prémisses
dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne
peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions
d'accord de ce qu'on aurait voulu nous persuader ; au lieu que
dans les derniers, on peut accorder tout, sans que celui qui les
fait ait encore rien gagné, parce qu'il lui reste à prouver que la
condition d'où dépend la conséquence qu'on lui a accordée est
véritable .
Et ainsi ces arguments ne sont proprement que des prépara
tions à une conclusion absolue; mais ils sont aussi très-propres
à cela; et il faut avouer que ces manièresde raisonner sont très.
ordinaires et très -naturelles, et qu'elles ont cet avantage, qu'é
tant plus éloignées de l'air de l'École, elles en sont mieux reçues
dans le monde.
On peut conclure de cette sorte en toutes les figures et en tous
les modes , et ainsi , il n'y a point d'autres règles à y observer,
que les règles mêmes des figures.
244 LOGIQUE .
Il faut seulement remarquer que la conclusion conditionnelle
comprenant toujours l'une des prémisses outre la conclusion,
c'est quelquefois la majeure , et quelquefois la mineute .
C'est ce qu'on verra par les exemples de plusieurs conclusions
conditionnelles qu'on peut tirer de deux maximes générales ; l'une
affirmative et l'autre négative. Soit l'affirmative, ou déjà prou
vée, ou accordée :
Tout sentiment de douleur est une pensée.
On en conclut affirmativement.

1. Donc, si toutes les bêtes sentent de la douleur,


Toutes les bêtes pensent. Barbara. -
2. Donc, si quelque plante sent de la douleur,
Quelque plante pense . Darii.
3. Donc , si toute pensée est une action de l'esprit,
Tout sentiment de douleur est une action de l'esprit. Barbara .
4. Donc, si tout sentiment dedouleur est un mal,
Quelque pensée est un mal. Darapti.
5. Donc, si le sentiment de douleur est dans la main que l'on
hrüle,
Il y a quelque pensée dans la main que l'on brúle. Disamis.

NÉGATIVEMENT .

6. Donc, si nulle pensée n'est dans le corps,


Nul sentiment de douleur n'est dans le corps. Celarent.
7. Donc, si nulle béte ne pense,
Nulle béte ne sent de la douleur . Camestres .

8. Donc, si quelque partie de l'homme ne pense point,


Quelque partie de l'homme ne sont point la douleur. Baroco.
9. Donc, si nul mouvement de la matière n'est une pensée,
Nul sentiment de douleur n'est un mouvement de la matière.
Cesare.
TROISIÈME PARTIE . 245

10. Donc, si le sentiment de douleur n'est pas agréable,


Quelque pensée n'est pas agréable. Felaplon .
11. Donc, si quelque sentiment de douleur n'est pas volontairs,
Quelque pensée n'est pas volontaire. Bocardo .
On pourrait tirer encore quelques autres conclusions cotidi
ionnelles de cette maxime générale: Tout sentiment de douleur est
une pensée; mais comme elles seraient peu naturelles, elles ne
méritent pas d'être rapportées.
De celles qu'on a tirées, il y en a qui comprennent la mineurs,
outre la conclusion ; savoir : la 1re, 20, 7°, 86, et d'autres la ma
jeure; savoir : 38, 40, 50, 60, 90, 10*, 11e .
On peut de même remarquer les diverses conclusions condi.
tionnelles qui peuvent se tirer d'une proposition générale néga
tive ; soit, par exemple, celle -ci :
Nulle matière ne pense .

1. Donc, si toute âme de bête est matière,


Nuile &me de béte ne pense . Celarent.
2. Donc, si quelque partie de l'homme est matière,
Quelque partiede l'homme ne pense point. Ferio.
3. Donc, si notre âme pense,
Notre dme n'est point matiène. Cesare.

4. Donc, si quelque partie de l'homme pense,


Quelque partie de l'homme n'est point matière. Festino .
5. Donc, si tout ce qui sent de la douleur pense,
Nulle matière ne sent de la douleur. Camestres.

6. Donc, si toute matière est une substance,


Quelque substance ne pense point. Felapton .
7. Donc, si quelque matière est cause de plusieurs effets qui pa
raissent très-merveilleux ,
Tout ce qui est cause d'effets merveilleux ne pense pas . Ferison.
De ces conditionnelles, il n'y a que la cinquième qui enferme
· 246 LOGIQUE .
la majeure oùtre la conclusion : toutes les autres renferment la
mineure.
Le plus grand usage de ces sortes de raisonnements est d'obli
ger celui à qui on veut persuader une chose, de reconnaître pre
mièrement la bonté d'une conséquence qu'il peut accorder sans
s'engager encore à rien , parce qu'on ne la lui propose que condi
tionnellement et séparée de la vérité matérielle, pour parler
ainsi, de ce qu'elle contient.
Et par là on le dispose à recevoir plus facilement la conclusion
absolue qu'on en tire , ou en mettant l'antécédent pour mettre le
conséquent, ou en ôtant le conséquent pour ôter l'antécédent.
Ainsi un homme m'ayant avoué que nulle matière ne pense,
j'en conclurai : Donc si l'âme des bêtes pense, il faut qu'elle soit
distincte de la matière.
Et comme il ne pourra me nier cette conclusion conditionnelle ,
j'en pourrai tirer l'une ou l'autre de ces deux conséquences ab
solues :
Or, l'âme des bêtes pense ;
Donc elle est distincte de la matière.

Ou bien au contraire :

Or, l'âme des bétes n'est pas distincte de la matière ;


Donc elle ne pense point.
On voit par là qu'il faut quatre propositions, afin que ces sortes
de raisonnements soient achevés, et qu'ils établissent quelque
chose absolument ; et néanmoins on ne doit pas les mettre au rang
des syllogismes qu'on appelle composés, parce que ces quatre
propositions ne contiennent rien davantage dans le sens que
ces trois propositions d'un syllogisme commun :
Nulle matière ne pense :
Toute âme de bête est matière ;
Donc nulle ame de béte ne penso.
TROISIÈME PARTIE . 247

CHAPITRE XIV.

Des enthymèmes, et des sentences enthymématiques.

On a déjà dit que l'enthymème était un syllogisme parfait dans


p'esprit, mais imparfait dans l'expression , parce qu'on y suppri
mait quelqu'une des propositions comme trop claire et trop con
nue, et comme étant facilement suppléée par l'esprit de ceux à
qui l'on parle. Cette manière d'argument est si commune dans
les discours et dans les écrits, qu'il est rare, au contraire, que
l'on y exprime toutes les propositions, parce qu'il y en a d'ordi
naire une assez claire pour être supposée, et que la nature de
l'esprit humain est d'aimer mieux qu'on lui laisse quelque chose
à suppléer, que non pas qu'on s'imagine qu'il ait besoin d'être
instruit de tout.
Ainsi cette suppression flatte la vanité de ceux à qui l'on parle,
en se remettant de quelque chose à leur intelligence, et en abré
geant le discours , elle le rend plus fort et p!us vif. Il est certain,
par exemple, que si de ce vers de la Médée d'Ovide, qui con
tient un enthymème très - élégant :
Servare potui, perdere an possim rogas ?
Je t'ai pu conserver , je te pourrai donc perdre,
on avait fait un argument en forme, en cette manière : Celui
qui peut conserver peut perdre : or, je t'ai pu conserver , doncje te
pourrai perdre, toute la grâce en serait ötée ; la raison en est que,
comme une des principales beautés d'un discours est d'être plein
de sens, et de donner occasion à l'esprit de former une pensée
plus étendue que n'est l'expression, c'en est, au contraire, un des
plus grands défauts d'être vide de sens, et de renfermer peu de

1. Cette pièce est perdue, et il n'en reste que ce vers cité par Quin
tilien livre VIII, chap. v, Barnes, in Euripid. (Note de Port-Royal.)
248 LOGIQUE .
pensées, ce qui est presque inévitable dans les syllogismes philo
sophiques ; car l'esprit allant plus vite que la langue , et une des
propositions suffisant pour en faire concevoir deux, l'expression
de la seconde devient inutile, ne contenant aucun nouveau sens
C'est ce qui rend ces sortes d'arguments si rares dans la vie des
hommes, parce que, sans même y faire réflexion, on s'éloigre
de ce qui ennuie, et l'on se réduit à ce qui est précisément né
cessaire pour se faire entendre.
Lesenthymèmes sont donc la manière ordinairedont les hommes
expriment leurs raisonnements, en supprimant la proposition
qu'ils jugent devoir être facilement suppléée; et cette proposition
est tantôt la majeure, tantôt la mineure, et quelquefois la conclu
sion ; quoique alors cela ne s'appelle pas proprement enthymème,
tout l'argument étant contenu en quelque sorte dans les deux
premières propositions.
Il arrive aussi quelquefois que l'on renferme desdeux proposi
tions de l'enthymème dans une seule proposition, qu'Aristote ap
pelle, pour ce sujet, sentence enthymématique, et dont il rapporte
cet exemple :
Αθάνατον οργήν μη φύλαττε, θνητός ών 1
Mortel, ne garde pas une haine immortelle.
L'argument entier serait : Celui qui est mortel ne doit pas con
server une haine immortelle : or, vous êtes mortel; donc, etc. , et
l'enthymème parfait serait : Vous êtes mortel ; que votre haine ne
soit donc pas immortelle.

CHAPITRE XV.

Des syllogismes composés de plus de trois propositions.

Nous avons déjà dit que les syllogismes composés de plus de


trois propositions s'appellent généralement sorites.
1. Rhetor. , II , XXI, 6 .
TROISIÈME PARTIE . 249

On peut en distinguer de trois sortes : 1° Les gradations, dont


il n'est point nécessaire de rien dire davantage que ce qui en a
été dit au premier chapitre de cette troisième partie.
2° Les dilemmes, dont nous traiterons dans le chapitre suivant.
30 Ceux que les Grecs ont appelés épichérèmes, qui compren
nent la preuve ou de quelqu'une des deux premières propositions,
ou de toutes les deux ; et ce sont ceux-là dont nous parlerons
dans ce chapitre.
Comme l'on est souvent obligé de supprimer dans les discours
certaines propositions trop claires, il est aussi souvent nécessaire,
quand on en avance de douteuses, d'y joindre en même temps
des preuves pour empêcher l'impatience de ceuxà qui l'on parle ,
qui se blessent quelquefois lorsqu'on prétend les persuader par
des raisons qui leur paraissent fausses ou douteuses ; car, quoique
l'on y remédie dans la suite, néanmoins il est dangereux de pro
duire même pour un peu de temps, ce dégoût dans leur esprit :
et ainsi , il vaut beaucoup mieux que les preuves suivent immé
diatement ces propositions douteuses, que non pas qu'elles en
soient séparées. Cette séparation produit encore un autre incon
vénient bien incommode, c'est qu'on est obligé de répéter la pro
position que l'on veut prouver. C'est pourquoi, au lieu que la
méthode de l'École est de proposer l'argument entier, et ensuite
de prouver la proposition qui reçoit la difficulté, celle que l'on
suit dans les discours ordinaires, est de joindre aux propositions
douteuses les preuves qui les établissent, ce quifait une espèce
d'argument composé de plusieurs propositions : car à la majeure
on joint les preuves de la majeure, à la mineure les preuves de
la mineure , et ensuite on coniclat.
L'on peut réduire ainsi toute l'oraison pour Milon à un argu
iment conrposé, dont la majeure est qu'il est permis de tuer celui
qui nous dresse des embûches. Les preuves de cette majeure se
tirent de la toi.naturelle, du droit des gens, des exemples. La
mineure est que Claudius a dressé des embûches à Milon, et les
preuves de la mineure sont l'équipage de Claudius, sa suite, etc.
La conclusion est, qu'il a donc étépermis à Milon de le tuer.
Le péché originel se prouverait par les misères des enfants,
selon la méthode dialectique, en cette manière.
250 LOGIQUE .
Les enfants ne sauraient être misérables qu'en punition de
quelque péché qu'ils tirent de leur naissance; or, ils sont misé
rables ; donc c'est à cause du péché originel . Ensuite il faudrait
prouver la majeure et la mineure ; la majeure par cet argument
disjonctif : la misère des enfants ne peut procéder que de l'une
de ces quatre causes : 1 ° des péchés précédents commis en une
autre vie ; 2° de l'impuissance de Dieu, qui n'avait pas le pouvoir
de les en garantir; 3° de l'injustice de Dieu , qui les asservirait
sans sujet; 40 du péché originel. Or, il est impie de dire qu'elle
vienne des trois premières causes : elle ne peut donc venir que de
la quatrième, qui est le péché originel .
La mineure, que les enfants sont misérables, se prouverait par
le dénombrement de leurs misères .
Mais il est aisé de voir combien saint Augustin a proposé cette
preuve du péché originel avec plus de gråce et de force, en la
renfermant dans un argument composé en cette sorte '.
« Considérez la multitude et la grandeur des maux qui acca
« blent les enfants, et combien les premières années de leur vie
« sont remplies de vanité, de souffrances, d'illusions, de frayeurs ;
a ensuite, lorsqu'ils sont devenus grands, et qu'ils commencent
a même à servir Dieu, l'erreur les tente pour les séduire, le tra
« vail et la douleur les tentent pour les affaiblir, la concupiscence
« les tente pour les enflammer, la tristesse les tente pour les
« abattre, l'orgueil les tente pour les élever ; et qui pourrait re
« présenter, en peu de paroles, tant de diverses peines qui appe
& santissent le joug des enfants d’Adam ? L'évidence de ces misères
( a forcé les philosophes païens, qui ne savaient et ne croyaient
a rien du péché de notre premier père, de dire que nous n'étions
( nés que pour souffrir les châtiments que nous avions mérités
« par quelques crimes commis en une autre vie que celle - ci, et
« qu'ainsi nos âmes avaient été attachées à des corps corrupti
bles, par le même genre de supplice que des tyrans de Toscane
faisaient souffrir à ceux qu'ils attachaient tout vivants avec des
( corps morts. Mais cette opinion que les âmes sont jointes à des
« corps en punition des fautes précédentes d'une autre vie, est
1. Contra Julianum Pelagianum , lib. IV , 83 .
TROISIÈME PARTIE . 251

( rejetée par l'apôtre. Que reste - t- il donc sinon que la cause de


( ces maux effroyables soit, ou l'injustice ou l'impuissance de
< Dieu, ou la peine du premier péché de l'homme? Mais, parce
« que Dieu n'est ni injuste, ni impuissant, il ne reste plus que ce
a que vous ne voulez pas reconnaître, mais qu'il faut pourtant
« que vous reconnaissiez malgré vous, que ce joug si pesant, que
« les enfants d'Adam sont obligés de porter depuis que leurs corps
« sont sortis du sein de leur mère, jusqu'au jour qu'ils rentrent
( dans le sein de leur mère commune qui est la terre, n'aurait
« point été, s'ils ne l'avaient mérité par le crime qu'ils tirent de
« leur origine. »

CHAPITRE XVI,
Des dilemmes.

On peut définir un dilemme un ſaisonnement composé où, après


avoir divisé un tout en ses parties , on conclut affirmativement
ou négativement du tout ce qu'on a conclu de chaque partie.
Je dis ce qu'on a conclu de chaque partie, et non pas seulement
ce qu'on en aurait affirmé; car on n'appelle proprement dilemme
que quand ce que l'on dit de chaque partie est appuyé de sa rai
son particulière.
Par exemple ayant à prouver qu'on ne saurait être heureux en
ce monde, on peut le faire par ce dilemme :
On ne peut vivre en ce monde qu'en s'abandonnant à ses pas
sions ou en les combattant :
Si on s'y abandonne, c'est un état malheureux , parce qu'il est
honteux , et qu'on n'y saurait étre content :
Si on les combat, c'est aussi un état malheureux, parce qu'il
n'y a rien de plus pénible que cette guerre intérieure qu'on est con
tinuellement obligé de se faire à soi-même;
Il ne peut donc y avoir en cette vie de véritable bonheur.
Si l'on veut prouver que les évéques qui ne travaillent point au
252 LOGIQUE .

salut des âmes qui leur sont commises sont inexcusables devant
Dieu , on peut le faire par ce dilemme :
Ou ils sont capables de cette charge, ou ils en sont incapables :
S'ils en sont capables, ils sont inexcusables de ne pas s'y em
ployer ;
S'ils en sont incapables, ils sont inexcusables d'avoir accepté
une charge si importante dont ils ne pouvaient pas s'acquitter;
Et par conséquent, en quelque manière que ce soit, ils sont in
excusables devant Dieu, s'ils ne travaillent au salut des âmes qui
leur sont commises.
Mais on peut faire quelques observations sur ces sortes de rai
sonnements .
La première est que l'on n'exprime pas toujours toutes les pro
positions qui y entrent : car, par exemple, le dilemme que nous
venons de proposer est renfermé dans ce peu de paroles d'une ha
rangue de saint Charles, à l'entrée de l'un de ses conciles provin
ciaux : Si tanto muneri impares, cur tam ambitiosi ? si pares,
cur tam negligentes ?
Ainsi il y a beaucoup de choses sous-entendues dans ce dilemme
célèbre, par lequel un ancien philosophe prouvait qu'on ne de
vait point se mêler des affaires de la république.
Si on y agit bien, on offensera les hommes ; si on y agit mal,
on offensera les dieux : donc on ne doit point s'en méler.
Et de même en celui par lequel un autre prouvait qu'il ne fał
lait passe marier : Sila femme qu'on épouse est belle, elle cause
de la jalousie ; si elle est laide, elle déplait , donc il ne faut point
se marier .

Car dans l'un et l'autre de ces dilemmos, la propositionqui de


vait contenir la partition est sous- entendue; et c'est ce qui est
fort ordinaire, parce qu'elle se sous- entend facilement, étant
assez marquée par les propositions particulières où l'on traite
chaque partie.
Et de plus, afin que la conclusion soit renfermée dans les pré
misses, il faut sous-entendre partout quelque chose de général
qui puisse convenir à tout comme dans le premier :
TROISIEME PARTIE . 253

Si on agit bien, on offensera les hommes, ce qui est fâcheux ;


Si on agit mal, on offensera les dieux ; ce qui est fâcheux aussi,
Donc il est facheux, en toute manière, de se méler des affaires
de la république.
Cet avis est fort important pour bien juger de la force d'un
dilemme, Car ce qui fait, par exemple, que celui- là n'est pas con
cluant, est qu'il n'est point fâcheux d'offenser les hommes,
quand on ne peut l'éviter qu'en offensant Dieu .
La deuxième observation est qu’un dilemme peut être vicieux,
principalement par deux défauts. L'un est, quand la disjonctive
sur laquelle il est fondé est défectueuse, ne comprenant pas tous
les membres du tout que l'on divise.
Ainsi le dilemme, pour ne point se marier, ne conclut pas, parce
qu'il peut y avoir des femmes qui ne seront pas si belles qu'elles
causent de la jalousie, ni si laides qu'elles déplaisent .
C'est ainsi , par cette raison , un très - faux dilemme que celui
dont se servaient les anciens philosaphes pour ne point craindre
la mort. Ou notre âme, disaient-ils, périt avec le corps , et ainsi,
n'ayant plus de sentiment, nous serons incapables de mal,,ou si
l'âme survit au corps, elle sera plus heureuse qu'elle n'était dans le
corps ; donc la mort n'est point à craindre. Car, comme Montaigne
a fort bien remarqué ", c'était un grand aveuglement de ne pas
voir qu'on peut concevoir un troisième état entre ces deux-là ,
qui est que l'âme demeurant après le corps, se trouvât dans un
état des tourment et de misère, et qui donne un juste sujet d'ap
préhender la mort, de peur de tomber en cet état.
L'autre défaut, qui empêche que les dilemmes ne concluent,
est quand les conclusions particulières de chaque partie ne sont
pas nécessaires. Ainsi il n'est pas nécessaire qu'une belle femme
cause de la jalousie , puisqu'elle peut être si sage et si vertueuse
qu'on n'aura aucun sujet de se défier de sa fidélité.
Il n'est pas nécessaire aussi qu'étant laide, elle déplaise à son
mari, puisqu'elle peut avoir d'autres qualités si avantageuses
d'esprit et vertu, qu'elle ne laissera pas de lui plaire.

1. Essais, II, 13.


254 LOGIQUE .
La troisième observation est que celui qui se sert d'un dilemme
doit prendre garde qu'on ne puisse le retourner contre lui-même.
'Ainsi Aristote témoigne qu'on retourna contre le philosophe qui
ne voulait pas qu'on se mêlåt des affaires publiques le dilemme
dont il se servait pour le prouver ; car on lui dit :
Si on s'y gouverne selon les règles corrompues des hommes, on
contentera les hommes ;
Si on garde la vraie justice, on contentera les dieux ;
Donc on doit s'en mêler.

Néanmoins ce retour n'était pas raisonnable ; car il n'est pas


avantageux de contenter les hommes en offensant Dieu.

CHAPITRE XVII.

Des lieux ou de la méthode de trouver des arguments. Combien


cette méthode est de peu d'usage.

Ce que les rhétoriciens et les logiciens appellent lieux, loci


argumentorum , sont certains chefs généraux, auxquels on peut
rapporter toutes les preuves dont on se sert dans les diverses ma
tières que l'on traite ; et la partie de la logique, qu'ils appellent
invention , n'est autre chose que ce qu'ils enseignent de ces lieux .
Ramus fait une querelle sur ce sujet à Aristote et aux philoso
phes de l'école, parce qu'ils traitent des lieux après avoir donné
les règles des arguments, et il prétend contre eux qu'il faut ex
pliquer les lieux et ce qui regarde l'invention avant que de traiter
de ces règles .

1. La logique, ou, pour employer les expressions mêmes de Ramus,


la dialectique, a, suivant ce philosophe, deux parties, dont la première
traite de l'invention des arguments ou moyens de preuve, et la se
conde du jugement, c'est-à- dire de la manière de les disposer. Ramus
ajoutait que la théorie de l'invention doit précéder celle du jugement ,
TROISIEME PARTIE . 255

La raison de Ramus est, que l'on doit avoir trouvé la matière


avant que de songer à la disposer .
Or, l'explication des lieux enseigne à trouver cette matière, au
lieu que les règles des arguments n'en peuvent apprendre que la
disposition,
Mais cette raison est très -faible, parce qu'encore qu'il soit né
cessaire que la matière soit trouvée pour la disposer, il n'est pas
nécessaire néanmoins d'apprendre à trouver la matière avant
d'avoir appris à la disposer : car, pour apprendre à disposer la
matière, il suffit d'avoir certaines matières générales pour servir
d'exemples ; or, l'esprit et le sens commun en fournissent tou
jours assez, sans qu'il soit besoin d'en emprunter d'aucun art ni
d'aucune méthode. Il est donc vrai qu'il faut avoir une matière
pour y appliquer les règles des arguments; mais il est faux
qu'il soit nécessaire de trouver.cette matière par la mélhode des
lieux.
On pourrait dire, au contraire, que comme on prétend ensei
gner dans les lieux l'artde tirer des arguments et des syllogismes,
il est nécessaire de savoir auparavant ce que c'est qu'argument
et syllogisme ; mais on pourrait peut-être aussi répondre que la
nature seule nous fournit une connaissance générale de ce que
c'est que raisonnement, qui suffit pour entendre ce qu'on en dit
en parlant des lieux .
Il est donc assez inutile de se mettre en peine en quel ordre on
doit traiter des lieux , puisque c'est une chose à peu près indiffé
rente ; mais il serait peut-être plus utile d'examiner s'il ne serait
pas plus à propos de n'en point traiter du tout.
On sait que les anciens ont fait un grand mystère de cette mé
thode, et que Cicéron la préfère même à toute la dialectique, telle
qu'elle était enseignée par les Stoïciens, parce qu'ils ne parlaient
point des lieux. Laissons, dit-il, toute cette science, qui ne nous
dit rien de l'art de trouver des arguments, et qui ne nous fait
que trop de discours pour nous instruire à en juger. Istam artemi
totam relinquamus quæ in excogitandis argumentis muta nimium

et d'après ce principe, il rejetait l'explication des Analytiques d'Aris


tote après celle des Topiques.
256 LOGIQUE .
est, in judicandis nimium loquax ' . Quintilien et tous les autres
rhétoriciens, Aristote et tous les philosophes en parlent de même;
de sorte que l'on aurait peine à n'être pas de leur seutiment, si
l'expérience générale n'y paraissait entièrement opposée.
On peut en prendre à témoin presque autant de personnesqu'il
y en a qui ont passé par le cours ordinaire des études, et qui ont
appris de cette méthode artificielle de trouver des preuves , co
qu'on en apprendi dansles colléges ; cas, y en at- il un seul qui
puisse dire véritablement que, lorsqu'il a été obligé de traiter
quelque sujet, il aitfait réflexion sur ces lieux et y ait cherchéles
raisons qui luiétaient nécessaires? Qu'on consulle tant d'avocats
et de: prélicateurs qui sont au monde, tant de gens qui parlent
et qui écrivent, et qui ont toujours de la matière de reste ; etije
ne sais si on pourra trouver quelqu'un qui ait jamais pensé à faire
un argument a causa , ab effectu, ab adjunctis, pour prouver ce
qu'il désirait persuader.
Aussi, quoique Quintilien fasse paraîtrede l'estimepour cet art,
il est obligé néanmoins de reconnaître qu'il ne faut pas, lorsqu'on
traite une matière, aller frapper à la porte de tous ces lieux pour
en tirer des arguments et des preuves. Illud quoque, dit- ilº, stu
diosi eloquentiæ cogitent non esse, cum proposita fuerit materia
dicendi, scrutanda singula et velut ostiatim pulsanda, ut sciant
an ad id probandum quod intendimus forte respondeant.
Il est vrai que tous les arguments qu'on fait sur chaque sujet
peuvent se rapporter à ces chefs et à ces termes généraux qu'on
appelle lieux ; mais ce n'est point par cette méthode qu'on les
trouve . La nature, la considération attentive du sujet, la connais
sance des diverses vérités les fait produire et ensuite l'art les rap
porte à certains genres, de sorte que l'on peut dire véritablement
des lieux ce que Saint Augustin dit en général des préceptes de
la rhétorique . On trouve, dit-il, que les règles de l'éloquence sont
observées dansles discours des personnages éloquents, quoiqu'ils
n'y pensent pas en les faisant, soit qu'ils les sacheni ,, soit qu'ils
les ignorent. Ils pratiquent ces règles , parce qu'ils sontéloquents ,

1. De Oratore, lib . II, 38 .


2. Institutionis Orat . , lib. V, 10 .
TROISIÈME PARTIE . 257
mais ils ne s'en servent pas pour être éloquents, Implent quippe
illa, quia sunt eloquentes , non adhibent ut sint eloquentes ' .
L'on marche naturellement , comme ce même Père le remarque
en un autre erdroit, et en marchant on fait certains mouvements
réglés du corps ; mais il ne servirait de rien , pour apprendre à
marcher, de dire, par exemple , qu'il faut envoyer des esprits en
certains nerfs, remuer certains muscles , faire certains mouve
ments dans les jointures, mettre un pied devant l'autre, et se re
poser sur l'un pendant que l'autre avance . On peut bien former
des règles en observant ce que la nature nous fait faire ; mais on
ne fait jamais ces actions par le secours de ces règles : ainsi l'on
traite tous les lieux dans les discours les plus ordinaires , et l'on
ne saurait rien dire qui ne s'y rapporte ; mais ce n'est point en y
faisant une réflexion expresse que l'on produit ces pensées ; cette
réflexion ne pouvant servir qu'à ralentir la chaleur de l'esprit et
à l'empêcher de trouver les raisons vives et naturelles, qui sont
les vrais ornements de toute sorte de discours.
Virgile , dans le neuvième livre de l'Énéide, après avoir repré
senté Euryale surpris et environné de ses ennemis , qui étaient
près de venger sur lui la mort de leurs compagnons que Nisus,
ami d'Euryale, avait tués , met ces paroles pleines de mouvement
et de passion dans la bouche de Nisus :
Me, me , adsum qui feci : in me convertite ferrum ,
O Rutuli ! mea fraus omnis ; nihil iste , nec ausus,
Nec potuit : cælum hoc, et sidera conscia testor :
Tantum infelicem nimium dilexit amicum ?.

C'est un argument, dit Ramus a causa efficiente; mais on pour


rait bien juger avec assurance, que jamais Virgile ne songea ,
lorsqu'il fit ces vers, au lieu de la cause efficiente. Il ne les aurait
jamais faits, s'il s'était arrêté à y chercher cette pensée; et il faut
nécessairement que, pour produire des vers si nobles et si ani
més , il ait non-seulement oublié ces règles, s'il les savait, mais
qu'il se soit, en quelque sorte, oublié lui-même pour prendre la
passion qu'il représentait.
1. De Doctrina Christiana, IV, cap . III.
2. Énéide, Ix, v. 427 et sq .
17
258 LOGIQUE .
Le peu d'usage que le monde a fait de cette méthode des lieux
depuis tant de temps qu'elle est trouvée et qu'on l'enseigne dans
les écoles, est une preuve évidente qu'elle n'est pas de grand
usage ; mais quand on se serait appliqué à en tirer tout le fruit
qu'on en peut tirer, on ne voit pas qu'on puisse arriver par là à
quelque chose qui soit véritablement utile et estimable ; car tout
ce qu'on peut prétendre par ceite mélhode, est de trouver sur
chaque sujet diverses pensées générales, ordinaires,éloignées,
comme les Lullistes en trouvent par le moyen de leurs tables :
or, tant s'en faut qu'il soit utile de se procurer cette sorte d'a
bondance, qu'il n'y a rien qui gâle davantage le jugement.
Rien n'étouffe plus: les bonnes semences que l'abondance des
mauvaises herbes; rien ne rend un esprit plus stérile en pensées
justes et solides, que cette mauvaise fertilité de pensées :commun
nes. L'esprit s'accoutume à cette facilité, et ne fait plus d'efforts
pour trouver les raisons propres , particulières et naturellesy.qui
ne se découvrent que dans la considération attentive de son
sujet.
On devrait considérer que cette abondance, qu’on recherche
par le moyen de ces lieux , est un très-petit avantage. Ce n'est pas
ce qui manque à la plupart du monde. On pèche beaucoup plus
par excès que par défaut ; et les discours que l'on fait ne sont
que trop remplis de matière. Ainsi, pour former les hommes dans
une éloquence judicieuse et solide, il serait bien plus utile de leur
apprendre à se taire qu'à parler, c'est- à -dire à supprimer et à
retrancher les pensées basses, communes et fausges; qu'à pro
duire, comme ils font, un amas confus de raisonnements bons
et mauvais, dont on remplit les livres et les discours.
Et comme l'usage des lieux ne peut guère servir qu'à trouver
de ces sortes de pensées, on peut dire que s'il est bon de savoir
ce qu'on en dit, parce que tant de personnes célèbres en ont parlé
qu'ils ont formé une espèce de nécessité de ne pas ignorer une
chose si commune, il est encore beaucoup plus important d'être
très-persuadé qu'il n'y a rien de plus ridicule que de les employer
pour discourir de tout à perte de vue , comme les Lullistes font
par le moyen de leurs attributs généraux qui sont des espèces
de lieux ; et que cette mauvaise facilité de parler de tout, et de
TROISIÈME PARTIE. 259

trouver raison partout, dont quelques personnes font vanité, est


un si mauvais caractère d'esprit, qu'il est beaucoup au -dessous
de la bêtise .
C'est pourquoi tout l'avantage qu'on peut tirer de ces lieux se
réduit au plus à en avoir une teinture générale, qui sert peut
être un peu, sans qu'on y pense, à envisager la matière que l'on
traite par plus de faces et de parties.

CHAPITRE XVIII.

Division des lieux en lieux de grammaire , de logique


et de métaphysique.

Ceux qui ont traité des lieux les ont divisés en différentes
matières. Celle qui a été suivie par Cicéron dans les livres de
l’Invention et dans le. ILe livre de l'Orateur, et par Quintilien au
V. livre de ses Institutions, est moins méthodique , mais elle est
aussi plus propre pour l'usage des discours du barreau, auquel
ils la rapportent particulièrement. Celle de Ramus est trop 'em
barrassée de subdivisions .
En voici une qui parait assez commode, d'un philosophe alle
mand fort judicieux et fort solide, nommé Clauberg , dont la
Logique m'est tombée entre les mains, lorsqu'on avait déjà com
mencé à imprimer celle - ci.

1. Jean Clauberg, né à Chartres en 1625, mort en 1665 , est un des


esprits les plus distingués de l'école cartésienne : Leibnitz a même
poussé l'enthousiasme pour son mérite jusqu'à le placer au -dessus de
Descartes. De toutes les parties de la philosophie, la logique est celle
qu'il parait avoir le plus cultivée . Je ne sache pas qu'on ait approfondi
davantage la classification des erreurs et de leurs causes, la natura
des opérations de l'âme, la théorie de la définition, et le sens réel ainsi
que la nécessité et les avantages du doute cartésien . Les nuvres de
Clauberg ont été publiées à Amsterdam en 1691 .
260 LOGIQUE
Les lieux sont tirés, ou de la grammaire ou de la logique, ou
de la métaphysique.

Lieux de grammaire.

Les lieux de grammaire sont , l'étymologie, et les mots dérivés


de même racine , qui s'appellent en latin conjugata et en grec
παρώνυμα..
On argumente par l'étymologie, quand on dit, par exemple ,
que plusieurs personnes du monde ne se divertissent jamais à
proprement parler ; parce que se divertir, c'est se désappliquer
des occupations sérieuses, et qu'elles ne s'occupent jamais sérieu
sement.
Les mots dérivés de même racine servent aussi à faire trouver
des pensées .
Homo sum , humani nil a me alienum puto .
Mortali urgemus ab hoste, mortales .
Quid tam dignum misericordia quam miser ?
Quid tam indignum misericordia quam superbus miseri

Qu'y a - t- il de plus digne de miséricorde qu’un misérable ? Et


qu'y a-t -il de plus indigne de miséricorde qu’un misérable qui
est orgueilleux ?

Lieux de logique.

Les lieux de logique sont les termes universels, genre, espèce,


différence, propre, accident, la définition, la division ; et comme
tous ces points ont été expliqués auparavant, il n'est pas néces
saire d'en traiter ici davantage .
Il faut seulement remarquer que l'on joint d'ordinaire à ces
lieux certaines maximes communes, qu'il est bon de savoir,
non pas qu'elles soient fort utiles , mais parce qu'elles sont
communes. On en a déjà rapporté quelques-unes sous d'au
tres termes ; mais il est bon de les savoir sous les termes ordi
naires .
1° Ce qui s'affirme ou se nie du genre, s'affirme ou se nie de
TROISIÈME PARTIE . 261

l'espèce. Ce qui convient à tous les hommes , convient aux grands;


mais ils ne peuvent pas prétendre aux avantages qui sont au
dessus des hommes.
2° En détruisant le genre, on détruit aussi l'espèce. Celui qui
ne juge point du tout, ne juge point mal ; celui qui ne parle point
du tout ne parle jamais indiscrètement.
3° En détruisant toutes les espèces , on détruit les genres.
Les formes qu'on appelle substanti- lles (excepté l'âme raison
nable) ne sont ni corps, ni esprit ; donc ce ne sont point des sub
stances.
4º Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la différence
totale, on en peut affirmer ou nier l'espèce. L'étendue ne convient
pas à la pensée ; donc elle n'est pas matière.
5° Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la propriété, 1

on en peut allirmer ou nier l'espèce. Étant impossible de se figurer


la moitié d'une pensée, ni une pensée ronde et carrée, il est impos
sible que ce soit un corps.
60 On affirme ou on nie le défini de ce dont on affirme ou nie
la définition. Il y a peu des personnes justes, parce qu'il y en a
peu qui aient une ferme et constante volonté de rendre à chacun ce
qui lui appartient.
Lieux de métaphysique.

Les lieux de métaphysique sont certains termes généraux con


venant à tous les êtres auxquels on rapporte plusieurs arguments,
comme les causes, les effets, le tout, les parties, les termes oppo
sés. Ce qu'il y a de plus utile est d'en savoir quelques divisions
générales, et principalement des causes.
Les définitions qu'on donne dans l'École aux causes en général,
en disant qu'une cause est ce qui produit un effet, ou ce par quoi
une chose est, sont si peu nelles , et il est si difficile de voir comi
ment elles conviennent à tous les genres de causes, qu'on aurait
aussi bien fait de laisser ce mot entre ceux que l'on ne définit
point, l'idée que nous en avons étant aussi claire que les défini
tions qu'on en donne.
Mais la division des causes en quatre espèces, qui
1262 LOGIQUE .

finale, efficiente, matérielle et forinelle, est si célèbre, qu'il est


nécessaire de la savoir ' .

On appelle CAUSE FINAĻE la fin pour laquelle une chose est.


" Il y a des fins principales, qui sont celles que l'on regarde
principalement , et des fins accessoires , qu'on ne considère que
par surcroît .
Ce que l'on prétend faire ou obtenir est appelé finis cujus gratia .
Ainsi, la santé est la fin de la médecine, parce qu'elle prétend la
procurer .
Celui pour qui l'on travaille est appelé finis cui. L'homme est
" la fin de la médecine en cette manière, parce que c'est à lui
qu'elle a dessein d'apporter la guérison.
Il n'y a rien de plus ordinaire que de tirer des arguments de
la fin, ou pour montrer qu'une chose est imparfaite, comme
qu’un discours est mal fait, lorsqu'il n'est pas propre à persua
der ; ou pour faire voir qu'il est vraisemblable qu'un homme a
fait ou fera quelque action , parce qu'elle est conforme à la fin
qu'il a accoutumé de se proposer; d'où vient cette parole célèbre
d'un juge de Roma, qu'il fallait examiner avant toutes choses,
cui bono, c'est-à -dire quel intérêt un homme aurait eu à faire
une chose, parce que les hommes agissent ordinairement selon
leur intérêt, ou pour montrer, au contraire, qu'on ne doit pas
soupçonner un homme d'une action, parce qu'elle aurait été con
traire à sa fin .
Il y a encore plusieurs autres manières de raisonner par la fin
que le bon sens découvrira mieux que tous les préceptes ; ce qui
soit dit aussi pour les autres lieux.

LA CAUSE EFFICIENTE est celle qui produit une autre chose. On


en tire des arguments, en montrant qu’un effet n'est pas, parce
qu'il n'a pas eu de cause suffisante, ou qu'il est ou sera , en faisant
voir que toutes ses causes sont. Si ces causes sont nécessaires,

1. Cette division célèbre appartient à Aristote qui l'a exposée dans


plusieurs de ses ouvrages , et spécialement au livre I de la Méta
physique.
TROISIÈME PARTIE . 263

l'argument est nécessaire; si elles sont libres et contingentes, il


n'est que probable .
Il y a diverses espèces de cause efficiente, dont il est utile de
savoir les noms :
Dieu créant Adam était sa cause totale, parce que rien ne con
courait avec lui ; mais le père et la mère ne sont chacun que
causes partielles de leur enfant, parce qu'ils ont besoin l'un de
l'autre.
Le soleil est une cause propre de la lumière; mais il n'est cause
qu'accidentelle de la mort d'un homme que sa chaleur aura fait
mourir, parce qu'il était mal disposé .
Le père est cause prochaine de son fils.
L'aïeul n'en est que la cause éloignée.
La mère est une cause productive.
La nourrice n'est qu'une cause conservante.
Le père est une cause univoque à l'égard de ses enfants, parce
qu'ils lui sont semblables en nature.
Dieu n'est qu'une cause équivoque à l'égard des créatures,
parce qu'elles nesont pas de la nature de Dieu .
Un ouvrier est da cause principale de son ouvrage ; ses instru
ments n'en sont que la cause instrumentale.
L'airqui entre dans les orgues est une cause universelle de
l'harmonie des orgues ;
La disposition particulière de chaque tuyau et relui qui en
joue, en sont les causes particulières qui déterminent l'univers
selle.
Le soleil est une cause naturelle .
L'homme une cause intellectuelle à l'égard de ce qu'il fait avec
jugement .
Le feu qui brûle du bois est une cause nécessaire.
Un homme qui marcheest une cause ,libre.
Le soleil, éclairant une chambre, est la cause propre de sa
clarté; l'ouverture de la fenêtre n'est qu'une cause ou condition
sans laquelle l'effet ne se ferait pas, conditio sine qua non.
Le feu brûlant, une maison , est la cause physique de l'embra
sement; l'homme qui a mis le feu en est la cause morale.
On rapporte encore à la cause efficiente, la cause exemplaire,
264 LOGIQUE .
qui est le modèle que l'on se propose en faisant un ouvrage,
comme le dessin d'un bâtiment par lequel un architecte se con
duit ; ou généralement ce qui est cause de l'être objectif de notre
idée, ou de quelque autre image que ce soit , comme le roi
Louis XIV est la cause exemplaire de son portrait .

LA CAUSE MATÉRIELLE est ce dont les choses sont formées,


comme l'or est la matière d'un vase d'or ; ce qui convient ou ne
convient pas à la matière, convient ou ne convient pas aux choses
qui en sont composées.

LA FORME est ce qui rend une chose telle et la distingue des


autres , soit que ce soit un être réellement distingué de la ma
tière , selon l'opinion de l'École, soit que ce soit seulement l'ar
rangement des parties. C'est par la connaissance de cette forme
qn'on en doit expliquer les propriétés.
Il y a autant de différents effets que de causes, ces mots étant
réciproques. La manière ordinaire d'en tirer des arguments est
de montrer que si l'effet est, la cause est, rien ne pouvant être
sans cause . On prouve aussi qu'une cause est bonne ou mauvaise
quand les effets en sont bons ou mauvais, ce qui n'est pas tou .
jours vrai dans les causes par accident.
On a parlé suffisamment du tout et des parties dans le chapitre
de la division , et ainsi il n'est pas nécessaire d'en rien ajouter ici.
On fait de quatre sortes de termes opposés . .

Les relatifs, comme père , fils ; maiire, serviteur.


Les contraires , comme froid et chaud ; sain et malade.
Les privatifs, comme la vie, la mort ; la vue, l'aveuglement ;
l'ouïe, la surdité ; la science, l'ignorance.
Les contradictoires, qui consistent dans un terme et dans la
simple négation de ce terme : voir, ne voir pas. La différence
qu'il y a entre ces deux dernières sortes d'opposés est que les
termes privatifs enferment la négation d'une forme dans un sujet
qui en est capable, au lieu que les négatifs ne marquent point
cette capacité. C'est pourquoi on ne dit point qu'une pierre est
aveugle ou morte , parce qu'elle n'est capable ni de la vue ni de
la vie.
TROISIEME PARTIE . 265

Comme ces termes sont opposés, on se sert de l'un pour nier


l'autre. Les termes contradictoires ont cela de propre qu'en ôtant
l'un on établit l'autre .
Il y a plusieurs sortes de comparaisons : car l'on compare les
choses, ou égales, ou inégales; ou semblables, ou dissemblables.
On prouve que ce qui convient ou ne convient pas à une chose
égale ou semblable, convient ou ne convient pas à une autre
chose à qui elle est égale ou semblable.
Dans les choses inégales, on prouve négativement que, si ce
qui est plus probable n'est pas , ce qui est moins probable n'est
pas à plus forte raison ; ou affirmativement que, si ce qui est
moins probable est, ce qui est plus probable est aussi. On se sert
d'ordinaire des différences ou des dissimilitudes pour ruiner ce
que d'autres auraient voulu établir par des similitudes, comme
on ruine l'argument qu'on tire d'un arrêt en montrant qu'il est
donné sur un autre cas .
Voilà grossièrement une partie de ce que l'on dit des lieux. Il
y a des choses qu'il est plus utile de ne savoir qu'en cette ma
nière. Ceux qui en désireront davantage le peuvent voir dans les
auteurs qui en ont traité avec plus de soin . On ne saurait néan
moins conseiller à personne de l'aller chercher dans les Topiques
d'Aristote, parce que ce sont des livres étrangement confus; mais
il y a quelque chose d'assez beau sur ce sujet dans le premier
livre de sa Rhétorique, où il enseigne diverses manières de faire
voir qu'une chose est utile, agréable, plus grande, plus petite .
Il est vrai néanmoins qu'on n'arrivera jamais par ce chemin à
aucune connaissance bien solide.

CHAPITRE XIX.

Des diverses manières de mal raisonner , que l'on appella sophismes.

Quoique, sachant les règles des bons raisonnements, il ne soit


pas difficile de reconnaitre ceux qui sont mauvais, néanmoios,
266 LOGIQUE .
comme les exemples à fuir frappent souvent davantage que les
exemples à imiter, il ne sera pas inutile de représenter les prin
cipales sources des mauvais raisonnements que l'on appelle so
phismes ou paralogismes, parce que cela donnera encore plus de
facilité à les éviter.
Je ne les réduirai qu'à sept ou huit, y en ayant quelques -uns
de si grossiers, qu'ils ne méritent pas d'être remarqués.

I. Prouver autre chose que ce qui est en question.

Ce sophisme est appelé par Aristote ignoratio elenchi', c'est-à


dire l'ignorance de ce que l'on doit prouver contre son adver
saire. C'est un vice très-ordinaire dans les contestations des
hommes . On dispute avec chaleur , et souvent on ne s'entend pas
l'un l'autre . La passion ou la mauvaise foi fait qu'on attribue à
son adversaire ce qui est éloigné de son sentiment pour le com
battre avec plus d'avantage , ou qu'on lui impute;les conséquences
qu'on s'imagine pouvoir tirer de sa doctrine, quoiqu'il les dés
avoue et qu'il les nie. Tout cela peut se rapporter à cette pre
mière espèce de sophisme qu'un homme de bien et sincère doit
éviter sur toutes choses.
Il eût été à souhaiter qu’Aristote , quia eu soin de nous avertir
de ce défaut, eût eu autant de soin de l'éviter; car on ne peut
dissimuler qu'il n'ait combattu plusieurs des anciens philosophes
en rapportant leurs opinions peu sincèrement. Il réfute Parme
nides et Mélissus, pour n'avoir admis qu'un seul principe de
toutes choses , comme s'ils avaient entendu par là le principe
dont elles sont composées ; au lieu qu'ils entendaient le seul et
unique principe dont toutes les choses ont tiré leur origine, qui
est Dieu

1. Réfutations sophistiques, chap. v .


2. Tous les fragments qui nous restent du poème de Parménide sti?
la Nature donnent raison à Aristote contre Arnauld . Il est démontré
par ces fragments que Parménide posait comme principe des choses,
la substance absolue qui n'admet ni variété ni mouvement, et au sein ,
de laquelle tous les êtres viennent se confondre.
TROISIÈME PARTIE . 267

Il accuse tous les anciens de n'avoir pas reconnu la privation '


pour un des principes des choses naturelles, et il les traite sur
cela de rustiques et de grossiers : mais qui ne voit que ce qu'il
nous représente comme un grand mystère qui eût été ignoré jus
qu'à lui, ne peut jamais avoir été ignoré de personne, puisqu'il
est impossible de ne pas voir qu'il faut que la matière dont on
fait une table ait la privation de la forme de table, c'est- à -dire ne
soit pas table avant qu'on en fasse une table ? Il est vrai que ces
anciens ne s'étaient pas avisés de cette connaissance pour expli.
quer les principes des choses naturelles, parce qu'en effet il n'y
a rien qui y serve moins, étant assez visible qu'on n'en connaft
pas mieux comment se fait une horloge, pour savoir que la ma
tière dont on l'a faite a dû n'être pas horloge, avant qu'on en fit
une horloge.
C'est donc une injustice à Aristote de reprocher à ces anciens
pbilosophes d'avoir ignoré une chose qu'il est impossible d'igno
rer, et de les accuser de ne s’être pas servis, pour expliquer la
nature, d'un principe qui n'explique rien ; et c'est une illusion et
un sophisme que d'avoir produit au monde ce principe de la pri
vation comme un rare secret, puisque ce n'est point ce que l'on
cherche quand on tâche de découvrir les principes de la nature.
On suppose comme une chose connue, qu'une chose n'est pas
avant que d'être faite : mais on veut savoir de quels principes
elle est composée et quelle cause l'a produite,
Aussin'y a - t - il jamais eu de statuaire, par exemple, qui, pour
apprendre à quelqu'un la manière de faire une statue, lui ait
donné, pour première instruction , cette leçon par laquelle Aris
tote veut qu'on commence l'explication de tous les ouvrages de
la nature : Mon ami, la première chose que vous devez savoir
est que, pour faire une statue, il faut choisir un marbre qui ne
soit pas encore cette statue que vous voulez faire.

1. Phys. scult. , I, cap. ix .


268 LOGIQUE .

II. Supposer pour vrai ce qui est en question .

C'est ce qu'Aristote appelle pétition de principe ", ce qu'on voit


assez être entièrement contraire à la vraie raison ; puisque, dans
tout raisonnement, ce qui sert de preuve doit être plus clair el
plus connu que ce qu'on veut prouver.
Cependant Galilée l'accuse, et avec justice, d'être tombé lui
même dans ce défaut, lorsqu'il veut prouver, par cet argument,
que la terre est au centre du monde :

La nature des choses pesantes est de tendre au centre du monde,


et des choses légères de s'en éloigner:
Or, l'expérience nous fait voir que les choses pesantes tendent au
centre de la terre, et que les choses légères s'en éloignent ;
Donc le centre de la terre est le même que le centre du monde.
Il est clair qu'il y a dans la majeure de cet argument une ma
nifeste pétition de principe ; car nous voyons bien que les choses
pesantes tendent au centre de la terre , mais d'où Aristote a -t-il
appris qu'elles tendent au centre du monde, s'il ne suppose quo
le centre de la terre est le même que le centre du monde ? Ce qui
est la conclusion même qu'il veut prouver par cet argument.
Ce sont aussi de pures pétitions de principes que la plupart des
arguments dont on se sert pour prouver un certain genre bizarre
de substances, qu'on appelle dans l'école des formes substan
tielles , lesquelles on prétend être corporelles , quoiqu'elles ne

1. Réfutations sophist., chap. v et XXVII.


2. « Il semble que depuis peu le nom des formes substantielles est
devenu infâme auprès de certaines gens , et qu'on a honte d'en parler.
Cependant il y a en a cela encore peut- être plus de mode que de rai
son. » Ces paroles de Leibnitz (Noud.Essais , III, chap . v ) doivent servir
à tempérer ce qu'il y d'excessif dans le jugement de la Logique de
Port-Royal sur les formes substantielles. Mal définies en général et
multipliées au delà de toutes bornes par les philosophes scolastiques ,
les formes substantielles ne pouvaient être que rejetées par les disci
ples du cartesianisme qui cherchaient surtout à s'entendre avec eux
mêmes , n'admettaient que les notions claires et distinctes, et préten
TROISIÈME PARTIE . 269

soient pas des corps, ce qui est assez difficile à comprendre. S'il
n'y avait des formes substantielles, disent-ils , il n'y aurait point
de génération ; or, il y a génération dans le monde ; donc il y a
des formes substantielles.
Il n'y a qu'à distinguer l'équivoque du mot de génération pour
voir que cet argument n'est qu'une pure pétition de principe ; car
si l'on entend par le mot de génération la production naturelle
d'un nouveau tout dans la nature, comme la production d'un
poulet qui se forme dans un puf, on a raison de dire qu'il y a
des générations en ce sens ; mais on n'en peut pas conclure qu'il
y ait des formes substantielles, puisque le seul arrangement des
parties par la nature peut produire ces nouveaux touts et ces
nouveaux êtres naturels. Mais si l'on entend par le mot de géné
ration, comme ils l'entendent ordinairement, la production d'une
nouvelle substance qui ne fût pas auparavant, savoir, de cette
forme substantielle, on supposera justement ce qui est en ques.
tion : étant visible que celui qui nie les formes substantielles ne
peut pas accorder que la nature produise des formes substan
tielles, et tant s'en faut qu'il puisse être porté par cet argument
à avouer qu'il y en ait, qu'il doit en tirer une conclusion con
traire en cette sorte : S'il y avait des formes substantielles, la
nature pourrait produire des substances qui ne seraient pas au
paravant ; or la nature ne peut pas produire de nouvelles sub

daient expliquer l'univers par les seules lois du mouvement appliquées


à la matière . Cependant il n'est pas impossible de retrouver même
aujourd'hui, la raison, ou, si l'on veut, le prétexte de cette doctrine
que les scolastiques avaient empruntée (au péripatétisme. Aristote
distingue dans les êtres : 1 ° la matière ; 2° la forme. La matière pour
chaque chose est ce dont cette chose est faite; la forme est ce qui
détermine la matière ; elle constitue la nature, l'essence propre des
êtres . C'est en vertu de la forme que chaque espèce d'etre est ce qu'elle
est. De là ce mot de forme substantielle qui est la traduction assez fi
dèle des termes par lesquels les anciens exprimaient ces notions très
simples. Les formes substantielles ne sont donc pas des choses à part ,
« un certain genre bizarre de substances » comme les appelle l'Art de
penser ; elles se confondent avec la nature même des êtres; et sous des
noms nouveaux , leur recherche est encore de nos jours le principal
but des sciences physiques. L'antique dénomination a péri; le fond
de la doctrine subsiste .
270 LOGIQUE .

stances, puisque ce serait une espèce de création, et partant il


n'y a point de formes substantielles.
En voici un autre de même nature : S'il n'y avait point de
formes substantielles, disent-ils encore, les êtres naturels ne
seraient pas des touts, qu'ils appellent per se, totum per se , mais
des êtres par accident ; or ils sont des touts per sè, done il y a
des formes substantielles .
Il faut encore prier ceux qui se servent de cet argument de
vouloir expliquer ce qu'ils entendent par un tout per se, totum
per se ; car, s'ils entendent, comme ils font, un être composé de
matière et de forme, il est clair quec'est'une pétition de principe,
puisque c'est comme s'ils disaient : S'il n'y avait point de formes
substantielles, les êtres naturels ne seraient pas composés de
matière et de formes substantielles : or ils sont composés de
matière et de formes substantielles ; donc il y a des formes sub
stantielles. Que s'ils: entendent autre chose, qu'ils le disent, et
on verra qu'ils ne prouvent rien ,
On s'est arrêté un peu en passant à faire voir la faiblesse dès
arguments sur lesquels on établit dans l'École ces sortes de sub
stances qui ne se découvrent ni par le sens, ni par l'esprit, et
dont on ne sait autre chose, sinon qu'on les appelle des formes
substantielles ; parce que, quoique ceux qui les soutiennent le
fassent à très- bon dessein , néanmoins les fondements dont ils se
servent et les idées qu'ils donnent de ces formes obscurcissent
et troublent des preuves très -solides et très-convaincantes de
l'immortalité de l'âme, qui sont prises de la distinction des corps
et des esprits, et de l'impossibilité qu'il y a qu'une substance qui
n'est pas matière périsse par les changements qui arriventdans
la matière ; 'car, par le moyen de ces formes substantielles, on
fournit, sans y penser, aux libertins, des exemples de substances
qui périssent, qui ne sont pas proprement matière , et à qui on
attribue, dans les animaux, une infinité de pensées, c'est- à -dire
d'actions purement spirituelles ; et c'esi pourquoi il est utils pour
la religion et pour la conviction des impies et des libertins de
leur ôter cette réponse, en leur faisant voir qu'il n'y a rien de
plus mal fondé que ces substances périssables qu'on appelle des
formes substantielles .
TROISIÈME PARTIE. 271
On peut rapporter encore à celle sorte de sophisme la preuve
que l'on tire d'un principe différent de ce qui est en question,
mais que l'on sait n'être pas moins contesté que celui contre le .
quel on dispute. Ce sont, par exemple, deux dogmes également
constants parmi les catholiques; l'un que tous les points de la foi
ne peuvent pas se prouver par l'Écriture seule; l'autre, que c'est
un point de la foi, que les enfants sont capables du baptême. Ce
serait donc mal raisonner à un anabaptiste de prouver contre les
catholiques qu'ils ont tort de croire que les enfants soient capa
bles du baptême, parce que nous n'en voyons rien dans l'Écriture,
puisque cette preuve supposerait que l'on ne devrait croire de foi
que ce qui est dans l'Ecriture, ce qui est nié par les catholiques.
Enfin on peut rapporter à ce sopbisme tous les raisonnements
où l'on prouve une chose inconnue, par une qui est autant ou
plus inconnue, ou une chose incertaine par une autre qui est
autant ou plus incertaines

III. Prendre pour cause ce qui n'est point cause.

Ce. sophisme s'appelle non causa pro causa . Il est très-ordinaire :


parmi les hommes, et on y tombe en plusieurs manières : l'une
est par la simple ignorance des véritables causesdes choses . C'est
ainsi que les philosophes ont attribué mille effets à la crainte da
vide, qu'on a prouvé démonstrativement en ce temps, et par des
expériences très-ingénieuses, n'avoir pour cause que la pesanteur
de l'air, comme on peut le voir dans l'excellent traité de Pascal.
Les mêmes philosophes enseignent ordinairement que les vases
pleins d'eau -se fendent à la gelée, parce que l'eau se resserre , et
ainsi laisse du vide que la nature ne peut souffrir , et néanmoins
on a reconnu qu'ils ne se rompent que parce qu'au contraire
l'eau étant gelée occupe plus de place qu'avant d'être gelée, ce
qui fait aussi que la glace nage sur l'eau ...
On peut rapporter au même sophisme, quand on se sert de
causes éloignées et qui ne prouvent rien, pour prouver des choses,
ou assez claires d'elles-mêmes, ou fausses, ou au moins douteuses,
comme quand Aristote veut prouver que le monde est parfait par
272 LOGIQUE .
cette raison ' : « Le monde est parfait, parce qu'il contient des
( corps ; le corps est parfait, parce qu'il a trois dimensions ; les
< trois dimensions sont parfaites, parce que trois sont tout (quia
« tria sunt omnia ), el trois sont tout parce qu'on ne se sert pas du
« mot tout , quand il n'y a qu'une chose ou deux, mais seulement
« quand il y en a trois . » On prouvera par cette raison que le
moindre atome est aussi parfait que le monde, puisqu'il a trois
dimensions aussi bien que le monde ; mais tant s'en faut que cela
prouve que le monde suit parfait, qu'au contraire tout corps, en
tant que corps, est essentiellement imparfait, et que la perfection
du monde consiste principalement en ce qu'il enferme des créa
tures qui ne sont pas corps .
Le même philosophe prouve qu'il y a trois mouvements
simples, parce qu'il y a trois dimensions. Il est difficile de voir
la conséquence de l'un à l'autre.
Il prouve aussi que le ciel est inaltérable et incorruptible, parce
qu'il se meut circulairement, et qu'il n'y a rien de contraire au
mouvement circulaire ® ; mais, 1° on ne voit pas ce que fait la
contrariété du mouvement à la corruption ou à l'altération du
corps; 2º on voit encore moins pourquoi le mouvement circu
laire d'orient en occident n'est pas contraire à un autre mouve
ment circulaire d'occident en orient .
L'autre cause qui fait tomber les hommes dans ce sophisme
est la sotto vanité qui nous fait avoir honte de reconnaître notre
ignorance ; car c'est de là qu'il arrive que nous aimons mieux
nous forger des causes imaginaires des choses dont on nous de
mande raison , que d'avouer que nous n'en savons pas la cause,
et la manière dont nous échappons de cette confession de notre
ignorance est assez plaisante. Quand nous voyons un effet dont
la cause nous est inconnue, nous nous imaginons l'avoir décou
verte, lorsque nous avons joint à cet effet un mot général de vertu
et de faculté, qui ne forme dans notre esprit aucune autre idée,
sinon que cet effet a quelque cause , ce que nous savions bien
avant que d'avoir trouvé ce mol. Il n'y a personne, par exemple,
1. De Cælo , I , cap. I.
2. De Cælo, 1, cap. II et 599.
TROISIÈME PARTIE . 273

qui ne sache que ses artères battent; que le fer étant proche de
l'aimant va s'y joindre,que le séné purge, et que le pavot endort.
Ceux qui ne font point profession de science, et à qui l'ignorance
n'est pas honteuse, avouent franchement qu'ils connaissent ces
effets, mais qu'ils n'en savent pas la cause ; au lieu que les sa
vants, qui rougiraient d'en dire autant, s'en tirent d'une autre
manière, et prétendent qu'ils ont découvert la vraie cause de ces
effets, qui est qu'il y a dans les artères une vertu pulsifique,
dans l'aimant unevertu magnétique, dans le séné une vertu pur
gative, et dans le pavot une vertu soporifique. Voilà qui est fort
commodément résolu , et il n'y a point de Chinois qui n'eût pu
avec autant de facilité se tirer de l'admiration où on était des
horloges en ce pays- là, lorsqu'on leur en apporta d'Europe; car
il n'aurait eu qu'à dire qu'il connaissait parfaitement la raison
de ce que les autres trouvaient si merveilleux, et que ce n'était
autre chose, sinon qu'il y avait dans cette machine une vertu
indicatrice qui' marquait les heures sur le cadran, et une vertu
sonorifique qui les faisait sonner; il se serait rendu aussi savant
par là dans la connaissance des horloges que le sont ces philo
sophes dans la connaissance du battement des artères, et des
propriétés de l'aimant, du séné etdu pavot.
Il y a encore d'autres mots qui servent à rendre les hommes
savants.' à peu de frais, comme de sympathie, d'antipathie, de
qualités occulies ; mais encore tous ceux -là ne diraient rien de
faux s'ils se contentaient de donner à ces mots de vertu et de
faculté une notion générale de cause quelle qu'elle soit, intérieure
ou extérieure, dispositive ou active. Car il est certain qu'il y a
dans l'aimant quelque disposition qui fait que le fer va plutôt s'y
joindre qu'à une autre pierre, et il a été permis aux hommes
d'appeler cette disposition , en quoi que ce soit qu'elle consiste,
vertu magnétique, de sorte que s'ils se trompent, c'est seulement
en ce qu'ils s'imaginent en être plus savants pour avoir trouvé ce
mot, ou bien en ce que par là ils veulent que nous entendions une
certaine qualité imaginaire, par laquelle l'aimant attire le fer,
laquelle ni eux ni personne n'a jamais conçue.
Mais il y en a d'autres qui nous donnent pour les véritables
causes de la nature de pures chimères, comme font les astro
18
274 LOGIQUE .
logues qui rapportent tout aux influences des astres et qui ont
même trouvé par là qu'il fallait qu'il y eût un ciel immobile au
dessus de tous ceux à qui ils donnent du mouvement, parce que
la terre portant diverses choses en divers pays :
Non omnis fert omnia tellus.
India mittit ebur, molles sua thura Sabæi ' ,
on n'en pouvait rapporter la cause qu'aux influences d'un ciel
qui , étant immobile , eût toujours les mêmes aspects sur les mê.
mes endroits de la terre .
Aussi l'un d'eus , ayant entrepris de prouver par des raisons
physiques l'immobilité de la terre, fait l'une de ses principales
démonstrations de cette raison mystérieuse , que si la terre tour
nait autour du soleil , les influences des astres iraient de travers,
ce qui causerait un grand désordre dans le monde.
C'est par ces influences qu'on épouvante les peuples, quand on
voit paraitre quelque comėte , ou qu'il arrive quelque grande
éclipse, comme celle de l'an 1654, qui devait bouleverser le monde,
et principalement la ville de Rome, ainsi qu'il était expressément
marqué dans la chronologie de Helvicus, Romæ fatalis, quoiqu'il
n'y ait aucune raison , ni que les comètes et les éclipses puissent
avoir aucun effet considérable sur la terre , ni que des causes gé
nérales comme celle -là agissent plutôt en un endroit qu'en un
autre, et menacent plutôt un roi ou un prince qu'un artisan ;
ainsi en voit-on cent qui ne sont suivies d'aucun effet remar
quable . Que s'il arrive quelquefois des guerres, des mortalités ,
des pestes et la mort de quelque prince après des comètes ou
des éclipses, il en arrive aussi sans comètes et sans éclipses ; et
d'ailleurs ces effets sont si généraux et si communs , qu'il est bien
difficile qu'ils n'arrivent tous les ans en quelque endroit du
monde : de sorte que ceux qui disent en l'air que celle comète
menace quelque grand de la mort, ne se hasardent pas beau
coup :

1. Géorg ., I, 57 .
2. On peut voir les Pensées sur les comètes, par Bayle. (Note de
Port- Royal .)
TROISIÈME PARTIE . 275

C'est encore pis quand ils donnent ces influences chimériques


pour la cause des inclinations des hommes, vicieuses ou vertueu
ses, et même de leurs actions particulières et des événements de
leur vie, sans en avoir d'autre fondement, sinon qu'entre mille
prédictions il arrive par hasard que quelques-unes sont vraies.
Mais si l'on veut juger des choses par le bon sens, on avouera
qu'un flambeau allumé dans la chambre d'une femme qui accou
che doit avoir plus d'effet sur le corps de son enfant, que la pla
nète de Saturne, en quelque aspect qu'elle le regarde, et avec
quelque autre qu'elle soit jointe.
Enfin il y en a qui apportent des causes chimériques d'effets
chimériques, comme ceux qui, supposant que la nature abhorre
le vide, et qu'elle fait des efforts pour l'éviter (ce qui est en effet
imaginaire : car la nature n'a horreur de rien, et tous les effets
qu'on attribue à cette horreur dépendent de la seule pesanteur
de l'air) , ne laissent pas d'apporter des raisons de cette horreur
imaginaire, qui sont encore plus imaginaires. La nature abhorre
le vide , dit l'un d'entre eux, parce qu'elle a besoin de la conti
nuité des corps pour faire passer les influences, et pour la propa
gation des qualités. C'est une étrange sorte de science que celle
là , qui prouve ce qui n'est point par ce qui n'est point.
C'est pourquoi, quand il s'agit de rechercher les causes des ef
fets extraordinaires que l'on propose, il faut d'abord examiner
avec soin si ces effets sont véritables ; car souvent on se fatigue
inutilement à chercher des raisons de choses qui ne sont point,
et il y en a une infinité qu'il faut résoudre en la même manière
que Plutarque résout cette question qu'il se propose : Pourquoi
les poulains qui ont été courus par les loups sont plus vites que
les autres ; car, après avoir dit que c'est peut- être parce que
ceux qui étaient plus lents oni été pris par les loups , et qu'ainsi
ceux quisont échappés étaient les plus vites, ou bien que la peur
leur ayant donné une vitesse extraordinaire, ils en ont retenu
l'habitude, il rapporte enfin une autre solution , qui est apparem
ment véritable : c'est , dit-il, que peut-être cela n'est pas vrai.
C'est ainsi qu'il faut résoudre un grand nombre d'effets qu'on
attribue à la lune, comme, que les os sont pleins de moelle lors
qu'elle est pleine, et vides lorsqu'elle est en décours ; qu'il en
276 LOGIQUE.

est de même des écrevisses; car il n'y a qu'à dire que tout cela
est faux, comme des personnes fort exactes m'ont assuré l'avoir
éprouvé, les os et les écrevisses se trouvant indifféremment tan
tôt pleins et tantôt vides dans tous les temps de la lune . Il y a
bien de l'apparence qu'il en est de même de quantité d'observations
que l'on fait pour la coupe des bois, pour cueillir ou semer les
graines, pour enter les arbres, pour prendre des médecines; et le
monde se délivrera peu à peu de toutes ces servitudes, qui n'ont
point d'autre fondement que des suppositions dont personne n'a
jamais éprouvé sérieusement la vérité. C'est pourquoi il y a de
Vinjustice dans ceux qui prétendent que, pourvu qu'ils allèguent
une espérience ou cun fait tiré de quelque auteur ancien, on est
obligé de le recevoir sans examen .
C'est encore à cette sorte de sophisme qu'on doit rapporter
cette tromperie ordinaire de l'esprit humain , post hoc, ergo prop
ter hoc. Cela est arrivé ensuite de telle chose : il faut donc que
cotte chose en soit la cause. C'est par là que l'on a conclu que
c'était une étoile nommée Canicule qui était cause de la chaleur
extraordinaire que l'on sent durant les jours que l'on appelle ca
niculaires; ce qui a fait dire à Virgile, en parlant de cette étoile
que l'on appelle en latin Sirius :
Aut Sirius ardor :
Ile sitim morbosque ferens mortalibus ægris
Nascitur, et lævo contristat lumine solum '.

Cependant, comme Gassendi a fort bien remarqué, il n'y a rien


de moins vraisemblable que cette imagination ; car cette étoile
étant de l'autre côté de la ligue , ses effets devraient être plus
forts sur les lieux où elle est plus perpendiculaire ; et néanmoins
les jours que nous appelons caniculaires ici, sont le temps do
l'hiver de ce côté -là : de sorte qu'ils ont bien plus de sujet de
croire en ce pays -là que la canicule leur apporte du froid, que
nous n'en avons de croire qu'elle nous cause le chaud.

1. Énéide, x, v. 273 et 8.
TROISIÈME PARTIE. 277

JV . Dénombrement imparfait.

Il n'y'a guère de défaut de raisonnement où les personnes ba


biles tombent plus facilement qu'en celui de faire des dénombre
ments imparfaits, et de ne considérer pas assez toutes les manières
dont une chose peut être ou peut arriver ; ce qui leur fait con
clure témérairement, ou qu'elle n'est pas, parce qu'elle n'est pas
d'une certaine manière, quoiqu'elle puisse être d'une autre ; ou
qu'elle est de telle ou telle façon, quoiqu'elle puisse être encore
d'une autre manière qu'ils n'ont pas considérée .
On peut trouver des exemples de ces raisonnements défectueux
dans les preuves sur lesquelles Gassendi établit le principe de sa
philosophie, qui est le vide répandu entre les parties de la ma
tière, qu'il appelle vacuum disseminatum ; et je les rapporterai
d'autant plus volontiers, que Gassendi ayant été un homme cé
lèbre, qui avait plusieurs connaissances très -curieuses , les fautes
mêmes qu'il pourrait avoir mêlées dans ce grand nombre d'ou
vrages qa'on a publiés après sa mort, ne sont pas méprisables
et méritent d'être sues : au lieu qu'il est fort inutile de se char
ger la mémoire de celles qui se trouvent dans les auteurs qui
n'ont point de réputation.
Le premier argument que Gassendi emploie pour prouver co
vide répandu , et qu'il prétend faire passer en un endroit pour
une démonstration aussi claire que celle des mathématiques, est
celui-ci :
S'il n'y avait point de vide, et que tout fût rempli de corps, le
mouvement serait impossible, et le monde ne serait qu'une grande
masse de matière roide, inflexible et immobile : car le monde
étant tout rempli; aucun corps ne peut se remuer qu'il ne prenne
la place d'un autre : ainsi si le corps A' se remue, il faut qu'il
déplace un autre corps au moins égal à soi, savoir B ; et B, pour
se remuer, on doit aussi déplacer un autre. Or, cela ne peut ar
river qu'en deux manières : l'une, que ce déplacement des corps
aille à l'infini , ce qui est ridicule et impossible ; l'autre, qu'il se
fasse circulairement, et que le dernier corps déplacé occupe la
place d'A .
278 LOGIQUE .
Il n'y a point encore jusques ici de dénombrement imparfait
et il est vrai , de plus, qu'il est ridicule de s'imaginer qu'en re
muant un corps, on en remue jusqu'à l'infini, qui se déplacent
l'un l'autre : l'on prétend seulement que le mouvement se fait en
cercle, et que le dernier corps remué occupe la place du premier,
qui est A, et qu'ainsi tout se trouve rempli. C'est aussi ce que
Gassendi entreprend de réfuter par cet argument : Le premier
corps remué, qui est A, ne peut se mouvoir, si le dernier, qui est
X, ne peut se remuer. Or, X ne peut se remuer, puisque pour se
remuer, il faudrait qu'il prit la place d'A, laquelle n'est pas
encore vide ; et partant, X ne pouvant se remuer, A ne le peut
aussi ; donc tout demeure immobile. Tout ce raisonnement n'est
fondé que sur cette supposition , que le corps X , qui est immé
diatement devant A, ne puisse se remuer qu'en un seul cas, qui
est, que la place d'A soit déjà vide lorsqu'il commence à se re
muer : en sorte qu'avant l'instant où il l'occupe, il y en ait un
autre où l'on puisse dire qu'elle est vide. Mais cette supposition
est fausse et imparfaite, parce qu'il y a encore un ca's dans lequel
il est très- possible que X se remue, qui est , qu'au même instant
qu'il occupe la place d'A , A quitte cette place, et dans ce cas, il
n'y a nul inconvénient que A pousse B, et B pousse Cjusqu'à X,
et que X dans le même instant occupe la place d'A ; par ce moyen
il y aura du mouvement, et il n'y aura point de vide.
Or, que ce soit un cas possible ; c'est- à -dire qu'il puisse arri
ver qu'un corps occupe la place d'un autre corps au même instant
que ce corps la quitte, c'est une chose qu'on est obligé de recon
naître dans quelque hypothèse que ce soit, pourvu seulement
qu’on admette quelque matière continue : car, par exemple, en
distinguant dans un bâton deux parties qui se suivent immédia..
tement, il est clair que, lorsqu'on le remue, au même instant que
la première quitte un espace , cet espace est occupé par la seconde ,
ét qu'il n'y en a point où l'on puisse dire que cet espace est vide
de la première, et n'est pas rempli de la seconde. Cela est encore
plus clair dans un cercle de fer qui tourne autour de son centre ;
car alors chaque partie occupe au même instant l'espace qui a
été quitté par celle qui la précède, sans qu'il soit besoin de s’i
maginor aucun vide . Or, si cela est possible dans un cercle de
TROISIÈME PARTIE . 279

fer, pourquoi ne le sera-t-il pas dans un cercle qui sera en partie


de bois et en partie d'air ? et pourquoi le corps A , que l'on sup
pose de bois, poussant et déplaçant le corps B, que l'on suppose
l'air, le corps B n'en pourra-t-il pas déplacer un autre, et cet
autre un autre jusqu'à X, qui entrera dans la place d'A au même
temps qu'il la quittera ?
Il est donc clair que le défaut du raisonnement de Gassendi
vient de ce qu'il a cru qu'afin qu'un corps occupât la place d'un
autre, il fallait que cette place fût vide auparavant, et en un in
stant précédent, et qu'il n'a pas considéré qu'il suffisait qu'elle
se vidât au même instant.
Les autres preuves qu'il rapporte sont tirées de diverses expé
riences, par lesquelles il fait voir avec raison que l'air se com
prime, el que l'on peut faire entrer un nouvel air dans un espace
qui en parait déjà tout pli, comme on voit dans les ballons
et les arquebuses à vent.
Sur ces expériences, il forme ce raisonnement : si l'espace A,
étant déjà tout rempli d'air, est capable de recevoir une nouvelle
quantité d'air par compression, il faut que ce nouvel air qui y
entre, ou soit mis par pénétration dans l'espace déjà occupé
par l'autre air, ce qui est impossible ; ou que cet air, enfermé
dans A, ne le remplit pas entièrement, mais qu'il y eût entre
les parties de l'air des espaces vides, dans lesquels le nouvel air
est reçu ; et cette seconde hypothèse prouve, dit-il , ce que je
prétends, qui est qu'il y a des espaces vides entre les parties de
la matière, capables d'être remplies de nouveaux corps. Mais il
est assez étrange que Gassendi ne se soit pas aperçu qu'il rai
sonnait sur un dénombrement imparfait, et qu'outre l'hypothèse
de la pénétration, qu'il a raison de juger naturellement impossi
ble, et celle des vides répandus entre les parties de la matière
qu'il veut établir ; il y en a une troisième dont il ne dit rien , et
qui, étant possible, fait que son argument ne conclut rien ; car
l'on peut supposer qu'entre les parties plus grossières de l'air il
y a une matière plus subtile et plus déliée, et qui , pouvant sorir
par les pores de tous les corps, fait que l'espace qui semble rempli
d'air peut encore recevoir un autre air nouveau, parce que cette
matière subtile, étant chassée par les parties de l'air que l'on
280 LOGIQUE .

y enfonce par force, leur fait place en sortant au travers des


pores.
Et Gassendi était d'autant plus obligé de réfuter cette hypo
thèse, qu'il admet lui-même cette matière subtile qui pénètre
les corps et passe par tous les pores, puisqu'il veut que le froid
et le chaud soient des corpuscules qui entrent dans nos pores,
qu'il dit la même chose de la lumière, et qu'il reconnait même
que, dans l'expérience célèbre que l'on fait avec du vif-argent,
qui demeure suspendu à une hauteur de deux pieds trois pouces
et demi dans les tuyaux qui sont plus longs que cela, et laisse
en haut un espace qui paraît vide, et qui n'est certainement
rempli d'aucune matière sensible ; il reconnaît, dis-je, qu'on ne
peut pas prétendre avec raison que cet espace soit absolu
ment vide, puisque la lumière y passe, laquelle il prend pour
un corps .
Ainsi , en remplissant de matière subtile ces espaces qu'ilpré
tend être vides, il trouvera autant de place pour y faire entrer
de nouveaux corps, que s'ils étaient actuellement vides :

1 V. Juger d'une chose par ce quine lui convient


que par accident.

Ce sophisme est appelé dans l'école fallacia accidentis, qui est


lorsque l'on tire une conclusion absolue , simple et sans restric
tion de ce qui n'est vrai que par accident. C'est ce que font tant
de gens qui déclament contre l'antimoine, parce qu'étant mal.
appliqué, il produit de mauvais effets; et d'autres qui attribueni
à l'éloquence tous les mauvais effets qu'elle produit quand on en
abuse ; ou à la médecine , les fautes. de quelques médecins
ignorants.
C'est par là que les hérétiques de ce temps ont fait croire à tant
de peuples abusés, qu'on devait rejeter comme des inventions
de Satan l'invocation des saints, la vénération des reliques, la
prière pour les morts, parce qu'il s'était glissé des abus et de la
superstition parmi ces saintes pratiques autorisées par toute l'an
tiquité, comme si le mauvais usage que les hommes peuvent faice:
des meiileures choses les rendait mauvaises .
TROISIÈME PARTIE . 281
On tombe souvent aussi dansce mauvais raisonnement, quand
op prend les simples occasions pour les véritables causes; comme
qui accuserait la religion chrétienne d'avoir été la cause du mas
sacre d'une infinité de personnes qui ont mieux aimé souffrir la
mort que de renoncer à Jésus - Christ; au lieu que ce n'est pas à
la religion chrétienne, ni à la constance des martyrs, qu'on doit
attribuer ces meurtres, mais à la seule injustice et à la seule
cruauté des païens. C'est par ce sophisme qu'on impute souvent
aux gens de bien d'être cause de tous les maux qu'ils eussent pu
éviter en faisant des choses qui eussent blessé leur conscience,
parce que s'ils avaient voulu se relâcher dans cette exacte obser
vation de la loi de Dieu, ces maux ne seraient pas arrivés.
On voit aussi un exemple considérable de ce sophisme dans le
raisonnement ridicule des Epicuriens, qui concluaient que les
dieux devaient avoir une forme humaine, parce que dans toutes
les choses du monde, il n'y avait que l'homme qui eût l'usage de
la raison . Les dieux, disaient-ils, sont très-heureux: nul ne peut
étre heureuc sans la vertu ; il n'y a point de vertu sans la raison ;
et la raison ne se trouve nulle part ailleurs qu'en ce qui a la forme
humaine ; il faut donc avouer que les dieux ont une forme humaine .
Mais ils étaient bien aveugles de ne pas voir que, quoique dans
l'homme la substance qui pense et qui raisonne soit jointe à un
corps humain , ce n'est pas néanmoins la figure humaine qui
fait que l'homme pense et raisome, étant ridicule de s'imaginer
que la raison et la pensée dépendent de ce qu'il a un nez, une
bouche, des joues, deux bras, deux mains, deux pieds; et ainsi
c'était un sophisme puéril à ces philosophes, de conclure qu'il ne
pouvait y avoir de raison que dans la forme humaine, parce
que dans l'homme elle se trouvait joiate par accident à la forme
humaine ,

1 VI . Passer du sens divisé au sens composé ou du sens


composé au sens divisé.

L'un de ces sophismes s'appelle fallacia compositionis ; et


l'autre fallacia divisionis. On les comprendra mieux par des
exemples.
282 LOGIQUE .
Jésus-Christ dit, dans l'Évangile, en parlant de ses miracles :
Les aveugles voient, les boiteux marchent droit, les sourds enten
dent '. Cela ne peut être vrai qu'en prenant ces choses séparé
ment, et non conjointement, c'est-à-dire, dans le sens divisé , et
non dans le sens composé ; car les aveugles ne voyaient pas
demeurant aveugles, et les sourds n'entendaient pas demeurant
sourds ; mais ceux qui avaient été aveugles auparavant et ne
l'étaient plus, voyaient, et de même des sourds.
C'est aussi dans le même sens qu'il est dit, dans l'Ecriture,
que Dieu justifie les impies % ; car cela ne veut pas dire qu'il
tient pour justes ceux qui sont encore impies ; mais qu'il rend
justes, par sa grâce, ceux qui auparavant étaient impies .
Il y a, au contraire , des propositions qui ne sont véritables
qu'en un sens opposé à celui-là , qui est le sens composé, comme
quand saint Paul ; dit que les médisants , les fornicateurs, les
avares n'entreront point dans le royaume des cieux ; car cela ne
veut pas dire que nul de ceux qui auront eu ces vices ne sera
sauvé ; mais seulement que ceux qui y demeureront attachés, et
qui ne les auront point quittés, en se convertissant à Dieu,
n'auront point de part au royaume du ciel.
Il est aisé de voir qu'on ne peut passer, sans sophisme, de l'un
de ces sens à l'autre , et que ceux-là , par exemple, raisonneraient
mal, qui se promettraient le ciel, en demeurant dans leurs crimes ,
parce que Jésus-Christ est venu pour sauver les pécheurs, et qu'il
dit, dans l'Evangile *, que les femmes de mauvaise vie précéderont
les Pharisiens dans le royaume de Dieu ; ou qui, au contraire,
ayant mal vécu, désespéreraient de leur salut, comme n'ayant plus
rien à attendre que la punition de leurs crimes ; parce qu'il est dit
que la colère de Dieu est réservée à tous ceux qui vivent mal, et
que toutes les personnes vicieuses n'ont point de part à l'héritage

1. Matth ., XI, 5 .
2. Ei vero qui non operatur, credenti autem in eum qui justificat
mpium , reputatur fides ejus ad justitiam . Rom . , IV , 5 .
3. « Omnis furnicator, aut immundus , aut avarus, quod est ido
lorum servitus , non habebit hæreditatem in regno Christi et Dei . »
Ephes., V, 5.
4. « Meretrices præcedent vos in regnum Dei. o Matth ., XXI, 31 .
TROISIÈME PARTIE . 283 .

de Jésus- Christ. Les premiers passeraient du sens divisé au sens


composé, en se promettant, quoique toujours pécheurs, ce qui
n'est promis qu'à ceux qui cessent de l'être par une véritable
conversion : et les derniers passeraient du sens composé au sens
divisé, en appliquant à ceux qui ont été pécheurs et qui cessent
de l’être en se convertissant à Dieu , ce qui ne regarde que les pé.
cheurs qui demeurent dans leurs péchés et dans leur mauvaise vie

VII. Passer de ce qui est vrai à quelque égard , à ce qui


est vrai simplement.
C'est ce qu'on appelle dans l'École a dicto secundum quid ad
dictum simpliciter. En voici des exemples : les Épicuriens prou
vaient encore que les dieux devaient avoir la forme humaine,
parce qu'il n'y en a point de plus belle que celle-là , et que tout
ce qui est beau doit être en Dieu. C'était mal raisonner; car la forme
humaine n'est point absolument une beauté, mais seulement au
regard des corps ; et ainsi , n'étant une perfection qu'à quelque
égard et non simplement, il ne s'ensuit pas qu'elle doive être en
Dieu, parce que toutes les perfections sont en Dieu , n'y ayant
que celles qui sont simplement perfections , c'est-à-dire qui
n'enferment aucune imperfection , qui soient nécessairement en
Dieu .
Nous voyons ainsi dans Cicéron, au troisième livre de la Na
ture des dieux, un argument ridicule de Cotta contre l'existence
de Dieu , qui peut se rapportor au même déſaut. a Comment, dit
il , pouvons- nous concevoir Dieu, ne pouvant lui attribuer aucune
vertu ? Car dirons-nous qu'il a de la prudence ? Mais la prudence
consistant dans le choix des biens et des maux, quel besoin Dieu
peut-il avoir de ce choix , n'étant capable d'aucun mal ? Dirons
nous qu'il a de l'intelligence et de la raison ? Mais la raison et
l'intelligence nous servent à découvrir ce qui nous est inconnu
par ce qui nous est connu : or, il ne peut y avoir rien d'inconnu
à Dieu. La justice ne peut aussi être en Dieu , puisqu'elle ne ro
garde que la société des hommes ; ni la tempérance, parce qu'il
n'a point de voluptés à modérer ; ni la force, parce qu'il n'est
susceptible ni de douleur ni de travail, et qu'il n'est exposé à au
284 LOGIQUE .

cun péril . Comment donc pourrait être Dieu ce qui n'aurait ni


intelligence ni vertu ? »
Il est difficile de rien concevoir de plus impertinent que cette
manière de raisonner. Elle est semblable à la pensée d'un paysan
qui, n'ayant jamais vu que des maisons couvertes de chaume, et
ayant'ouï dire qu'il n'y a point dans les villes de toits de chaumes,
en conclerait qu'il n'y a point de maisons dans les villes, et que
ceux qui y habitent sont bien malheureux, étant exposés à toutes
les injures de l'air. C'est comme Cotta ou plutôt Cicéron raisonne.
Il ne peut y avoir en Dieu de vertus semblables à celles qui sont
dans les hommes : donc il ne peut y avoir de vertuş en Dieu. Et ce
qui est merveilleux, c'est qu'il ne conclut qu'il n'y a point de vertu
on Dieu, que parce que l'imperfection qui se trouve dans la vertu
humaine ne peut être en Dieu, de sorte que ce lui est une preuve
que Dieu n'a point d'intelligence, parce que rien ne lui est caché;
c'est -à -dire qu'il ne voit rien, parce qu'il voit tout ; qu'il ne peut
rien, parce qu'il peut tout ; qu'il ne jouit d'aucun bien, parce
qu'il possède tous les biens.
VII. Abuser de l'ambiguïté des mots, ce qui peut se faire
en diverses manières.

On peut rapporter à cette espèce de sophisme tous les syllo


gismes qui sont vicieux parce qu'il s'y trouve quatre termes ;
soit parce que le milieu y est pris deux fois particulièrement ; ou
parce qu'il est pris en un sens dans la première proposition , et en
un autre sens dans la seconde ; ou enfin parce que les termes de la
conclusion ne sont pas pris dans le même sens dans les prémisses
que dans la conclusion : car nous ne restreignons pas le mot d'am
biguïté aux seuls mots qui sont grossièrement équivoques , ce qui
ne trompe presque jamais ; mais nous comprenonspar là tout ce
qui peut faire changer de sens à un mot, surtout lorsque les
hommes ne s'aperçoivent pas aisément de ce changement, parce
que diverses choses étant signifiées par le même son ,ils les pren
nont pour la même chose . Sur quoi on peut voir ce qui a été dit
vers la fin de la première partie, où l'on a aussi parlé da remède
qu'on doit apporter à la confusion des mots-ambigus, en los dé
bnissant si nettement qu'on n'y puisse être trompé.
TROISIÈME PARTIE . 285

Ainsi je me contenterai d'apporter quelques exemples de cette


ambiguïté qui trompe quelquefois d'habiles gens. Telle est celle
qui se trouve dans les mots qui signifient quelque tout, qui peut
se prendre ou collectivement pour toutes ses parties ensemble,
ou distribulivement pour chacune de ses parties. C'est par là qu'on
doit résoudre ce sophisme des Stoïciens, qui concluaient que le
monde était un animal doué de raison, « parce que ce qui a l'usage
de la raison est meilleur que ce qui ne l'a point. Or il n'y a rien,
disaient-ils, .qui soit meilleur que le monde ; donc le monde a
l'usage de la raisun ... La mineure de cet argument est fausse,
parce qu'ils attribuaient au monde ce qui ne convient qu'à Dieu ,
qui est d'être tel qu'on ne puisse rien concevoir de meilleur et
de plus parfait. Mais, en se bornant dans les créatures, quoique
l'on puisse dire qu'il n'y a rien de meilleur que le monde, en de
prenant collectivement pour l'universalité de tous les etres que
Dieu a créés, tout ce qu'on en peut conclure au plus , est que le
monde a l'usage de laraison, selon quelques-unes de ses parties,
telles que sont les anges et les hommes, et non pas que le tout
ensemble soit un animal qui ait l'usage de la raison.
Ce serait de même malraisonner que de dire : l'homme pense :
or, l'homme est composé de corps et d'âme : donc le corps et l'âme
pensent : car il suffit, afin que l'on puisse attribuer la pensée à
l'homme entier, qu'il pense selon une des parties ; d'où il nes’en
suit nullement qu'il pense selon l'autre.

IX . Tirer une conclusion générale d'une induction défectueuse.

On appelle induction, lorsque la recherche de plusieurs choses


particulières nous mène à la connaissance d'une vérité générale.
Ainsi, lorsqu'on a éprouvé sur beaucoup de mers que l'eau en est
salée, et sur beaucoupde rivières que l'eau en est douce, on con
clut généralement que l'eau de la mer est salée, et celle des ri
vières douce. Les diverses épreuves qu'on a faites que l'or ne
diminue point au feu ontfait juger que cela est vrai de tout or; et
comme on n'a point trouvé de peuple qui ne parle, on croit pour
très - certain que tous les hommes parlent; c'est - à -dire se servent
des sons pour signifier leur pensée.
286 LOGIQUE .
C'est même par là que toutes nos connaissances commencent,
parce que les choses singulières se présentent à nous avant les
universelles, quoique ensuite les universelles servent à connaître
les singulières .
Mais il est vrai néanmoins que l'induction seule n'est jamais un
moyen certain d'acquérir une science parfaite, comme on le fera
voir en un autre endroit, la considération des choses singulières
servant seulement d'occasion à notre esprit de faire attention à ses
idées nalurelles, selon lesquelles il juge de la vérité des choses en
général ; car il est vrai, par exemple, que je ne me serais peut
étrejamais avisé de considérer la nature d'un triangle, si je n'avais
vu un triangle qui m'a donné occasion d'y penser : mais ce n'est
pas néanmoins l'examen particulier de tous les triangles qui m'a
fait conclure généralement et certainement de tous que l'espace
qu'ils comprennent est égal à celui du rectangle de toute leur base ,
et de la moitié de leur hauteur (car cet examen serait impos
sible) , mais la seule considération de ce qui est renfermé dans
l'idée du triangle que je trouve dans mon esprit.
Quoi qu'il en soit, réservant à un autre endroit de traiter de
cette matière, il suffit de dire ici que les inductions défectueuses,
c'est-à-dire qui ne sont pas entières, font souvent tomber en
erreur, et je me contenterai d'en rapporter un exemple remar
quable.
Toutes les philosophiesavaient cru jusqu'à ce temps, comme une
vérité indubitable, qu'une seringue étant bien bouchée, il était
impossible d'en tirer le piston sans la faire crever, et que l'on
pouvait faire monter de l'eau si haut qu'on voudrait par des pom
pes aspirantes : ce qui le faisait croire si fermement, c'est qu'on
s'imaginait s'en être assuré par une induction très -certaine, en
ayant fait une infinité d'expériences ; mais l'un et l'autre s'est
trouvé faux, parce que l'on a fait de nouvelles expériences qui
ont fait voir que le piston d'une seringue , quelque bouchée qu'elle
fût, pouvait se tirer, pourvu qu'on employåt une force égale au
poids d'une colonne d'eau de plus de trente- trois pieds de baut
de la grosseur de la seringue , et qu'on ne saurait lever de l'eau
par une pompe aspirante plus de trente -deux ou trente -trois
pieds,
TROISIÈME PARTIE . 287

CHAPITRE XX.

Des mauvais raisonnements que l'on commet dans la vie civile


et dans les discours ordinaires.

Voilà quelques exemples des fautes les plus communes que l'oz.
commet en raisonnant dans les matières de sciences ; mais parce
que le principal usage de la raison n'est pas dans ces sortes de
sujets, qui entrent peu dans la conduite de la vie , et dans lesquels
même il est moins dangereux de se tromper, il serait sans doute
beaucoup plus utile de considérer généralement ce qui engage les
hommes dans les faux jugements qu'ils font en toute sorte de
matière, et principalement en celle des meurs et des autres
choses qui sont importantes à la vie civile, et qui font le sujet
ordinaire de leurs entretiens. Mais, parce que ce dessein deman
derait un ouvrage à part qui comprendrait presque toute la mo
rale , on se contentera de marquer ici en général une partie des
causes de ces faux jugements, qui sont si communs parmi les
hommes .
On ne s'est pas arrêté à distinguer les faux jugements des
mauvais raisonnements, et on a recherché indifféremment les
causes des uns des autres ; tant parce que les faux jugements sont
les sources des mauvais raisonnements, et les attirent par une
suite nécessaire, que parce qu'en effet il y a presque toujours un
raisonnement caché et enveloppé en ce qui nous paraît un juge
ment simple, y ayant toujours quelque chose qui sert de motif et
de principe à ce jugement. Par exemple, lorsque l'on juge qu'un
bâton qui paraft courbé dans l'eau l'est en effet, ce jugement est
fondé sur cette proposition générale et fausse, que ce qui paraft
courbé à nos sens, est courbé en effet, et ainsi enferme un rai
sonnement, quoique non développé. En considérant donc géné
ralement les causes de nos erreurs , il semble qu'on puisse les
288 LOGIQUE .
rapporter à deux principales : l'une intérieure, qui est le dérè
glement de la volonté, qui trouble et dérègle le jugement ; l'autre
extérieure, qui consiste dans les objets dont on juge, et qui trom
pent notre esprit par une fausse apparence. Or, quoique les cau
ses se joignent presque toujours ensemble, il y a néanmoins cer
taines erreurs où l'un paraît plus que l'autre ; et c'est pourquoi
nous les traiterons séparément.

I. Des sophismes d'amour-propre, d'intérêt et de passion.

Si on examine avec soin ce qui attache ordinairement les hom


mes plutôt à une opinion qu'à une autre,on trouvera,que ce n'est
pas la pénétration de la vérité et la force des raisons, mais quel
quelien d'amcur-propre, d'intérêt ou de passion. C'est le poids
qui emporte la balance, et qui nous détermine dans la plupart de
nos doutes; c'est ce qui donne le plus grand branle à nos juge
ments , et qui nous y arrête le plus fortement. Nous jugeons des
choses, non par ce qu'elles sont en elles -mêmes, mais par ce
qu'elles sont à notre égard ;, et la vérité et l'utilité ne sont pour
nous qu'une même chose.
Il n'en faut point d'autres preuves que ce que nous voyons tous
les jours, que de choses tenues partout ailleurs pour douteuses,
ou même pour fauses, sont tenues pour très-certaines par tous
ceux d'une nation ou d'une profession , ou d'un institut; car n'é
tant pas possible que ce qui est vrai en Espagne soit faux en
France, ni que l'esprit de tous les Espagno..soit tourné si diffé
remmentde celui de tous les Français, qu’à nu juger des choses
que par les règles de la raison, ce qui parait yrai généralement
aux uns paraisse faux généralement aux autres, il est visible que
cette diversité de jugement ne peut venir d'autre cause, sinon
qu'il plaft aus uns de tenir pour vrai ce qui leur est avantageux ,
et que les autres, n'y ayant point d'intérêt, en jugent d'une autre
sorte.
Cependant qu'y a-t-il de moins raisonnable que de prence
notre intérêt pour motif de croire une chose ? Tout ce qu'il peut
laire au plus, est de nous porter à considérer avec plus d'atten
TROISIÈME PARTIE. 289

tion les raisons qui peuvent nous faire découvrir la vérité de ce


que nous désirons être vrai ; mais il n'y a que cette vérité qui
doit se trouver dans la chose même indépendamment de nos dé
sirs, qui doive nous persuader. Je suis d'un tel pays ; donc je
dois croire qu'un tel saint y a prêché l'Évangile. Je suis d'un tel
ordre; donc je crois qu'un tel privilége est véritable . Ce ne sont
pas là des raisons. De quelque ordre et de quelque pays que vous
soyez, vous ne devez croire que ce qui est vrai, et que ce que
vous seriez disposé à croire si vous étiez d'un autre pays, d'un
autre ordre, d'une autre profession.
your CM20 !! ). - trole
t changement
II.Maiscette illusion est bien plusvisiblelorsqu'il arrive du
dans les passions : car, quoique toutes choses soient
demeurées dans leur place, il semble néanmoins à ceux qui sont
émus de quelque passion nouvelle, que le changement qui ne s'est
fait que dans leur cæur ait changé toutes les choses extérieures
qui y ont quelque rapport. Combien voit-on de gens qui ne peu
vent plus reconnaître aucune bonne qualité, ni naturelle , ni ae
quise, dans ceux contre qu'ils ont conçu de l'aversion, ou qui
ont été contraires en quelque chose à leurs sentiments, à leurs
désirs, à leurs intérêts ? Cela suffit pour devenir tout d'un coup
à leur égard téméraire, orgueilleux, ignorant, sans foi, sans hon
neur, sans conscience. Leurs affections et leurs désirs ne sont pas
plus justes ni plus modérés que leur haine. S'ils aiment quelqu'un,
il est exempt de toute sorte de défaut; tout ce qu'ils désirent est
juste et facile, tout ce qu'ils ne désirent pas est injuste et impos
sible, sans qu'ils puissent alléguer aucune raison de tous ces ju
gements, que la passion même qui les possède : de sorte qu'en
core qu'ils ne fassent pas dans leur esprit ce raisonnement
formel : je l'aime ; donc c'est le plus habile homme du monde : je
le bais ; donc c'est un homme de néant, ils le font en quelque
sorte dans leur cæur ; et c'estpourquoi on peut appeler ces sortes
d'égarement des sophismes et des illusions du cæur, qui consis
tent à transporter nos passions dans les objets de nos passions
et à juger qu'ils sont ce que nous voulons ou désirons qu'ils
soient : ce qui est sans doute très - déraisonnable, puisque nos dé
sirs ne changent rien dans l'être de ce qui est hors de nous, et
19
290 LOGIQUE .
qu'il-n'y a que Dieu, dont la volonté soit tellement efficace, que
les choses sont tout ce qu'il veut qu'elles soient.

III. On peut rapporter à la même illusion de l'amour - propre


celle de ceux qui décident tout par un principe fort général et fort
commode, qui est, qu'ils ont raison , qu'ils connaissent la vérité ;
d'où il ne leur est pas difficile de conclure que ceux qui ne sont
pas de leur sentiment se trompent ; en effet , la conclusion est
nécessaire.
Le défaut de ces personnes ne vient pas de ce que l'opinion
avantageuse qu'elles ont de leurs lumières leur fait prendre toutes
leurs pensées pour tellement claires et évidentes, qu'elles s'ima
ginent qu'il suffit de les proposer pour obliger tout le monde à s'y
soumettre ; et c'est pourquoi elles se mettent peu en peine d'en
apporter des preuves ; elles écoutent peu les raisons des autres,
elles veulent tout emporter par autorité, parce qu'elles ne distin
guent jamais leur autorité de la raison ; elles traitent de témé
raires tous ceux qui ne sont pas de leur sentiment, sans consi
dérer que si les autres ne sont pas de leur sentiment, elles ne
sont pas aussi du sentiment des autres, et qu'il n'est pas justo
de supposer sans preuve que nous avons raison, lorsqu'il s'agit
de convaincre des personnes qui ne sont d'une autre opinion que
nous, que parce qu'elles sont persuadées que nous n'avons pas
raison .

IV. Il y en a de même qui n'ont point d'autre fondement, pour


rejeter certaines opinions, que ce plaisant raisonnement : Si cela
était, je ne serais pas un habile homme : or, je suis un habile
homme; donc cela n'est pas . C'est la principale raison qui a fait
rejeter longtemps certains remèdes très -utiles et des expériences
très -certaines ; parce que ceux qui ne s'en étaient point encore
avisés concevaient qu'ils se seraient donc trompés jusqu'alors.
Quoi ! si le sang , disaient-ils, avait une révolution circulaire dans
le corps ; si l'aliment ne se portait pas au foie par les veines mésa
raïques; si l'artère veineuse portait le sang au cœur ; si le sang
montait par la veine cave descendante ; si la nature n'avait point
d'horreur du vide ; si l'air était posant et avait un mouvement
TROISIÈME PARTIE . 291
en bas, j'aurais ignoré des choses importantes dans l'anatomie et
dans la physique : il faut donc que cela ne soit pas. Mais pour
les guérir de cette fantaisie, il ne faut que leur bien représenter
que c'est un très-petit inconvénient qu'un homme se trompe, et
qu'ils ne laisseront pas d'être habiles en d'autres choses, quoi
qu'ils ne l'aient pas été en celles qui auraient été nouvellement
découvertes.

V. Il n'y a rien aussi de plus ordinaire que de voir des gens se


faire mutuellement les mêmes reproches, et so traiter, par exem
ple, d'opiniâtres, de passionnés, de chicaneurs, lorsqu'ils sont de
différents sentiments. Il n'y a presque point de plaideurs qui ne
s'entr'accusent d'allonger le procès, et de couvrir la vérité par
des adresses artificieuses ; et ainsi ceux qui ont raison et ceux
qui ont tort parlent presque le même langage et font les mêmes
plaintes et s'attribuent les uns aux autres les mêmes défauts; ce
qui est une des choses les plus incommodes qui soient dans la
vie des hommes, et qui jettent la vérité et l'erreur, la justice et
l'injustice dans une si grande obscurité, que le commun du monde
est incapable d'en faire le discernement ; et il arrive de là que
plusieurs s'attachent, au hasard et sans lumière, à l'un des partis,
et que d'autres les condamnent tous deux comme ayant égale
ment tort.
Toute cette bizarrerie naft encore de la même maladie qui fait
prendre à chacun pour principe qu'il a raison : car de là il n'est
pas difficile de conclure que tous ceux qui nous résistent sont
opiniâtres; puisque etre opiniâtre, c'est no se rendre pas à la
raison .
Mais encore qu'il soit vrai que ces reproches de passion , d'aa
veuglement, de chicanerie, qui sont très - injustes de la part de
ceux qui se trompent, soient justes et légitimes de la part de ceux
qui ne se trompent pas, néanmoins, parce qu'ils supposent que
la vérité est du côté de celui qui les fait, les personnes sages et
judicieuses, qui traitent quelque matière contestée, doivent évi
ter de s'en servir avant que d'avoir suffisamment établi la vérité
et la justice de la cause qu'ils soutiennent. Ils n'accuseront donc
jamais leurs -adversaires d'opiniâtreté, de témérité, de mana
292 LOGIQUE .
quer de sens commun , avant que de l'avoir bien prouvé. Ils ne
diront point, s'ils ne l'ont fait voir auparavant, qu'ils tombent en
des absurdités et des extravagances insupportables ; car les autres
en diront autant de leur côté ; ce qui n'est rien avancer, et ainsi
ils aimeront mieux se réduire à cette règle si équitable de saint
Augustin : Omittamus ista communia, quæ dici ex utraque parte
possunt, licet vere dici ex utraque parte non possint; et ils se
contenteront de défendre la vérité par les armes qui lui sont pro
pres et que le mensonge ne peut emprunter, qui sont les raisons
claires et solides.
2. lo jocsere es l'cano
2 + VI. L'esprit des hommes n'est pas seulement naturellement
amoureux de lui-même ; mais il est aussi naturellement jaloux,
envieux et malin à l'égard des autres ; il ne souffre qu'avec peine
qu'ils aient quelque avantage , parce qu'il les désire tous pour
lui ; et comnie c'en est un que de connaître la vérité et d'apporter
aux hommes quetque nouvelle lumière, on a une passion secrète
de leur ravir cette gloire, ce qui engage souvent à combattre
sans raison les opinions et les inventions des autres.
Ainsi , comme l'amour -propre fait souvent faire ce raisonne
ment ridicule : C'est une opinion que j'ai inventée, c'est celle de
mon ordre, c'est un sentiment qui m'est commode, il est donc
véritable ; la malignité naturelle fait souvent faire cet autre qui
n'est pas moins absurde : C'est un autre que moi qui l'a dit, cela
est donc faux : ce n'est pas moi qui ai fait ce livre, il est donc
mauvais.
C'est la source de l'esprit de contradiction si ordinaire parmi
les hommes, et qui les porte, quand ils entendent ou lisent quelque
chose d'autrui, à considérer peu les raisons qui pourront les per
suader, et à ne songer qu'à celles qu'ils croient pouvoir opposer.
Ils sont toujours en garde contre la vérité, et ils ne pensent qu'aux
moyens de la repousser et de l'obscurcir, en quoi ils réussissent
presque toujours, la fertilité de l'esprit humain étant inépuisable
en fausses raisons.
Qaand ce vice est dans l'excès, il fait un des principaux carac
tères de l'esprit de pédanterie, qui met son plus grand plaisir à
chicaner les autres sur les plus petites choses et à contredire tout
TROISIÈME PARTIE . 293

avec une basse malignité ; mais il est souvent plus imperceptible


et plus caché ; et l'on peut dire même que personne n'en est en
ièrement exempt, parce qu'il a sa racine dans l'amour- propre
qui vit toujours dans les hommes .
La connaissance de cette disposition maligne et envieuse qui
réside dans le fond du cæur des hommes, nous fait voir qu'une
des plus importantes règles qu'on puisse garder pour n'engager
pas dans l'erreur ceux à qui l'on parle, et ne leur donner point
d'éloignement de la vérité qu'on veut leur persuader, est de n'ir
riter que le moins qu'on peut leur envie et leur jalousie en par
lant de soi, et en leur présentant des objets auxquels elle puisse
s'attacher.
Car les hommes, n'aimant guère qu'eux -mêmes, ne souffrent
qu'avec impatience qu'un autre les applique à soi, et veuille qu'on
le regarde avec estime . Tout ce qu'ils ne rapportent pas à eux
mêmes leur est odieux et importun, et ils passent ordinairement
de la haine des personnes à la haine des opinions et des raisons;
et c'est pourquoi les personnes sages évitent autant qu'elles peu
vent d'exposer aux yeux des autres les avantages qu'elles ont ;
elles fuient de se présenter en face et de se faire envisager en
particulier, et tâchent plutôt de se cacher dans la presse pour
n'être pas remarquées, afin qu'on ne voie dans leur discours que
la vérité qu'elles proposent.
Fou M. Pascal, qui savait autant de véritable rhétorique que
personne en ait jamais su , portait cette règle jusqu'à prétendre
qu'un honnête homme devait éviter de se nommer et même de
se servir des mots de je et de moi; et il avait accoutumé de dire
sur ce sujet que la piété chrétienne anéantit le moi humain, et
que la civilité humaine le cache et le supprime ' . Ce n'est pas
que cette règle doive aller jusqu'au scrupule ; car il y a des ren
contres où ce serait se gêner inutilement que de vouloir éviter
ces mots ; mais il est toujours bon de l'avoir en vue pour s'éloi
gner de la méchante coutume de quelques individus qui ne par
lent que d'eux-mêmes, et qui se citent partout lorsqu'il n'est
point question de leur sentiment : ce qui donne lieu à ceux qui

1. « Le moi est haïssable, etc., etc. » Pascal, Pensées, art. vi, 20.
294 LOGIQUE .

les écoutent de soupçonner que ce regard si fréquent vers eux


mêmes ne naisse d'une secrète complaisance qui les porte souvent
vers cet objet de leur amour, et excite en eux, par une suite na
turelle, une aversion secrète pour ces gens-là et pour tout ce
qu'ils disent. C'est ce qui fait voir qu'un des caractères les plus
indignes d'un honnête homme est celui que Montaigne a affecté,
de n'entretenir ses lecteurs que de ses humeurs, de ses inclina
tions, de ses fantaisies, de ses maladies, de ses vertus et de ses
vices; et qu'il ne nait que d'un défaut de jugement aussi bien que
d'un violent amour de soi-même. Il est vrai qu'il tâche autant
qu'il peut d'éloigner de lui le soupçon d'une vanité basse et po
pulaire, en parlant librement de ses défauts, aussi bien que de ses
bonnes qualités, ce qui a quelque chose d'aimable par une appa
rence de sincérité; mais il est facile de voir que tout cela n'est
qu'un jeu et un artifice qui doit le rendre encore plus odieux ' .
Il parle de ses vices pour les faire connaître, et non pour les faire
détester; il ne prétend pas qu'on doive moins l'en estimer; il les
regarde comme des choses à peu près indifférentes, et plutôt ga
lantes que honteuses : s'il les découvre, c'est qu'il s'en soucie
peu, et qu'il croit qu'il n'en sera pas plus vil ni plus méprisable ;
mais quaad il appréhende que quelque chose lo rabaisse un peu,
il est aussi adroit que personne à le cacher : c'est pourquoi un
auteur célèbre de ce temps remarque agréablement, qu'ayant eu
soin fort inutilement de nous avertir, en deux endroits de son
livre, qu'il avait un page, qui était un officier assez peu utile en
la maison d'un gentilhomme de six mille livres de rente, il n'avait
pas eu le même soin de nous dire qu'il avait eu aussi un clerc,
ayant été conseiller du parlement de Bordeaux ; cette charge,
quoique très -bonorable en soi , ne satisfaisant pas assez la vanité
qu'il avait de faire paraltre partout une humeur de gentilhomme
et de cavalier, et un éloignement de robe et des procès.
Il y a néanmoins de l'apparence qu'il ne nous eût pas célé cette
circonstance de sa vie, s'il eût pu trouver quelque maréchal de
1. « Montaigne me parait encore plus fier et plus vain, quand il se
blâme que lorsqu'il se loue , parce que c'est un orgueil insupportable
que de tirer vanité de ses défauts, au lieu de s'en humilier . » Male .
branche, Recherche de la vérité , livre III, p. II , chap . V.
TROISIÈME PARTIE . 295

France qui eût été conseiller de Bordeaux, comme il a bien voulu


nous faire savoir qu'il avait été maire de cette ville; mais, après
nous avoir avertis qu'il avait succédé en cette charge au ma
réchal de Biron , et qu'il l'avait laissée au maréchal de Mati
gnon .
Mais ce n'est pas le plus grand mal de cet auteur, que la va
nité, et il est plein d'un si grand nombre d'infamies honteuses
et de maximes épicurienpes et impies, qu'il est étrange qu'on
l'ait souffert si longtemps dans les mains de tout le monde, et
qu'il y ait même des personnes d'esprit qui n'en connaissent pas
le venin .
Il ne faut point d'autres preuves pour juger de son libertinage,
que cette manière même dont il parle de ses vices ; car, recon
naissant en plusieurs endroits qu'il avait été engagé en un grand
nombre de désordres criminels, il déclare néanmoins en d'autres
qu'il ne se repent de rien, et que s'il avait à revivre, il revivrait
comme il avait vécu . « Quant à moi, dit-il, je ne puis désirer en
général d'être autre ; je ne puis condamner ma formeuniverselle ,
m'en déplaire et supplier Dieu pour mon entière réformation et
pour l'excuse de ma faiblesse naturelle ; mais cela , je ne dois le
nommer repentir, non plus que le déplaisir de n'être ni ange, ni
Caton : mes actions sont réglées et conformes à ce que je suis et
à ma condition : je ne puis faire mieux, et le repentir ne touche
pas proprement les choses qui ne sont pas en notre force. Je ne
me suis pas attendu d'attacher monstrueusement la queue d'un
philosophe à la tête et au corps d'un homme perdu, ni que ce
chétif bout de vie ent à désavouer et à démentir la plus belle,
entière et longue partie de ma vie. Si j'avais à revivre, je rovi
vrais comme j'ai vécu : ni je ne plains point le passé, ni je ne
crains point l'avenir. » Paroles horribles, et qui marquent une
extinction entière de tout sentiment de religion ; mais qui sont
dignes de celui qui parle ainsi en un autre endroit : a Je me plonge
la tête baissée stupidement dans la mort, sans la considérer et
reconnaître, comme dans une profondeur muette et obscure, qui
m'engloutit tout d'un coup, et m'étouffe en un moment, plein
d'un puissant sommeil, plein d'insipidité et d'indolence . » Et en
un autre endroit : « La mort, qui n'est qu'un quart d'heure de
296 LOGIQUE .

passion , sans conséquence et sans nuisance, ne mérite pas des


préceptes particuliers. »
Quoique cette digression semble assez éloignée de ce sujet, elle
y rentre néanmoins , par cette raison, qu'il n'y a point de livre qui
inspire davantage cette mauvaise coutume de parler de soi, de
s'occuper de soi, de vouloir que les autres s'y occupent. Ce qui
corrompt étrangement la raison, et dans nous , par la vanité qui
accompagne toujours ces discours, et dans les autres, par le dépit
et l'aversion qu'ils en conçoivent. Il n'est permis de parler de soi
même qu'aux personnes d'une vertu éminente, et qui témoignent,
par la manière avec laquelle elles le font, que si elles publient
leurs bonnes actions, ce n'est que pour exciter les autres à en
louer Dieu , ou pour les édifier ; et si elles publient leurs fautes,
ce n'est que pour s'en humilier devant les hommes, et pour les
en détourner ; mais pour les personnes du commun , c'est une
vanité ridicule de vouloir informer les autres de leurs petits avan
tages ; et c'est une effronterie punissable que de découvrir leurs
désordres au monde, sans témoigner d'en etre touchés, puisque
le dernier excès de l'abandonnement dans le vice est de n'en
point rougir, et de n'en avoir ni confusion ni repentir, mais d'en
parler indifféremment comme de toute autre chose : en quoi con
siste proprement l'esprit de Montaigne ' .
e
13 1 VII. On peut dist ingu er , en quelque sorte , de la contradiction
maligne et envieuse , une autre sorte d'humeur moins mauvaise ,
mais qui engage dans les mêmes fautes de raisonnement ; c'est
l'esprit de dispute , qui est encore un défaut qui gåte beaucoup
l'esprit.
Ce n'est pas qu'on puisse blåmer généralement les disputes : 00

1. Il fautrapprocher de ce passage célèbre l'entretien de Pascal avec


M. de Saci sur Epictète et Montaigne, et le chapitre de Malebranche,
Recherche de la vérité, livre II, partie III , chap. v, dont nous avons
cité plus haut quelques lignes. M. Sainte- Beuve, Port- Royal, liv. III ,
chap. 11 et 111, a défini, avec sa finesse ordinaire, le genre d'erreur et
de péril moral que les écrivains de Port-Royal poursuivaient chez
Montaigne, je veux dire l'amour de soi-même, le culte de l'homma
naturel, l'oubli de la grâce divine.
TROISIÈME PARTIE . 297

peut dire, au contraire, que pourvu qu'on en use bien, il n'y a


rien qui serve davantage à donner diverses ouvertures, ou pour
' rouver la vérité ou pour la persuader aux autres. Le mouve
ment d'un esprit qui s'occupe seul à l'examen de quelque matière
est d'ordinaire trop froid et trop languissant ; il a besoin d'une
certaine chaleur qui l'excite et qui réveille ses idées ; et c'est
d'ordinaire par les diverses oppositions qu'on nous fait, que l'on
découvre où consiste la difficulté de la persuasion et l'obscurité ;
ce qui nous donne lieu de faire effort pour la vaincre.
Mais il est vrai qu'autant cet exercice est utile, lorsque l'on
en use comme il faut et avec un entier dégagement de passion,
autant est- il dangereux lorsqu'on en use mal et que l'on met sa
gloire à soutenir son sentiment à quelque prix que ce soit, et à
contredire celui des autres . Rien n'est plus capable de nous éloi
gner de la vérité et de nous jeter dans l'égarement que cette
sorte d'humeur. On s'accoutume, sans qu'on s'en apercoive, à
trouver raison partout, et à se mettre au-dessus des raisons, en
ne s'y rendant jamais : ce qui conduit peu à peu à n'avoir rien de
certain et à confondre la vérité avec l'erreur, en les regardant
l'une et l'autre comme également probables. C'est ce qui fait qu'il
est si rare que l'on termine quelque question par la dispute, et
qu'il n'arrive presque jamais que deux philosophes tombent d'ac
cord. On trouve toujours à repartir et à se défendre, parce que
l'on a pour but d'éviter non l'erreur, mais le silence , et que l'on
croit qu'il est moins honteux de se tromper toujours, que d'avouer
que l'on s'est trompé.
Ainsi , à moins qu'on ne se soit accoutumé par un long exercice
à se posséder parfaitement, il est très- difficile qu'on ne perde de
vue la vérité dans les disputes, parce qu'il n'y a guère d'action
qui excite plus les passions. « Quel vice n'éveillent-elles pas, dit
un auteur célèbre, étant presque toujours commandées par la
colère ? Nous entrons en inimitié premièrement contre les raisons,
puis contre les personnes ; nous n'apprenons à disputer que pour
contredire, et chacun contredisant et étant contredit , il en arrive
que le fruit de la dispute est d'anéantir la vérité. L'un va en
orient, l'autre en occident, on perd le principal , et l'on s'écarte
dans la presse des incidents; au bout d'une heure de tempête, on
298 LOGIQUE.
ne sait ce qu'on cherche; l'un est en bas, l'autre est en baut,
l'autre à côté ; l’un se prend à un mot et à une similitude, l'autre
n'écoute et n'entend plus ce qu'on lui oppose , et il est si engagé
dans sa course, qu'il ne pense plus qu'à se suivre, et non pas
vous. Il y en a qui, se trouvant faibles, craignent tout, refusent
tout, confondent la dispute dès l'entrée, ou bien, au milieu de la
contestation, se mutinent à se taire, affectant un orgueilleuxmé
pris ou une sottement modeste fuite de contention : pourvu que
celui-ci frappe, il ne regarde pas combien il se découvre; l'autre
compte ses mots et les pèse pour raisons; celui-là n'y emploie
que l'avantage de sa voix et de ses poumons; on en voit qui con
cluent contre eux-mêmes, et d'autres qui lassent et étourdissent
tout le monde de préfaces et de digressions inutiles. Il y en a enfin
qui s'arment d'injures, et qui feront une querelle d'Allemand,
pour se défaire de la conférence d'un esprit qui presse le leur ..
Ce sont les vices ordinaires de nos disputes, qui sont assez ingé
nieusement représentées par cet écrivain qui, n'ayant jamais
connu les véritables grandeurs de l'homme, en a assez bien
connu les défauts ; et l'on peut juger par là combien ces sortes
de conférences sont capables de dérégler l'esprit, à moins que
l'on n'ait un extrême soin , non -seulement de ne pas tomber soi
même le premier dans ces défauts, mais aussi de ne pas suiyre
ceux qui y tombent, et de se régler tellement, qu'on puisse les
voir égarer sans s'égarer soi-même, et sans s'écarter de la fin que
l'on doit se proposer, qui est l'éclaircissement de la vérité que
l'on examine .
courbandone e P.X' ( 0012
VIII. Il se trouve des personnes, principalement parmi ceux
qui hantent la cour, qui, reconnaissant assez combien ces hu
meurs contredisantes sont incommodes et désagréables, prennent
une route toute contraire, qui est de ne rien contredire , mais de
louer et d'approuver tout indifféremment;et c'estce qu'on appelle
complaisanoe, qui est une humeur plus commode pour la fortune,
mais aussi désavantageuse pour le jugement; car, comme les

1. Tout ce passage se lit dans Montaigne, livre III , chap. vill. L'é
quité aurait voulu que Nicole nom måt l'auteur des Essais comme il
l'a nommé plus haut, lorsqu'il s'agissait de le critiquer.
TROISIÈME PARTIE. 299

contredisants prennent pour vrai le contraire de ce qu'on leur


dit, les complaisants semblent prendre pour vrai tout ce qu'on
leur dit; et cetto accoutumance corrompt premièrement leur
discours, et ensuite leur esprit.
C'est par ce moyen qu'on a rendu les louanges si communes,
et qu'on les donne si indifféremment à tout le monde, qu'on ne
sait plus qu'en conclure. Il n'y a point dans la gazette de prédi
cateur qui ne soit des plus éloquents, et qui ne ravisse ses audi
teurs par la profondeur de sa science ; tous ceux qui meurent
sont illustres en piété ; les plus petits auteurs pourraient fairedes
livres des éloges qu'ils reçoivent de leurs amis ; de sorte que, dans
cette profusion de louanges, que l'on fait avec si peu de discer
nement, il y a sujet de s'étonner qu'il y ait des personnes qui en
soient si avides, et qui ramassent avec tant de soin celles qu'on
leur donne.
Il est impossible que cette confusion dans le langage ne pro
duise la même confusion dans l'esprit, et que ceux qui s'accou
tument à louer tout, ne s'accoutument aussi à approuver tout :
mais quand la fausseté ne serait que dans les paroles, et non dans
l'esprit, cela suffit pour en éloigner ceux qui aiment sincèrement
la vérité.
Il n'est pas nécessaire de reprendre tout ce qu'on voit de mal ;
mais il est nécessaire de ne louer que ce qui est véritablement
louable ; autrement l'on jette ceux qu’on loue de cette sorte dans
l'illusion, l'on contribue à tromper ceux qui jugent de ces per
sonnes par ces louanges, et l'on fait tort à ceux qui en méritent
de véritables, en les rendant communes à ceux qui n'en méritent
pas ; enfin l'on détruit toute la foi du langage , et l'on brouille
toutes les idbes des mots, en faisant qu'ils ne soient plus signes
de nos jugements et de nos pensées, mais seulement d'une civilité
extérieure qu'on veut rendre à ceux que l'on love, comme pour
rait être une révérence : car c'est tout ce que l'on doit conclure
des louanges et des compliments ordinaires.
engagwens Mandate visue's menten
IX. Entre les diverses manières par lesquelles l'amour -propre
jette les hommes dans l'erreur , ou plutôt les y affermit et les
empêche d'en sortir, il n'en faut pas oublier une, qui est sans
300 LOGIQUE .
doute des principales et des plus communes, c'est l'engagement
à soutenir quelque opinion, à laquelle on s'est attaché par d'au
tres considérations que par celles de la vérité ; car cette vue de
défendre son sentiment fait que l'on ne regarde plus, dans les
raisons dont on se sert, si elles sont vraies ou fausses, mais si elles
peuventservir à persuader ce que l'on soutient ; l'on emploie toutes
sortes d'arguments, bons et mauvais , afin qu'il y en ait pour tout
le monde, et l'on passe quelquefois jusqu'à dire des choses qu'on
sait bien être absolument fausses, pourvu qu'elles servent à la
ån qu'on se propose . En voici quelques exemples.
Une personne intelligente ne soupçonnera jamais Montaigne
d'avoir cru toutes les rêveries de l'astrologie judiciaire ; cepen
dant, quand il en a besoin pour rabaisser sottement les hommes,
il les emploie comme de bonnes raisons. « A considérer, dit -il , la
domination et puissance que ces corps-là ont, non-seulement sur
nos vies et conditions de notre fortune, mais sur nos inclina
tions mêmes, qu'ils régissent, poussent et agitent à la merci de
leurs influences, pourquoi les priverons-nous d'âme, de vie et
de discours ? »
Veut-il détruire l'avantage que les hommes ont sur les bêtes
par le commerce de la parole, il nous rapporte des contes ridi
cules, et dont il connaît l'extravagance mieux que personne, et
en tire des conclusions plus ridicules. « Il y en a , dit-il, qui se
sont vantés d'entendre le langage des bêtes, comme Apollonius
Thyaneus, Mélampus, Tirésias, Thalès et autres ; et puisqu'il est
ainsi, comme disent les cosmographes, qu'il y a des nations qui
reçoivent un chien pour roi, il faut bien qu'ils donnent certaine
interprétation à sa voix et à ses mouvements. »
L'on conclura, par cette raison , que quand Caligula fit son
cheval consul, il fallait bien que l'on entendit les ordres qu'il
donnait dans l'exercice de cette charge; mais on aurait tort d’ac
cuser Montaigne de cette mauvaise conséquence : son dessein
n'était pas de parler raisonnablement, mais de faire un amas
confus de tout ce qu'on peut dire contre les hommes ; ce qui est
néanmoins up vice très -contraire à la justesse de l'esprit et à la
sincérité d'un homme de bien .
Qui pourrait de même souffrir cet autre raisonnement du même
TROISIÈME PARTIE . 301

auteur sur le sujet des augures que les païens tiraient du vol des
oiseaux, et dont les plus sages d'entre eux se sont moqués. « De
toutes les prédictions du temps passé, dit-il , les plus anciennes
et les plus certaines étaient celles qui se tiraient du vol des oi
seaux ; nous n'avons rien de pareil ni de si admirable ; cette
règle, cet ordre du branler de leur aile, par lequel on tire des
conséquences des choses à venir, il faut bien qu'il soit conduit
par quelque excellent moyen à une si noble opération : car c'est
prêter à la lettre que d'attribuer ce grand effet à quelque ordon
nance naturelle, sans l'intelligence , le consentement et le dis
cours de celui qui le produit, et c'est une opinion évidemment
fausse . »
N'est-ce pas une chose assez plaisante que de voir un homme
qui ne tient rien d'évidemment vrai ni d'évidemment faux, dans
un traité fait exprès pour établir le pyrrhonisme et pour détruire
l'évidence de la certitude, nous débiter sérieusement ces rêveries
comme des vérités certaines, et traiter l'opinion contraire d'évi
demment fausse ? Mais il se moque de nous quand il parle de la
sorte, il est inexcusable de se jouer ainsi de ses lecteurs , en leur
disant des choses qu'il ne croit pas , et que l'on ne peut pas croire
sans folie.
Il était sans doute aussi bon philosophe que Virgile, qui n'at
tribue pas même à une intelligence qui soit dans les oiseaux les
changements réglés qu'on voit dans leurs mouvements selon la
diversité de l'air, dont on peut tirer quelque conjecture pour la
pluie et le beau temps, comme l'on peut voir dans ces vers ad
mirables des Géorgiques :
Haud equidem credo quia sit divinitus illis
Ingenium , aut rerum fato prudentia major :
Verum ubi tempestas ei cæli mobilis humor
Mutavere vias, et Juppiter uridus Austris
Denset, erant quæ rara modo, et quæ densa relaxat,
Vertuntur species animorum , et pectora motus
Nunc alios, alios dum nubila ventus agebat,
Concipiunt : hinc ille arium concentus in agris,
Et lætæ pecudes , et ovantes gutture corvi.
Mais ces égarements étant involontaires; il ne faut qu'avoir un
peu de bonne foi pour les éviter : les plus communs et les plus
302 LOGIQUE .
dangereux sont ceux que l'on ne reconnait pas, parce que l'en
gagement où l'on est entré de défendre un sentiment trouble la
vue de l'esprit, et lui fait prendre pour vrai tout ce qui sert à sa
fin ; et l'unique remède qu'on peut y apporter est de n'avoir pour
fin que la vérité, et d'examiner avec tant de soin les raisonne.
ments, que l'engagement même ne puisse pas nous tromper.

Des faux raisonnements qui naissent des objets mêmes .

On a déjà remarqué qu'il ne fallait pas séparer les causes inté


rieures de nos erreurs de celles qui se tirent des objets, que l'on
peut appeler extérieures, parce que la fausse apparence de ces
objets ne serait pas capable de nous jeter dans l'erreur, si la vo.
lonté ne poussait l'esprit à former un jugement précipité, lors
qu'il n'est pas suffisamment éclairé.
Mais, parce qu'elle ne peut aussi exercer cet empire sur l'en
tendement dans les chosos entièrement évidentes, il est visible
que l'obscurité des objets y contribue beaucoup, et même il y a
souvent des rencontres où la passion qui porte à mal raisonner
est assez imperceptible, et c'est pourquoi il est utile de considé
rer séparément ces illusions, qui naissent principalement des
choses mêmes.
ala segona du

) I. C'est
(6 'ment une opinion fausse et impie, que la vérité soit telle.
semblable au mensonge, et la vertu au vice, qu'il soit im
possible de les discerner ; mais il est vrai que dans la plu
part des choses il y a un mélange d'erreur et de vérité, de vice
et de vertu, de perfection et d'imperfection , et que ce mélange
est une des plus ordinaires sources des faux jugemonts des
hommes .
Car c'est par ce mélange trompeur que les bonnes qualités des
personnes qu'on estime font approuver leurs défauts, et que les
défauts de ceux qu'on n'estime pas font condamner ce qu'ils ont
de bon , parce que l'on ne considère pas que les personnes les
plus imparfaites ne le sont pas en tout, et que Dieu laisse aux
plus vertueuses des imperfections qui, étant des restes de l'infir
TROISIÈME PARTIE . 303
mité humaine, ne doivent pas être l'objet de notre imitation ni de
notre estime .
La raison en est que les hommes ne considèrent guère les cho
ses en détail ; ils ne jugent que selon leur plus forte impression,
et ne sentent que ce qui les frappe davantage : ainsi lorsqu'ils
aperçoivent dans un discours beaucoup de vérités, ils ne remar
quent pas les erreurs qui y sont mêlées; et, au contraire, s'il y a
des vérités mélées parmibeaucoup d'erreurs, ils ne font attention
qu'aux erreurs ; le fort emportant le faible, et l'impression la plus
vive étouffant celle qui est plus obscure.

Cependant il y a une injustice manifeste à juger de cette sorte :


il ne peut y avoir de juste raison de rejeter la raison, et la vérité
n'en est pas moins vérité pour être mêlée avec le mensonge : elle
n'appartient jamais aux hommes, quoique ce soient les hommes
qui la proposent; ainsi, encore que les hommes, par leurs mem
songes, méritent qu'on les condamne, les vérités qu'ils avancent
ne méritent pas d'être condamnées.
C'est pourquoi la justice et la raison demandent que, dans
toutes les choses qui sont ainsi mêlées de bien et de mal, on en
fasse le discernement, et c'est particulièrement dans cette sépa
ration judicieuse que paraft l'exactitude de l'esprit; c'est par là
que les Pères de l'Église ont tiré des livres des païens des choses
excellentes pour les mœurs, et que saint Augustin n'a pas fait de
difficulté d'emprunter d'un hérétique donatiste sept règles pour
l'intelligence de l'Écriture .
C'est à quoi la raison nous oblige lorsque l'on peut faire cette
distinction ; mais parce que l'on n'a pas toujours le temps d'exa
miner en détail ce qu'il y a de bien et de mal dans chaque chose,
il est juste en ces rencontres de leur donner le nom qu'elles mé
ritent selon leur plus considérable partie : ainsi, l'on doit dire
qu'un homme est bon philosophe lorsqu'il raisonne ordinairement
bien, et qu'un livre est bon lorsqu'il y a notablement plus de bien
que de mal.
Et c'est encore en quoi les hommes se trompent beaucoup, que
dans ces jugements généraux ; car ils n'estiment et ne blåment
souvent les choses que selon ce qu'elles ont de moins considéra
304 LOGIQUE .

ble, leur peu de lumière faisant qu'ils ne pénètrent pas ce qui


est le principal , lorsque ce n'est pas le plus sensible .
Ainsi, quoique ceux qui sont intelligents dans la peinture esti
ment infiniment plus le dessin que le coloris ou la délicatesse du
pinceau , néanmoins les ignorants sont plus touchés d'un tableau
dont les couleurs sont vives et éclatantes que d'un autre plus
sombre, qui serait admirable pour le dessin.
Il faut pourtant avouer que les faux jugements ne sont pas si
ordinaires dans les arts, parce que ceux qui n'y savent rien s'en
rapportent plus aisément aux sentiments de ceux qui y sont ha
biles ; mais ils sont bien fréquents dans les choses qui sont de la
juridiction du peuple, et dont le monde prend la liberté de juger,
comme l'éloquence.
On appelle, par exemple, un prédicateur éloquent, lorsque ses
périodes sont bien justes, et qu'il ne dit point demauvais mots ;
et, sur ce fondement, Vaugelas dit en un endroit qu'un mauvais
mot fait plus de tort à un prédicateur ou à un avocat qu'un mau
vais raisonnement. On doit croire que c'est une vérité de fait qu'il
rapporte et non un sentiment qu'il autorise ; et il est vrai qu'il se
trouve des personnes qui jugent de cette sorte, mais il est vrai
aussi qu'il n'y a rien de moins raisonnable que ces jugements ; car
la pureté du langage , le nombre des figures, sont tout au plus
dans l'éloquence ce que le coloris est dans la peinture, c'est -à -dire
que ce n'en est que la partie la plus basse et la plus matérielle ;
mais la principale consiste à concevoir fortement les choses, et à
les exprimer en sorte qu'on en porte dans l'esprit des auditeurs
une image vive et lumineuse, qui ne présente pas seulement ces
choses toutes nues , mais aussi les mouvements avec lesquels on
les conçoit ; et c'est ce qui peut se rencontrer en des personnes
peu exactes dans la langue et peu justes dans le nombre , et qui
se rencontre même rarement dans ceux qui s'appliquent trop aux
mots et aux embellissements , parce que cette vue les détourne
des choses , et affaiblit la vigueur de leurs pensées , comme les
peintres remarquent que ceux qui excellent dans le coloris n'ex
cellent pas ordinairement dans le dessin ; l'esprit n'étant pas ca
pable de cette double application , et l'une nuisant à l'autre.
On peut dire généralement que l'on n'estime dans le monde la
TROISIÈME PARTIE . 305

plupart des choses que par l'extérieur ; parce qu'il ne se trouve


presque personne qui en pénètre l'intérieur et le fond ; tout se
juge sur l'étiquelte, et malheur à ceux qui ne l'ont pas favorable !
Il est habile , intelligent, solide , tant que vous voudrez ; mais il
ne parle pas facilement, et ne se démêle pas bien d'un compli
ment : qu'il se résolve à etre peu estimé toute sa vie du commun
du monde , et à voir qu'on lui préfère une infinité de petits es
prits. Ce n'est pas un grand mal que de n'avoir pas la réputation
qu'on mérite; mais c'en est un considérable de suivre ces faux
jugements, et de ne regarder les choses que par l'écorce ; et c'est
ce qu'on doit tâcher d'éviter.
felisme cacher le nice du
II. Entre les causes qui nous engagent dans l'erreur par un
faux éclat qui nous empêche de les reconnaître, on peut mettre
- forum
avec raison une certaine éloquence pompeuse et magnifique , que
Cicéron appelle abundantem sonantibus verbis uberibusque sen
tentiis; car il est étrange combien un faux raisonnement se coule
doucement dans la suite d'une période qui remplit bien l'oreille ,
ou d'une figure qui nous surprend , et qui nous amuse à la re
garder.
Non-seulement ces ornements nous dérobent la vue des faus
setés qui se mêlent dans le discours , mais ils y engagent insen
siblement, parce que souvent elles sont nécessaires pour la jus
tesse de la période ou de la figure : ainsi , quand on voit un
orateur commencer une longue gradation , ou une antithèse à
plusieurs membres , on a sujet d'être sur ses gardes , parce qu'il
arrive rarement qu'il s'en tire sans donner quelque contorsion à
la vérité , pour l'ajuster à la figure : il en dispose ordinairement
comme l'on ferait des pierres d'un batiment ou du métal d'une
statue ; il la taille , il l'étend , il l'accourcit, il la déguise selon
qu'il lui est nécessaire pour la placer dans ce vain ouvrage de pa
roles qu'il veut former.
Combien le désir de faire une pointe a-t-il fait produire de
fausses pensées ! Combien la rime a- t-elle engagé de gens àmen
tir ! Combien l'affectation de ne se servir que des mots de Cicé
ron , et de ce qu'on appelle la pure latinité, a-t-elle fait écrire de
sottises à certains auteurs italiens ! Qui ne rirait d'entendre dire
20
306 LOGIQUE .
à Bembe ' qu'un pape avait été élu par la faveur des dieux im
mortels, deorum immortalium beneficiis ? Il y a même des poëtes
qui s'imaginent qu'il est de l'essence de la poésie d'introduire des
divinités païennes ; et un poëte allemand , aussi bon versificateur
qu'écrivain peu judicieux , ayant été repris , avec raison , par Fran
çois Pic de la Mirandes , d'avoir fait entrer dans un poëme où il
décrit des guerres de chrétiens contre chrétiens toutes les divi
nités du paganisme, et d'avoir mêlé Apollon , Diane, Mercure,
avec le pape, les électeurs et l'empereur, soutient nettement
que sans cela il n'aurait pas été poëte, en se servant, pour le
prouver, de cette étrange raison , que les vers d'Hésiode, d'Ho
mère et de Virgile sont remplis des noms et des fables de ces
dieux, d'où il conclut qu'il lui est permis de faire de même.
Ces mauvais raisonnements sont souvent imperceptibles à ceux
qui les font, et les trompent les premiers : ils s'étourdissent par
le son de leurs paroles ; l'éclat de leurs figures les éblouit, et la
magnificence de certains mots les attire, sans qu'ils s'en aper
çoivent, à des pensées si peu solides, qu'ils les rejetteraient sans
doute s'ils y faisaient quelque réflexion.
Il est croyable, par exemple, que c'est le mot de vestale qui a
flatté un auteur de ce temps, et qu'il l'a porté à dire à une de
moiselle, pour l'empêcher d'avoir honte de savoir le latin, qu'elle
ne devait pas rougir de parler une langue que parlaient les ves
tales ; car s'il avait considéré cette pensée , il aurait vu qu'on au
rait pu dire avec autant de raison à cette demoiselle qu'elle de
vait rougir de parler une langue que parlaient autrefois les
courtisanes de Rome, qui étaient en bien plus grand nombre que
les vestales, ou qu'elle devait rougir de parler une autre langue
que celle de son pays , puisque les anciennes vestales ne par.
laient que leur langue naturelle. Tous ces raisonnements, qui ne
valent rien , sont aussi bons que celui de cet auteur ; et la vérité

1. Pierre Bembo , né en 1470, mort en 1547 , secrétaire de Léon X ,


puis Cardinal, auteur de poésies latines , de sonnets à l'imitation des
anciens et d'un grand nombre de lettres.
2. François Pic de La Mirandole , neveu du célèbre Pic de La Mi
randole,
siècle.
un des rénovateurs des lettres et de la philosophie au seiziènie
TROISIÈME PARTIE . 307

est que les vestales ne peuvent servir de rien pour justifier ni


pour condamner les filles qui apprennent le latin .
Les faux raisonnements de cette sorte , que l'on rencontre si
souvent dans les écrits de ceux qui affectent le plus d'être élo
quents, font voir combien la plupart des personnes qui parlent
ou qui écrivent auraient besoin d'être bien persuadées de cette
excellente règle, qu'il n'y a rien de beau que ce qui est vrai; ce
qui retrancherait des discours une infinité de vains ornements
et de pensées fausses. Il est vrai que cette exactitude rend le
style plus sec et moins pompeux ; mais elle le rend aussi plus vif,
plus sérieux , plus clair et plus digne d'un honnête homme ; l'im
pression en est bien plus forte et bien plus durable ; au lieu que
celle qui naît simplement de ces périodes si ajustées, est telle
ment superficielle, qu'elle s'évanouit presque aussitôt qu'on les a
entendues .
do
89 Ill.
che
C'est un défaut très-ordinaire parmi les hommes de juger covered .
témérairement des actions et des intentions des autres , et l'on
n'y tombe guère que par un mauvais raisonnement, par lequel ,
en ne connaissant pas assez distinctement toutes les causes qui
peuvent produire quelque effet, on attribue cet effet précisément
à une cause, lorsqu'il peut avoir été produit par plusieurs au
tres; ou bien l'on suppose qu'une cause qui , par accident, a eu
un certain effet en une rencontre, et, étant jointe à plusieurs
circonstances, le doit avoir en toutes rencontres .
Un homme de lettres se trouve de même sentiment qu'un hé
rétique sur une matière de critique indépendante des contro
verses de la religion ; un adversaire malicieux en conclura qu'il
a de l'inclination pour les hérétiques, mais il le conclura témé
rairement et malicieusement, parce que c'est peut- être la raison
et la vérité qui l'engagent dans ce sentiment.
Un écrivain parlera avec quelque force contre une opinion qu'il
croit dangereuse. On l'accusera sur cela de haine et d'animosité
contre les auteurs qui l'ont avancée : mais ce sera injustement et
témérairement, cette force pouvant naftre de zèle pour la vérité,
aussi bien que de haine contre les personnes.
Un homme est ami d'un méchant : donc, conclut-on , il est lié
1

308 LOGIQUE ,
d'intérêt avec lui, et il est participant de ses crimes : cela ne
s'ensuit pas ; peut-être les a-t-il ignorés, et peut-être n'y a - t- il
point pris de part .
On manque de rendre quelque civilité à ceux à qui on en
doit : c'est, dit-on, un orgueilleux et un insolent ; mais ce n'est
peut- être qu'une inadvertance ou un simple oubli .
Toutes ces choses extérieures ne sont que des signes équivo
ques, c'est- à-dire qui peuvent signifier plusieurs choses ; et c'est
juger témérairement que de déterminer ce signe à une chose par
ticulière, sans en avoir de raison particulière : le silence est
quelquefois signe de modestie et de jugement, et quelquefois
de bélise ; la lenteur marque quelquefois la prudence, et quel
quefois la pesanteur de l'esprit; le changement est quelquefois
signe d'inconstance, et quelquefois de sincérité ; ainsi, c'est mal
raisonner que de conclure qu'un homme est inconstant, de cela
seul qu'il a changé de sentiment, car il peut avoir eu raison d'en
changer ,
Tredomis.de cochito
It+
IV. Les fausses inductions par lesquelles on tire des proposiale
19.
tions générales de quelques expériences particulières, sont uner
des plus communes sources des faux raisonnements des hommes.
Il ne leur faut que trois ou quatre exemples pour en former une
maxime et un lieu commun , et pour s'en servir ensuite de prin
cipe pour décider toute chose.
Il y a beaucoup de maladies cachées aux plus habiles méde
cins, et souvent les remèdes ne réussissent pas : des esprits
excessifs en concluent que la médecine est absolument inutile,
et que c'est un métier de charlatan .
Il y a des femmes légères et déréglées : cela suffit à des jaloux
pour concevoir des soupçons injustes contre les plus honnêtes,
et à des écrivains licencieux , pour les condamner toutes généra.
lement.
Il y a souvent des personnes qui cachent de grands vices sous
une apparence de piété : des libertins en concluent que toute la
dévotion n'est qu'hypocrisie .
Il y a des choses obscures et cachées, et l'on se trompe quel
quefois grossièrement. Toutes choses sont obscures et incertai.
TROISIÈME PARTIE . 309

nés, disent les anciens et les nouveaux pyrrhoniens, et nous ne


pouvons connaitre la vérité d'aucune chose avec certitude.
Il y a de l'inégalité dans quelques actions des hommes ; cela
suffit pour en faire un lieu commun, dont personne ne soit
excepté : « La raison , disent-ils , est si manque et si aveugle
qu'il n'y a nulle si claire facilité qu'il lui soit assez claire : l'aisé
et le malaisé lui sont tout un , tous sujets également; et la na
ture, en général, désavoue sa juridiction . Nous ne pensons co
que nous voulons qu'à l'instant que nous le voulons ; nous ne
voulons rien librement, rien absolument, rien constamment. »
La plupart du monde ne saurait représenter les défauts ou les
bonnes qualités des autres que par des propositions générales et
excessives. De quelques actions particulières, on en conclut l'ha
bitude ; de trois ou quatre fautes, on en fait une coutume : co
qui arrive une fois le mois ou une fois l'an, arrive tous les jours,
à toute heure, à tout moment dans les discours des hommes,
tant ils ont peu de soin de garder dans leurs paroles les bornes
de la vérité et de la justice.
Changement deleson a chowa evenem corporali
nol V. C'est une faiblesse etuneinjustice que l'on condamne souvent comers '
et que l'on évite peu , dejuger des conseils par les événements,et eloit am
derendre coupables ceux qui ont pris une résolution prudente selon et rent scenarie
les circonstances qu'ils pouvaient voir, de toutes les mauvaises
suites qui en sont arrivées , ou par un simple hasard , ou par la
malice de ceux qui l'ont traversée , ou par quelques autres ren
contres qu'il ne leur était pas possible de prévoir. Non -seulement
les hommes aiment autant être heureux que sages , mais ils ne font
pas de différence entre heureux et sages , ni entre malheureux et
coupables . Cette distinction leur paraft trop subtile . On est ingé.
nieux pour trouver les fautes que l'on s'imagine avoir attiré les
mauvais succès; et comme les astrologues , lorsqu'ils savent un
certain accident, ne manquent jamais de trouver l'aspect des as
tres qui l'a produit, on ne manque aussi jamais de trouver, après
les disgraces et les malheurs , que ceux qui y sont tombés les ont
mérités par quelque imprudence. H n'a pas réussi, il a donc tort .
C'est ainsi que l'on raisonne dans le monde, et qu'on y a toujours
raisonné, parce qu'il y a toujours eu peu d'équité dans les juge
310 LOGIQUE.

ments des hommes, et que, ne connaissant pas les vraies causes


des choses , ils en substituent selon les événements, en louant
ceux qui réussissent, et en blåmant ceux qui ne réussissent pas.
fophum . d aneraire et le ha maniere 19. Cerower
(11 ) VI. Mais il n'y a point de faux raisonnements plus fréquents
parmi les hommes, que ceux où l'on tombe, ou en jugeant témé
ajax. poort rairement de la vérité des choses par une autorité qui n'est pas
Limonis suffisante pour nous en assurer, ou en décidant le fond par la ma
mollis vero nière.Nous appellerons l’un le sophisme de l'autorité,etl'autre
a decides de le sophisme de la manière.
to veinte al Pour comprendre combien ils sont ordinaires, il ne faut que
grinim par considérer que la plupart des hommes ne se déterminent pointà
croire un sentiment plutôt qu'un autre, par des raisons solides et
la manere essentielles quien feraient connaitre la vérité,maispar certaines
dem albon marques extérieures et étrangères qui sont plus convenables, ou
exfrace. qu'ils jugent plus convenables à la vérité qu'à la fausseté.
La raison en est que la vérité intérieure des choses est souvent
assez cachée ; que les esprits des hommes sont ordinairement fai
bles et obscurs, pleins de nuages et de faux jours, au lieu que
ces marques extérieures sont claires et sensibles : de sorte que,
comme les hommes se portent aisément à ce qui leur est le plus
facile, ils se rangent presque toujours du côté où ils voient ces
marques extérieures qu'ils discernent facilement.
Elles peuvent se réduire à deux principales : l'autorité de celui
qui propose la chose, et la manière dont elle est proposée ; et ces
deux voies de persuader sont si puissantes qu'elles emportent
presque tous les esprits.
Ainsi Dieu , qui voulait que la connaissance certaine des mys
tères de la foi pût s'acquérir par les plus simples d'entre les fi
dèles, a eu la bonté de s'accommoder à cette faiblesse de l'esprit
des hommes, en ne la faisant pas dépendre d'un examen particu
lier de tous les points qui nous sont proposés à croire; mais en
nous donnant pour règle certaine de la vérité l'autorité de l'Église
universelle qui nous les propose, qui , étant claire et évidente,
retire les esprits de tous les embarras où les engageraient néces
sairement les discussions particulières de ces mystères .
Ainsi, dans les choses de la foi, l'autorité de l'Église univer
TROISIÈME PARTIE. 311

selle est entièrement décisive ; et tant s'en faut qu'elle puisse


être un sujet d'erreur, qu'on ne tombe dans l'erreur qu'en s'écar
tant de son autorité et en refusant de s'y soumettre .
On tire aussi , dans les matières de religion , des arguments
convaincants de la manière dont elles sont proposées. Quand on
a vu , par exemple, en divers siècles de l'Église, et principalement
dans le dernier, des hommes qui tâchaient de planter leurs opi
nions par le fer et par le sang ; quand on les a vus armés contre
l'Église par le schisme, contre les puissances temporelles par la
révolte, quand on a vu des gens sans mission ordinaire, sans
miracles, sans aucunes marques extérieures de piété, et plutôt
avec des marques sensibles de déréglement, entreprendre de
changer la foi et la discipline de l'Église, une manière si crimi
nelle était plus que suffisante pour les faire rejeter par toutes les
personnes raisonnables, et pour empêcher les plus grossières de
les écouter .
Mais dans les choses dont la connaissance n'est pas absolu
ment nécessaire, et que Dieu a laissées davantage au discerne
ment de la raison de chacun en particulier, l'autorité et la manière
ne sont pas si considérables , et elles servent souvent à engager
plusieurs personnes à des jugements contraires à la vérité.
On n'entreprend pas ici de donner des règles et des bornes
précises de la déférence qu'on doit à l'autorité dans les choses
humaines, mais de marquer seulement quelques fautes grossières
que l'on commet en cette matière .
Souvent on ne regarde que le nombre des témoins, sans consi
dérer si ce nombre fait qu'il soit plus probable qu'on ait rencontré
la vérité, ce qui n'est pas raisonnable. Car, comme un auteur de
ce temps a judicieusement remarqué, dans les choses difficiles et
qu'il faut que chacun trouve par soi-même, il est plus vraisem
blable qu'un seul trouvela vérité, que non pas qu'elle soit décou
verte par plusieurs ' . Ainsi ce n'est pas une bonne conséquence :

1. Descartes, Discours sur la méthode , IIe partie. « La pluralité des


voix n'est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu mal
aisées à découvrir, à cause qu'il est bien plus vraisemblable qu'un
homme seul les ait rencontrées que tout un peuple . »
312 LOGIQUE.

cette opinion est suivie du plus grand nombre des philosophes,


donc elle est la plus vraie .
Souvent on se persuade par certaines qualités qui n'ont au
cune liaison avec la vérité des choses dont il s'agit. Ainsi, il y a
quantité de gens qui croient, sans autre examen , ceux qui son
les plus âgés et qui ont plus d'expérience, dans les choses même
qui ne dépendent ni de l'âge ni de l'expérience, mais de la lu
mière de l'esprit .
La piété, la sagesse, la modération , sont sans doute les qualités
les plus estimables qui soient au monde, et elles doivent donner
beaucoup d'autorité aux personnes qui les possèdent, dans les
choses qui dépendent de la piété , de la sincérité, et même d'une
lumière de Dieu, qu'il est plus probable que Dieu communique
davantage à ceux qui le servent plus purement ; mais il y a une
infinité de choses qui ne dépendent que d'une lumière humaine,
d'une expérience humaine, d'une pénétration humaine, et dans
ces choses, ceux qui ont l'avantage de l'esprit et de l'étude mé
ritent plus de créance que les autres. Cependant il arrive souvent
le contraire , et plusieurs estiment qu'il est plus sûr de suivre
dans ces choses mêmes le sentiment des plus gens de bien.
Cela vient en partie de ce que ces avantages d'esprit ne sont
pas si sensibles que le règlement extérieur qui parait dans les
personnes de piété, et en partie aussi de ce que les hommes
n'aiment point à faire des distinctions; le discernement les em
barrasse ; ils veulent tout ou rien. S'ils ont créance à une per
sonne pour quelque chose, ils la croient en tout; s'ils n'en ont
point pour une autre , ils ne la croient en rien ; ils aiment les voies
courtes, décisives etabrégées; mais cette humeur, quoique ordi
naire, nelaisse pas d'être contraire à la raison, qui nousfait voir
que les mêmes personnes ne sont pas croyables en toul, parce
qu'elles ne sont pas éminentes en tout, et que c'est mal raisonner
que de cone ure : C'est un homme grave ; donc il est intelligent
et habile en toutes choses.

(13 celles
VII . Il est vrai que s'il y a des erreurs pardonnables, ce sont
où l'on s'engage en déférant plus qu'il ne faut au senti
ment de ceux qu'on estime gens de bien ; mais il y a une illusion
TROISIÈME PARTIE . 313

beaucoup plus absurde en soi , et qui est néanmoins très -ordi


naire, qui est de croire qu'un homme dit vrai , parce qu'il est de
condition , qu'il est riche ou élevé en dignité.
Ce n'est pas que personne fasse expressément ces sortes de rai
sonnements : Il a cent mille livres de rentes , donc il a raison ;
il est de grande naissance, donc on doit croire ce qu'il avance
comme véritable ; c'estun homme qui n'a point de bien , il a donc
tort : néanmoins il se passe quelque chose de semblable dans
l'esprit de la plupart des hommes, et qui emporte leur jugement
sans qu'ils y pensent.
Qu'une même chose soit proposée par une personne de qua
lité, ou par un homme de néant, on l'approuvera souvent dans
la bouche de cette personne de qualité, lorsqu'on ne daignera pas
même l'écouter dans celle d'un homme de basse condition . L'Écri
ture a voulu nous instruire de cette humeur des hommes, en la
présentant parfaitement dans ce livre de l'Ecclésiastique * :
Si le riche parle, dit-elle, tout le monde se tait, et on élève ses
paroles jusqu'aux nues ; si le pauvre parle , on demande qui est
celui- là ? Dives locutus est, et omnes tacuerunt et verbum illius
usque ad nubes perducent; pauper locutus est , et dicunt : Quis
est hic ?
Il est certain que la complaisance et la flatterie ont beaucoup
de part dans l'approbation que l'on donne aux actions et aux
paroles des personnes de condition , et qu'ils l'attirent souvent
aussi par une certaine grâce extérieure et par une manière d'agir
noble , libre et naturelle, qui leur est quelquefois si particulière
qu'elle est presque inimitable à ceux qui sont de basse naissance ;
mais il est certain aussi qu'il y en a plusieurs qui approuveni
tout ce que font et disent les grands, par un abaissement inté
rieur de leur esprit, qui plie sous le faix de la grandeur, et qui
n'a pas la vue assez ferme pour en soutenir l'éclat ; et que cette
pompe extérieure qui les environne en impose toujours un peu,
et fait quelque impression sur les âmes les plus fortes.
La raison de cette tromperie vient de la corruption du cœur

1. Chapitre xnı, v. 28 , 29. ( Note de Port- Royal.)


314 LOGIQUE .
des hommes, qui , ayant une passion ardente pour l'honneur et
les plaisirs, conçoivent nécessairement beaucoup d'amour pour
les richesses et les autres qualités par le moyen desquelles on
obtient ces honneurs et ces plaisirs. Or, l'amour que l'on a pour
toutes ces choses que le monde estime, fait que l'on juge heureux
ceux qui les possèdent ; et en les jugeant heureux, on les place
au-dessus de soi, et on les regarde comme des personnes émi
nentes et élevées. Cette accoutumance de les regarder avec
estime passe insensiblement de leur fortune à leur esprit. Les
hommes ne font pas d'ordinaire les choses à demi. On leur donne
donc une âme aussi élevée que leur rang, on se soumet à leurs
opinions, et c'est la raison de la créance qu'ils trouvent ordinai
rement dans les affaires qu'ils traitent.
Mais cette illusion est encore bien plus forte dans les grands
mêmes, qui n'ont pas eu soin de corriger l'impression que leur
fortune fait naturellement dans leur esprit, qu'elle n'est dans .
ceux qui leur sont inférieurs. Il y en a peu qui ne fassent une
raison de leur condition et de leurs richesses, et qui ne prétendent
que leurs sentiments doivent prévaloir sur celui de ceux qui sont
au-dessous d'eux. Ils ne peuvent souffrir que ces gens qu'ils
regardent avec mépris prétendent avoir autant de jugement et
de raison qu'eux ; et c'est ce qui les rend si impatients à la
moindre contradiction qu'on leur fait.
Tout cela vient encore de la même source, c'est-à-dire des
rausses idées qu'ils ont de leur grandeur, de leur noblesse et de
leurs richesses. Au lieu de les considérer comme des choses en
tièrement étrangères à leur être, qui n'empêchent pas qu'ils ne
soient parfaitement égaux à tout le reste des hommes, selon
l'âme et selon le corps , et qui n'empêchent pas qu'ils n'aient le
jugement aussi faible et aussi capable de se tromper que celui de
tous les autres, ils incorporent en quelque manière dans leur
essence toutes ces qualités de grand, de noble, de riche, de
maître, de seigneur, de prince ; ils en grossissent leur idée, et ne
se représentent jamais à eux -mêmes sans tous leurs titres, tout
leur attirail et tout leur train .
Ils s'accoutument à se regarder dès leur enfance comme une
espèce séparée des autres hommes ; leur imagination ne les mêle
TROISIÈME PARTIE . 315

jamais dans la foule du genre humain ; ils sont toujours comtes


ou ducs à leurs yeux et jamais simplement hommes ; ainsi , ils se
taillent une âme et un jugement selon la mesure de leur fortune,
et ne se croient pas moins au -dessus des autres par leur esprite
qu'ils le sont par leur condition et par leur fortune.
La sottise de l'esprit humain est telle qu'il n'y a rien qui ne lui
serve à grandir l'idée qu'il a de lui-même . Une belle maison , un
habit magnifique, une grande barbe, font qu'il s'en croit plus
habile, et, si l'on y prend garde, il s'estime davantage à cheval
ou en carrosse qu'à pied . Il est facile de persuader à tout le monde
qu'il n'y a rien de plus ridicule que ces jugements ; mais il est
très -difficile de se garantir entièrement de l'impression secrète
que toutes ces choses extérieures font dans l'esprit. Tout ce qu'on
peut faire est de s'accoutumer, autant qu'on le peut, à ne donner
aucune autorité à toutes les qualités qui ne peuvent en rien con
tribuer à trouver la vérité, et de n'en donner à celles mêmes qui
y contribuent qu'autant qu'elles y contribuent effectivement. L'âge,
la science, l'étude, l'expérience, l'esprit, la vivacité, la retenue,
l'exactitude, le travail, servent pour trouver la vérité des choses
cachées, et ainsi ces qualités méritent qu'on y ait égard ; mais il
faut pourtant les peser avec soin, et ensuite en faire comparaison
avec les raisons contraires, car de chacune de ces choses en par
ticulier on ne conclut rien de certain , puisqu'il y a des opinions
très- fausses qui ont été approuvées par des personnes de fort bon
esprit et qui avaient une grande partie de ces qualités.

( 13) surprises
VIII. Il y a encore quelque chose de plus trompeur dans les
qui naissent de la manière, car on est porté natu
rellement à croire qu'un homme a raison , lorsqu'il parle avec
gråce, avec facilité, avec gravité, avec modération et avec dou
ceur, et à croire, au contraire, qu’nn homme a tort, lorsqu'i
parle désagréablement, ou qu'il fait paraftre de l'emportement,
de l'aigreur, de la présomption dans ses actions et dans ses pa
roles .
Cependant, si l'on ne juge du fond des choses que par ces
manières extérieures et sensibles, il est impossible qu'on n'y soit
souvent trompé. Car il y a des gens qui débitent gravement et
316 LOGIQUE .

modestement des sottises ; et d'autres, au contraire, qui, étant


d'un naturel prompt, ou qui , étant même possédés de quelque
passion qui parait dans leur visage et dans leurs paroles, no
d'avoir la vérité de leur côté. Il y a des esprits fort
laissent pas
médiocres et très -superficiels qui , pour avoir été nourris à la
cour, où l'on étudie et où i’on pratique mieux l'art de plaire que
partout ailleurs, ont des manières fort agréables, sous lesquelles
ils font passer beaucoup de faux jugements; il y en a d'autres,
au contraire, qui, n'ayant aucun extérieur, ne laissent pas
d'avoir l'esprit grand et solide dans le fond. Il y en a qui parlent
mieux qu'ils ne pensent, et d'autres qui pensent mieux qu'ils ne
parlent. Ainsi , la raison veut que ceux qui en sont capables n'en
jugent point par ces choses extérieures, et qu'ils ne laissent pas
de se rendre à la vérité, non -seulement lorsqu'elle est proposée
avec ces manières choquantes et désagréables, mais lors même
qu'elle est mêlée avec quantité de faussetés : car une même
personne peut dire vrai en 'une chose et faux dans une autre,
avoir raison en ce point et tort en celui- là .
Il faut donc considérer ehaque chose séparément, c'est - à -dire
qu'il faut juger de la manière par la manière, et du fond par le
fond, et non du fond par la manière, ni de la manière par le
fond. Une personne a tort de parler avec colère, et elle a raison
de dire vrai ; et, au contraire, une autre à raison de parler
sagement et civileme រ7 et elle a tort d'avancer des faussetés.
Mais, comme il est raisonnable d'être sur ses gardes, pour ne
pas conclure qu'une chose est vraie ou fausse , parce qu'elle est
proposée de telle ou telle façon, il est juste aussi que ceux qui
désirent persuader les autres de quelque vérité qu'ils ont re
connue s'étudient à la revêtir des manières favorables qui sont
propres à la faire approuver, et à éviter les manières odieuses
qui ne sont capables que d'en éloigner les hommes.
Ils doivent se souvenir que, quand il s'agitd'entrer dans l'esprit
du monde, c'est peu de chose que d'avoir raison ; et que c'est un
grand mal de n'avoir que raison , et de n'avoir pas ce qui est né
cessaire pour faire goûter la raison .
S'ils honorent sérieusement la vérité, ils ne doivent pas la dés
honorer en la couvrant des marques de la fausseté et du nen
TROISIÈME PARTIE 317

songe ; et s'ils l'aiment sincèrement, ils ne doivent pas attirer sur


elle la haine et l'aversion des hommes par la manière choquante
dont ils la proposent. C'est le plus grand précepte de la rhéto
rique, qui est d'autant plus utile, qu'il sert à régler : &me aussi
bieu que les paroles ; car, encore que ce soient deux choses dif
férentes d'avoir tort dans la manière et d'avoir tort dans le fond ,
néanmoins les fautes de la manière sont souvent plus grandes et
plus considérables que celles du fond.
En effet, toutes ces manières fières, présomptueuses, aigres,
opiniâtres, emportées, viennent toujours de quelque déréglement
d'esprit, qui est souvent plus considérable que le défaut d'intel
ligence et de lumière qu'on reprend dans les autres ; et même
il est toujours injuste de vouloir persuader les hommes de cette
sorte ; car il est bien juste que l'on se rende à la vérité, quand
on la connaft; mais il est injuste que l'on exige des autres qu'ils
tiennent pour vrai tout ce que l'on croit, et qu'ils défèrent à
notre seule autorité ; et c'est néanmoins ce que l'on fait en pro
posant la vérité avec ces manières choquantes : car l'air du dis
cours entre ordinairement dans l'esprit avec les raisons , l'esprit
étant plus prompt pour apercevoir cet air qu'il ne l'est pour
comprendre la solidité des preuves, qui souvent ne se compren
nent point du tout. Or, l'air du discours étant ainsi séparé des
preuves, ne marque que l'autorité que celui qui parle s'attribue ;
de sorte que s'il est aigre et impérieux, il rebute nécessairement
l'esprit des autres, parce qu'il paraît qu'on veut emporter par
autorité , et par une espèce de tyrannie , ce qu'on ne doit obtenir
que par la persuasion et par la raison.
Cetie injustice est encore plus grande, s'il arrive qu'on em
ploie ces manières choquantes pour combattre des opinions com
munes et reçues ; car la raison d'un particulier peut bien être
préférée à celle de plusieurs, lorsqu'elle est plus vraie : mais un
particulier ne doit jamais prétendre que son autorité doive pré
valoir à celle de tous les autres.
Ainsi , non-seulement la modestie et la prudence, mais la jus
tice même oblige de prendre un air rabaissé quand on combat
des opinions communes ou une autorité affermie, parce qu'au
trement on ne peut éviter cette injustice, d'opposer l'autorité
318 LOGIQUE .
d'un particulier à une autorité, ou publique, ou plus grande et
plus établie. On ne peut témoigner trop de modération quand il
s'agit de troi bler la possession d'une opinion reçue ou d'une
créance acquise depuis longtemps. Ce qui est si vrai , que saint
Augustin l'étend même aux vérités de la religion, ayant donné
cette excellente règle à tous ceux qui sont obligés d'instruire les
autres.
« Voici de quelle sorte, dit-il, les catholiques sages et religieux
enseignent ce qu'ils doivent enseigner aux autres. Si ce sont des
choses communes et autorisées, ils les proposent d'une manière
pleine d'assurance, et qui ne témoigne aucun doute, en l'accom
pagnant de toute la douceur qui leur est possible ; mais si ce sont
des choses extraordinaires, quoiqu'ils en reconnaissent très-clai
rement la vérité, ils les proposent plutôt comme des doutes et
comme des questions à examiner, que comme des dogmes et des
décisions arrêtées, pour s'accominoder en cela à la faiblesse de
ceux qui les écoulent. » Que si une vérité est si haute qu'elle
surpasse les forces de ceux à qui l'on parle, ils aiment mieux la
retenir pour quelque temps, pour leur donner lieu de croître et

de s'en rendre capables, que de la leur découvrir en cet état de


faiblesse, od elle ne ferait que les accabler,
QUATRIÈME PARTIE .

DE LA MÉTHODE .

Il nous reste à expliquer la dernière partie de la logique, qui


regarde la méthode, laquelle est sans doute l'une des plus utiles
et des plus importantes. Nous avons cru devoir y joindre ce qui
regarde la démonstration , parce qu'elle ne consiste pas d'ordi
naire en un seul argument, mais dans une suite de plusieurs
raisonnements, par lesquels on prouve invinciblement quelque
vérité ; et que même il sert de peu, pour bien démontrer, de sa
voir les règles des syllogismes, ce à quoi l'on manque très- peu
souvent ; mais que le tout est de bien arranger ses pensées , en
se servant de celles qui sont claires et évidentes, pour pénétrer
dans ce qui paraissait plus caché.
Et, comme la démonstration a pour fin la science, il est néces
saire d'en dire quelque chose auparavant .

CHAPITRE PREMIER.

De la science ; qu'il y en a. Que les choses que l'on connait par l'esprit
sont plus certaines que ce que l'on connait par les sens. Qu'il y a
des choses que l'esprit humain est incapable de savoir. Utilité que
l'on peut tirer de cette ignorance nécessaire.

Si, lorsque l'on considère quelque maxime, on en connait la


vérité en elle-même, et par l'évidence qu'on y aperçoit, qui
320 LOGIQUE .
nous persuade sans autre raison, cette sorte de connaissance
s'appelle intelligence ; et c'est ainsi que l'on connaît les premiers
principes.
Mais si elle ne nous persuade pas par elle-même, on a besoin
de quelque autre motif pour s'y rendre, et ce motif est, ou l'au
torité, ou la raison. Si c'est l'autorité qui fait que l'esprit em
brasse ce qui lui est proposé , c'est ce qu'on appelle foi. Si c'est
la raison, alors, ou cette raison ne produit pas une entière con
viction, mais laisse encore quelque doute ; et cet acquiescement
de l'esprit, accompagné de doute, est ce qu'on nomme opinion.
Que si cette raison nous convainc entièrement , alors, ou elle
n'est claire qu'en apparence et faute d'attention ; et la persua
sion qu'elle produit est une erreur, si elle est fausse en effet, ou
du moins un jugement téméraire, si, étant vraie en soi, on n'a
pas néanmoins eu assez de raison de la croire véritable.
Mais, si cette raison n'est pas seulement apparente, mais so
lide et véritable, ce qui se reconnaît par une attention plus lon
gue et plus exacte, par une persuasion plus ferme, et par la qua
lité de la clarté qui est plus vive et plus pénétrante, alors la
conviction que cette raison produit s'appelle science, sur laquelle
on forme diverses questions.
La première est, s'il y en a, c'est -à -dire si nous avons des
connaissances fondées sur des raisons claires et certaines; ou , en
général, si nous avons des connaissances claires et certaines ;
car cette question regarde autant l'intelligence que la science.
Il s'est trouvé des philosophes qui ont fait profession de le
pier, et qui ont même établi sur ce fondement toute leur philo
sophie, et entre ces philosophes, les uns se sont contentés de
nier la certitude en admettant la vraisemblance ; et ce sont les
nouveaux académiciens : les autres, qui sont les pyrrhoniens,
ont même nié cette vraisemblance, et ont prétendu que toutes
choses étaient également obscures et incertaines.
Mais la vérité est que toutes ces opinions, qui ont fait tant de
bruit dans le monde, n'ont jamais subsisté que dans des discours,
des disputes on des écrits, et que personne n'en a jamais été sé -
rieusement persuadé. C'étaient des jeux et des amusements de
personnes oisives et ingénieuses, mais ce ne furent jamais des
QUATRIÈME PARTIE .
321
sentiments dont ils fussent intérieurement pénétrés , et par les
quels ils voulussent se conduire : c'est pourquoi le meilleur
moyen de convaincre ces philosophes était de les rappeler à leur
conscience et à la bonne foi, et de leur demander, après tous ces
discours par lesquels ils s'efforçaient de montrer qu'on ne peut
distinguer le sommeil de la veille, ni la folie du bon sens, s'ils
n'étaient pas persuadés, malgré toutes leurs raisons, qu'ils ne
dormaient pas, et qu'ils avaient l'esprit sain : et, s'ils eussent
eu quelque sincérité, ils auraient démenti toutes leurs vaines
subtilités, en avouant franchement qu'ils ne pouvaient pas ne
point croire toutes ces choses quand ils l'eussent voulu .
Que s'il se trouvait quelqu'un qui pût entrer en doute s'il ne
dort point ou s'il n'est point fou, ou qui pût même croire que
l'existence de toutes les choses extérieures est incertaine, et qu'il
est douteux s'il y a un soleil, une lune et une matière , au moins
personne ne saurait douter, comme dit saint Augustin ' , s'il est,
s'il pense, s'il vit : car, soit qu'il dorme ou qu'il veille, soit qu'il
ait l'esprit sain ou malade , soit qu'il se trompe ou qu'il ne se
trompe pas, il est certain au moins, puisqu'il pense, qu'il est et
qu'il vit, étant impossible de séparer l'étre et la vie de la pensée ,
et de croire que ce qui pense n'est pas et ne vit pas ; et de cette
connaissance claire , certaine et indubitable, il peut en former
une règle pour approuver comme vraies toutes les pensées qu'il
trouvera claires, comme celle-là lui paraft.
Il est impossible de même de douter de ses perceptions, en les
séparant de leur objet : qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas un soleil
et une terre, il m'est certain que je m'imagine en voir un ; il
m'est certain que je doute lorsque je doute ; que je crois voir
lorsque je crois voir ; que je crois entendre lorsque je crois en
tendre, et ainsi des autres : de sorte qu'en se renfermant dans son
esprit seul, et en y considérant ce qui s'y passe, on y trouve une
infinité de connaissances claires et dont il est impossible de
douter.
Cette considération peut servir à décider une autre question
que l'on fait sur ce sujet, qui est, si les choses que l'on ne con

1. Voyez les Soliloques de saint Augustin , liv. II , chap. I.


21
322 LOGIQUE .
nait que par l'esprit sont plus ou moins certaines que celles que
l'on connait par les sens : car il est clair , par ce que nous vo
nons de dire, que nous sommes plus assurés de nos perceptions
et de nos idées, que nous ne voyons que par une réflexion d'es
prit, que nous ne le sommes de tous les objets de nos sens
L'on peut dire même qu'encore que les sens ne nous trompent
pas toujours dans le rapport qu'ils nous font, néanmoins la cer
titude que nous avons qu'ils ne nous trompent pas ne vient pas
des sens , mais d'une réflexion de l'esprit par laquelle nous dis
cernons quand nous devons croire et quand nous ne devons pas
croire les sens.
Et c'est pourquoi il faut avouer que saint Augustin a eu raison
de soutenir , après Platon, que le jugement de la vérité et la règle
pour la discerner n'appartiennent point aux sens, mais à l'esprit:
Non est judicium veritatis in sensibus; et que même cette certi
tude que l'on peut tirer des sens ne s'étend pas bien loin , et
qu'il y a plusieurs choses que l'on peut savoir par les sens, et
dont on ne peut pas dire que l'on ait une assurance entière.
Par exemple, on peut bien savoir par les sens qu'un tel corps
est plus grand qu'un autre corps ; mais on ne saurait savoir avec
certitude: quelle est la grandeur véritable et naturelle de chaque
corps; et, pour comprendre cela, il n'y a qu'à considérer que si
tout le monde n'avait jamais regardé les objets extérieurs qu'a
vec des lunettes qui les grossissent, il est certain qu'on ne se
serait figuré les corps et toutes les mesures des corps que selon
la grandeur dans laquelle ils nous auraient été représentés par
ces lunettes : or, nos yeux mêmes sont des lunettes, et nous ne
savons pas précisément s'ils ne diminuent point ou n'augmentent
point les objets que nous voyons, et si les lunettes artificielles,
que nous croyons les diminuer ou les augmenter, ne les établis

1. La certitude peut provenir de différentes sources, porter sur diffé


rents objets; mais elle n'admet pas de degrés. Celle des sens est pos
térieure à celle de la conscience, mais sans y être inférieure, et les
spiritualistes, qui prennent exclusivement parti pour la seconde, ne
sont ni plus sages ni mieux avisés que les matérialistes, qui n'admet
lent que la première . C'est ce qu'il est superflu de vouloir prouver
i. près Thoinas Reid et l'école écossaise.
QUATRIÈME PARTIE . 323

sent point, au contraire, dans leur grandeur véritable ; et par


tant, on ne connait pas certainement la grandeur absolue et na
turelle de chaque corps.
On ne sait point aussi si nous les voyons de la même gran
deur que les autres hommes : car encore que deux personnes les
mesurant conviennent ensemble qu'un certain corps n'a, par
exemple, que cinq pieds, néanmoins ce que l'un conçoit par un
pied n'est peut- être pas ce que l'autre conçoit; car l'un conçoit
ce que ses yeux,lui rapportent, et un autre de même : or, peut
être que les yeux de l’un ne lui rapportent pas la même chose
que ce que les yeux des autres leur représentent, parce que ce
sont des lunettes autrement taillées.
Il y a pourtant beaucoup d'apparence que cette diversité n'est
pas grande, parce que l'on ne voit pas dans la conformation de
l'ail une différence qui puisse produire un changement bien no
table ; outre que, quoique nos yeux soient des lunettes , ce sont
pourtant des lunettes taillées de la main de Dieu ; et ainsi l'on a
sujet de croire qu'elles ne s'éloignent de la vérité des objets que
par quelques défauts qui corrompent ou troublent leur figure
naturelle.
Quoi qu'il en soit, si le jugement de la grandeur des objets est
incertain en quelque sorte, aussi n'est-il guère nécessaire ; et il
n'en faut nullement conclure qu'il n'y ait pas plus de certitude
dans tous les autres rapports des sens : car, si je ne sais pas
précisément, comme j'ai dit, quelle est la grandenr absolue et
naturelle d'un éléphant, je sais pourtant qu'il est plus grand
qu'un cheval et moindre qu'une baleine, ce qui suffit pour l'u
sage de la vie.
Il y a donc de la certitude et de l'incertitude et dans l'esprit
et dans les sens ; et ce serait une faute égale de vouloir faire
passer loutes choses ou pour certaines ou pour incertaines.
La raison , au contraire, nous oblige d'en reconnaître de trois
enres .
Car il y en a que l'on peut connaître clairement et certaine
ment ; il y en a que l'on ne connait pas, à la vérité, clairement,
mais que l'on peut espérer de pouvoir connaître, et il y en a
enfin qu'il est comme impossible de connaître avec certitude,
324 LOGIQUE .
ou parce que nous n'avons point de principes qui nous y con
duisent, ou parce qu'elles sont trop disproportionnées à notre
esprit.
Le premier genre comprend tout ce que l'on connaît par dé
monstration ou par intelligence.
Le second est la matière de l'étude des philosophes ; mais il
est possible qu'ils s'y occupent fort inutilement, s'ils ne savent le
distinguer du troisième, c'est- à-dire s'ils ne peuvent discerner
les choses où l'esprit peut arriver, de celles où il n'est pas ca
pable d'atteindre .
Le plus grand abrégement que l'on puisse trouver dans l'étude
des sciences est de ne s'appliquer jamais à la recherche de tout
ce qui est au - dessus de nous, et que nous ne saurions espérer
raisonnablement de pouvoir comprendre . De ce genre sont toutes
les questions qui regardent la puissance de Dieu , qu'il est
ridicule de vouloir renfermer dans les bornes étroites de notre
esprit , et généralement tout ce qui tient de l'infini; car notre
esprit étant fini, il se perd et s'éblouit dans l'infinité, et de
meure accablé sous la multitude des pensées contraires qu'elle
fournit .
C'est une solution très-commode et très-courte pour se tirer
d'un grand nombre de questions, dont on disputera toujours tant
que l'on en voudra disputer, parce que l'on n'arrivera jamais à
une connaissance assez claire pour fixer et arrêter nos esprits.
Est -il possible qu'une créature ait été créée dans l'éternité ? Dieu
peut-il faire un corps infini en grandeur, un mouvement infini en
vitesse, une multitude infinie en nombre ? Un nombre infini est- il
pair ou impair ? Y a - t -il un infini plus grand que l'autre? Celui
qui dira tout d'un coup : Je n'en sais rien , sera aussi avancé en
un moment que celui qui s'appliquera à raisonner vingt ans sur
ces sortes de sujets ; et la seule différence qu'il peut y avoir en
tre eux , est que celui qui s'efforcera de pénétrer ces questions
est en danger de tomber en un degré plus bas que la simple
ignorance, qui est de croire savoir ce qu'il ne sait pas.
Il y a de même une infinité de questions métaphysiques qui,
étant trop vagues, trop abstraites et trop éloignées des principes
clairs et connus, ne se résoudront jamais ; et le plus sûr est de
QUATRIÈME PARTIE. 325

s'en délivrer le plus tôt qu'on peut, et après avoir appris légère
ment qu'on les forme, se résoudre de bon cour à les ignorer.
Nescire quædam magna pars sapientiæ .
Par ce moyen , en se délivrant des recherches où il est comme
impossible de réussir, on pourra faire plus de progrès dans
celles qui sont plus proportionnées à notre esprit .
Mais il faut remarquer qu'il y a des choses qui sont incompré
hensibles dans leur manière, et qui sont certaines dans leur exis
tence. On ne peut concevoir comment elles peuvent être, et il
est certain néanmoins qu'elles sont.
Qu'y a - t-il de plus incompréhensible que l'éternité ? et qu'y
a-t-il en même temps de plus certain ? en sorte que ceux qui ,
par un aveuglement horrible, ont détruit dans leur esprit la con
naissance de Dieu , sont obligés de l'attribuer au plus vil et au
plus méprisable de tous les êtres , qui est la matière .
Quel moyen de comprendre que le plus petit grain de matière
soit divisible à l'infini, et que l'on ne puisse jamais arriver à une
partie si petite, que, non-seulement elle n'en enferme plusieurs
autres, mais qu'elle n'en enferme une infinité; que le plus petit
grain de blé enferme en soi autant de parties, quoique à proportion
plus petites, que le monde entier ; que toutes les figures imagina
bles s'y trouvent actuellement, et qu'il contienne en soi un petit
monde avec toutes ses parties, un soleil , un ciel, des étoiles , des
planètes, une terre dans une justesse admirable de proportions ;
et qu'il n'y ait aucune des parties de ce grain qui ne contienne
encore un monde proportionnel ! Quelle peutêtre la partie, dans ce
petit monde, qui répond à la grosseur d'un grain de bié, et quelle
effroyable différence doit-il y avoir, afin qu'on puisse dire vérita
blement que ce qu'est un grain de blé à l'égard du monde entier,
cette partie l'est à l'égard d'un grain de blél Néanmoins , cette
partie, dont la petitesse nous est déjà incompréhensible , contient
encore un autre mondo proportionnel, et ainsi à l'infini, sans
qu'on en puisse trouver aucune qui n'ait autant de parties pro
portionnelles que tout le monde, quelque étendue qu'on lui donne' .
1. Il faut rapprocher de ce passage l'admirable morceau de Pas .
326 LOGIQUE.

Toutes ces choses sont inconcevables , et 'néanmoins il faut


nécessairement qu'elles soient, puisque l'on démontre la divisi
bilité de la matière à l'infini, el que la géométrie nous en fournit
des preuves aussi claires que d'aucune des vérités qu'elle nous
découvre.
Car cette science nous fait voir qu'il y a de cortaines lignes
qui n'ont nulle mesure commune, et qu'elle appelle pour cette
raison incommensurables, comme la diagonale d'un carré et les
côtés. Or, si cette diagonale et ces côtés étaient composés d'un
certain nombre de parties indivisibles, une de ces parties indivi
sibles ferait la mesure commune de ces deux lignes ; et, par con
séquent, il est impossible que ces deux lignes soient composées
d'un certain nombre de parties indivisibles.
On démontre encore dans cette science qu'il est impossible
qu'un nombre carré soit double d'un autre nombre carré, et que
cependant il est très- possible qu'un carré d'étendue soit double
d'un autre carré d'étendue ; or, si ces deux carrés d'étendue
étaient composés d'un certain nombre de parties finies, le grand
carré contiendrait le double des parties du petit ; et tous les deux
étant carrés, il y aurait un carré de nombre double d'un autre
carré de nombre, ce qui est impossible.
Enfin il n'y a rien de plus clair que cette raison, que deux
néants d'étendue ne peuvent former une étendue, et que toute
étendue a des parties : or, en prenant deux de ces ' parties qu'on
suppose indivisibles, je demande si elles ont de l'étendue, ou si
elles n'en ont point ; si elles en ont, elles sont donc divisibles,
et elles ont plusieurs parties; și elles n'en ont point, ce sont donc
deux néants d'étendue ; et ainsi il est impossible qu'elles puissent
former une étendue.
Il faut renoncer à la certitude humaine pour douter de la vé
rité de ces démonstrations ; mais pour aider à concevoir, autant
qu'il est possible, cette divisibilité infinie de la matière, j'y join

cal : « Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini? mais pour lui présenter
un autre prodige aussi étonnant , etc. » Pensées, partie Ire, art. V , 1 ,
dans l'édition de Bossut , et dans l'édition de M. Feugère, t . II,
P. 65 et suiv ,
QUATRIÈME PARTIE . 327

drai encore une preuve qui fait voir en même temps une division
à l'infini et un mouvement qui se ralentit à l'infini sans arriver
jamais au repos .
Il est certain que quand on douterait si l'étendue peut se di
viser à l'infini, on ne saurait au moins douter qu'elle ne puisse
s'augmenter à l'infini, et qu'à un plan de cent mille lieues on ne
puisse en joindre un autre de cent mille lieues, et ainsi à l'infini :
or , cette augmentation infinie de l'étendue prouve sa divisibilité
à l'infini'; et, pour le comprendre, il n'y a qu'à s'imaginer une
mer plate, que l'on augmente en longueur à l'infini, et un vais
seau sur le bord de cette mer, qui s'éloigne du port en droite
ligne; il est certain qu'en regardant du port le bas du vaisseau
au travers d'un verre ou d'un autre corps diaphane, le rayon qui
se terminera au bas de ce vaisseau passera par un certain point
du verre, et que le rayon horizontal passera par un autre point
du verre plus élevé que le premier. Or, à mesure que le vaisseau
s'éloignera, le point du rayon qui se terminera au bas du vais
seau montera toujours, et divisera infiniment l'espace qui est
entre ces deux points ; et plus le vaisseau s'éloigoera , plas il
montera lentement, sans que jamais il cesse de monter, ni qu'il
puisse arriver au point du rayon horizontal, parce que ces deux
lignes se coupant dans l'ail , ne seront jamais ni parallèles, ni
une même ligne. Ainsi, cet exemple nous fournit en même temps
la preuve d'une division à l'infini de l'étendue, et d'un ralentis
sement à l'infini du mouvement.
C'est par cette diminution infinie de l'étendue, qui natt de sa
divisibilité, qu'on peut prouver ces problèmes qui semblent im
possibles dans les termes. Trouver un espace infini égal à un
espace fini, ou qui ne soit que la moitié, le tiers, etc., d'un es
pace fini. On peut les résoudre en diverses manières, et en voici
une assez grossière, mais très - facile. Si l'on prend la moitié d'un
carré, et la moitié de cette moitié, et ainsi à l'infini, et que l'on
joigne toutes ces moitiés par leur plus longue ligne, on en fera
un espace d'une figure irrégulière, et qui diminuera toujours à
l'infini par un des bouts, mais qui sera égal à tout le carré ; car
la moitié, et la moitié de la moitié, plus la moitié de cette se
conde moitié, et ainsi à l'infini, font le tout ; le tiers et le tiers
328 LOGIQUE .
du tiers , et le tiers du nouveau tiers , et ainsi à l'infini font la
moitié . Les quarts pris de la même sorte font le tiers, et les cin
quièmes le quart. Joignant bout à bout ces tiers ou ces quarts, on
en fera une figure qui contiendra la moitié ou le tiers de l'aire
du total , et qui sera infinie d'un côté en longueur, en diminuant
continuellement en largeur.
L'utilité qu'on peut tirer de ces spéculations n'est pas simple
ment d'acquérir ces connaissances, qui sont d'elles-mêmes assez
stériles ; mais c'est d'apprendre à connaitre les bornes de notre
esprit , et à lui faire avouer, malgré qu'il en ait , qu'il y a des
choses qui sont, quoiqu'il ne soit pas capable de les comprendre;
et c'est pourquoi il est bon de le fatiguer à ces subtilités, afin de
dompter sa présomption , et lui ôter la hardiesse d'opposer jamais
ses faibles lumières aux vérités que l'Église lui propose, sous
prétexte qu'il ne peut pas les comprendre; car puisque la vigueur
de l'esprit des hommes est contrainte de succomber au plus petit
atome de la matière, et d'avouer qu'il voit clairement qu'il est
infiniment divisible, sans pouvoir comprendre comment cela peut
se faire, n'est -ce pas pécher visiblement contre la raison que de
refuser de croire les effets merveilleux de la toute-puissance de
Diou , qui est d'elle-même incompréhensible, par cette raison que
notre esprit ne peut les comprendre ! .
Mais comme il est avantageux de faire sentir quelquefois à son
esprit sa propre faiblesse, par la considération de ces objets qui
le surpassent, et qui , le surpassant, l'abattent et l'humilient, il
est certain aussi qu'il faut tâcher de choisir, pour l'occuper ordi
nairement , des sujets et des matières qui lui soient plus propor
tionnés , et dont il soit capable de trouver et de comprendre la
vérité, soit en prouvant les effets par les causes, ce qui s'appelle
démontrer à priori ; soit en démontrant, au contraire, les causes
par les effets, ce qui s'appelle prouver à posteriori. Il faut un peu
étendre ces termes, pour y réduire toutes sortes de démonstra
tions ; mais il a été bon de les marquer en passant, afin qu'on
les enteude, et que l'on ne soit pas surpris en les voyant dans

1. La même pensée approfondie etdéveloppée se retrouve dans Bos


suet, Traité du libre arbitre, chap. IV.
QUATRIÈME PARTIE . 329

des livres ou dans des discours de philosophie ; et parce que ces


raisons sont d'ordinaire composées de plusieurs parties, il est
nécessaire, pour les rendre claires et concluantes, de les dispo
ser en un certain ordre et une certaine méthode ; et c'est de cette
méthode que nous traiterons dans la plus grande partie de ce
livre .

CHAPITRE II.

De deux sortes de méthodes, analyse et synthèse.


Exemple de l'analyse .

On peut appeler généralement méthode l'art de bien disposer


une suite de plusieurs pensées, ou pour découvrir la vérité, quand
nous l'ignorons, ou pour la prouver aux autres, quand nous la
connaissons déjà.
Ainsi : il y a deux sortes de méthodes ; l'une pour découvrir la
vérité, qu'on appelle analyse ou méthode de résolution, et qu'on
peut aussi appeler méthode d'invention ; et l'autre pour la faire
entendre aux autres, quand on l'a trouvée, qu'on appelle syn
thèse ou méthode de composition , et qu'on peut aussi appeler
méthode de doctrine.
On ne traite pas d'ordinaire par analyse le corps entier d'une
science , mais on s'en sert seulement pour résoudre quelque
question
Or, toutes les questions sont ou de mots ou de choses.

1. La plus grande partie de tout ce que l'on dit ici des questions, a
été tirée d'un manuscrit de Descartes que M. Clerselier a eu la bonté
de prêter. (Note de Port-Royal .)
Le manuscrit de Descartes, que Clerselier avait prêté à Arnauld,
est celui des Règles pour la direction de l'esprit, Regulæ ad direc
tionem ingenii . L'ouvrage , composé en latin , parut pour la première
fois en 1701, à Amsterdam , parmiles Opera posthuma Cartesii. M.Cou
sin en a donné une traduction française au tome XI de son édition
des cuvres de Descartes,
330 LOGIQUE .

J'appelle ici questions de mots, non pas celles où on cherche


des mots, mais celles où , par les mots, on cherche des choses,
comme celles où il s'agit de trouver le sens d'une énigme, ou
d'expliquer ce qu'a voulu dire un auteur par des paroles obscures
et ambiguès.
Les questions de choses peuvent se réduire à quatre principales
espèces.
La première est quand on cherche les causes par les effets. On
sait, par exemple, les divers effets de l'aimant ; on en cherche la
cause : on sait les divers effets qu'on a accoutumé d'attribuer à
l'horreur du vide ; on cherche si c'en est la vraie cause, et on a
trouvé que non : on connaît le flux et le reflux de la mer ; on
demande quelle peut être la cause d'un si grand mouvement et
si réglé ?
La deuxième est quand on cherche les effets par les causes. On
a su , par exemple, de tout temps, que le vent et l'eau avaient
grande force pour mouvoir les corps; mais les anciens n'ayant pas
assez examiné quels pouvaient être les effets de ces causes, ne
les avaient point appliqués, comme on a fait depuis, par le moyen
des moulins, à un grand nombre de choses très-utiles à la société
humaine, et qui soulagent notablement le travail des hommes,
ce qui devrait être le fruit de la vraie physique : de sorte que
l'on peut dire quela première sorte des questions, où l'on cherche
les causes par les effets, fait toute la spéculation de la physique;
et que la seconde sorte, où l'on cherche les effets par les causes,
en fait toute la pratique.
La troisième espèce des questions est, quand par les parties on
cherche le tout ; comme lorsqu'ayant plusieurs nombres, on en
cherche la somme, en les ajoutant l'un à l'autre : ou qu'en ayant
deux, on en cherche le produit, en les multipliant l'un par l'autre.
La quatrième est quand, ayant le tout et quelque partie , on
cherche une autre partie ; comme lorsque ayant un nombre et ce
que l'on en doit ôter, on cherche ce qui restera ; ou qu'ayant un
nombre, on cherche quelle en sera la tantième partie.
Mais il faut remarquer que, pour étendre plus loin ces deux
dernières sortes de questions, et afin qu'elles comprennent ce qui
ne pourrait pas proprement se rapporter aux deux premières, il
QUATRIÈME PARTIE. 331
faut prendre le mot de partie plus généralement pour tout ce que
comprend une chose, ses modes, ses extrémités, ses accidents,
ses propriétés, et généralemnnt tous ses attributs; de sorte que
ce sera , par exemple , chercher un tout par ses parties , que de
chercher l'aire d'un triangle par sa hauteur et par sa base ; et ce
sera , au contraire , chercher une partie par le tout et une autre
partie, que de chercher le côté d'un rectangle par la connaissance
qu'on a de son aire et de l'un de ses côtés.
Or, de quelque nature que soit la question que l'on propose à
résoudre , la première chose qu'il faut faire est de concevoir nette
ment et distinctement ce que c'est précisément qu'on demande,
c'est- à -dire quel est le point précis de la question.
Car il faut éviter ce qui arrive à plusieurs, qui, par une préci.
pitation d'esprit, s'appliquent à résoudre ce qu'on leur propose
avant que d'avoir assez considéré par quels signes et par quelles
marques ils pourront reconnaitre ce qu'ils cherchent, quand
ils le rencontreront : comme si un valet à qui son 'maftre au
rait commandé de chercher l'un de ses amis, se hâtait d'y aller
avant que d'avoir su particulièrement de son maitre quel est cet
ami .

Or, encore que dans toute question il y ait quelque chose d'in
connu , autrement il n'y aurait rien à chercher, il faut néanmoins
que cela même qui est inconnu soit marqué et désigné par de cer
taines conditions qui nous déterminent à rechercher une chose
plutôt qu'une autre, et qui puissent nous faire juger, quand nous
l'aurons trouvée, que c'est ce que nous cherchions.
Et ce sont ces conditions que nous devons bien envisager
d'abord, en prenant garde de n'en point ajouter qui ne soient
pas enfermées dans ce que l'on a proposé, et de n'en point omettre
qui y seraient enfermées ; car on peut pécher en l’une et en l'autre
manière .
On pécherait en la première manière, si , lors, par exemple,
que l'on nous demande quel est l'animal qui, au matin, marche à
quatre pieds, à midi à deux, et au soir à trois, on se croyait
astreint de prendre tous ces mots de pied , de matin, de midi,
de soir dans leur propre et naturelle signification , car celui
qui propose cette énigme n'a point mis pour condition qu'on
332 LOGIQUE .
dût les prendre de la sorte ; mais il suffit que ces mots
puissent , par métaphore, se rapporter à une autre chose ; ot ainsi
cette question est bien résolue, quand on a dit que cet animal
est l'homme.
Supposons encore qu'on nous demande par quel artifice pouvait
avoir été faite la figure d'un Tantale, qui, étant couché sur une
colonne, au milieu d'un vase, en posture d'un homme qui se penche
pour boire , ne pouvait jamais le faire, parce que l'eau pouvait
bien monter dans le vase jusqu'à sa bouche, mais s'enfuyait toute
sans qu'il en demeuråt rien dans le vase aussitôt qu'elle était ar
rivée jusqu'à ses lèvres, on pécherait, en ajoutant des conditions
qui ne serviraient de rien à la solution de cette demande, si on
s'amusait à chercher quelque secret inerveilleux dans la figure de
ce Tantale qui ferait fuir cette eau aussitôt qu'elle aurait touché
ses lèvres, car cela n'est point enfermé dans la question ; et si on
le conçoit bien, on doit la réduire à ces termes, de faire un vase
qui tienne l'eau, n'étant plein que jusqu'à une certaine hauteur,
et qui la laisse touie aller, si on le remplit davantage ; et cela est
fort aisé ; car il ne faut que cacher un siphon dans la colonne, qui
ait un petit trou en bas par où l'eau y entre, et dont la plus
longue jambe ait son ouverture par-dessous le pied du vase : tant
que l'eau que l'on mettra dans le vase ne sera pas arrivée au haut
du siphon, elle y demeurera; mais quand elle y sera arrivée, elle
s'enfuira touté par la plus longue jambe du siphon , qui est ouverte
au - dessous du pied du vase.
On demande encore quel pouvait être le secret de ce buveur
d'eau qui se fit voir à Paris, il y a vingt ans, et comment il pou
vait se faire qu'en jetant de l'eau de sa bouche, il remplit en
même temps cinq ou six verres différents d'eaux de diverses cou
leurs. Si on s'imagine que ces eaux de diverses couleurs étaient
dans son estomac, et qu'il les séparait en les jetant l'une dans un
verre et l'autre dans l'autre, on cherchera un secret que l'on ne
trouvera jamais, parce qu'il n'est pas possible : lieu qu'on n'a
qu'à chercher pourquoi l'eau sortie en même temps de la même
bouche paraissait de diverses couleurs dans chacun de ces verres ;
et il y a grande apparence que cela venait de quelque teinture
qu'il avait mise au fond de ces verres.
QUATRIÈME PARTIE . 333

C'est aussi l'artifice de ceux qui proposent des questions qu'ils


ne veulent pas que l'on puisse résoudre facilement, d'environner
ce qu'on doit trouver de tant de conditions inutiles, et qui ne ser
vent de rien à le faire trouver, que l'on ne puisse pas facilement
découvrir le vrai point de la question, et qu'ainsi on perde le
temps et on se fatigue inutilement l'esprit en s'arrêtant à des
choses qui ne peuvent contribuer en rien à la résoudre.
L'autre manière dont on pèche, dans l'examen des conditions
de ce que l'on cherche, est quand on en omet qui sont essentielles
à la question que l'on propose. On propose , par exemple, de
trouver par art le mouvement perpétuel ; car on sait bien qu'il y
en a de perpétuels dans la nature, comme sont les mouvements
des fontaines, des rivières, des astres. Il y en a qui , s'étant ima
giné que la terre tourne sur son centre, et que ce n'est qu'un
gros aimant dont la pierre d'aimant a toutes les propriétés, ont
cru aussi qu'on pourrait disposer un aimant de telle sorte qu'il
tournerait toujours circulairement; mais quand cela serait, on
n'aurait pas satisfait au problème de trouver par art le mouve
ment perpétuel, puisque ce mouvement serait aussi naturel que
celui d'une roue qu'on expose au courant d'une rivière.
Lors donc qu'on a bien examiné les conditions qui désignent et
qui marquent ce qu'il y a d'inconnu dans la question , il faut en
suite examiner ce qu'il y a de connu , puisque c'est par là qu'on
doit arriver à la connaissance de ce qui est inconnu ; car il ne faut
pas nous imaginer que nous devions trouver un nouvean genre
d'être, au lieu que notre lumière ne peut s'étendre qu'à recon
naftre que ce quo l'on cherche participe en telle et telle manière
à la nature des choses qui nous sont connues. Si un homme, par
exemple, était aveugle de naissance, on se tuerait en vain de cher
cher des arguments et des preuves pour lui faire avoir les vraies
idées des couleurs telles que nous les avons par les sens ; et de
même, si l'aimant et les autres corps dont on cherche la nature
étaient un nouveau genre d'êtres, et tel que notre esprit n'en aurait
point conçu de semblables, nous ne devrions pas nous attendre d
le connaître jamais par raisonnement; mais nous aurions besoin
pour cela d'un autre esprit que le nôtre . Et ainsi on doit croire
avoir trouvé tout ce qui peut se trouver par l'esprit huniain , si on
334 LOGIQUE .

peut concevoir distinctement un tel mélange des êtres et des na


tures qui nous sont connus , qu'il produise tous les effets que
nous voyons dans l'aimant ' .
Or, c'est dans l'attention que l'on fait à ce qu'il y a de connu
dans la question que l'on veut résoudre , que consiste principale
ment l'analyse ; tout l'art étant de tirer de cet examen beaucoup
de vérités qui puissent, nous mener à la connaissance de ce que
nous cherchons.
Comme si l'on propose : Si l'âme de l'homme est immortelle, et
que, pour le chercher, on s'applique à considérer la nature de
notre âme, on y remarque, premièrement, que c'est le propre de
l'âme de penser, et qu'elle pourrait douter de tout, sans pouvoir
douter si elle pense, puisque le doute même est une pensée . On
examine ensuite ce que c'est que de penser ; et, ne voyant point
que dans l'idée de la pensée, il y ait rien d'enfermé de ce qui est
enfermé dans l'idée de la substance étendue qu'on appello corps,
et qu'on peut même nier de la pensée tout ce qui appartient au
corps, comme d'être long, large, profond, d'avoir diversité de par
ties, d'être d'une telle ou d'une telle figure, d'être divisible , etc.,
sans détruire pour cela l'idée qu'on a de pensée , on en conclut
que la pensée n'est point un mode de la substance étendue , parce
qu'il est de la nature du mode de ne pouvoir être conçu en niant
de lui la chose dont il serait mode. D'où l'on infère encore que la
pensée n'étant point un mode de la substance étendue, il faut que
ce soit l'attribut d'une autre substance ; et qu'ainsi la substance
qui pense et la substance étendue soient deux substances réelle
ment distinctes. D'où il s'ensuit que la destruction de l'une ne doit
point emporter la destruction de l'autre; puisque même la sub
stance étendue n'est point proprement détruite, mais que tout ce
qui arrive, en ce que nous appelonsdestruction, n'est autre chose .
que le changement ou la dissolution de quelques parties de la ma.
tière, qui demeure toujours dans la nature, comme nous jugeons
fort bien qu'en rompant toutes les roues d'une horloge, il n'y a
point de substance détruite, quoique l'on dise que cette horloge
est détruite : ce qui fait voir que l'âme, n'étant point divisible et

1. Ici s'arrête l'emprunt fait à Descartes.


QUATRIÈME PARTIE . 335

composée d'aucunes parties, ne peut périr, et par conséquent


qu'elle est immortelle.
Voilà ce qu'on appelle analyse our résolution, où il faut remar
quer lº qu'on doit y pratiquer, aussi bien que dans la méthode
qu'on appelle de composition , de passer toujours de ce qui est plus
connu à ce qui l'est moins; car il n'y a point de vraie méthode
qui puisse se dispenser de cette règle ;
20 Mais qu'elle diffère de celle de composition, en ce que l'on
prend ces vérités connues dans l'examen particulier de la chose
que l'on se propose de connaitre, et non dans les choses plus gén
nérales, comme on fait dans la méthode de doctrine. Ainsi, dans
l'exemple que nous avons proposé, on ne commence pas parl’éta 1

blissement de ces maximes générales : que nulle substance no


périt à proprement parler ; que ce qu'on appelle destruction n'est
qu'une dissolution de parties ; qu'ainsi ce qui n'a point de par
ties ne peut être détruit, etc.; mais on monte par degrés à ces
connaissances générales.
3o On n'y propose les maximes claires et évidentes qu’à me
sure qu'on en a besoin, au lieu que dans l'autre, on les établit
d'abord , ainsi que nous dirons plus bas.
4º Enfin ces deux méthodes ne different que comme le chemin
qu'on fait en montant d'une vallée en une montagne, de celui que
l'on fait en descendant de la montagne dans la vallée ; ou comme
diffèrent les deux manières dont on peut se servir pour prouver
qu'une personne est descendue de saint Louis, dont l'une est de
montrer que cette personne a tel pour père , qui était fils d'un tel,
et celui-là d'un autre, et ainsi jusqu'à saint Louis ; et l'autre de
commencer par saint Louis, et montrer qu'il a eu tels enfants, et
ces enfants d'autres, en descendant jusqu'à la personne dont il
s'agit : et cet exemple est d'autant plus propre, en cette rencontre,
qu'il est certain que, pour trouver une généalogie inconnue, il
faut remonter du fils au père : au lieu que, pour l'expliquer après
l'avoir trouvée , la manière la plus ordinaire est de commencer
par le tronc pour en faire voir les descendants ; qui est aussi co
qu'on fait d'ordinaire dans les sciences, où, après s'être servi de
l'analyse pour trouver quelque vérité, on se sert de l'autre mé
thode pour expliquer ce qu'on a trouvé.
336 LOGIQUE.
On peut comprendre par là ce que c'est que l'analyse des géo
mètres : car voici en quoi elle consiste. Une question leur ayant
été proposée, dont ils ignorent la vérité ou la fausseté, si c'est un
théorème , la possibilité ou l'impossibilité, si c'est un problème,
ils supposent que cela est comme il est proposé; et, examinant
ce qui s'ensuit de là, s'ils arrivent, dans cet examen, à quelque
vérité claire dont ce qui leur est proposé soit une suite néces
saire, ils en concluent que ce qui leur est proposé est vrai ; et
reprenant ensuite par où ils avaient fini, ils le démontrent par
l'autre méthode qu'on appelle de composition. Mais s'ils tombent,
par une suite nécessaire de ce qui leur est proposé, dans quelque
absurdité ou impossibilité, ils en concluent que ce qu'on leur
avait proposé est faux et impossible.
Voilà ce qu'on peut dire généralement de l'analyse, qui consiste
plus dans le jugement et dans l'adresse de l'esprit que dans des
règles particulières. Ces quatre néanmoins, que Descartes propose
dans sa Méthode, peuvent être utiles pour se garder de l'erreur
en voulant rechercher la vérité dans les sciences humaines,
quoique, à dire vrai, elles soient générales pour toutes sortes de
méthodes, et non particulières pour la seule analyse.
La 1re est de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu'on
ne la connaisse évidemment être telle, c'est -à - dire d'éviter soi
gneusement la précipitation et la prévention , et de ne comprendre
rien de plus en ses jugements que ce qui se présente si clairement
à l'esprit, qu'on n'ait aucune occasion de le mettre en doute.
La 2e, de diviser chacune des difficultés qu'on examine en autant
de parcelles qu'il se peut, et qu'il est requis pour les résoudre.
La 3e, de conduire par ordre ses pensées , en commençant par
les objets les plus simples et les plus aisés à connaitre, pour monter
peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus
composés, et supposant méme de l'ordre entre ceux qui ne se pré
cèdent point naturellement les uns les autres .
La 4€ , de faire partout des dénombrements si entiers et des
revues si générales, qu'on puisse s'assurer de ne rien omettre.
Il est vrai qu'il y a beaucoup de difficulté à observer ces règles ;
mais il est toujours avantageux de les avoir dans l'esprit, et de
QUATRIÈME PARTIE . 337
les garder autant que l'on peut lorsqu'on veut trouver la vérité
par la voie de la raison, et autant que notre esprit est capable
de la connaître.

CHAPITRE II ,

De la méthode de composition , et particulièrement de celle


qu'observent les géomètres.

Ce que nous avons dit dans le chapitre précédent nous a déjà


donné quelque idée de la méthode de composition, qui est la plus
importante, en ce que c'est celle dont on se sert pour expliquer
toutes les sciences.
Cette méthode consiste principalement à commencer par les
choses les plus générales et les plus simples, pour passer aux
moins générales et plus composées. On évite par là les redites ;
puisque, si on traitait les espèces avant le genre, comme il est
impossible de bien connaitre une espèce sans en connaître le
genre, il faudrait expliquer plusieurs fois la nature du genre dans
l'explication de chaque espèce.
Il y a encore beaucoup de choses à observer pour rendre cette
méthode parfaite et entièrement propre à la fin qu'elle doit se
proposer, qui est de nous donner une connaissance claire et dis
tincte de la vérité : mais, parce que les préceptes généraux sont
plus difficiles à comprendre, quand ils sont séparés de toute ma
tière, nous considérerons la méthode quộ suivent les géomètres
comme étant celle qu'on a toujours jugée la plus propre pour
persuader la vérité et en convaincre entièrement l'esprit ; et nous
ferons voir premièrement ce qu'elle a de bon, et en second lieu
ce qu'elle semble avoir de défectueux.
Les géomètres ayant pour but de n'avancer rien que de con
vaincant, ils ont cru pouvoir y arriver en observant trois choses
en général.
22
338 LOGIQUE .
La 1re est de ne laisser aucune ambiguïté dans les termes, à
quoi ils ont pourvu par les définitions des mots dont nous avons
parlé dans la première partie .
La 2e est de n'établir leurs raisonnements que sur des principes
clairs et évidents, et qui ne puissent être contestés par aucune
personne d'esprit : ce qui fait qu'avant toutes choses ils posent
les axiomes qu'ils demandent qu'on leur accorde, comme étant si
clairs, qu'on les obscurcirait en voulant les prouver.
La 3. est de prouver démonstrativement toutes les conclusions
qu'ils avancent, en ne se servant que des définitions qu'ils ont
posées, des principes qui leur ont été accordés comme étant très
évidents, ou des propositions qu'ils en ont déjà tirées par la force
du raisonnement, et qui leur deviennent après autant de prin
cipes.
Ainsi, on peut réduire à ces trois chefs tout ce que les géomè
tres observent pour convaincre l'esprit, et renfermer le tout en
ces cinq règles très- importantes.

RÈGLES NÉCESSAIRES :

Pour les définitions.

1re. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou équivoques,


sans le définir.
2º . N'employer dans les définitions que des termes parfaitement
connus ou déjà expliqués.
Formas
Pour les axiomes.

3. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évi


dentes...
Vietis !!! Pour les démonstrations.

4º . Prouver toutes les propositions un peu obscures, on n'em I

ployant à leur preuve que les définitions qui auront precedé, ou les
axiomes qui auront été accordés , ou les propositions qui auron :
déjà été démontrées , ou la construction de la chose méme dont el
s'agira , lorsqu'il y aura quelque opération à faire.
5. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquaut d'y
QUATRIÈME PARTIE . 339

substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui


les expliquent.
Voilà ce que les géomètres ont jugé nécessaire pour rendre les
preuves convaincantes et invincibles : et il faut avouer que l'at
tention à observer ces règles est suffisante pour éviter de faire
de faux raisonnements en traitant les sciences, ce qui sans doute
est le principal, tout le reste pouvant se dire utile plutôt que né
cessaire ",

CHAPITRE IV

Explication plus particulière de ces règles, et premièrement de celles


qui regardent les définitions.

Quoique nous ayons déjà parlé dans la première partie de l'uti


lité des définitions des termes, néanmoins cela est si important
que l'on ne peut trop l'avoir dans l'esprit ; puisque par là on dé
mêle une infinité de disputes qui n'ont souvent pour sujet que
l'ambiguïté des termes, que l'on prend en un sens, et l'autre en
un autre : de sorte que de très- grandes contestations cesseraient
en un moment, si l'un ou l'autre des disputants avait soin de
marquer nettement et en peu de paroles ce qu'il entend par les
termes qui sont le sujet de la dispute.
Cicéron a remarqué que la plupart des disputes entre les philo
suphes anciens, et surtout entre les Stoïciens et les Académi
ciens ” , n'étaient fondées que sur cette ambiguïté de paroles, les
Slożciens ayant pris plaisir, pour se relever, de prendre les termes
de la morale en d'autres sens que les autres, ce qui faisait croire
que leur morale était bien plus sévère et plus parfaite, quoique
en effet cette prétendue perfection ne fût que dans les mots, et non
1. Ces règles, comme nous l'avons annoncé plus haut sont , emprun
tées à Pascal, dans le fragment intitulé de l'art de persuader.
2. De finibus, III, 26 et 27 .
340 LOGIQUE ,

dans les choses : le sage des Stoïciens ne prenant pas moins tous
les plaisirs de la vie que les philosophes des autres sectes qui pa
raissaient moinsrigoureux, et n'évitant pas avec moins de soins les
maux et les incommodités, avec cette seule différence, qu'au lieu
que les autres philosophes se servaient des mots ordinaires de
biens et de maux, les Stoiciens, en jouissant des plaisirs, ne les
appelaient pas des biens, mais des choses préférables, seponguéva,
et en fuyant les maux, ne les appelaient pas des maux , mais
seulement des choses rejetables, & TOPONYMÉva .
C'est donc un avis très-utile de retrancher de toutes les dis
putes tout ce qui n'est fondé que sur l'équivoque des mots, en
les définissant par d'autres termes si clairs qu'on ne puisse plus
s'y méprendre.
A cela sert la première des règles que nous venons de rappor
ter : Ne laisser aucun terme un peu obscur ou équivoque qu'on ne
le définisse .
Mais, pour tirer toute l'utilité que l'on doit de ces définitions,
il faut encore y ajouter la seconde règle : N'employer dans les dé
finitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués ,
c'est -à -dire que des termes qui désignent clairement, autant qu'il
se peut, l'idée qu'on veut signifier par le mot qu'on définit.
Car, quand on n'a pas désigné assez nettement et assez dis
tinctement l'idée à laquelleon veut attacher un mot, il est presque
impossible que dans la suite on ne passe insensiblement à une
autre idée que celle qu'on a désignée, c'est- à - dire qu'au lieu de
substituer mentalement, à chaque fois qu'on se sert de ce mot,
la même idée qu'on a désignée, on n'en substitue une autre que
la nature nous fournit : et ce qu'il est aisé de découvrir, en
substituant expressément la définition au défini; car cela ne doit
rien changer de la proposition , si l'on est toujours demeuré dans
la même idée : au lieu que cela la changera, si l'on n'y est pas
demeuré .
Tout cela se comprendra mieux par quelques exemples. Euclide
définit l'angle plan rectiligne : la rencontre de deux lignes droites
inclinées sur un même plan ' . Si l'on considère cette définition

Euclide, Éléments, lib. I , déf. 8.


QUATRIÈME PARTIE . 341

comme une simple définition de mots, en sorte qu'on regarde le


mot d'angle comme ayant été dépouillé de toute signification,
pour n'avoir plus quecelle de la rencontre de deux lignes, on ne
doit point y trouver à redire ; car il a été permis à Euclide d'ap
peler du mot d'angle la rencontre de deux lignes ; mais il a été
obligé de s'en souvenir, et de ne prendre plus le mot d'angle qu'en
ce sens. Or, pour juger s'il l'a fait, il ne faut que substituer, toutes
les fois qu'il parle de l'angle, au mot.d'angle la définition qu'il a
donnée ; et si, en substituant cette définition, il se trouve quelque
absurdité en ce qu'il dit de l'angle, il s'ensuivra qu'il n'est pas
demeuré dans la même idée qu'il avait désignée, mais qu'il est
passé insensiblement à une autre, qui est celle de la nature. Il
enseigne, par exemple, à diviser un angle en deux. Substituez sa
définition . Qui ne voit que ce n'est point la rencontre de deux
lignes qu'on divise en deux, que ce n'est point la rencontre de
deux lignes qui a des côtés et qui a une base ou sous -tendante,
mais que tout cela convient à l'espace compris entre les lignes,
et non à la rencontre des lignes ?
Il est visible que ce qui a embarrassé Euclide, et ce qui l'a em
pêché de désigner l'angle par les mots d'espace compris entre
deux lignes qui se rencontrent, est qu'il a vu que cet espace pou
vait être plus grand ou plus petit, quand les côtés de l'angle sont
plus longs ou plus courts, sans que l'angle en soit plus grand et
plus petit; mais il ne devait pas conclure de là que l'angle rec
tiligne n'était pas un espace, mais seulement que c'était un
espace compris entre deux lignes droites qui se rencontrent, in
déterminé selon celle de ces deux dimensions qui répond à la
longueur de ces lignes, et déterminé selon l'autre par la partie
proportionnelle d'une circonférence qui a pour centre le point
où ces lignes se rencontrent.
Cette définition désigne sinettement l'idée que tousles hommes
ontd'un angle, que c'est tout ensemble une définition de mot et
une définition de la chose , excepte que le mot d'angle comprend
aussi, dans le discours ordinaire, un angle solide, au lieu qne,
par cette définition, on le restreint à signifier un angle plan rec
tiligne : et lorsqu'on a ainsi défini l'angle, il est indubitable que
tout ce que l'on pourra dire ensuite do l'angle plan rectiligne, tel
342 LOGIQUE .

qu'il se trouve dans toutes les figures rectilignes, sera vrai de cet
angle ainsi défini, sans qu'on soit jamais obligé de changer d'idée,
ni qu'il se rencontre jamais aucune absurdité en substituant la
définition à la place du défini; car c'est cet espace ainsi expliqué
que l'on peut diviser en deux, en trois, en quatre ; c'est cet espace
qui a deux côtés entre lesquels il est compris ; c'est cet espace
qu'on peut terminer du côté qu'il est de soi -même indéterminé,
par une ligne qu'on appelle baseou sous -tendante ; c'estcetespace
qui n'est point considéré comme plus grand ou plus petit, pour
être compris entre des lignes plus longues ou plus courtes, parce
qu'étant indéterminé selon cette dimension , ce n'est point de là
qu'on doit prendre sa grandeur et sa petitesse. C'est par cette
définition qu'on trouve le moyen de juger si un angle est égal à
un autre angle, ou plus grand ou plus petit : car, puisque la gran
deur de cet espace n'est déterminée que par la partie propor
tionnelle d'une circonférence qui a pour centre le point où les
lignes qui comprennent l'angle se rencontrent, lorsque deux an
gles ont pour mesure l'aliquote pareille chacun de sa circonfé
rence, comme la dixième partie, ils sont égaux ; et si l'un a la
sixième, et l'autre la douzième , celui qui a la sixième est plus grand
que celui qui a la douzième. Au lieu que , par la définition d'Eu
clide, on ne saurait entendre en quoi consiste l'égalité des deux
angles; ce qui fait une horrible confusion dans ses éléments, comme
Ramus a remarqué, quoique lui-même ne rencontre guère mieux.
Voici d'autres définitions d'Euclide, où il fait la même faute
qu'en celle de l'angle. La raison , dit-il, est une habitude de deux
grandeurs du même genre , comparées l'une à l'autre selon la quan
tité; la proportion est une similitude de raisons " .
Par ces définitions, le nom de raison doit comprendre l'habi
tude qui est entre deux grandeurs, lorsque l'on considère de
combien l'une surpasse l'autre : car on ne peut nier que ce ne soit
une habitude de deux grandeurs comparées selon la quantité ;
et par conséquent, quatre grandeurs auront proportion ensemble,
lorsque la différence de la première à la seconde est égale à la
différence de la troisième à la quatrième. Il n'y a donc rien àdire
1. Éléments., lib. V , déf. 3.
QUATRIÈME PARTIE . 343

à ces définitions d'Euclide, pourvu qu'il demeure toujours dans


ces idées qu'il a désignées par ces mots , et à qui ii a donné les
noms de raison et de proportion . Mais il n'y demeure pas, puis
que, selon toute la suite de son livre, ces quatre nombres 3 , 5,
8 , 10, ne sont point en proportion, quoique la définition qu'il
donnée au mot de proportion leur convienne ; puisqu'il y a en
tre le premier nombre et le second , comparés selon la quantité,
une habitude semblable à celle qui est entre le troisième et le
quatrième.
Il fallait donc, pour ne pas tomber dans cet inconvénient, re
marquer qu'on peut comparer deux grandeurs en deux manières ;
l'une, en considérant de combien l'une surpasse l'autre ; et l'au
tre, de quelle manière l'une est contenue dans l'autre : et comme
ces deux habitudes sont différentes, il fallait leur donner divers
noms, donnant à la première le nom de différence, et réservant à
la seconde le nom de raison . Il fallait ensuite définir la propor
tion, l'égalité de l’une ou de l'autre de ces sortes d'habitudes,
c'est-à-dire de la différence ou de la raison ; et, comme cela fait
deux espèces, les distinguer ainsi par deux divers noms , en ap
pelant l'égalité des différences proportion arithmétique, et l'éga
lité des raisons proportion géométrique ; et parce que cette dernière
est d'un usage beaucoup plus grand que la première, on pouvait
encore avertir que lorsque simplement on nomme proportion , ou
grandeurs proportionnelles, on entend la proportion géomé
trique, et que l'on n'entend l'arithmétique que quand on l'ex
prime. Voilà ce qui aurait démêlé toute cette obscurité et aurait
levé toute équivoque.
Tout cela nous fait voir qu'il ne faut pas abuser de cette maxime,
que les définitions des mots sont arbitraires ; mais qu'il faut avoir
grand soin de désigner si nettement et si clairement l'idée à la
quelle on veut lier le mot que l'on définit, qu'on ne puisse s'y
tromper dans la suite du discours, en changeant cette idée, c'est
à-dire en prenant le mot en un autre sens que celui qu'on lui a
donné par la définition, en sorte qu'on ne puisse substituer la
définition en la place du défini, sans tomber dans quelque ab
surdité .
344 LOGIQUE .

CHAPITRE V.

Que les géomètres semblent n'avoir pas toujours bien compris la


différence qu'il y a entre la définition des mots et la définition des
choses.

Quoiqu'il n'y ait point d'auteurs qui se servent mieux de la


définition des mots que les géomètres, je me crois néanmoins ici
obligé de remarquer qu'ils n'ont pas toujours pris garde à la dif
férence que l'on doit metre entre les définitions des choses et les
définitions des mots, qui est que les premières sont contestables,
et que les autres sont incontestables ; car j'en vois qui disputent
de ces définitions de mots avec la même chaleur que s'il s'agis
sait des choses mêmes .
· Ainsi l'on peut voir dans les commentaires de Clavius ' sur
Euclide, une longue dispute et fort échauffée entre Pelletier et
lui, touchant l'espace entre la tangente et la circonférence, que
Pelletier prétendait n'ètre pas un angle, au lieu que Clavius sou
tient que c'en est un. Qui ne voit que tout cela pouvait se ter
miner en un seul mot, en se demandant l'un à l'autre ce qu'il
entendait par le mot angle ?
Nous voyons encore que Simon Steyin , très - célèbre mathé.
maticien du prince d'Orange , ayant défini le nombre : Nombre
est cela par lequel s'eccplique la quantité de chacune chose, il
se met ensuite fort en colère contre ceux qui ne veulent pas
que l'unité soit nombre, jusqu'à faire des exclamations de rhéto

1. Clavius, savant mathématicien , né à Bamberg en 1581 , mort


Rome en 1612 .
2. Simon Stevin a vécu dans la dernière partie du seizième siècle
et le commencementdu dix-septième. On lui doit d'importants tra
vaux qui ont enrichi la statique et l'hydrostatique d'un grand nombre
de découvertes. Il a aussi laissé quelques ouvrages, entre autres un .
traité d'arithmétique d'où sont tirés les passages cités par Arnauld.
QUATRIEME PARTIE . 345

rique, comme s'il s'agissait d'une dispute fort solide. Il est vrai
qu'il méle dans ce discours une question de quelque importance ,
qui est de savoir si l'unité est au nombre comme le point est à
la ligne ; mais c'est ce qu'il fallait distinguer pour ne pas brouil
ler deux choses très -différentes : et ainsi, traitant à part ces deux
questions, l'une, si l'unité est nombre, l'autre, si l'unité est au
nombre ce qu'est le point à la ligne , il fallait dire, sur la pre
mière que ce n'était qu'une dispute de mots, et que l'unité était
nombre ou n'était pas nombre, selon la définition qu'on vou
drait donner au nombre ; qu'en le définissant comme Euclide :
Nombre est une multitude d'unités assemblées, il était visible que
l'unité n'était pas nombre ; mais que, comme cette définition
d'Euclide était arbitraire, et qu'il était permis d'en donner une
autre au nom de nombre, on pouvait lui en donner une comme
est celle que Stevin apporte, selon laquelle l'unité est nombre.
Par là la première question est vidée, et on ne peut rien dire,
outre cela, contre ceux à qui il ne plait pas d'appeler l'unité
nombre, sans une manifeste pétition de principe, comme on peut
voir en examinant les prétendues démonstrations de Stevin. La
première est :
La partie est de même nature que le tout;
L'unité est partie d'une multitude d'unités :
Donc l'unité est de même nature qu'une multitude d'unités, et
par conséquent nombre,
Cet argument ne vaut rien du tout; car, quand la partie serait
toujours de la même nature que le tout, il ne s'ensuivrait pas
qu'elle dût toujours avoir le même nom que le tout ; et, au con
traire, il arrive très - souvent qu'elle n'a point le même nom . Un
soldat est une partie de l'armée, et n'est point une armée ; une
chambre est une partie d'une maison , et non point une maison ;
un demi-cercle n'est point'un cercle; la partie d'un carré n'est
point un carré . Cet argument prouve donc au plus que l'unité
étant partie de la multitude des unités, a quelque chose de com
mun avec toute multitude d'unités, selon quoi on pourra dire
qu'ils sont de même nature ; mais cela ne prouve point qu'on soit
obligé de donner le même nom de nombre à l'unité et à la multi
346 LOGIQUE .
tude d'unités, puisqu'on peut, si l'on veut, garder le nom do
nombre pour la multitude d'unités , et ne donner à l'unité que
son nom même d'unité ou de partie du nombre.
La seconde raison de Stevin ne vaut pas mieux.
Si du nombre donné l'on n'ote aucun nombre, le nombre donné
demeure :
Donc si l'unité n'était pas nombre, en otant un des trois , le nome
bre donne demeurerait, ce qui est absurde .
Mais cette majeure est ridicule, et suppose ce qui est en ques
tion ; car Euclide niera que le nombre donné demeure, lorsqu'on
n'en ôte aucun nombre, puisqu'il suffit, pour ne pas demeurer
tel qu'il était, qu'on en ote ou un nombre ou une partie du nom
bre, tel qu'est l'unité : et, si cet argument était bon , on prouve
rait de la même manière , qu'en ôtant un demi-cercle d'un cer
cle donné, le cercle donné doit demeurer, parce qu'on n'en a ôté
aucun cercle.
Ainsi , tous les arguments de Stevin prouvent au plus qu'on
peut définir le nombre en sorte que le mot de nombre convienne
à l'unité, parce que l'unité et la multitude d'unités ont assez de
convenance pour être signifiés par un même nom : mais ils ne
prouvent nullement qu'on ne puisse pas aussi définir le nombre
en restreignant ce mot à la multilude d'unités, afin de ne pas être
obligé d'excepter l'unité toutes les fois qu'on explipue des pro
priétés qui conviennent à tous les nombres, hormis à l'unité.
Mais la seconde question, qui est de savoir si l'unité est aux
autres nombres comme le point est à la ligne, n’est point de
même nature que la première, et n'est point une dispute de mot,
mais de chose : car il est absolument faux que l'unité soit au
nombre comme le point est à la ligne, puisque l'unité ajoutée au
nombre le fait plus grand, au lieu que le point ajouté à la ligne
ne la fait point plus grande. L'unité est partie du nombre, et le
point n'est pas partie de la ligne. L'unité dtée du nombre , le
nombre donné ne demeure point ; et le point ôté de la ligne, la
ligne donnée demeure.
Le même Stevin est plein de semblables disputes sur les défi
nitions des mots , comme quand il s'échauffe pour prouver que
QUATRIÈME PARTIE . 347

le nombre n'est point une quantité discrète; que la proportion


des nombres est toujours arithmétique, et non géométrique, que
toute racine de quelque nombre que ce soit est un nombre : ce
qui fait voir qu'il n'a point compris proprement ce que c'était
qu'une définition de mot, et qu'il a pris les définitions des mots,
ne
vent être contestées , pour les définitions des choses,
que l'on peut souvent contester avec raison.

CHAPITRE VI.

Des règles qui regardent les axiomes, c'est- à-dire les propositions
claires et évidentes par elles- mêmes.

Tout le monde demeure d'accord qu'il y a des propositions


si claires et si évidentes d'elles-mêmes , qu'elles n'ont pas besoin
d'être démontrées ; et que toutes celles qu'on ne démontre point
doivent être telles pour être principes d'une véritable démons
tration : car si elles sont tant soit peu incertaines, il est clair
qu'elles ne peuvent être le fondement d'une conclusion tout à
fait certaine ,
Mais plusieurs ne comprennent pas assez en quoi consiste
cette clarté et cette évidence d'une proposition , car, première
ment, il ne faut pas s'imaginer qu'une proposition ne soitclaire et
certaine que lorsqne personne ne l'a contredit ; et qu'elle doive
passer pour douteuse, ou qu'au moins on soit obligé de la prou
ver, lorsqu'il se trouve quelqu'un qui la nie. Si cela était, il n'y
aurait rien de certain ni de clair, puisqu'il s'est trouvé des phi.
losophes qui ont fait profession de douter généralement de tout,
et qu'il y en a même qui ont prétendu qu'il n'y avait aucune
proposition qui fût plus vraisemblable que sa contraire. Ce n'est
donc point par les contestations des hommes qu'on doit juger
de la certitude ni de la clarté ; car il n'y a rien qu'on ne puisse
contester, surtout de parole : mais il faut tenir pour clair ce qui
348 LOGIQUE.
paraft tel à tous ceux qui veulent prendre la peine de considérer
les choses avec attention, et qui sont sincères à dire ce qu'ils
en pensent intérieurement. C'est pourquoi il y a une parole de
très -grand sens dans Aristote, qui est que la démonstration ne
regarde proprement que le discours intérieur et non pas le dis
cours extérieur ' , parce qu'il n'y a rien de si bien démontré qui
ne puisse être nié par un homme opiniâtre, qui s'engage à con
tester de paroles les choses mêmes dont il est intérieurement
persuadé, ce qui est une très-mauvaise disposition, et très-indi
gne d'un esprit bien fait; quoiqu'il soit vrai que cette humeur
se prend souvent dans les écoles de philosophie, par la coutume
qu'on y a introduite de disputer de toutes choses, et de mettre
son honneur à ne se rendre jamais, celui-là étant jugé avoir le
plus d'esprit qui est le plus prompt à trouver des défaites pour
s'échapper ; au lieu que le caractère d'un honnête homme est de
rendre les armes à la vérité, aussitôt qu'il l'aperçoit, et de l'ai
mer dans la bouche même de son adversaire.
Secondement, les mêmes philosophes, qui tiennent que toutes
nos idées viennent de pos- sens, soutiennent aussi que toute la
certitude et toute l'évidence des propositions viennent, ou immé
diatement ou médiatement des sens . «Car, disent-ils, get axiome
même, qui passe pour le plus clair et le plus évident que l'on
puisse désirer : Le tout est plus grand que sa partie, n'a trouvé
de créance dans notre esprit que parce que , dès notre enfance,
nous avons observé en particulier, ot que tout l'homme est plus
grand que sa tête, et toute une maison qu'une chambre, et toute
une forêt qu'un arbre, et tout le ciel qu'une étoile . »
Cette imagination est aussi fausse que celle que nous avons
réfutée dans la première partie, que toutes nos idées viennent de
nos sens ; car si nous n'étions assurés de cette vérité : Le tout est
plus grand que sa partie, que par les diverses observations que
nous en avons faites depuis notre enfance, nous n'en serions que
1. « Ce n'est pas à la parole extérieure, c'est à la parole intérieure
de l'âme que s'adresse la démonstration tout aussi bien que le syllo
gisme. Contre la parole extérieure on peut bien trouver des objections;
mais on ne le peut pas toujours contre la parole du dedans..» Derniers
Analytiques, 1, 10 ,S7, trad. de M. Barth . Saint-Hilaire.
QUATRIÈME PARTIE. 349

probablement assurés , puisque l'induction n'est un moyen cer


tain de connaître une chose que quand nous sommes assurés que
L'induction est entière, n'y ayant rien de plus ordinaire que de
découvrir la faussetédece que nousavions cru vrai sur des in
ductions qui nous paraissaient si générales, qu'on ne s'imaginait
point pouvoir y trouver d'exception .
Ainsi, il n'y a pas longtemps qu'on croyait indubitable que
l'eau contenue dans un vaisseau courbé, dont un côté était beau
coup plus large que l'autre, setenait toujours au niveau, n'étant
pas plushaute dans le petit côté que dans le grand , parce qu'on
s'en était assuré par une infinitéd'observations : etnéanmoins on
a trouvé depuis peu que cela est faux, quand l'un des côtés est
extrêmement étroit, parce qu'alors l'eau's'y tient plus baute que
dans l'autre côté. Tout cela fait voir queles seules inductions ne
sauraient nous donner une certitude entière d'aucune vérité, à
moins que nous ne fussions assurés qu'elles fussent générales, ce
qui est impossible ; et par conséquentnous ne serions que proba
blement assurés de la vérité de cet axiome : Le toutestplus grand
que sa partie, si nous n'en étions assurés que pour avoir vu qu'un
homme est plus grand que sa tête, une forêt qu'un arbre, une
maison qu'une chambre, le ciel qu'une étoile, puisque nous au
rons toujours sujet de douter s'il n'y aurait point quelque autre
tout auquel nous n'aurions pas pris garde, qui ne serait pas plus
grand que sa partie '.
1. Sur l'origine des notions universelles, comme en beaucoup d'au
tres points la doctrine de la logique de Port-Royal, qui est le pur car
tésianisme , est confirmée par Leibnitz .
« Les sens, dit-il ( Nouv. Ess. sur l'ent., avant-propos), quoique né
cessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffi
sants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais
que des exemples, c'est- à -dire des vérités particulières ou individuel
les. Or , tous les exemples qui confirment une vérité générale, de quel
que nombre qu'ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité
universelle de cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est ar
rivé, arrivera toujours de même. Par exemple, les Grecs et les Ro
mains et tous les autres peuples ont toujours remarqué qu'avant le dé
cours de vingt- quatre heures le jour se change en nuit , et la nuit en
jour. Mais on se serait trompé si l'on avait cru que la même règle
s'observe partout, puisqu'on a vu le contraire dans le séjour de Nova
Zembla . Et celui-là se tromperait encore qui croirait que c'est au
350 LOGIQUE .
Ce n'est donc point de ces observations que nous avons faites
depuis notre enfance, que la certitude de cet axiome dépend ;
puisqu'au contraire il n'y a rien de plus capable de nous entrete
nir dans l'erreur que de nous arrêter à ces préjugés de notre
enfance ; mais elle dépend uniquement de ce que les idées claires
et distinctes que nous avons d’un tout et d'une partie renferment
clairement, et que le tout est plus grand que la partie, et que la
partie est plus petite que le tout ; et tout ce qu'ont pu faire les
diverses observations que nous avons faites d'un homme plus
grand que sa tête , d'une maison plus grande qu'une chambre, a
été de nous servir d'occasion pour faire attention aux idées de
tout et de partie ; mais il est absolument faux qu'elles soient cause
de la certitude absolue et inébranlable que nous avons de la vé
rité de cet axiome, comme je crois l'avoir démontré.
Ce que nous avons dit de cet axiome peut se dire de tous
les autres, et ainsi je crois que la certitude et l'évidence de la
connaissance humaine dans les choses naturelles dépend de ce
principe :
Tout ce qui est contenu dans l'idée claire distincte d'une chose
peut s'affirmer avec vérité de cette chose.
Ainsi parce qu'étre animal est renfermé dans l'idée de l'homme,
je puis affirmer de l'homme qu'il est animal ; parce qu'avoir tous
ses diamètres égaux est renfermé dans l'idée d'un cercle, je puis
affirmer de tout cercle que tous ses diamètres sont égaux ; parce
qu'avoir tous ses angles égaux à deux droits est renfermé dans
l'idée d'un triangle, je dois l'affirmer de tout triangle.
Et l'on ne peut contester ce principe sans détruire toute l'évi
dence de la connaissance humaine, et établir un pyrrhonisme
moins, dans nos climats, une vérité nécessaire e éternelle, puisqu'on
doit juger que la terre et le soleil même n'existent pas nécessairement,
et qu'il y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus , avec
tout son système , au moins en sa présente forme. D'où il paraît que
les vérités nécessaires , telles qu'on les trouve dans les mathématiques
pures, et particulièrement dans l'arithmétique et dans la géométrie,
doivent avoir des principes dont la preuve ne dépende point des exem
ples, ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans les sens
on ne se serait jamais avisé d'y penser. »
QUATRIÈME PARTIE . 351

ridicale ; car nous ne pouvons juger des choses que par les idées
que nous en avons, puisque nous n'avons aucun moyen de les
concevoir qu'autant qu'elles sont dans notre esprit, et qu'elles n'y
sont que par leurs idées . Or, si les jugements que nous formons
en considérant ces idées ne regardaient pas les choses en elles
mêmes, mais seulement nos pensées ; c'est -à-dire de ce que je
vois clairement qu'avoir trois angles égaux à deux droits est ren
fermé dans l'idée d'un triangle, je n'avais pas droit de conclure
que, dans la vérité , tout triangle a trois angles égaux à deux
droits, mais seulement que je le pense ainsi, il est visible que
nous n'aurions aucune connaissance des choses, mais seulement
de nos pensées ; et par conséquent, nous ne saurions rien des
choses que nous nous persuadons savoir le plus certainement ;
mais nous saurions seulement que nous les pensons ètre de telle
sorte, ce qui détruirait manifestement toutes les sciences .
Et il ne faut pas craindre qu'il y ait des hommes qui demeurent
sérieusement d'accord de cette conséquence, que nous ne savons
d'aucune chose si elle est vraie ou fausse en elle-même; car il y
en a de si simples et de si évidentes , comme : Je pense, donc je
suis : Le tout est plus grand que sa partie, qu'il est impossible de
douter sérieusement si elles sont telles en elles -mêmes que nous
les concevons. La raison est qu'on ne saurait en douter sans y
penser, et on ne saurait y penser sans les croire vraies , et par
conséquent on ne saurait en douter.
Néanmoins ce principe seul ne suffit pas pour juger de ce qui
doit être reçu pour axiome ; car il y a des attributs qui sont vé
ritablement renfermés dans l'idée des choses qui s'en peuvent
néanmoins et s'en doivent démontrer, comme l'égalité de tous les
angles d’un triangle à deux droits, et de tous ceux d’un hexagone
à huit droits, mais il faut prendre garde si l'on n'a besoin que
de considérer l'idée d'une chose avec une attention médiocre,
pour voir clairement qu'un tel attribut y est renfermé, ou si de
plus, il est nécessaire d'y joindre quelque autre idée pour s'aper
cevoir de cette liaison . Quand il n'est besoin que de considérer
l'idée, la proposition peut être prise pour axiome, surtout si cette
considération ne demande qu'une attention médiocre dont tous
les esprits ordinaires soient capables ; mais si l'on a besoin de
352 LOGIQUE .
quelque autre idée que de l'idée de la chose, c'est une proposition
qu'il faut démontrer. Ainsi, l'on peut donner ces deux règles
pour les axiomes .

RÉGLE I. Lorsque pour voir clairement qu'un attribut convient


d'un sujet, comme pour voir qu'ilconvient au tout d'être plus grand
que sa partie, on n'a besoin que de considérer les deux idées du
sujet et de l'attribut avec une médiocre attention, en sorte qu'on
ne puisse le faire sans s'apercevoir que l'idée de l'attribut est vé
ritablement renfermée dans l'idée du sujet; on a droit alors de
prendre cette proposition pour un axiome qui n'a pas besoin d'être
démontré, parce qu'il a de lui-même toute l'évidence que pourrait
lui donner la démonstration, qui ne pourrait faire autre chose,
sinon de montrer que cet attribut convient au sujet, en se servant
d'une troisième idée pour montrer cette liaison ; ce qu'on voit déjà
sans l'aide d'aucune troisième idée.

Mais il ne faut pas confondre une simple explication, quand


même elle aurait quelque forme d'argument, avec une vraie
démonstration ; caril y a des axiomes qui ont besoin d'être expli
qués pour mieux les faire entendre, quoiqu'ils n'aient pas besoin
d'être démontrés ; l'explication n'étant autre chose que dire en
autres termes et plus au long ce qui est contenu dans l'axiome ;
au lieu que la démonstration demande quelque moyen nouveau
que l'axiome ne contienne pas clairement .

RÈGLE II . Quand la seule considération des idées du sujet et de


l'attribut ne suffit pas pour voir clairement que l'attribut convient
au sujet, la proposition qui l'affirme ne doit point étre prise pour
axiome ; mais elle doit être démontrée, en se servant de quelques
autres idées pour faire voir cette liaison , comme on se sert de
l'idée des lignes parallèles pour montrer que les trois angles d'un
triangle sont égaux à deux droits.
Ces deux règles sont plus importantes que l'on ne pense ; car
c'est un des défauts les plus ordinaires aux hommes, de ne pas
assez se consulter eux -mêmes dans ce qu'ils assurent ou qu'ils
nient; de s'en rapporter à ce qu'ils en ont ouï dire ou qu'ils ont
QUATRIÈME PARTIE . 373

autrefois pensé, sans prendre garde à ce qu'ils en penseraient


eux-mêmes, s'ils considéraient avec plus d'attention ce qui se
passe dans leur esprit ; de s'arrêter plus au son des paroles qu'à
leurs véritables idées ; d'assurer comme clair et évident ce qu'il
leur serait impossible de concevoir et de nier comme faux, ce
qu'il leur serait impossible de ne pas croire vrai , s'ils voulaient
prendre la peine d'y penser sérieusement.
Par exemple, ceux qui disent que dans un morceau de bois,
outre ses parties et leur situation , leur figure, leur mouvement
ou leur repos , et les pores qui se trouvent entre ces parties, il y
a encore une forme substantielle distinguée de tout cela , croient
ne rien dire que de certain , et cependant ils disent une chose
que ni eux ni personne n'a jamais comprise et ne comprendra
jamais.
Que si, au contraire, on veut leur expliquer les effets de la
nature par les parties insensibles dont les corps sont composés,
et par leur différente situation , grandeur, figure, mouvement ou
repos, et par les pores qui se trouvent entre ces parties, et qui
donnent ou ferment le passage à d'autres matières, ils croient
qu'on ne leur dit que des chimères, quoiqu'on ne leur dise rien
qu'ils ne conçoivent très -facilement; et même par un renver
sement d'esprit assez étrange , la facilité qu'ils ont à concevoir
ces choses les porte à croire que ce ne sont pas les vraies causes
des effets de la nature, mais qu'elles sont plus mytérieuses et
plus cachées; de sorte qu'ils sont plus disposés à croire ceux qui
les leur expliquent par des principes qu'ils ne conçoivent point ,
que ceux qui ne se servent que des principes qu'ils entendent.
Et ce qui est encore plus plaisant est que, quand on leur parle
de parties insensibles , ils croient être bien fondés à les rejeter,
parce qu'on ne peut les leur faire voir, ni toucher, et cependant
ils se contentent de formes substantielles, de pesanteur, de vertu
attractive, etc. , que non - seulement ils ne peuvent voir ni lou
cher, mais qu'ils ne peuvent même concevoir.

23
354 LOGIQUE.

CHAPITRE VII.

Quelques axiomes importants et qui peuvent servir de principes


à de grandes vérités.

Tout le monde demeure d'accord qu'il est important d'avoir


dans l'esprit plusieurs axiomes et principes, qui, étant clairs et
indubitables, puissent nous servir de fondement pour connaitre
les choses les plus cachées , mais ceux que l'on donne ordinaire
ment sont de si peu d'usage, qu'il est assez inutile de les sayoir,
car ce qu'ils appellent le premier principe de la connaissance :
Il est impossible que la même chose soit et ne soit pas, est très
clair et très- certain ; mais je ne vois point de rencontre où il
puisse jamais servir à nous donner aucune connaissance. Je crois
donc que ceux - ci pourront être plus utiles. Je commencerai par
celui que nous venons d'expliquer.

AXIOME I. Tout ce qui est renfermé dans l'idée claireet distincte


d'une chose peut en étre affirmé avec vérité.

AXIOMEII. L'existence, au moins possible, est renfermée dans


' idée de tout ce que nous concevons clairement et distinctement.
Car, dès là qu'une chose est conçue clairement, nous ne pou
vons pas ne point la regarder comme pouvant être, puisqu'il n'y
a que la contradiction qui se trouve entre nos idées qui nous fait
croire qu'une chose ne peut être ; or , il ne peut y avoir de con
tradiction dans une idée lorsqu'elle est claire et distincte.

AXIOME III. Le néant ne peut être cause d'aucune chose. Il naît


d'autres axiomes de celui-ci, qui peuvent en être appelés des
corollaires, tels que sont les suivants.

AXIOME IV OU 14 COROLLAIRE DU 3. Aucune chose ni aucune


QUATRIEME PARTIE . 355

perfection de cette chose actuellement existante ne peut avoir le


néant ou une chose non existante pour cause de son existence .

AXIOME V, ou 2° COROLLAIRE DU 3e . Toute la réalité ou perfec


tion qui est dans une chose se rencontre formellement ou éminem
ment dans sa cause première et totale .

AXIOME VI, ou 3e COROLLAIRE DU 3e. Nul corps ne peut se mou


voir soi-même, c'est-à - dire se donner le mouvement, n'en ayant
point.
Ce principe est si évident naturellement, que c'est ce qui a
introduit les formes substantielles et les qualités réelles de pe
santeur et de légèreté ; car les philosophes voyant, d'une part,
qu'il était impossible que ce qui devait être mû se mût soi-même,
et s'étant faussement persuadés, de l'autre, qu'il n'y avait rien
hors la pierre qui poussât en bas une pierre qui tombait, ils se
sont crus obligés de distinguer deux choses dans une pierre, la
matière qui recevait le mouvement, et la forme substantielle aidée
de l'accident de la pesanteur qui le donnait ; ne prenant pas
garde, ou qu'ils tombaient par là dans l'inconvénient qu'ils vou
laient éviter, si cette forme était elle-même matérielle, c'est-à
dire une vraie matière ; ou que si elle n'était pas matière, ce
devait être une substance qui en fût réellement distincte ; ce
qu'il leur était impossible de concevoir clairement, à moins que
de la concevoir comme un esprit, c'est- à -dire une substance
qui pense, comme est véritablement la forme de l'homme, et non
pas celle de tous les autres corps.
AXIOME VII, ou 40 COROLLAIRE DU 30. Nul corps ne peut en
mouvoir un autre, s'il n'est mú lui-même : car si un corps étant
en repos ne peut se douner le mouvement à soi-même, il pent
encore moins le donner à un autre corps.

AXIOME VIII. On ne doit pas nier ce qui est clair et évident


pour ne pouvoir comprendre ce qui est obscur.
AXIOME IX . Il est de la nature d'un esprit fini de ne pouvo r
comprendre l'infini.
356 LOGIQUE .
AXIOME X. Le témoignage d'une personne infiniment puissante,
infiniment sage, infiniment bonne et infiniment véritable doit avoir
plus de force pour persuader notre esprit que les raisons les plus
convaincantes .
Car nous devons être plus assurés que celui qui est infiniment
intelligent ne se trompe pas, et que celui qui est infiniment bon
ne nous trompe pas, que nous ne sommes assurés que nous ne
nous trompons pas dans les choses les plus claires .
Ces trois derniers axiomes sont le fondement de la foi, de la
quelle nous pourrons dire quelque chose plus bas.

AXIOME XI. Les faits dont les sens peuvent juger facilement
étant attestés par un très-grand nombre de personnes de divers
temps, de diverses nations, de divers intérêts, qui en parlent comme
les sachant par eux -mêmes, et qu'on ne peut soupçonner d'avoir
conspiré ensemble pour appuyer un mensonge , doivent passer pour
aussi constants et indubitables que si on les avait vus de ses pro
pres yeux.

C'est le fondement de la plupart de nos connaissances, y ayant


infiniment plus de choses que nous savons par cette voie que no
sont celles que nous savons par nous-mêmes.

CHAPITRE VIII.

Des règles qui regardent les démonstrations.

Une vraie démonstration demande deux cho:es : l'une , que


dans la matière il n'y ait rien que de certain et indubitable ;
l'autre, qu'il n'y ait rien de vicieux dans la forme d'argumenter ;
or , on aura certainement l'un et l'autre , si l'on observe les deux
règles que nous avons posées.
QUATRIÈME PARTIE . 357

Car il n'y aura rien que de véritable et de certain dans la ma .


tière, si toutes les propositions qu'on avancera pour servir de
preuves sont :
Ou les définitions des mots qu'on aura expliqués, qui, étan
arbitraires , ne peuvent être contestées ;
Ou les axiomes qui auront été accordés, et que l'on n'a point
dû supposer, s'ils n'étaient clairs et évidents d'eux-mêmes, par
la 3° règle;
Ou des propositions déjà démontrées, et qui , par conséquent,
sont devenues claires et évidentes par la démonstration qu'on en
a faite ;
Ou la construction de la choze même dont il s'agira lorsqu'il y
aura quelque opération à faire ; ce qui doit être aussi indubitable
que le reste , puisque cette construction doit avoir été auparavant
démontrée possible , s'il y avait quelque doute qu'elle ne le
fût pas .
Il est donc clair qu'en observant la première règle, on n'avan
cera jamais pour preuve aucune proposition qui ne soit certaine
et évidente .
Il est aussi aisé de montrer qu'on ne pèchera point contre la
forme de l'argumentation, en observant la seconde règle, qui est
de n'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y
substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les
expliquent.
Car s'il arrive jamais qu'on pèche contre les règles des syllo
gismes, c'est en se trompant dans l'équivoque de quelque terme,
et le prenant en un sens dans l'une des propositions, et en un
autre sens dans l'autre, ce qui arrive principalement dans le
moyen du syllogisme, qui étant pris en deux divers sens dans
les deux premières propositions, est le défaut le plus ordinaire
des arguments vicieux. Or, il est clair qu'on évitera ce défaut si
l'on observe cette seconde règle .
Ce n'est pas qu'il n'y ait encore d'autres vices de l'argumenta
tion outre celui qui vient de l'équivoque des termes ; mais c'est
qu'il est presque impossible qu'un homme d'un esprit médiocre,
et qui a quelque lumière, y tombe jamais, surtout en des ma
tières spéculatives, et ainsi il serait inutile d'avertir d'y prendre
358 LOGIQUE .

garde et d'en donner des règles; et cela serait même nuisible,


parce que l'application qu'on aurait à ces règles superflues pour
rait divertir de l'atlention qu'on doit avoir aux nécessaires. Aussi
nous ne voyons point que les géomètres se mettent jamais en
peine de la forme de leurs arguments, ni qu'ils pensent à les
conformer aux règles de la logique, sans qu'ils y manquent néan
moins , parce que cela se fait naturellement et n'a pas besoin
d'étude.
Il y a encore une observation à faire sur les propositions qui
ont besoin d'être démontrées. C'est qu'on ne doit pas mettre de
ce nombre celles qui peuvent l'étre par l'application de la règle
de l'évidence à chaque proposition évidente ; car si cela était, il
n'y aurait presque point d'axiome qui n'eût besoin d'être démon
tré, puisqu'ils peuvent l'être presque tous par celui que nous
avons dit pouvoir être pris pour le fondement de toute évidence :
Tout ce que l'on voit clairement étre contenu dans une idée claire
et distincte, peut en étre affirmé avec vérité. On peut dire , par
exemple :
Tout ce qu'on voit clairement étre contenu dans une idée claire
et distincte, peut en étre affirmé avec vérité :
Or, on voit clairement que l'idée claire et distincte qu'on a du
tout enferme d'étre plus grand que sa partie :
Donc on peut affirmer avec vérité que le tout est plus grand
que sa partie.
Mais, quoique cette preuve soit très- bonne, elle n'est pas néan
moins nécessaire, parce que notre esprit supplée cette majeure,
sans avoir besoin d'y faire une attention particulière ; et ainsi
voit clairement et évidemment que le tout est plus grand que sa
partie, sans qu'il ait besoin de faire réflexion d'où lui vient cette
évidence ; car ce sont deux choses différentes, de connaître évi
demment une chose, et de zavoir d'où nous vient cette évidence .
QUATRIÈME PARTIE . 359

CHAPITRE IX .

De quelques défauts qui se rencontrent d'ordinaire dans la méthode


des géomètres.

Nous avons vu ce que la méthode des géomètres a de bon , que


nous avons réduit à cinq règles qu'on ne peut trop avoir dans
l'esprit ; et il faut avouer qu'il n'y a rien de plus admirable que
d'avoir découvert tant de choses si cachées, et les avoir démon
trées par des raisons si fermes et si invincibles , en se servant de
si peu de règles : de sorte qu'entre tous les philosophes ils ont
seuls cet avantage d'avoir banni de leur école et de leurs livres
la contestation et la dispute.
Néanmoins, si l'on veut juger des choses sans préoccupation,
comme on peut leur ôter la gloire d'avoir suivi une voie bean
coup plus assurée que tous les autres pour trouver la vérité, on
ne peut nier aussi qu'ils ne soient tombés en quelques défauts
qui ne les détournent pas de leur fin, mais qui font seulement
qu'ils n'y arrivent pas par la voie la plus droite et la plus com
mode ; c'est ce que je tâcherai de montrer, en tirant d'Euclide
même les exemples de ces défauts.

DÉFAUT I. Avoir plus de soin de la certitude que de l'évidence,


et de convaincre l'esprit que de l'éclairer.
Les géomètres sont louables de n'avoir rien voulu avancer que
de convaincant ; mais il semble qu'ils n'ont pas assez pris garde
qu'il ne suffit pas, pour avoir une parfaite science de quelque
vérité d'être convaincu que cela est vrai , si de plus on ne pé
nètre, par des raisons prises de la nature de la chose même,
pourquoi cela est vrai ; car, jusqu'à ce que nous soyons arrivés
à ce point- là , notre esprit n'est point pleinement satisfait, et
cherche encore une plus grande connaissance que celle qu'il a :
360 LOGIQUE .

ce qui est une marque qu'il n'a point encore la vraie science . On
peut dire que ce défaut est la source de presque tous les autres
que nous remarquerons, et ainsi il n'est pas nécessaire de l'ex
pliquer davantage, parce que nous le ferons assez dans la suite.
DÉFAUT II. Prouver des choses qui n'ont pas besoin de preuves.
Les géomètres avouent qu'il ne faut pas s'arrêter à vouloir
prouver ce qui est clair de soi-même. Ils le font néanmoins sou
vent, parce que , s'étant plus attachés à convaincre l'esprit qu'à
l'éclairer, comme nous venons de dire, ils croient qu'ils le con
vaincront mieux en trouvant quelque preuve des choses même
les plus évidentes, qu'en les proposant simplement, et laissant à
l'esprit d'en reconnaître l'évidence.
C'est ce qui a porté Euclide à prouver que les deux côtés d'un
triangle pris ensemble sont plus grands qu'un seul ' ; quoique
cela soit évident par la seule notion de la ligne droite, qui est la
plus courte longueur qui puisse se donner entre deux points, et la
mesure naturelle de la distance d'un point à un point, ce qu'elle
ne serait pas, si elle n'était aussi la plus courte de toutes les
lignes qui puissent être tirées d'un point à un point.
C'est ce qui l'a encore porté à ne pas faire une demande, mais
un problème qui doit être démontré, de tirer une ligne égale à
une ligne donnée , quoique cela soit aussi facile et plus facile que
de faire un cercle ayant un rayon donné.
Ce défaut est venu , sans doute, de n'avoir pas considéré que
toute la certitude et l'évidence de nos connaissances dans les
sciences naturelles vient de ce principe : Qu'on peut assurer
d'une chose , tout ce qui est contenu dans une idée claire et dis
tincte . D'où il s'ensuit que si nous n'avons besoin, pour connaître
qu’un attribut est renfermé dans une idée , que de la simple
considération de l'idée , sans y en mêler d'autres , cela doit
passer pour évident et pour clair, comme nous avons déjà dit
plus haut .
Je sais bien qu'il y a de certains attributs qui se voient plus
facilement dans les idées que les autres ; mais je crois qu'il suffit

1. Euclide, Éléments, I, prop . 20.


QUATRIÈME PARTIE . 361

qu'ils puissent s'y voir clairement avec une médiocre attention,


et que nul homme qui aura l'esprit bien fait n'en puisse douter
sérieusement , pour regarder les propositions qui se tirent ainsi
de la simple considération des idées, comme des principes qui
n'ont point besoin de preuves, mais au plus d'explication et d'un
peu de discours. Ainsi, je soutiens qu'on ne peut faire un peu
d'attention sur l'idée d'une ligne droite qu'on ne conçoive non
seulement que sa position ne dépend que de deux points ( ce
qu'Euclide a pris pour une de ses demandes), mais qu'on ne
comprenne aussi sans peine et très-clairement que si une ligne
droite en coupe une autre et qu'il y ait deux points dans la cou
pante, dont chacun soit également distant de deux points de la
coupée, il n'y aura aucun autre point de la coupante qui ne soit
également distant de ces deux points de la coupée : d'où il sera
aisé de juger quand une ligne sera perpendiculaire à une autre,
sans se servir d'angle ni de triangle, dont on re doit traiter qu'a
près avoir établi beaucoup de choses qu'on ne saurait démontrer
que par les perpendiculaires .
Il est aussi à remarquer que d'excellents géomètres emploient
pour principes des propositions moins claires que celle - là ;
comme lorsque Archimède a établi ses plus belles démonstra
tions sur cet axiome , que si deux lignes sur le même plan ont
les extrémités communes , et sont courbées ou creuses vers la
même part , celle qui est contenue sera moindre que celle qui la
contient .
J'avoue que ce défaut de prouver ce qui n'a pas besoin de
preuve ne paraît pas grand , et qu'il ne l'est pas non plus en soi ;
mais il l'est beaucoup dans les suites, parce que c'est de là que
naſt ordinairement le renversement de l'ordre naturel dont nous
parlerons plus bas ; cette envie de prouver ce qui devait être
supposé comme clair et évident de soi-même, ayant souvent
obligé les géomètres de traiter des choses pour servir de preuves
à ce qu'ils n'auraient point dû prouver, qui ne devraient être
traitées qu'après, selon l'ordre de la nature.
DÉFAUT III. Démonstration par l'impossible.
Ces sortes de démonstrations qui montrent qu'une chose est
362 LOGIQUE.
telle, non par ses principes, mais par quelque absurdité qui s'en
suivrait si elle était autrement, sont très-ordinaires dans Euclide.
Cependant il est visible qu'elles peuvent convaincre l'esprit,
mais qu'elles ne l'éclairent point; ce qui doit être le principal
fruit de la science : car notre esprit n'est point satisfait, s'il ne
sait non-seulement que la chose est, mais pourquoi elle est :
ce qui ne s'apprend point par une démonstration qui réduit à
l'impossible.
Ce n'est pas que ces démonstrations soient tout à fait à rejeter,
car on peut quelquefois s'en servir pour prouver des négatives qui
ne sont proprement que des corollaires d'autres propositions, ou
claires d'elles -mêmes, ou démontrées auparavant par une autre
voie ; et alors cette sorte de démonstration, en réduisant à l'im
possible, tient plutôt lieu d'explication que d'une démonstration
nouvelle .
Enfin, on peut dire que ces démonstrations ne sont recevables
que quand on n'en peut donner d'autres; et que c'est une faute
de s'en servir pour prouver ce qui peut se prouver positivement :
or, il y a beaucoup de propositions dans Euclide qu'il ne prouve
que par cette voie, qui peuvent se prouver autrement sans beau
coup de difficulté .

DÉFAUT IV . Démonstrations tirées par des voies trop éloignées.


Ce défaut est très - commun parmi les géomètres. Ils ne se
mettent pas en peine d'où les preuves qu'ils apportent sont
prises, pourvu qu'elles soient convaincantes; et cependant ce
n'est prouver les choses que très - imparfaitement, que de les
prouver par des voies étrangères, d'où elles ne dépendent point
selon leur nature.
C'est ce qu'on comprendra mieux parquelques exemples. Eu
clide, livre I, proposition 5, prouve qu'un triangle isocèle a les
deux angles sur la base égaux, en prolongeant également les côtés
du triangle, en faisant de nouveaux triangles qu'il compare les
uns avec les autres.
Mais il n'est pas incroyable qu'une chose aussi facile à prouver
que l'égalité de ces angles, ait besoin de tant d'artifice pour être
prouvée, comme s'il y avait rien de plus ridicule que de s'ima
QUATRIÈME PARTIE . 863

giner que cette égalité dépendit de ces triangles étrangers; au


lieu qu'en suivant le vrai ordre, il y a plusieurs voies très
faciles, très-courtes et très - naturelles pour prouver cette même
égalité.
La 47e du livre I, où il est prouvé que le carré de la base qui
soutient un angle droit est égal aux deux carrés des côtés, est
une des plus estimées propositions d'Euclide ; et néanmoins il
est assez clair que la manière dont elle y est prouvée n'est point
naturelle , puisque l'égalité de ces carrés ne dépend point de
l'égalité des triangles qu'on prend pour moyen de cette démon
stration, mais de la proportion des lignes, qu'il est aisé de dé
montrer sans se servir d'aucune autre ligne que de la perpendi
culaire du sommet de l'angle droit sur la base.
Tout Euclide est plein de ces démonstrations par des voies
étrangères.
DÉFAUT V. N'avoir aucun soin du vrai ordre de la nature.
C'est ici le plus grand défaut des géomètres. Ils se sont ima
giné qu'il n'y avait presque aucun ordre à garder, sinon que les
premières propositions pussent servir à démontrer les suivantes ;
et ainsi, sans se mettre en peine des règles de la véritable mé
thode qui est de commencer toujours par les choses les plus
simples et les plus générales, pour passer ensuite aux plus com
posées et aux plus particulières, ils brouillent toutes choses, et
traitent pêle -mêle les lignes et les surfaces, les triangles et les
carrés, prouvent, par des figures, les propriétés des lignes sim
ples, et font une infinité d'autres renversements qui défigurent
cette belle science .
Les éléments d'Euclide sont tout pleins de ce défaut. Après
avoir traité de l'étendue dans les quatre premiers livres, il traite
généralement des proportions de toutes sortes de grandeurs dans
le cinquième. Il reprend l'étendue dans le sixième, et traite des
nombres dans les septième, huitième et neuvième, pour recom
mencer au dixième à parler de l'étendue . Voilà pour le désordre
général; mais il est rempli d'une infinité d'autres particuliers.
Il commence le premier livre par la construction d'un triangle
équilatère, et vingt- deux propositions après, il donne le moyen
364 LOGIQUE .
général de faire tout triangle de trois lignes droites données ,
pourvu que les deux soient plus grandes qu'une seule ; ce qui
emporte la construction particulière d'un triangle équilatère sur
une ligne donnée.
Il ne prouve rien des lignes perpendiculaires et des parallèles
que par des triangles . Il mêle la dimension des surfaces à celles
des lignes .
Il prouve, livre I, proposition 16, que le côté d'un triangle
étant prolongé , l'angle extérieur est plus grand que l'un ou
l'autre des opposés intérieurement ; et, seize propositions plus
bas, il prouve que cet angle extérieur est égal aux deux op
posés .
Il faudrait transcrire tout Euclide pour donner tous les exem
ples qu'on pourrait apporter de ce désordre.

DÉFAUT VI. Ne point se servir de divisions et de partitions.


C'est encore un autre défaut dans la méthode des géomètres,
de ne point se servir de divisions et de partitions . Ce n'est pas
qu'ils ne marquent toutes les espèces de genres qu'ils traitent ;
mais c'est simplement en définissant los termes, et mettant
toutes les définitions de suite, sans marquer qu'un genre a tant
d'espèces, et qu'il ne peut pas en avoir davantage, parce que
l'idée générale du genre ne peut recevoir que tant de diffé
rences, ce qui donne beaucoup de lumière pour pénétrer la na
ture du genre et des espèces.
Par exemple, on trouvera dans le premier livre d'Euclide les
définitions de toutes les espèces de triangles ; mais qui doute
que ce ne fût une chose bien plus claire de dire ainsi :

Le triangle peut se diviser selon les côtés ou selon les


angles.

Car les côtés sont :

tous égaux , et il s'appelle Équilatère.


DU
deux seulement égaux, et il s'appelle Isocèle .
tous trois inégaux , et il s'appelle Scalène
QUATRIÈME PARTIE . 365

Les angles sont :

ou
tous deux aigus , et il s'appelle Oxygone.
deux seulement aigus, et alors le 3e est

ou
droit, et il s'appelle Rectangle.
obtus, et il s'appelle Amblygone.
Il est même beaucoup mieux de ne donner cette division du
triangle, qu'après avoir expliqué et démontré toutes les pro
priétés du triangle en général; d'où l'on aura appris qu'il faut
nécessairement que deux angles au moins du triangle soient ai
gus , parce que les trois ensemble ne sauraient valoir plus de
deux droits .
Ce défaut retombe dans celui de l'ordre, qui ne voudrait pas
qu’on traitât ni même qu'on définit les espèces qu'après avoir
bien connu le genre , surtout quand il y a beaucoup de choses à
dire du genre, qui peut être expliqué sans parler des espèces.

CHAPITRE X.

Réponse à ce que disent les géomètres à ce sujet.

Il y a des géomètres qui croient avoir justifié ces défauts, en


disant qu'ils ne se mettent pas en peine de cela ; qu'il leur suffit
de ne rien dire qu'ils ne prouvent d'une manière convaincante ;
et qu'ils sont par là assurés d'avoir trouvé la vérité qui est leur
unique but.
On avoue aussi que ces défauts ne sont pas si considérables,
qu'on ne soit obligé de reconnaitre que, de toutes les sciences
humaines, il n'y en a point qui aient été mieux traitées que celles
qui sont comprises sous le nom général de mathématiques ; mais
on prétend seulement qu'on pourrait encore y ajouter quelque
chose qui les rendrait plus parfaites; et que , quoique la princi
366 LOGIQUE.

pale chose qu'ils aient dû y considérer soit de ne rien avancer


que de véritable , il aurait été néanmoins à souhaiter qu'ils eus
sent eu plus d'attention à la manière la plus naturelle de faire
entrer la vérité dans l'esprit.
Car ils ont beau dire qu'ils ne se soucient pas du vrai ordre,
ni de prouver par des voies naturelles ou éloignées, pourvu
qu'ils fassent ce qu'ils prétendent, qui est de convaincre ; ils ne
peuvent pas changer par là la nature de notre esprit, ni faire
que nous n'ayons une connaissance beaucoup plus nette, plus
entière et plus parfaite des choses que nous savons par leurs
vraies causes et leurs vrais principes, que de celles qu'on ne
nous a prouvées que par des voies obliques et étrangères.
Et il est de même indubitable qu'on apprend avec une facilité
incomparablement plus grande, et qu’on retient beaucoup mieux
ce qu'on enseigne dans le vrai ordre ; parce que les idées qui ont
une suite naturelle s'arrangent bien mieux dans notre mémoire,
et se réveillent bien plus aisément les unes les autres.
On peut dire même que ce qu'on a su une fois pour en avoir
pénétré la vraie raison , ne se retient pas par mémoire , mais par
jugement, et que cela devient tellement propre, qu'on ne peut
l'oublier ; au lieu que ce qu'on ne sait que par des démonstrations
qui ne sont point fondées sur des raisons naturelles s'échappe
aisément, et se retrouve difficilement quand il nous est une fois
sorti de la mémoire, parce que notre esprit ne nous donne point
de voie pour le retrouver.
Il faut donc demeurer d'accord qu'il est en soi beaucoup mieux
de garder cet ordre que de no point le garder ; mais tout ce que
pourraient dire des personnes équitables, est qu'il faut négliger
un petit inconvénient, lorsqu'on ne peut l'éviter sans tomber
dans un plus grand ; qu'ainsi c'est un inconvénient de ne pas
toujours garder le vrai ordre ; mais qu'il vaut mieux néanmoins
ne pas le garder que de manquer à prouver invinciblement ce
que l'on avance, et s'exposer à comber dans quelque erreur et
quelque paralogisme, en recherchant de certaines preuves qui
peuvent être plus naturelles , mais qui ne sont pas si convain
cantes ni si exemptes de tout soupçon de tromperie.
Cette réponse est très-raisonnable ; et j'avoue qu'il faut préfé

1
QUATRIÈME PARTIE. 367

rer à toute chose l'assurance de ne point se tromper, et qu'il


faut négliger le vrai ordre, si on ne peut le suivre sans perdre
beaucoup de la force des démonstrations, et s'exposer à l'erreur:
mais je ne demeure pas d'accord qu'il soit impossible d'obser
ver l’un et l'autre , et je m'imagine qu'on pourrait faire des élé
ments de géométrie où toutes choses seraient traitées dans leur
ordre naturel, toutes les propositions prouvées par des voies
très-simples et très-naturelles, et où tout néanmoins serait très
clairement démontré. (C'est ce qu'on a depuis exécuté dans les
NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE GÉOMÉTRIE, et particulièrement dans la
nouvelle édition.qui vient de paraftre .)

CHAPITRE XI.

La méthode des sciences réduite à huit règles principales.

On peut conclure de tout ce que nous venons de dire, que,


pour avoir une méthode qui soit encore plus parfaite que celle
qui est en usage parmi les géomètres, on doit ajouter deux ou
trois règles aux cinq que nous avons proposées dans le chapi
tre u : de sorte que toutes ces règles peuvent se réduire à huit,
Dont les deux premières regardent les idées, et peuvent se
rapporter à la première partie de cette Logique.
La troisième et la quatrième regardent les axiomes, et peuvent
se rapporter à la seconde partie.
La cinquième et la sixième regardent les raisonnements, et
peuvent se rapporter à la troisième partie.
Et les deux dernières regardent l'ordre , et peuvent se rappor
ter à la quatrième partie.

1. Ces Éléments sont d'Arnauld ; on les trouve au tome XL de ses


euvres complètes.
368 LOGIQUE.

Deux règles touchant les définitions.

1. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou equivoques


sans le définir.
2. N'employer dans les définitions que des termes parfaite
ment connus ou déjà expliqués.

Deux règles pour les axlomos .

3. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évi


dentes.
4. Recevoir pour évident ce qui n'a besoin que d'un peu d'at
tention pour être reconnu véritable.

Deux règles pour les démonstrations.

5. Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'em


ployant à leur preuve que les définitions qui auront précédé, et
les axiomes qui auront été accordés, ou les propositions qui au
ront déjà été démontrées.
6. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant
de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et
qui les expliquent.

Deux règles pour la méthode.

7. Traiter les choses, autant qu'il se peut, dans leur ordre


naturel, en commençant par les plus générales et les plus sim
ples, et expliquant tout ce qui appartient à la nature du genre
avant que de passer aux espèces particulières.
8. Diviser, autant qu'il se peut, chaque genre en toutes ses
espèces, chaque tout en toutes ses parties, et chaque difficulté
en tous ses cas .

J'ai ajouté à ces deux règles, autant qu'il se peut, parce qu'il
est vrai qu'il arrive beaucoup de rencontres où on ne peut pas
les observer à la rigueur, soit à cause des bornes de l'esprit hu
QUATRIÈME PARTIE . 369

main, soit à cause de celles qu'on a été obligé de donner à cha


que science.
Ce qui fait qu'on y traite souvent d'une espèce, sans qu'on
puisse y traiter tout ce qui appartient au genre; comme on traite
du cercle dans la géométrie commune, sans rien dire en particu
lier de la ligne courbe, qui en est le genre, qu'on se contente
seulement de définir .
On ne peut pas aussi expliquer d'un genre tout ce qui pourrait
s'en dire, parce que cela serait souvent trop long ; mais il suffit
d'en dire tout ce qu'on veut en dire avant que de passer aux
espèces.
Mais je crois qu'une science ne peu : être traitée parfaitement,
qu'on n'ait grand égard à ces deux dernières règles aussi bien
qu'aux autres, et qu'on ne se résolve à ne s'en dispenser que par
nécessité ou par une grande utilité.

CHAPITRE XII.

De ce que nous connaissons par la foi, soit humaine , soit divine .

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici regarde les sciences hu


maines, puremeni humaines, et les connaissances qui sont fon
dées sur l'évidence de la raison ; mais, avant de finir, il est bon
de parler d'une autre sorte de connaissance, qui souvent n'est pas
moins certaine ni moins évidente en sa manière, qui est celle
que nous tirons de l'autorité.
Car il У a deux voies générales qui nous font croire qu'une
chose est vraie. La première est la connaissance que nous en
avons par nous-mêmes, pour en avoir reconnu et recherché la
vérité, soit par nos sens, soit par notre raison ; ce qui peut s'ap
peler généralement raison, parce que les sens mêmes dépendent
du jugement de la raison ; ou science, prenant ici ce nom plus
généralement qu'on ne le prend dans les écoles, pour toute con
naissance d'un objet tjrée de l'objet même.
24
370 LOGIQUE .
L'autre voie est l'autorité des personnes dignes de croyance
qui nous assurent qu'une telle chose est, quoique par nous-mê
mes nous n'en sachions rien ; ce qui s'appelle foi ou croyance,
selon cette parole de saint Augustin : Quod scimus, debemus ra
tioni; quod credimus, auctoritati !
Mais comme cette autorité peut être de deux sortes, de Dieu
ou des hommes, il y a aussi deux sortes de foi, divine et hu
maine .
La foi divine ne peut être sujette à erreur, parce que Dieu no
peut ni nous tromper, ni être trompé.
La foi humaine est de soi- même sujette à erreur, parce que
tout homme est menteur, selon l'Écriture, et qu'il peut se faire
que celui qui nous assurera une chose comme véritable sera lui
même trompé ; et néanmoins, ainsi que nous avons déjà marqué
ci-dessus, il y a des choses que nous ne connaissons que par une
foi humaine, que nous devons tenir pour aussi certaines et aussi
indubitables que si nous en avions des démonstrations mathéma
tiques ; comme ce que l'on sait par une relation constante do
tant de personnes, qu'il est moralement impossible qu'elles eus
sent pu conspirer ensemble pour assurer la même chose, si elle
n'était vraie. Par exemple, les hommes ont assez de peine natu
rellement à concevoir qu'il y ait des antipodes ; cependant, quoi
que nous n'y ayons pas été, et qu'ainsi nous n'en sachions rien
que par une foi humaine, il faudrait être fou pour ne pas le
croire, et il faudrait de même avoir perdu le sens pour douter
si jamais César, Pompée, Cicéron , Virgile ont été, et si ce ne
sont point des personnages feints comme ceux des Amadis. 1

Il est vrai qu'il est souvent assez difficile de marquer préci. 1


sément quand la foi humaine est parvenue à cette certitude, et
quand elle n'y est pas encore parvenue ; et c'est ce qui fait tom
ber les hommes en deux égarements opposés : dont l'un est de
ceux qui croient trop légèrement sur les moindres bruits, et l'au
tre de ceux qui mettent ridiculement la force de l'esprit à ne pas
croire les choses les mieux attestées lorsqu'elles choquent les
préventions de leur esprit; mais on peut néanmoins marquer de
1. Lib. de Utilitate credendi, cap. II.
QUATRIÈME PARTIE . 371

certaines bornes qu'il faut avoir passées pour avoir cette certi
tude humaine, et d'autres au delà desquelles on l'a certaine
ment , en laissant un milieu entre ces deux sortes de bornes , qui
approche plus de la certitude ou de l'incertitude, selon qu'il ap
proche plus des unes ou des autres.
Que si l'on compare ensemble les deux voies générales qui
nous font croire qu'une chose est, la raison et la foi, il est certain
que la foi suppose toujours quelque raison ; car, comme dit saint
Augustin dans sa lettre cxxII', et en beaucoup d'autres lieux,
nous ne pourrions pas nous porter à croire ce qui est au-dessus
de notre raison , si la raison même ne nous avait persuadés qu'il
y a des choses que nous faisons bien de croire, quoique nous ne
soyons pas encore capables de les comprendre: ce qui est princi
palement vrai à l'égard de la foi divine, parce que la vraie rai
son nous apprend que Dieu étant la vérité même, il ne peut nous
tromper en ce qu'il nous révèle de sa nature ou de ses mystères.
D'où il paraît qu'encore que nous soyons obligés de captiver
notre entendement pour obéir à JÉSUS-CHRIST , comme dit saint
Paul , nous ne le faisons pas néanmoins aveuglément et déraison
nablement, ce qui est l'origine de toutes les fausses religions ;
mais avec connaissance de cause, et parce que c'est une action
raisonnable que de se captiver de la sorte sous l'autorité de Dieu ,
lorsqu'il nous a donné des preuves suffisantes, comme sont les
miracles et autres événements prodigieux qui nous obligent de
croire que c'est lui-même qui a découvert aux hommes les véri
tés que nous devons croire .
Il est certain , en second lieu, que la foi divine doit avoir plus
de force sur notre esprit que notre propre raison, et cela par la
raison même, qui nous fait voir qu'il faut toujours préférer ce qui
est plus certain à ce qui l'est moins ; et qu'il est plus certain
que ce que Dieu dit est véritable, que ce que notre raison nous
persuade, parce que Dieu est plus incapable de nous tromper que
notre raison d'être trompée.
Néanmoins, à considérer les choses exactement, jamais ce que

1. Epist. CXX Consentio ad quæstiones de Trinitate. Opp. , t. II ,


col. 5 : 8
372 LOGIQUE .
nous voyons évidemment et par la raison ou par le fidèle rapport
des sens n'est opposé à ce que la foi divine nous enseigne , mais
ce qui fait que nous le croyons, c'est que nous ne prenons pas
garde à quoi doit se terminer l'évidence de notre raison et de nos
sens. Par exemple, nos sers nous montrentclairement dans l'Eu
charistie de la rondeur et de la blancheur ; mais nos sens ne nous
apprennent point si c'est la substance du pain qui fait que nos
yeux y aperçoivent de la rondeur et de la blancheur; et ainsi la
foi n'est point contraire à l'évidence de nos sens, lorsqu'elle nous
dit que ce n'est point la substance du pain qui n'y est plus, ayant
été changée au corps de JÉSUS-CHRIST par le mystère de la
Transsubstantiation , et que nousn'y voyons plus que les espèces.
et les apparences du pain , qui demeurent, quoique la substance
n'y soit plus.
Notre raison , de même, nous fait voir qu'un seul corps n'est
pas en même temps en divers lieux ni deux corps en un même
liau ; mais cela doit s'entendre de la condition naturelle des corps;
parce que ce serait un défaut de raison de s'imaginer que notre
esprit étant fini, il pût comprendre jusqu'où peut aller la puis
sance de Dieu, qui est infinie ; et ainsi lorsque les hérétiques,
pour détruire les mystères de la foi, comme la Trinité, l'Incarna
tion et l'Eucharistie, opposent ces prétendues impossibilités qu'ils
tirent de la raison, ils s'éloignent en cela même visiblement de
la raison , en prétendant pouvoir comprendre par leur esprit
l'étendue infinie de la puissance de Dieu . C'est pourquoi il suffit
de répondre à toutes ces objections ce que saint Augustin dit sur
le sujet même de la pénétration des corps : Sed nova sunt, sed
insolita sunt, sed contra naturæ cursum notissimum sunt, quia
nagna, quia mira , quia divina, et ergo magis vera , certa , firma.
QUATRIÈME PARTIE. 373

CHAPITRE XIII.

Quelques règles pour bien conduire sa raison aans la croyance


des événements qui dépendent de la foi humaine .

L'usage le plus ordinaire du bon sens et de cette puissance de


notre âme qui nous fait discerner le vrai d'avec le faux, n'est pas
dans les sciences spéculatives , auxquelles il y a si peu de personnes
qui soient obligées de s'appliquer ; mais il n'y a guère d'occasion
où on l'emploie plus souvent, et où elle soit plus nécessaire, que
dans le jugement que l'on porte de ce qui se passe tous les jours
parmi les hommes.
Je ne parle point du jugement que l'on fait si une action est
bonne ou mauvaise, digne de louange ou de blame, parce que
c'est à la morale à le régler, mais seulement de celui que l'on
porte touchant la vérité ou la fausseté des jugements humains ;
ce qui seul peut regarder la logique, soit qu'on les considère
comme passés, comme lorsqu'il ne s'agit que de savoir si on doit
les croire ou ne pas les croire, ou qu'on les considère dans le
temps à venir, comme lorsqu'on appréhende qu'ils n'arrivent,
ou qu'on espère qu'ils arriveront : ce qui règle nos craintes et
nos espérances.
Il est certain qu'on peut faire quelques réflexions sur ce sujet,
qui ne seront peut- être pas inutiles, et qui pourront au moins
servir à éviter des fautes ou plusieurs personnes tombent pour
n'avoir pas assez consulté les règles de la raison .
La première réflexion est qu'il faut mettre une extrême diffé
rence entre deux sortes de vérités : les unes qui regardent seu
lement la nature des choses et leur essence immuable, indépen
demment de leur existence ; et les autres qui regardent les choses
existantes, et surtout les événements humains et contingents, qui
peuvent être et n'être pas quand il s'agit de l'avenir, et qui pou
vaient n'avoir pas été quand il s'agit du passé . J'entends tout
374 LOGIQUE

ceci selon leurs causes prochaines, en faisant abstraction de leur


ordre immuable dans la providence de Dieu ; parce que, d'une
part , il n'empêche pas la contingence, et que , de l'autre , ne
nous étant pas connu , il ne contribue en rien à nous faire croire
les choses.
Dans la première sorte de vérité, comme tout y est néces
saire, rien n'est vrai qu'il ne soit universellement vrai ; et ainsi
nous devons conclure qu'une chose est fausse, si elle est fausse
en un seul cas .
Mais si l'on pense se servir des mêmes règles dans la croyance
des événements humains, on n'en jugera jamais que faussement,
si ce n'est par hasard ; on y fera mille faux raisonnements .
Car ces événements étant contingents de leur nature, il serait
ridicule d'y chercher une vérité nécessaire ; et ainsi un homme
serait tout à fait déraisonnable qui n'en voudrait croire aucun
que quand on lui aurait fait voir qu'il serait absolument nécessaire
que la chose se fût passée de la sorte.
Et il ne serait pas moins déraisonnable s'il voulait m'obliger
d'en croire quelqu'un, comme serait la conversion du roi de la
Chine à la religion chrétienne, par cette seule raison que cela
n'est pas impossible ; car un autre, qui m'assurerait du contraire,
pouvant se servir de la même raison , il est clair que cela ne
pourrait me déterminer à croire l'un plutôt que l'autre.
Il faut donc poser pour une maxime certaine et indubitable
dans cette rencontre, que la seule possibilité d'un événement
n'est pas une raison suffisante pour me le faire croire ; et que je
puis aussi avoir raison de le croire, quoique je ne juge pas im
possible que le contraire soit arrivé ; de sorte que de deux évé
nements je pourrai avoir raison de croire l'un et de ne pas croire
l'autre, quoique je les croie tous deux possibles.
Mais par où me déterminerai -je donc à croire l'un plutôt qu
l'autre, si je les juge tous deux possibles? Ce sera par cett
maxime :
Pour juger de la vérité d'un événement, et me déterminer à lo
croire ou ne pas le croire, il ne faut pas le considérer nûment
et en lui-même, comme on ferait une proposition de géométrie ;
mais il faut prendre garde à toutes les circonstances qui l'accom
QUATRIEME PARTIE. 375

pagnent, tant intérieures qu'extérieures. J'appelle circonstances


intérieures celles qui appartiennent au fait même et extérieures
celles qui regardent les personnes par le témoignage desquelles
nous sommes portés à le croire. Cela étant fait, si toutes ces cir
constances sont telles qu'il n'arrive jamais , ou fort rarement, que
de pareilles circonstances soient accompagnées de fausseté, notre
esprit se porte naturellement à croire que cela est vrai , et il a
raison de le faire, surtout dans la conduite de la vie , qui ne
demande pas une plus grande certitude que cette certitude morale,
et qui doit même se contenter en plusieurs rencontres de la plus
grande probabilité.
Que si , au contraire, ces circonstances ne sont pas telles
quelles ne se trouvent fort souvent avec la fausseté, la raison
veut ou que nous demeurions en suspens, ou que nous tenions
pour faux ce qu'on nous dit , quand nous ne voyons aucune appa
rence que cela soit vrai, encore que nous n'y voyions pas une
entière impossibilité.
On demande, par exemple, si l'histoire du baptême de Con
stantin par saint Sylvestre est vraie ou fausse. Baronius la croit
vraie ; le cardinal Du Perron, l'évêque Sponde, le P. Pétau, le
P. Morin et les plus habiles gens de l'Église la croient fausse . Si
on s'arrêtait à la seule possibilité , on n'aurait pas droit de la rec
jeter, car elle ne contient rien d'absolument impossible ; et il est
même possible, absolument parlant , qu'Eusèbe, qui témoigne le
contraire , ait voulu mentir pour favoriser les Ariens , et que les
Pères qui l'ont suivi aient été trompés par son témoignage ; mais
si l'on se sert de la règle que nous venons d'établir, qui est de
considérer quelles sont les circonstances de l'un ou de l'autre
baptême de Constantin , et qui sont celles qui ont plus de marques
de vérité, on trouvera que ce sont celles du dernier : car, d'une
part, il n'y a pas grand sujet de s'appuyer sur le témoignage d'un
écrivain aussi fabuleux qu'est l'auteur des Actes de saint Syl
vestre, qui est le seul ancien qui ait parlé du baptême de Con
stantin à Rome ; et de l'autre, il n'y a aucune apparence qu'un
homme aussi habile qu'Eusébe eût osé mentir en rapportant une
chose aussi célèbre qu'était le baptême du premier empereur qui
avait rendu la liberté à l'Église, et qui devait être connue de toute
376 LOGIQUE .
la terre, lorsqu'il l'écrivait, puisque ce n'était que quatre ou cinq
ans après la mort de cet empereur.
Il y a néanmoins une exception à cette règle, dans laquelle on
doit se contenter de la possibilité et de la vraisemblance ; c'est
quand un fait, qui est d'ailleurs suffisamment attesté, est com
battu par des inconvénients et des contrariétés apparentes avec
d'autres histoires : car alors il suffit que les solutions qu'on ap
porte à ces contrariétés soient possibles et vraisemblables; et
c'est agir contre la raison que d'en demander des preuves posi
tives , parce que le fait en soi étant suffisamment prouvé, il n'est
pas juste de demander qu'on en prouve de la même sorte toutes
les circonstances ; autrement on pourrait douter de mille histoires
très-assurées, qu'on ne peut accorder avec d'autres qui ne le sont
pas moins, que par des conjectures qu'il est impossible de prou
ver positivement.
On ne saurait, par exemple, accorder ce qui est rapporté dans
les livres des Rois et dans ceux des Paralipomènes, des années
des règnes des divers rois de Judas et Israël, qu'en donnant à
quelques-uns de ces rois deux commencements de règne, l'un , du
vivant, et l'autre après la mort de leurs pères. Que si l'on de
mande quelle preuve on a qu'un tel roi ait régné quelque temps
avec son père, il faut avouer qu'on n'en a point de positive; mais
il suffit que ce soit une chose possible, et qui est arrivée assez
souvent en d'autres rencontres, pour avoir droit de la supposer
comme une circonstance nécessaire pour allier des histoires d'ail
leurs très - certaines.
C'est pourquoi il n'y a rien de plus ridiculo que les efforts qu'ont
faits quelques hérétiques de ce dernier siècle pour prouver que
saint Pierre n'a jamais été à Rome. Ils ne peuvent nier que cette
vérité ne soit attestée par tous les auteurs ecclésiastiques, et
même les plus anciens, comme Papias, saint Denis de Corinthe,
Caïus, saint Irénée, Tertullien, sans qu'il s'en trouve aucun qui
l'ait niée ; et néanmoins ils s'imaginent pouvoir la ruiner par des
conjectures, comme par exemple, que saint Paul ne fait pas
mention de saint Pierre dans ses Épîtres écrites de Rome ; et
quand on leur répond que saint Pierre pouvait être alors horsde
Rome, parce qu'on ne prétend pas qu'il y ait été tellement atta
QUATRIÈME PARTIE . 377

ché qu'il n'en soit souvent sorti pour aller prêcher l'Évangile en
d'autres lieux, ils répliquent que cela se dit sans preuve ; ce qui
est impertinent, parce que le fait qu'ils contestent étant une des
vérités les plus assurées de l'histoire ecclésiastique, c'est à ceux
qui le combattent de faire voir qu'il contient des contrariétés avec
l'Écriture, et il suffit à ceux qui le soutiennent de résoudre ces
prétendues contrariétés, comme on fait celles de l'Écriture même,
à quoi nous avons montré que la possibilité suffisait.

CHAPITRE XIV .
Application de la règle précédente à la croyance des miracles.

La règle qui vient d'être expliquée est sans doute très-im


portante pour bien conduire sa raison dans la croyance des faits
particuliers; et, faute de l'observer, on est en danger de tomber
en des extrémités dangereuses de crédulité et d'incrédulité.
Car il y en a , par exemple, qui feraient conscience de douter
d'aucun miracle, parce qu'ils se sont mis dans l'esprit qu'ils se
raient obligés de douter de tous s'ils doutaient d'aucun , et qu'ils
se persuadent que ce leur est assez de savoir que tout est pos
sible à Dieu, pour croire tout ce qu'on leur dit des effets de sa
toute -puissance.
D'autres, au contraire, s'imaginent ridiculement qu'il y a de
la force d'esprit à douter de tous les miracles, sans en avoir
d'autre raison, sinon qu'on en a souvent raconté qui ne se sont
pas trouvés véritables, et qu'il n'y a pas plus de sujet de croire
les uns que les autres.
La disposition des premiers est bien meilleure que celle des
derniers ; mais il est vrai néanmoins que les uns et les autres rai
sonnent également mal .
Ils se jettentde part et d'autre sur les lieux communs . Les pre
miers en font sur la puissance et sur la bonté de Dieu , sur les
miracles certains qu'ils apportent pour preuve de ceux dont on
378 LOGIQUE .
doute, et sur l'aveuglement des libertins, qui ne veulent croire
que ce qui est proportionné à leur raison . Tout cela est fort bon
en soi, mais très- faible pour nous persuader d'un miracle en par
ticulier, puisque Dieu ne fait pas tout ce qu'il peut faire ; que ce
n'est pas un argument qu'un miracle soit arrivé de ce qu'il en
est arrivé de semblables en d'autres occasions; et qu'on peut être
fort bien disposé à croire ce qui est au-dessus de la raison, sans
être obligé de croire tout ce qu'il platt aux hommes de nous ra
conter, comme étant au-dessus de la raison .
Les derniers font des lieux communs d'une autre sorte : « La
vérité (dit l'un d'eux) et le mensonge ont leurs visages conformes
le port, le goût et les allures pareilles ; nous les regardons de
même wil. J'ai vu la naissance de plusieurs miracles de mon
temps. Encore qu'ils s'étouffent en naissant, nous ne laissons pas
de prévoir le train qu'ils eussent pris, s'ils eussent vécu leur âge :
car il n'est que de trouver le bout du fil, on devise tant qu'on
veut, et il y a plus loin de rien à la plus petite chose du monde,
qu'il n'y a de celle-là jusqu'à plus grande. Or, les premiers qui
sont abreuvés de ce commencement d'étrangeté, venant à semer
leur bistoire, sentent, par les oppositions qu'on leur fait, où loge
la difficulté de la persuasion , et vont calfeutrant cet endroit de
quelque pièce fausse. L'erreur particulière fait premièrement l'er
reur publique, et à son tour, après, l'erreur publique fait l'er
reur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment, s'étoffant et se for
mant de main en main, de manière que le plus éloigné témoin
on est mieux instruit que le plus voisin , et le dernier informé
mieux persuadé que le premier '. »
Ce discours est ingénieux et peut être utile pour ne pas se
laisser emporter à toutes sortes de bruits ; mais il y aurait do
l'extravagance d'en conclure généralement qu'on doit tenir pour
suspect tout ce qui se ait des miracles ; car il est certain que cela
ne regarde au plus que ce qu'on ne sait que par des bruits com
muns, sans remonter jusqu'à l'origine ; et il faut avouer qu'il
'n'y a pas grand sujet de s'assurer de ce qu'on ne saurait que de
cette sorte.

1. Montaigne, Essais, III, II.


QUATRIÈME PARTIE . 379

Mais qui ne voit qu'on peut faire aussi un lieu commun opposé
à celui-là , qui sera pour le moins aussi bien fondé ? Car, comme
il y a quelques miracles qui se trouveraient peu assurés si l'on
remontait jusqu'à la source , il y en a aussi qui s'étouffent dans
la mémoire des hommes, ou qui trouvent peu de croyance dans
leur esprit, parce qu'ils ne veulent pas prendre la peine de s'en
informer . Notre esprit n'est pas sujet à une seule espèce de mala
die, il en a de différentes et de toutes contraires . Il y a une sotte
simplicité qui croit les choses les moins croyables ; mais il y a
aussi une sotte présomption qui condamne comme faux tout ce
qui passe les bornes étroites de son esprit. On a souvent de la
curiosité pour des bagatelles , et l'on n'en a point pour des choses
importantes. De fausses histoires se répandent partout , et de
très- véritables n'ont point de cours .
Peu de gens savent le miracle arrivé de notre temps à Fare
moutier, en la personne d'une religieuse tellement aveugle, qu'il
lui restait à peine la forme des yeux, qui recouvra la vue en un
moment par l'attouchement des reliques de sainte Fare , comme
je le sais d'une personne qui l'a vue dans les deux états.
Saint Augustin dit qu'il y avait, de son temps, beaucoup de
miracles très -certains qui étaient connus de peu de personnes, et
qui , quoique très-remarquables et très-étonnants, ne passaient
pas d'un bout de la ville à l'autre . C'est ce qui le porta à faire
écrire et réciter devant le peuple ceux qui se trouvaient assurés,
et il remarque, dans le XXIIe livre de la Cité de Dieu, qu'il s'en
était fait dans la seule ville d'Hippone près de soixante et dix
depuis deux ans qu'on y avait bâti une chapelle en l'honneur de
saint Étienne, sans beaucoup d'autres qu'on n'avait pas écrits,
qu'il témoigne néanmoins avoir sus très -certainement.
On voit donc assez qu'il n'y a rien de moins raisonnable que
de se conduire par des lieux communs en ces rencontres, soit
pour embrasser tous les miracles, soit pour les rejeter tous, mais
qu'il faut les examiner par leurs circonstances particulières et
par la fidélité et la lumière des témoins qui les rapportent.
La piété n'oblige pas un homme de bon sens.de croire tous les
miracles rapportés dans la Légende dorée, ou dans Métaphraste,
parce que ces auteurs sont remplis de tant de fables qu'il n'y a
380 LOGIQUE .

pas sujet de s'assurer de rien sur leur témoignage seul , comme


le cardinal Bellarmin n'a pas fait difficulté de l'avouer du dernier.
Mais je soutiens que tout homme de bon sens, quand il n'au
rait point de pieté, doit reconnaître pour véritables les miracles
que saint Augustin raconte dans ses Confessions ou dans la Cité
de Dieu être arrivés devant ses yeux , ou dont il témoigne avoir
été très-particulièrement informé par les personnes mêmes à qui
les choses étaient arrivées, comme d'un aveugle guéri à Milan en
présence de tout le peuple, par l'attouchement des reliques de
saint Gervais et de saint Protais, qu'il rapporte dans ses Confes
sions ; et dont il dit , dans le XXIIe livre de la Cité de Dieu , cha
pitre VIII : Miraculum quod Mediolani factum est cum illic esse
mus , quando illuminatus est cæcus, ad multorum notitiam potuit
pervenire; quia et grandis est civitas, et ibi erat tunc Imperator,
et immenso populo teste res gesta est, concurrente ad corpora mar
tyrum Gervasiï et Protasii.
D'une femme guérie en Afrique par des fleurs qui avaient
touché aux reliques de saint Étienne, comme il le témoigne au
même lieu ;
D'une dame de qualité , guérie d'un cancer jugé incurable, par
le signe de la croix qu'elle y fit faire par une nouvelle baptisée,
selon la révélation qu'elle en avait eue ;
D'un enfant mort sans baptême, dont la mère obtint la résur
rection par les prières qu'elle en fit à saint Etienne, en lui disant,
avec une grande foi : Saint martyr, rendez-moi mon fils. Vous
savez que je ne demande sa vie qu'afin qu'il ne soit pas éternelle
ment séparé de Dieu . Ce que ce saint rapporte comme une chose
dont il était très - assuré , dans un sermon qu'il fit à son peuple ,
sur le sujet d'un autre miracle très- insigne qui venait d'arriver
en ce moment-là même dans l'église où il prêchait , lequel il dé
crit fort au long dans cet endroit de la Cité de Dieu .
Il dit que sept frères et trois seurs d'une honnête famille de
Césarée en Cappadoce , ayant été maudits par leur mère pour une
injure qu'ils lui avaient faite, Dieu les avait punis de cette peine,
qu'ils étaient continuellement agités , et dans le sommeil même ,
par un horrible tremblement de tout le corps , ce qui était si
difforme, que , ne pouvant plus souffrir la vue des personnes de
QUATRIÈME PARTIE . S31

leur connaissance, ils avaient tous quitté leur pays pour s'en aller
de divers côtés , et qu'ainsi l'un de ces frères appelé Paul , et
l'une de ses seurs, appelée Palladie , étaient venus à Hippone ,
et s'étant fait remarquer par toute la ville , on avait appris d'eux
la cause de leur malheur ; que le propre jour de Pâques , le frère,
priant Dieu devant les barreaux de la chapelle de Saint- Étienne,
tomba tout d'un coup dans un assoupissement pendant lequel on
s'aperçut qu'il ne tremblait plus ; et s'étant réveillé parfaitement
sain , il se fit dans l'église un grand bruit du peuple , qui louait
Dieu de ce miracle et qui courait à saint Augustin , lequel se
préparait à dire la messe , pour l'avertir de ce qui s'était
passé.
« Après , dit-il , que les cris de réjouissance furent passés et
que l'Écriture sainte eut été lue , je leur dis peu de chose sur la
fête et sur ce grand sujet de joie, parce que j'aimai mieux leur
laisser, non pas entendre , mais considérer l'éloquence de Dieu
dans cet ouvrage divin. Je menai ensuite chez moi le frère qui
avait été guéri ; lui fis conter toute son histoire , je l'obligeai de
l'écrire , et le lendemain je promis au peuple que je la lui ferais
réciter le jour d'après. Ainsi le troisième jour d'après Pâques ,
ayant fait mettre le frère et la seur sur les degrés du jubé, afin que
tout le peuple pût voir dans la seur , qui avait encore cet hor
rible tremblement , de quel mal le frère avait été délivré par la
bonté de Dieu ; je fis lire le récit de leur histoire devant le peuple ,
et je les laissai aller. Je commençai alors à prêcher sur ce
sujet ( on a le sermon , qui est le 233e ) , et tout d'un coup, lorsque
je parlais encore , un grand cri de joie s'élève du côté de la
chapelle , et on m'amène la seur, qui, étant sortie de devant moi,
y était allée et y avait été parfaitement guérie en la même ma
nière que son frère ; ce qui causa une telle joie parmi le peuple,
qu'à peine pouvait-on supporter le bruit qu'ils faisaient. »
J'ai voulu rapporter toutes les particularités de ce miracle
pour convaincre les plus incrédules qu'il y aurait de la folie à
le révoquer en doute , aussi bien que tant d'autres que ce saint
raconte au même endroit ; car , supposé que les choses soient
arrivées comme il le rapporte , il n'y a point de personne raison
nable qui n'y doive reconnaftre le doigt de Dieu , et ainsi tout
382 LOGIQUE .
ce qui resterait à l'incrédulité serait de douter du témoignage
même de saint Augustin , de s'imaginer qu'il a altéré la vérité
pour autoriser le religion chrétienne dans l'esprit des païens ; or,
c'est ce qui ne peut se dire avec la moindre couleur :
Premièrement , parce qu'il n'est point vraisemblable qu'un
homme judicieux eût voulu mentir en des choses si publiques , où
il aurait pu être convaincu de mensonge par une infinité de tė
moins , ce qui n'aurait pu tourner qu'à la honte de la religion
chrétienne . Secondement, parce qu'il n'y eut jamais personne
plus ennemi du mensonge que ce saint , surtout en matière de
religion, ayant établi par des livres entiers, non -seulement qu'il
n'est jamais permis de mentir , mais que c'est un crime horrible
de le faire , sous prétexte d'attirer plus facilement les bommes à
la foi.
Et c'est ce qui doit causer un extrême étonnement de voir que
les hérétiques de ce temps, qui regardent saint Augustin comme
un homme très-éclairé et très- sincère , n'aient pas considéré que
la manière dont ils parlent de l'invocation des saints et de la vé.
nération des reliques , comme d'un culte superstitieux et qui
tient de l'idolâtrie , va à la ruine de toute la religion : car il est
visible que c'est lui ôter un de ses plus solides fondements que
d'ôter aux vrais miracles l'autorité qu'ils doivent avoir pour la
confirmation de la vérité ; et il est clair que c'est détruire entiè
rement cette autorité des miracles que de dire que Dieu en fasse
pour récompenser un culte superstitieux et idolâtre. Or , c'est
proprement ce que les hérétiques font , en traitant, d'une part,
le culte que les catholiques rendent aux saints et à leurs reli
ques , d'une superstition criminelle , et ne pouvant nier, de l'autre,
que les plus grands amis de Dieu , tel qu'a été saint Augustin ,
par leur propre confession , ne nous aient assuré que Dieu a guéri
des maux incurables , illuminé des aveugles et ressuscité des
morts pour récompenser la dévotion de ceux qui invoquaient les
saints et révéraient leurs reliques.
En vérité , cette seule considération devrait faire reconnaitre à
tout homme de bon sens la fausseté de la religion prétendue ré
formée .
Je me suis un peu étendu sur cet exemple célèbre du jugement
QUATRIÈME PARTIE . 383

qu'on doit faire de la vériié des faits, pour servir de règle dans
les rencontres semblables, parce qu'on s'y égare de la même
sorte. Chacun croit que c'est assez pour les décider de faire un
lieu commun, qui n'est souvent composé que de maximes, les
quelles, non-seulement ne sont pas universellement vraies, mais
qui ne sont pas même probables, lorsqu'elles sont jointes avec
les circonstances particulières des faits que l'on examine. Il faut
joindre les circonstances et non les séparer, parce qu'il arrive
souvent qu'un fait qui est peu probable selon une seule circon
stance , qui est ordinairement une marque de fausseté, doit être
estimé certain selon d'autres circonstances ; et, qu'au contraire,
un fait qui nous paraîtrait vrai selon une certaine circonstance,
qui est d'ordinaire jointe avec la vérité, doit être jugé faux selon
d'autres qui affaiblissent celle-là , comme on l'expliquera dans
le chapitre suivant.

CHAPITRE XV.
Autre remarque sur le sujet de la croyance des événements.

Il y a encore une autre remarque très-importante à faire sur


la croyance des événements. C'est qu'entre les circonstances
qu'on doit considérer pour juger si on doit les croire, ou si on ne
doit pas les croire, il y en a qu'on peut appeler des circonstances
communes, parce qu'elles se rencontrent en beaucoup de faits, et
qu'elles se trouvent incomparablement plus souvent jointes à la
vérité qu'à la fausseté ; et alors si elles ne sont point contre-ba
lancées par d'autres circonstances particulières qui affaiblissent
ou qui ruinent dans notre esprit les motifs de croyance qu'il
tirait de ces circonstances communes, nous avons raison de croire
ces événements, sinon certainement, au moins très-probable
ment : ce qui nous suffit quand nous sommes obligés d'en juger;
car, comme nous nous devons contenter d'une certitude morale
384 LOGIQUE.
dans les choses qui ne sont pas susceptibles d'une certitude mé
taphysique, lors aussi que nous ne pouvons pas avoir une entière
certitude morale, le mieux que nous puissions faire, quand nous
sommes engagés à prendre parti, est d'embrasser le plus proba
ble, puisque ce serait un renversement de la raison d'embrasser
le moins probable.
Que si, au contraire, ces circonstances communes, qui nous
auraient portés à croire une chose, se trouvent jointes à d'autres
circonstances particulières qui ruinent dans notre esprit, comme
nous venons de dire , les motifs de croyance qu'il tirait de ces
circonstances communes, ou qui même soient telles qu'il soit fort
rare que de semblables circonstances ne soient pas accompa
gnées de fausseté, nous n'avons plus alors la même raison de
croire cet événement ; mais, ou notre esprit demeure en sus
pens, si les circonstances particulières ne font qu'affaiblir le
poids des circonstances communes ; ou il se porte à croire que le
fait est faux, et si elles sont telles qu'elles soient ordinairement
des marques de fausseté. Voici un exemple qui peut éclaircir
cette remarque .
C'est une circonstance commune à beaucoup d'actes d'être si
gnés par deux notaires, c'est-à -dire par deux personnes publi
ques qui ont d'ordinaire grand intérêt à ne point commettre de
fausseté, parce qu'il y va non - seulement de leur conscience et de
leur honneur, mais aussi de leur bien et de leur vie. Cette seule
considération suffit, si nous ne savons point d'autres particula
rités d'un contrat, pour croire qu'il n'est point antidaté ; non qu'il
n'y en puisse avoir d'antidatés, mais parce qu'il est certain que
de mille contrats , il y en a neuf cent quatre -vint-dix -neuf qui ne
le sont point : de sorte qu'il est incomparablement plus probable
que ce contrat que je vois est l'un des neufcent quatre - vingt-dix
neuf, que non pas qu'il soit cet unique qui entre mille peut se
trouver antidaté. Que si la probité des notaires qui l'ont signé
m'est parfaitement connue, je tiendrai alors pour très- certain
qu'ils n'y auront point commis de fausseté .
Mais, si à cette circonstance commune d'être signé par deux
notaires, qui m'est une raison suffisante, quand elle n'est point
combattue par d'autre , d'ajouter foi à la date du contrat, on y
QUATRIÈME PARTIE . 385

joint d'autres circonstances particulières, comme que ces notaires


soient diffamés pour être sans honneur et sans conscience, et
qu'ils aient pu avoir un grand intérêt à cette falsification, cela ne
me fera pas encore conclure que ce contrat est antidaté, mais di
minuera le poids qu'aurait eu sans cela dans mon esprit la signa
ture des deux notaires , pour me faire croire qu'il ne serait pas.
Que si, de plus, je puis découvrir d'autres preuves positives de
cette antidate, ou par témoins, ou par des arguments très -forts,
comme serait l'impuissance où un homme aurait été de prêter
vingt mille écus en un temps où l'on montrerait qu'il n'aurait pas
eu cent écus vaillant , je me déterminerai alors à croire qu'il y a
de la fausseté dans ce contrat ; et ce serait une prétention très
déraisonnable de vouloir m'obliger, ou à ne pas croire ce contrat
antidaté, ou à reconnaître que j'avais tort de supposer que les
autres où je ne voyais pas les marques mêmes de fausseté, ne
l'étaient pas, puisqu'ils pouvaient l’être comme celui- là .
On peut appliquer tout ceci à des matières qui causent souvent
des disputes parmi les doctes. On demande si un livre est véri
tablement d'un auteur dont il a toujours porté le nom ; ou si les
actes d'un concile sont vrais ou supposés.
Il est certain que le préjugé est pour l'auteur , qui est depuis
longtemps en possession d'un ouvrage, et pour la vérité des
actes d'un concile que nous lisons tous les jours, et qu'il faut des
raisons considérables pour nous faire croire le contraire, non
obstant ce préjugé.
C'est pourquoi un fort habile homme de ce temps ayant voulu
montrer que la lettre de saint Cyprien au pape Étienne , sur le
sujet de Martial , évêque d'Arles , n'est pas de ce saint martyr, il
n'en a pu persuader les savants, ses conjectures ne leur ayant
pas paru assez fortes pour ôter à saint Cyprien une pièce qui a
toujours porté son nom, et qui a une parfaite ressemblance de
style avec ses ouvrages.
C'est en vain aussi que Blondel et Saumaise, ne pouvant ré
pondre à l'argument qu'on tire des lettres de saint Ignace pour
la supériorité de l'évêque au -dessus des prêtres dès le commen
cement de l'Église, ont voulu prétendre que toutes ces lettres
étaient supposées, selon même qu'elles ont été imprimées par
25
386 LOGIQUE.
Isaac Vossius et Ussérius sur l'ancien manuscrit grec de la biblio
thèque de Florence ; et ils ont été réfutés par ceux même de leur
parti, parce qu'avouant, comme ils funt, que nous avons les
mêmes lettres qui ont été citées par Eusébe, par saint Jérôme,
par Théodoret et même par Origène, il n'y a nullo apparence
des lettres de saint Ignace, ayant été recueillies par saint
que
Palyearpe, ces véritables lettres soient disparues, et quion en ait
supposé d'autres dans le temps qui s'est passé entre saint Poly
carpe et Origène ou Eusebe, outre que ces lettres de saint Ignace,
que nous avons maintenant, ont un certain caractère de sainteté
et de simplicité si propre à ces temps apostoliques, qu'elles se
défendent toutes seules contre cos vaines accusations de suppor
sition et de faussetó.
Enfin, toutes les difficultés que lo cardinal Du Perron a propo
sées contre la lettre du concile d'Afrique au pape saint Célestin,
touchant les appellations au saint-siége, n'ont point empêché que
l'on ait cru depuis, comme auparavant, qu'elle a été véritable
ment écrite par ce concile.
Mais il y a néanmoins.d'autres rencontres où les raisonspartiche
lières l'emportent sur cetteraison générale d'unelongue possessjob.
Ainsi, quoique la lettre de saint Clément à saint Jacques,
évêque de Jérusalem , ait élé traduite par Buffin, il y a près de
treize cents ans, et qu'elle soit alléguée commeétant de saint ghe
ment par un concile de France, il a plus de douze cents ans, il
est toutefois difficile de ne pas avouer qu'elle est supposée , puis
que ce saint évêque de Jerusalem ayant été martyrisé avant saint
Pierre , il est impossible que saint Clément lui ait écrit depuis la
mort de saint Pierre, comme le suppose cette lettre.
De même, quoique les conamentaires sur saint Paul, attribués
à saiat Ambroise , vaient été cités suis son nom par un très grand
nombre d'auteurs, et l'æuvre, imparfaite sur saint Matthieu sous
celui de saint Chrysostome , tout le monde péanmoins convient
aujourd'hui qu'ils ne sont pas de ces saints,maisd'autres auteurs
anciens engagés dans beaucoup d'erneurs,
Enfin , les Actes que nous voyons dans les conciles deSinuesse
sous Marcellin , de doux ou trois de Rome sous saint Sylvestro,
etd'un autre de Romesous Sixte III, seraient suffisants pour nous
QUATRIÈME PARTIE . 387

persuader de la vérité de cos conciles, s'ils ne contenaient rien


que de raisonnable, et qui eût du rapport au temps qu'on attri
bue à ces conciles ; mais ils en contiennent tant de déraisonna
bles et qui ne conviennent point à ces temps-là , qu'il y a grande
apparence qu'ils sont faux et supposés.
Voilà quelques remarques qui peuvent servir en ces sortes de
jugements : mais il ne faut pas s'imaginer qu'elles soient de si
grand usage qu'elles empêchent toujours qu'on ne s'y trompe.
Tout ce qu'elles peuvent,au plus,est de faire éviter les fautes les
plus grossières, et d'accoutumer l'esprit à ne pas se laisser em
porter par des lieux communs qui, ayant quelque vérité en gé
néral, ne laissent pas d'être faux en beaucoup d'occupations par
ticulières, ce qui est une desplus grandes sources des erreurs des
hommes .

CHAPITRE XVI.
Du jugement que l'on doit faire des accidents futurs.

Ces règles qui servent à juger des faits passés, peuvent faci
lement s'appliquer aux faits à venir : car, comme l'on doit croire
probablement qu'un fait est arrivé, lorsque les circonstances
certaines que l'on connaît sont ordinairement jointes avec ce
fait, on doit croire aussi problablement qu'il arrivera, lorsque les
circonstances présentes sont telles, qu'elles sont ordinairement
suivies d'un tel effet. C'est ainsi que les médecins peuvent juger
du bon ou du mauvais succès des maladies, les capitaines, des
événements futurs d'une guerre, et que l'on juge dans le monde
de la plupart de affaires contingentes.
Mais , à l'égard des accidents où l'on a quelque part, et que
l'on peutou procurer ou empêcher en quelque sorte par sessoins
en s'y exposant ou en les évitant, il arrive à bien des gens de
tomber dans une illusion qui est d'autant plus trompeuse qu'elle
leur parait plus raisonnable. C'est qu'ils de regardent que la
grandeur et la conséquence de l'avantage qu'ils souhaitent, ou de
388 LOGIQUE .

l'inconvénient qu'ils craignent, sans considérer en aucune sorte


l'apparence et la probabilité qu'il y a que cet avantage ou cet
inconvénient arrive, ou n'arrive pas.
Ainsi, lorsque c'est quelque grand mal qu'ils appréhendent,
comme la perte de la vie ou de tout leur bien, ils croient qu'il est
de la prudence de ne négliger aucune précaution pour s'en
rantir, et si c'est quelque grand bien, comme le gain de cont
mille écus, ils croient que c'est agir sagement que de tâcher de
l'obtenir si le hasard en coûte peu, quelque peu d'apparence qu'il
y ait qu'on y réussisse.
C'est par un raisonnement de cette sorte qu'une princesse
ayant ouï dire que des personnes avaient été accablées par la
chute d'un plancher, ne voulait jamais ensuite entrer dans une
maison sans l'avoir fait visiter auparavant ; etelle était tellement
persuadée qu'elle avait raison , qu'il lui semblait que tous ceux
qui agissaient autrement étaient imprudents.
C'est aussi l'apparence de cette raison qui engage diverses per
sonnes en des précautions incommodes et excessives pour con
server leur santé. C'est ce qui en rend d'autres défiants jusqu'à
l'excès dans les plus petites choses, parce qu'ayant été quelque
fois trompées, elles s'imaginent qu'elles le seront de même dans
toutes les autres affaires. C'est ce qui attire tant de gens aux
loteries : Gagner, disent-ils, vingt mille écus pour un écu, n'est
ce pas une chose bien avantageuse ? Chacun croit être cet heu
reux à qui le gros lot arrivera ; et personne ne fait réflexion que
s'il est, par exemple, de vingt mille écus, il sera peut-être trente
mille fois plus probable pour chaque particulier qu'il ne l'obtien
dra pas, que non pas qu'il l'obtiendra .
Le défaut de ces raisonnements est que, pour juger de ce que
l'on doit faire pour obtenir un bien, ou pour éviter un mal , il ne
faut pas seulement considérer le bien et le mal en soi, mais aussi
la probabilité qu'il arrive ou n'arrive pas, et regarder géométri
quement la proportion que toutes ces choses ont ensemble; co
qui peut etre éclairci par cet exemple.
Il y a des jeux où dix personnes mettant chacune un écu, il
n'y en a qu'une qui gagne le tout, et toutes les autres perdent :
ainsi chacun des joueurs n'est au basard que de perdre un écu,
QUATRIÈME PARTIE. 389

et peut en gagner neuf. Si l'on ne considérait que le gain et la


perte en soi , il semblerait que tous y ont de l'avantage : mais il
faut de plus considérer que si chacun peut gagner neuf écus, et
n'est au hasard que d’en perdre un , il est aussi neuf fois plus
probable, à l'égard de chacun, qu'il perdra son écu et ne gagnera
pas les neuf. Ainsi chacun a pour soi neuf écus à espérer, un
écu à perdre, neuf degrés de probabilité de perdre un écu , et un
seul de gagner les neuf écus ; ce qui met la chose dans une
parfaite égalité.
Tous les jeux qui sont de cette sorte sont équitables, autant
que les jeux peuvent l'être , et ceux qui sont hors de cette pro
portion sont manifestement injustes : et c'est par là qu'on peut
faire voir qu'il y a une injustice évidente dans ces espèces de
jeux qu'on appello loteries, parce que le maître de loterie prenant
d'ordinaire sur le tout une dixième partie pour son préciput,
tout le corps des joueurs est dupé de la même manière qui si un
bonime jouait à un jeu égal, c'est- à -dire, où il y a autant d'appa
rence de gain que de perte, dix pistoles contre neuf. Or, si cela
est désavantageux à tout le corps , cela l'est aussi à chacun de
ceux qui le composent, puisqu'il arrive de là que la probabilité
de la perte surpasse plus la probabilité du gain , que l'avantage
qu'on espère no surpasse le désavantage auquel on s'expose, qui
est de perdre ce qu'on y met.
Il y a quelquefois si peu d'apparence dans le succès d'une chose,
que, quelque avantageuse qu'elle soit, et quelque petite que soit
celle que l'on hasarde pour l'obtenir, il est utile de ne pas la
hasarder . Ainsi , ce serait une sottise de jouer vingt sols contre
dix millions de livres, ou contre un royaume, à condition que l'on
ne pourrait le gagner, qu'autant qu'un enfant arrangeant au ha
sard les lettres d'une imprimerie, composåt tout d'un coup les
vingt premiers vers de l'Énéide de Virgile ; aussi, sans qu'on y
pense, il n'y a point de moment dans la vie où l'on ne la hasarde
plus qu'un prince no basardera son royaume en le jouant à cette
condition '.

1. A l'époque où parut l'Art de penser , il y avait peu d'années qua


Pascal et Fermat avaient appliqué l'analyse mathématique à l'appré
ciation des chances des jeux. Depuis, le calcul des probabilités a reçu
390 LOGIQUE .
Ces réflexions paraissent petites, et elles le sont en effet si on
en demeure là ; mais on peut les faire servir à des choses plus im
portantes; et le principal usage qu'on doit en tirer, est de nous
rendreplus raisonnables dans nos espérances et dansnos craintes.
Il y a, par exemple, beaucoup de personnes qui sont dans une
frayeur excessive lorsqu'elles entendent tonner. Si le tonnerre
les fait penser à Dieu et à la mort, à la bonne heure; on n'y sau
rait trop penser ; mais si c'est le seul danger de mourir par le ton
nerre qui leur cause cette appréhension extraordinaire, il est aisé
de leur faire voir qu'elle n'est pas raisonnable; car de deux mil
lions de personnes, c'est beaucoup s'il y en a une qui meure de
cette manière, et on peut dire même qu'il n'y a guère de mort
violente qui soit moins commune. Puis donc que la crainte du mal
doit être proportionnée, non -seulencent à la grandeur du mal, mais
aussi à la probabilité de l'événement, comme il n'y a guère de
genre de mort plus rare que de mourir par le tonnerre, il n'y ena
guère aussi qui dût nous causer moins de crainte, vu même que
cette crainte ne sert de rien pour nous le faire éviter..
C'est par là non - seulement qu'il faut détromper ces personnes
qui apportent des précautions extraordinaires et importunes pour
conserver leur vie et leur santé, en leur montrant que ces pré
cautions sont un plus grand mal que ne peut être le danger si
éloigné de l'accident qu'elles craignent; mais qu'il faut aussi dés
abuser tant de personnes qui ne raisonnent guère autrement
dans leurs entreprises qu'en cette manière : Il y a du danger en
cette affaire, donc elle est mauvaise; il y a de l'avantage dans
celle- ci, donc elle est bonne ; puisque ce n'est ni par le danger,
di par les avantages, mais par la proportion qu'ils ont entre eux
qu'il faut en juger.
Il est de la nature des choses finies de pouvoir être surpassées,
quelque grandes qu'elles soient, par les plus petites, si on les
des développements inespérés et acquis une importance considérable;
mais il s'est de plus en plus séparé de la logique, à laquelle il touche
cependant par tant de côtés. Parmi le petit nombre de philosophes
qui, à l'exemple d'Arnauld, y ont donné place dans leurs ouvrages ,
nous citerons : S'Gravesande, Introd . à la Philos.,, liv. II, 27, 28 , 29 ;
Reid, Ess . sur les Facull. int., VII, chap . III; Prévost, Essais de
Philos. , tome II , p . 56-109; Damiron , Logique, II° section , chap.in
QUATRIÈME PARTIE . 391

multiplie souvent, ou que ces petites choses surpassent plus les


grandes en vraisemblance de l'événement, qu'elles n'en sont sur
passées en grandeur. Ainsi , le moindre petit gain peut surpasser
le plus grand qu'on puisse s'imaginer, si le petit est souvent réi
téré, ou si ce grand bien est tellement difficile à obtenir, qu'il
surpasse moins le petit en grandeur que le petit ne le surpasse en
facilité ; et il en est de même des maux que l'on appréhende,
c'est- à -dire que le moindre petit mal peut être plus considérable
que le plus grand mal qui n'est pas infini, s'il le surpasse par
cette proportion .
Il n'y a que les choses infinies, comme l'éternité et le salut, qui
ne peuvent être égalées par aucun avantage temporel , et ainsi on
' ne doit jamais les mettre en balance avec aucune des choses du
monde . C'est pourquoi le moindre degré de facilité pour se sau
ver vaut mieux que tous les biens du monde joints ensemble ; et
le moindre péril de se perdre est plus considérable que tous les
maux temporels, considérés seulement comme maux.
Ce qui suffit à toutes les personnes raisonnables pour leur faire
tirer cette conclusion, par laquelle nous finirons cette logique,
que la plus grande de toutes les imprudences est d'employer son
temps et sa vie à autre chose qu'à ce qui peut servir à en acqué
rir une qui ne finira jamais, puisque tous les maux et les biens de
cette vie ne sont rien en comparaison de ceux de l'autre, et que
le danger de tomber dans ces maux est très-grand , aussi bien que
la difficulté d'acquérir ces biens.
Ceux qui tirent cette conclusion et qui la suivent dans la con
duite de leur vie sont prudents et sages, fussent-ils peu justes
dans tous les raisonnements qu'ils font sur les matières de science;
et ceux qui ne la tirent pas, fussent-ils justes dans tout le reste,
sont traités dans l'Écriture de fous et d'insensés, et font un mau
vais usage de la logique , de la raison et de la vie.

FIN DE LA LOGIQUE .
TABLE .
Notice sur les travaux philosophiques d'Antoine Arnauld .......... 1

PREMIER DISCOURS, où l'on fait voir le dessein de cette nouvelle


logique ..... 3
SECOND DISCOURS, contenant la réponse aux principales objections
qu'on a faites contre cette logique ...... 17
LOGIQUE ..... 33

PREMIÈRE PARTIE .
Contenant les réflexions sur les idées ou sur la première action
de l'esprit qui s'appelle concevoir.
CHAP . I. Des idées selon leur nature et leur origine.. 33
II . Des idées considérées selon leurs objets.. 41
III. Des dix catégories d'Aristote ... 45
IV . Des idées des choses et des idées des signes .... 48
V. Des idées considérées selon leur composition ou sim
plicité, et où il est parlé de la manière de connaitre
par abstraction ou précision .... 51
- VI. Des idées considérées selon leur généralité , parti
cularité et singularité ... 54
VII. Des cinq sortes d'idées universelles, genres, espèces ,
différences, propres, accidents .... 56
VIII. Des termes complexes et de leur universalité ou par
ticularité ..... 62
IX . De la clarté et distinction des idées et de leur obscu
rité et confusion .... 68
-

X. Quelques exemples de ces idées confuses et obscures


tirés de la morale ...... 77
XI. D'une autre cause qui met de la confusion dans nos
pensées et dans nos discours, qui est que nous les
attachons à des mots .... 84
XII . Du remède à la confusion qui nait dans nos pensées
1

et dans nos discours de la confusion des mots, où


il est parlé de la nécessité et de l'utilité de définir
les noms dont on se sert, et de la différence de la
définition des choses d'avec la définition des noms. 87
XIII Observations importantes touchant la définition des
poms ..... 92
394 TABLE .

CHAP . XIV . D'une autre sorte de définition de noms, par lesquels


on marque ce qu'ils signifient dans l'usage... 95
XV. Des idées que l'esprit ajoute à celles qui sont préci
sément signifiées par les mots... 102

DEUXIÈME PARTIE .

Contenant les réflexions que les hommes ont faites


sur leurs jugements .
CHAP . I. Des mots par rapport aux propositions...
0,0 ......... 107
II. Du verbe..... 113
C
III. Ce que c'est qu'une proposition , et de quatre sortes
de propositions .... 119
IV . De l'opposition entre les propositions qui ont même
sujet et même attribut.... 123
- V. Des propositions simples et composées. Qu'il y en a
de simples qui paraissent composées et qui ne le
sont pas, et qu'on peut appeler complexes. De celles
qui sont complexes par le sujet ou par l'attribut. 125
VI. De
nature des propositions incidentes qui font
partie des propositions complexes... 129
VII. De fausseté qui peut se trouver dans les termes
complexes et dans les propositions incidentes.... 133
VIII . Des propositions complexes selon l'affirmation ou la
négation , et d'une espèce de ces sortes de propo
sitions que les philosophes appellent modales .. . . 137
IX . Des diverses sortes de propositions composées..... 140
X. Des propositions composées dans le sens... 148
11

XI. Observations pour reconnaitre dans quelques propo


sitions exprimées d'une manière moins ordinaire,
quel en est le sujet et quel en est l'attribut..... 156
XII : Des sujets confus équivalents à deux sujets .... 159
XIII. Autres observations pour reconnaître si les proposi
tions sont universeiles ou particulières ....... 163
-
XIV . Des propositions où l'on donne aux signes le nom
des choses .... 171
xv . De deux sortes de propositions qui sont de grand
usage dans les sciences, la division et la défini
tion , et premièrement de la division ....... 177
-
XVI. De la définition qu'on appelle définition de choses . 181
-
XVII. De la conversion des propositions, où l'on explique
plus à fond la nature de Paffirmation et de la né
gation dont cette conversion dépend, et première
ment de l'affirmation ... 186
TABLE . 395

CHAP . XVIII . De la conversion des propositions affirmatives ..... 189


XIX . De la nature des propositions négatives ..... 191
XX. De la conversion des propositions négatives .., 193

TROISIÈME PARTIE .

Du raisonnement.

CHAP . I. De la nature du raisonnement et des diverses espea


ces qu'il peut y en avoir ...... 196
II. Division des syllogismes en simples et en conjonctifs,
et des simples en incomplexes et en complexes.... 198
III. Règles générales des syllogismes simples et com
200
plexes ....
IV . Des figures et des modes des syllogismes en général,
qu'il ne peut y avoir que quatre figures... 206
V. Règles, modes et fondements de la première figure. 209
VI. Règles, modes et fondements de la seconde figure.. 212
VII . Règles , modes et fondements de la troisième figure. 216
VIII . Des modes de la quatrième figure ...... 219
IX . Des syllogismes complexes , et comment on peut les
réduire aux syllogismes communs et en juger par
les mêmes règles ... 222
- X. Principe général par lequel, sans aucune réduction
aux figures et aux modes, on peut juger de la
bonté ou du défaut de tout syllogisme .... 229
XI. Application de ce principe général à plusieurs syl
logismes qui paraissent embarrassés. 232
236
XII . Des syllogismes conjonctifs......
XIII. Des syllogismes dont la conclusion est condition
242
nelle .......
XIV. Des enthymèmes et des sentences enthymématiques. 247
XV . Des syllogismes composés de plus de trois proposi
tions ..... 248
. XVI . Des dilemmes . 231
XVII. Des lieux ou de la méthode de trouver des arguments.
Combien cette méthode est de peu d'usage ...... 254
- XVIII. Division des lieux en lieux de grammaire, de logique
et de métaphysique.... 259
XIX Des diverses manières de mal raisonner que l'on
appelle sophismes .. 265
XX . Des mauvais raisonnements que l'on commet dans
la vie civile et dans les discours ordinaires...... 287
396 TABLE .

QUATRIÈME PARTIE.
De la méthode.

CHAP . I. De la science. Qu'il y en a. Que les choses que l'on


connaît par l'esprit sont plus certaines que ce que
l'on connait par les sens . Qu'il y a des choses que
l'esprit humain est incapable de savoir. Utilitéque
l'on peut tirer de cette ignorance nécessaire ..... 319
II . De deux sortes de méthodes, analyse et synthèse.
Exemple de l'analyse .... 329
III . De la méthode de composition , et particulièrement
de celle qu'observent les géomètres .... 337
IV . Explication plus particulière de ces règles , et pre
1

mièrement de celles qui regardent les défini


tions ..... 339
-

V. Que les géomètres semblent n'avoir pas toujours bien


compris la différence qu'il y a entre la définition
des mots et la définition des choses .... 344 ,
VI . Des règles qui regardent les axiomes, c'est -à -dire les
propositions claires et évidentes par elles -mêmes. 347
VII. Quelques axiomes importants, et qui peuvent servir
de principes à de grandes vérités . ... 354
ten VIII . Des règles qui regardent les démonstrations... 356
IX . De quelques défauts qui se rencontrent d'ordinaire
dans la méthode des géomètres ...... 359
X. Réponse à ce que disent les géomètres à ce sujet... 365
- XI . La méthode des sciences réduite à huit règles prin
cipales .... 367
XII. De ce que nous connaissons par la foi, soit humaine,
soit divine .... 369
XIII , Quelques règles pour bien conduire sa raison dans
la croyance des événements qui dépendent de la
foi humaine........ 373
XIV . Application de la règle précédente à la croyance des
miracles .... . 377
XV . Autre remarque sur le sujet de la croyance des
événements .... 383
XVI. Du jugement que l'on doit faire des accidents
futurs .... 387

FIN DE LA TABLR .

Paris, - Imp. Viéville et Capiomont, rue des Poitevins, 6.


NOTICE
DE

LIVRES CLASSIQUES
A L'USAGE

1° DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

LYCÉES, COLLÉGBS, SÉMINAIRBS, INSTITUTIONS ET PENSIONS)


2 ° DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
...

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 19

Octobre 1875
TABLE DES MATIÈRES

Pages
Ba
10 Pédagogie ; Législation de l'instruction publique. ,
...... 3
1
20 Programmes et Manuels pour divers examens, .. 3 Br
30 Étude de la langue française . 4

4 ° Géographie.... Co
5° Mythologie, Histoire et Chronologie .
60 Philosophie et Économie politique .. Jor
70 Sciences et Arts .
§ 1. Arithmétique et applications diverses..... 10
§ 2. Géométrie ; Arpeniage ; Dessin d'imitation . .. 11
3. Algèbre ; Application de l'Algèbre à la Géométrie ; Géomé
trie analytique , Géométrie descriptive ; Trigonomélrie . 12
§ 4. Mécanique.... 12
§ 5. Astronomie , Cosmographie . 13
§ 6. Physique ; Chimie... 13 Mé
§ 7. Histoire naturelle .. 14
14 3
§ 8. Ouvrages divers .
80 Étude de la langue laline .... 14
go Étude de la langue grecque ancienne.. 18 tit
9
100 Élude des langues vivantes .
Langue allemande .... 21 el
pa
Langue anglaise.. 23 tar
Langue italienne . 24
Langue espagnole .
24 со
éc
va
ter

On adressera franco aux personnes qui en feront la demande : 20


ten
SC
Le catalogue des livres d'éducation et d'enseignement ; Sau
Le catalogue des livres de littérature générale et de connaissances utiles ; cai
cas
Le catalogue des livres reliés pour les distributions de prix ;
Le catalogue des livres à l'usage des bibliothèques populaires ; Со
Le catalogue des livres reçus en dépôt et d'assortiments ; ind
Le catalogue des livres d'étrennes ; Pa
Le catalogue des fournitures de classes ; par
Com
Le catalogue du matériel nécessaire pour l'enseignement pratique des sciences.
1 ° PÉDAGOGIE
LÉGISLATION DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

Barrau. Conseils sur l'éducation dans la et littéraires depuis la fondation de l'o


famille et au collége. In-8, br. 5 fr . niversité . In-8 , br. 7 fr. 50 c.
Bréal (Michel), professeur au Collège de - Le budget des cultes en France, depuis
France. Quelques mots sur l'instruction le concordat de 1801 jusqu'en 1859 .
publique en France. In-12. 3 fr . 50 . In - 8 , broché. 7 fr . 50 c.

Cournot. DosFrance.
institutions Prévost- Paradol. Du rôle de la famille
publique en In - 8 . d'instruction
7 fr. 50 c. dans l'éducation . In-8 , broché . 2 fr . 50 c.
| Jourdain . Le budget de l'instruction pu Simon (Jules) . La réforme de l'enseigne
blique el des Sablissements scientifiques ment secondaire , In- 12 , br. 3 fr . 50 c.

2 ° PROGRAMMES ET MANUELS
POUR DIVERS EXAMENS

Mémento du bacca aréatès lettres, Tome II, partie scientifique, compre


scindé en deux séries d'épreuves. nant : Arithmétique ; Géométrie ;
3 vol . petit in -16 , cart.15 fr . Algebre ; Trigonométrie rectiligne;
TOME I , 1er EXAMEN , comprenant : Géométrie descriptive ; Cosmogra
Conseils sur les épreuves écrites; - No phie ; Mécauique ; Physique ;
tices sur les auteurs et les ouvrages indi Chimie , par M. Bos, Bezodis , Pie.
qués pour l'explication orale ; Princi chot . Mascart et Boutet de Monvel,
cartonné 6 fr . 50 c.
pales notions de rhétoriqueet de litterature
classique ; Histoire; Geographie, Questionnaire sur le Mémento dú bac
par MM . Albert Le Roy, Ducoudray , Cor calauréat és sciences (partie littéraire et
tambert, cartonné. 4 fr .
partie scientifique ), 1 vol. petit in -16,
2 fr . 50
TOME II , 2e EXAMEN , partie littéraire, cartonné. c.
comprenant : Conseils sur les épreuves
écrites ; Philosophie ; Langues vi Programmes officiels du 23 juillet 1874
vantes ; Histoire et Géographie con pour l'enseignement secondaire classique,
temporai nes ; par MM . Albert Le Roy, (classes de lettres). In-12, br. 75 C.
Ducoudray, etc.; cartonné . 5 fr . Programmes des connaissances
TOME HI, 2e EXAMEN, partie scien exigées et instruction ministé
tifique, comprenant : Algèbre ; Géo rielle pour l'admission à l'École
métrie; Cosmographie; Physique; spéciale militaire de Saint - Cyr .
Chimie ; Histoire nature le; par Brochure in - 12 . 30 c .
MM . Bos, Pichot et Iechat, professeurs Programmes connaissances
des
au lycée Louis - le -Grand, cartonné. 6 fr. exigées et instruction ministé
Memento du baccalauréat és rielle pour l'admission à l'École
sciences , résumé sommaire des connais polytechnique. In- 12. 40 c.
sances demandées pour l'examen du bac
calauréat és sciences. 2 vol. petit in - 16, Programme du baccalauréat és
cartonnés . 11 fr. sciences . In- 12 . 30 c .

Tome I, partie littéraire, comprenant : Programme du baccalauréat ès


Conseils sur les différentes épreuves et lettres complet en un seul examen .
Notices sur les auteurs et les ouvrages In-12 . 30 c .
indiqués pour l'explication orale ;
Philosophie ; Histoire ; -- Géographie, Programme du baccalauréat és
par MM. Albert Le Roy , Ducoudray, lettres scindé en deux séries d'épreu
Cortanabert, etc., cart. 4 fr. 50 c . ves . Brochure in - 12. 30 c .
ÉTUDE DE LA LANGUE FRANÇAISE .

3° ÉTUDE DE LA LANGUE FRANÇAISE


Traitės élémentaires de Grammaire, de Rhétorique, de Versification et
de Littérature; Dictionnaires ; Auteurs français ; Recueils de inorceaux
en prose et en vers ; Mélanges.
Albert (Paul), maître de conférences à Chassang, inspecteurgénéralde l'instruc
l'Ecole normale supérieure. La Poésie, tion publique. Modèles de composition
études sur les chefs-d'ouvre des poëtes de française, empruntés aux écrivains classic
tous les temps et de tous les pays ; 3e édi ques , comprenant des lettres, des dialo
tion . 1 vol. in-12 , broché. 3 fr . 50 c.
gues, des descriptions, des portraits, des
La Prose, études sur les chefs - d'œuvre narrations, desdiscours, des lieux communs
des prosateurs de tous les temps etde tous ou dissertations, avec des arguments, des
les pays ; 2° édit. 1 vol . in- 12, 3 fr. 50 c. notes et des préceptes sur chaque genre
La littérature française, des origines à de composition. 10-12, cart. 2 fr .
la fin du xvie siècle . In-12, br. 3 fr. 50 c.
La littérature française au xviie siè Classiques français , format in - 12 . Edi
cle ;2eédition. 1 vol. in-12 , br. 3 fr . 50 c. tions, publiées avec des notes historiques
- La littérature française au xville siècle . et littéraires, par les auteurs dont les noms
3 fr . 50 c.
sont indiqués entre pa ses .
1 vol. in - 12, br.
Barrau . Méthode de composition et de Bossuet : Discours sur l'histoire univer
style, ou principes de l'art d'écrire en selle ( Olleris ): 2 fr . 50 C.
français, suivis d'un choix de modèles ; - Oraisons funèbres (Aubert). 1 fr. 60 c.
10e édition. In-12 , cartonné, 2 fr . 75 c. Corneille : Théâtre choisi ( Geruzez ).
Exercices de composition et de style, ou Prix. 2 fr . 50 c.
. sujets de description , de narrations, de Fénelon : Dialogues des morts (B. Jul
dialogues et de discours ; 4e édition. lien). 1 fr . 80 c.
In -12, br. 2 fr . Dialogues sur l'éloquence Del
Beaujean , professeur au lycée Louis-le zons) . - 80 c .
Grand. Abrégé du Dictionnaire de la C
Opuscules académiques : 80 C.
langue française de E. Littré, contenant
tous les mots qui se trouvent dans le Dic
-
Télémaque ( Chassang ). 1 fr . 50 c.
tionnaire de l'Académie française , plus un La Bruyère : Caractères (G. Servois).
grand nombre de neologismeset de termes Prix. 2 fr . 80 c .
de science et d'art , avec l'indication de la Massillon : Carême ( Colincamp). 1 fr . 25 c .
prononciation, de l'étymologie, et l'expli Montesquieu : Grandeur et décadence des
cation des locutions proverbiales et des Romains (C. Aubert). 1 fr . 25 c.
difficultés grammaticales. I fort volume Racine : Théâtre choisi (E. Geruzez).
in-80 de 1,300 pages, broché. 12 fr . Prix . 2 fr . 50 c.
Cartonné en toile verte . 13 fr . 50 c.
Relié en demi-chagrin. 16 fr . Rousseau (J.-B.). (Euvres lyriques (Ge
Brachet (Auguste ), lauréat de l'Acadé . ruzez). 1 fr . 50 c. 1

mie française. Nouvelle grammaire fran Voltaire : Histoire de Charles XII ( Bro
çaise, fondée sur l'histoire de la langue ; chard - Dauteu ille). 1 fr . 60 c.
i 3e édition revue. In-12, cart. i fr . 50 c . Siècle de Louis XIV (Garnier ), 2 fr. 75
Voir Dussouchet pour les exercices ; Théâtre choisi (Geruzez). 2 fr . 50 c.
morceaux choisis des écrivanis dú
XVIe siècle . Classiques français .Nouvelle collection
format petit in - 16, publiée avec des notices,
Chapsal. Modèles de littérature fran . des arguments analytiques et des notes,
çaise , ou morceaux choisis en prose et en par les auteurs dont les noms sont india
vers des meilleurs écrivains , depuis le qués entre parenthèses :
xvie siècle jusqu'à nos jours, avec des Ces éditions se recommandent par la pureté du
notices biographiques et littéraires ; nouv. texte , la concision des notes, la commodité du
edit. 2 vol. in - 12 ,cart. % fr , format et l'élégance du cartonnage.
ÉTUDE DE LA LANGUE FRANÇAISE. 5
Boileau : (Euvres poétiques ( Geruzez ). Voir Beaujean, abrégé du dictionnaire.
Prix . 1 fr . 50 c. Merlet , professeurde rhétorique au lycée
Buffon . Discours sur le style. 30 C. Louis - le -Grand. Études littéraires sur
Fénelon : Fables (A. Regnier ). 75 c. les classiques français de la rhétorique et
Sermon pour la fête de l'Épiphanie du baccalauréat és lettres. 1 volume
( G. Merlet). 60 C. in-12, broché .
Florian : Fables (Geruzez). 75 c. Méthode uniforme pour l'enseigne
La Fontaine : Fables ( E. Geruzez ). 1 fr. 60 ment des langues , par M. E.S mer ,
Lamartine : Morceaux choisis . 2 fr .
agrégé des classes supérieures, docteur ès
l'héâtre classique ( A. Regnier). 3 fr . lettres :
D'autres auteurs sont en préparation. Abrégé de grammaire française ,à l'usage
Demogeot, agrégé de la faculté des let- des classes préparatoires des lycées et
tres de Paris . Histoire de la littérature colléges. In-12, cart. 75 c.
française depuis ses origines jusqu'à nos Questionnaire sur l’abrégé de grammaire
jours; 14e édition, 1 vol. in-12, 4 fr . française. In- 12 , cart. 40 c.
Textes classiques de la littérature fran . Exercices sur l’abrégé de grammaire
çaise, extraits des grands écrivains fran française . In-12 , cart . 75 c.
çais, avec notices, appréciations et notes, Corrigé desdits exercices. In-12 . 1 fr .
recueil servant de complément à l'histoire
de la littérature française. 2 vol. in50- 12, Exercices sur l'analyse grammaticale et
cartonnés . 4 fr . c. sur l'analyse logique. În -12, cart. 1 fr.
Dussouchet, agrégédegrammaire. Exer Corrigé des exercices sur l'analyse gram
maticale . In- 12 . 2 fr .
cices sur la nouvelle gramı aire fran
çaise de M. Brachet . 1 volume in- 12 , Corrigé des exercices sur l'analyse logi.
cartonné . que. In-12 . 1 fr. 50 c.
Cours complet de grammaire française,
Fénelon. Morceaux choisis, à l'usage des à l'usage des établissements d'instruc
classes de septième, publié par M. Ad . tion secondaire. In-8 , cart. 1 fr . 50 c.
Regnier. In-18 , cart. 80 c.
Exercices sur le cours complet de gram
Filon (A.), inspecteur honoraire de l'Aca maire française. In-8, cart. i fr. 50 c.
démie de Paris. Elements de rhétorique Corrigé des exercices , In - 8 , br. 2 fr .
française. 8e édit. In- 12 , cart . 2 fr . 50 c. Voir pages 16 et 20, pour les langues latine et
- Nouvelles narrations françaises, avec les grecque.
arguments: précédées d'exercicescourts et Morceaux choisis des grands écri.
faciles, à l'usage des élèves qui veulent se vains français du seizième siècle ,
former à l'art d'écrire; 12e édition. In- 12 , accompagnés d'une grammaire et d'un dic
broché. 3 fr . 50 c. tionnaire de la langue du xvie siècle, par
Lafaye. Dictionnaire des synonymes de la M. Aug. Brachet . In- 12, cart. 3 fr. 50 c.
langue française. Ouvrage qui a obtenu Pellissier, professeur à Sainte - Barbe.
de l'Institut le prix de linguistique en Morceaux choisis des classiques français,
1843 et en 1858 ; 3e édition suivie d'un en prose et en vers . Recueils composés
supplément. 1 vol. gr . in- 8 de 1500 pages, d'après les programmes officiels des
broché. 23 fr. lycées, à l'usage des classes de grammaire
Le cartonnage en percaline gaufrée se paye en sus et d'humanités, 6 vol. in- 12, cartonnés :
2 fr. 76 c.; la demi-reliure en chagrin, 4 fr.50 . Classe de Sixième, i vol i fr.
La Fontaine. Choix de fables, avec une Classe de Cinquième, 1 vol. • 1 fr .
notice biographique et des notes tirées de Classe de Quatrième, 1 vol. 1 fr .
l'édition classique publiée par M. Geruzez. Classe de Troisième, 1 vol. 2 fr .
In-12, cart. 1 fr .
Classe de Seconde, 1 vol. 2 fr .
Littré (E. ). Dictionnaire dela langue fran Classe de Rhétorique, 1 vol. 2 fr .
çaise contenant la nomenclature la plus
étendue, la prononciation et les difficultés -
- Premiers principes de style et de compo
grammaticales, la signification des mots sition . I vol. iu- 12 , cart. 50
1 fr . c.
avec de l'histoire
nombreuxdesexemples, et les syno - Sujetset modèles de compositions fran
.nymes, mots, depuis les pre- çaises destinés à servir d'application aux
miers temps de la langue française jusqu'au Premiers principes de style. 1 vol. in - 12,
cartonné . 1 fr 50 c.
seizième siècle, et l'étymologie comparée.
4 vol. gr. in - 4 à 3 colonnes, br. 100 fr. - Principes de rhétorique française. Ivol.
La reliure en derni- chagrin se paye en sus 20 fr. in-12, cart. 2 fr . 50 C.
6 ÉTUDE DE LA LANGUE FRANÇAISE .
- Sujets et modèles de compositions fran- vains ; 30 l'explication des principaux ho
çaises destinés à servir d'application aux monymes français. In - 18 , cart. 1 fr. 80 c .
Principes de rhétorique. 1 vol. in - 12 , car- - Manuel de Part épistolaire , 4e édition.
tonné . 2 fr . 50 c . 2 vol. gr. in-18 , br. 3 fr , 25 c.
Poitevin. Etude méthodique et raisonnée Manuel de style , ou préceptes et exercices
des homonymes et des paronymes fran sur l'art de composer et d'écrire en frau
çais : 10e édition. 2 vol . in - 12 . çais ; 7e édition. 2 vol. gr. in -18, br. 3 fr .
Ecercices. 1 vol. 1 fr . 50 c . Voir Méthode uniforme pour l'enseignement
Corrigé des exercices. 1 vol . 2 fr . des langues, pages 8 , 16, 20 , 22, 23 et 24 .

Prévost-Paradol. Etudes sur les mora Soulice ( Th . ) . Petit dictionnaire de la


listes français. In-12, broché. 3 fr. 50 c. langue française ; nouvelle édition entiè
rement refondue . 11-18 , cart. 1 fr . 50 c.
Quicherat (L. ) . Petit traité de versifica- Le même ouvrage, suivi d'un Complé
tion française ; 5e édition. In -12, car- ment historique et géographique , par
tonné, 1 fr . M. Soulice fils. 1 fort vol . in- 18 , car
tonné . 1 fr . 80.
Sommer. Petit dictionnaire des rimes
françaises ,, précédé d'un précis des Le Complément historique et géogra
règles de la versification ; 5e édition. phique seul. 1 vol. in -18, cart. 50 c.
10-18 , cartonné. 1 fr . 80 c . Soulice et Sardou . Petit dictionnaire
- Petit dictionnaire des synonymes fran raisonné des difficultés et exceptions de
çais, avec : 10 leur définition ; 20 de nom- la langue française. In- 18, cart. 2 fr .
breux exemples tirés des meilleurs écri- Relié en percaline gaufrée. 2 fr . 50 C.

4° GÉOGRAPHIE

Bouillet. Atlas universel d'histoire et de 30 Atlas (petit) de géographie moderne,


géographie. Ouvrage faisant suite au Dic composé de 20 cartes. Nouvelle édi
tionnaire d'histoire et de géographie du tion gravée sur acier. Grand in -8,
même auteur , et comprenant: 10 LA CHRO cartonné. 2 fr . 50 C.
NOLOGIE : la concordance des principales 40 Atlas (petit) de géographie ancienne
ères avec les années avant et après Jésus et moderne, composé de 36 cartes.
Christ et des tables chronologiques uni Grand in-8 , cartonné. 5 fr .
verselles ; 20 LA GÉNÉALOGIE : des ta 50 Atlas ( petit) de géographie ancienne :
bleaux généalogiques des dieux et de toutes du moyen âge etmoderne, composé de
les familles historiques, et un traité élé 51 cartes. Grand in - 8 , cart. 7 fr. 50 c .
mentaire de l'ari héraldique ; 30 LA 60 Atlas (nouvel) de géographie moderno
GÉOGRAPHIE : 88 cartes de géographie contenant 66 cartes . Grand in -4 , car
ancienne et moderne avec un texte expli tonné. 10 D
catif indiquant les ressources et les divi 70 Atlas complet de géogrophie, conten
sions de chaque pays. 1 volume grand en 98 cartes la géographie ancienne
in -8 , br . 21 fr . géographie du moyen age, la cusn .
Le cartonnage se paye en sus 2 fr. 75 C. graphie et la géographie moderne.
Le même l'art
ouvrage, avec 12 br
planches colo Grand in-4, cartonné. 15 fr .
riées de héraldique, . 30 fr . Chaque carte séparément. 15 c.
Le cartonnage se paye en sus 3 fr. 25 c. - Nouveau cours complet de géographie,
Cortambert. Atlas dressés sous sa direc contenant les matieres indiquées par les
tion : programmes de 1874 , à l'usage des lycées
19 Atlas (petit) de géographie ancienne, et des colléges. 12 vol. in-12 , cartonnés
composé de 16 cartes. Grand in - 8, car avec vignettes dans le texte et accompa
tonné . 2 fr . 5o c . gnés d'atlas correspondant aux niulières
20 Atlas (petit) de géographie du moyen enseignéesdans chaque classe :
dge, composé de 15 cartes graud in - 8, Notions élémentaires de Geographie gø.
cartonné, 2 fr . 50 c. nerale et notions sur la géographie phy.
GÉOGRAPHIE . 7

sique de la France physique et de la Erhard . Nouvelle carte murale de France ,


Terre sainte ( classe préparatoire ). 80 c . muetie ou écrite, dressee a'après la carte
Atlas correspondant ( 9 cartes ), 1 vo publiée par la commission de la topo
lume). 1 fr . 50 c . graphie des Gaules et donnant une idée
exacte du relief du sol. 4 feuilles grand
Géographie élémentaire des cinq parties monde, imprimées en couleurs, ayant
du monde ( classe de Huitième). 1 vo
lume. 80 c . ensemble fin , 60 de bauteur sur 1m ,78 de
largeur. 20 fr .
Atlas correspondant (10 cartes), 1 vo Le collage sur toile avec gorge et rouleau 2
lume. i fr . 50 c .
paye en sus 12 fr .
Géographie élémentaire de la France
( classe de Septième). 1 vol. 1 fr . 20 c . Joanne (A.) Dictionnaire géographique,
Atlas correspondant ( 15 cartes), 1 vo administratif , postul, statistique et ar
lume. 2 fr . 50 c . chéologique de la France, de l'Algérie
Géographie générale de l'Asie, de l’A et des colonies ; 2e édition , revue et aug
frique, de l'Amérique et de l'Océanie mentée. 1 vol. grand in -8 imprimé sur
( classe de Sixième) . 1 vol. 1 fr . 50 c. deux colonnes (2700 pages) . Br . 25 fr.
Atlas correspondant (27 cartes), 1 vol . 4 fr . Le cartonnage en percaline gaufrée se paye e !
sus 3 fr. 25 c ., et la demi-reliure 5 fr .
Géographie générate physique et politique
de l'Europe, moins la France (classe de Atlas de la France, contenant 95 cartes
Cinquième;. 1 volume. A fr. 50 c . (1 carte générale de la France , 89 cartes
Atlas correspondant(20cartes ), 1 vol . 3 fr. départementales, 1 carte générale de
Géographie dela France (classe de qua l'Algérie et 4 cartes des Colonies) tirées
trième). 1 volume . 1 fr . 50 c. en 4 couleurs et 94 notices géographiques
Atlascorrespondant (23 cartes ), 1 vol. 3 fr. et statistiques. 1 beau volume in -folio,
cartonné . 40 fr .
Géographie de l'Europe ( classe de Troi Chaque carte se vend séparément 50 C.
sième). 1 vol. 2 fr .
Atlas correspondant ( 20 cartes ), 1 vo Meissas et Michelot . Atlas et cartes.
lume. 3 fr . 50 c .
PETITS ATLAS format in - 8 .
Description particulière de l'Asie, de l'A
frique, de l'Amérique et de l'Océanie, A. Atlas (petit) élémentaire de géogra
précédée d'un résumé de la Gévgraphie phie moderne, composé de buit cartes
générale (elasse de Seconde ). 1 vol. 3 fr. écrites. Cartonné. 2 fr . 50 c.
Atlas correspondant ( 29 cartes ), 1 vo B. Le même, avec 8 cartes muettes 16
lume. 4 fr . cartes) . Cartonné . 3 fr: 50 c.
Géographie de laFrance et de ses colo C. Allas (petit) universel de géographie
nies, précédée de notions générale de moderne ; 17 cartes écrites . 5 fr .
géographie (classe de Rhétorique). 1 vo D. Le Ĉme, avec 8 cártés muettes ( 25
lume. 3 fr. cart s) . Cartonné . 6 fr.
Atlas correspondant (30 cartes), 150vo
lume .
E. Atlas (petit) de géographie ancienne
4 fr. c.
et moderne, composé de 36 cartes écri
Résumé de géographie générale, offrant tes sur.30 planches. Cart. 9 fr. ,
particulièrement les changements terri F. Le même , avec 8 cartes muettes (46
toriaux survenus depuis 1848 (classe de cartes) . Cartonné. 10 fr .
Philosophie ). 1 volume. 2 fr .
G. Atlas (petit) universel de géographie
Eléments de géographie générale (elasse ancienne, du moyen âge et moderne
de mathématiques préparatoires). 1 vo et de géographie sacrée ; 54 cartes
lume. 1 fr. 50 c. écrites. 14 fr .
Géographie générale ( classe de mathéma H. Le même, avec 8 cartes muettes ( 62
tiques élémentaires). 1 vol. 5 fr . cartes ). Cartonné. 15 fr .
* Cours de géographie, comprenant la Atlas (pelit) de géographie ancienne ;
description physique et politique, et la 19 cartes écrites sur 14 planches. 5 ft .
geographie historique des diverses con Atlas (petit) de géographie du moyen
trees du globe; 11e édition, avec vignettes. âge , composé de 10 cartes écrites. Car
1 fort vol. in -12, cartoliné. 4 fr . tonné . 3 fr . 51 ) c .
Petit cours de geographie moderne, avec Atlas de géographie sacrée. 8 cartes écri
de nombreux exercices ; 186 édition , avec tes sur 6 planches. Cartonné. 2 fr .
vignettes. In -12, cartonné . fr. 50 C. Chaque carte se vend séparément 38 C.
GÉOGRAPHIE .
GRANDS ATLAS format in - folio . Italie et Grèce anciennes écrites . 16
feuilles , 10 fr .
A. Atlas élémentaire composé de 8 cartes
écrites . Cartonné. 6 fr . Géographie moderne.
B. Le même, avec 8 cartes muettes ( 16 Afrique écrite . 16 feuilles. 10 fr .
cartes) . Cartonné. 11 fr . 50 c . Amériques septentrionale et méridionale
écrites . 20 feuilles. 12 fr .
C. Atlas universel composé de 12 cartes Asie écrite . 16 feuilles.
10 fr . 50 c. 10 fr .
écrites. Cartonné .
D. Le même, avec 8 cartes muettes (20 Europe écrite. 16 feuilles. 9 fr .
cartes). Cartonné. 15 fr .
Europe muette. 16 feuilles. 7 fr . 50 c.
France, Belgique et Suisse écrites . 16
Atlas. universel,
E.écrites Cartonné .
composé de 19 cartes feuilles. 9 fr .
15 fr. Mappemonde écrite, 20 feuilles. 12 fr.
F. Le même, avec 8 cartes muettes (27 Mappemonde muette . 20 feuilles. 10 fr .
cartes). Cartonné. 21 fr . F
Nouvelle carte murale écrite de la France
Chaque carte se vend séparément 1 fr . par départements, indiquant le relief
.
Grandes cartes murales muettes ou écri du terrain , tirée en chromolithographie
tes, pour l'enseignement de la géographie sur 12 feuilles jésus mesurant 1 mètre 95
dans les classes : de hauteur sur 2 mètres de larg. 15 fr .
Ces cartes, imprimées sur 16 ou 20 feuilles grand La même carte , muette . 15 fr .
raisin , sont coloriées à teintes plates . Le collage sur toile avec gorge et rouleau et
Les cartes en 16 feuilles ont 1 m . 80 de hauteur le vernissage se payent en sus 12 fr.
sur 2 m . 30 de largeur. Celles en 20 feuilles ont Il existe aussi une collection de petitescartesmu G
1 m . 80 de hauteur sur 2 m . 80 de largeur. rales, dont le détail se trouve dans la Notice de
Le collage sur toile, avec gorge et rouleau et le livres élémentaires .
vernissage, se payent en sus : 10 pour les HE
cartes en 16 feuilles, 12 fr .; 20 pour les cartes - Géographie ancienne, comparée avec
en 20 feuilles, 14 fr. la géographie moderne. In - 12. 2 fr . 50 c.
Chaque carte murale est accompagnée d'un ques. Petite géographie ancienne, comparée
tionnaire qui est donné gratuitement aux acqué. avec la géographie moderne. In 18. 1 fr .
reurs de la carte à laquelle il se réfère.
Chaque questionnaire se vend en outre séparé Nouvelle géographie méthodique, suivie
ment, 30 c . d'un petittraité sur la construction des
cartes. In-12, cartonné. 2 fr . 50 c.
Géographie ancienne. -Géographie : sacrée, avec un plan de
Empire romain écrit. 16 feuilles. 10 fr . Jérusalem . In- 18, cartonné . i fr . 25 c.

5 ° MYTHOLOGIE, HISTOIRE ET CHRONOLOGIE


Bouillet (N.). Dictionnaire universeld'his- Classe de Quatrième : Abrégé d'histoire
toire et de géographie. Edition entière- romaine. 1 vol. 3 fr .
ment refondue et accompagnée d'un sup- Classe de Troisième: Histoire de l'Europe,
plément. 1 vol gr. in-8 , broché. 21 fr . du ve siècle à la fin du Xile siècle
Le cartonnage se paye en sus 2 fr . 75 c. (395-1270) . 1 vol. 3 fr . 50 c. 1 Bih
Ducoudray , agrégé d'histoire. Histoire et Classe de Seconde : Histoire de l'Europe , de
géographie contemporaines depuis 1789 de la fin du XIIe siècle au commen
jusqu'à 1848 ; nouvelle édition, rédigée cement du xviie siècle ( 1270-1610) . 1 vol. A
conformément aux programmes de 1874, à Prix : 3 fr . 50 c.
l'usage de la classe de philosophie . 1 fort Classe de Rhétorique : Histoire de l'Eu .
vol . in - 12 , cart. ð fr . rope, de 1610 à 1789, précédée d'une B.
Duruy ( V. ) . Cours d'histoire , rédigé courte révision de l'Histoire de France.
conformément aux programmes de 1874, antérieure à 1610. 1 vol. 3 fr . 50 C. Ci
à l'usage des classes de grammaire et · Petit cours d'histoire universelle . For ..
d'humanités . Nouvelle édition entière- mat in- 18 , cartonné :
ment refondue contenant des cartes géo . Petite histoire sainte . 80 c.
graphiques et des gravures. 6 vol. in-12, Vie de N , S, Jésus - Christ . 60 c.
cartonnés : Petite histoire ancienne . 1 fr .
Classe de Sixième : Abrégé d'histoire Petite histoire grecque. 1 fr .
ancienne . I vol . 3 fr . Petite histoire romaine. 1 fr .
Classe de Cinquième : Abrégé d'histoire Petite histoire du moyen âge. 1 fr .
grecque . 1 vol . 3 fr . Petite histoire moderne. 1 fr .
HISTOIRE .
Petite histoire de France . 1 fr . Histoire grecque, par M. Duruy. 4 fr .
Petite histoire générale . 1 fr . Histoireromaine, par le même. 4 fr .
-
Histoire des Romains, depuis les temps Histoire dumoyen âge, par le même. 4 fr.
les plus reculés jusqu'à la fin du règne Histoire des temps modernes de 1453
des Antonins ; nouvelle édition . 4 vo jusqu'à 1789, par le même. 4 fr .
lumes in- 8 , brochés . 30 fr . Histoire de France, par le même. 2 vo
lumes. 8 fr .
Histoire des Grecs depuis les temps les
plus reculés jusqu'à la réduction de la Histoire d'Angleterre parM.Fleury. 4 fr.
Histoire d'Italie, par M. Zeller. 5 fr .
Grèce en province romaine; nouvelle édi Histoire du Portugal, par M. Bouchot.
tion . 2 voluines in-8 , brochés .12 fr .
Prix . 4 fr .
Introduction générale à l'histoire de Histoire de la littérature grecque , par
France . 1 vol . in- 12, broché. 3 fr . 50 C. M. Pierron . 4 fr .
Fustel de Coulanges , maitre de con Histoire de la littérature romaine, par
férences à l'Ecole normale supérieure. le même . 4 fr .
La cité antique ; 3e édition. 1 volume Histoire de la littérature française, par
in- 12 , broché. 3 fr . 50 c. M. Demogeot. 4 fr .
Histoir : des institutions politiques de Histoire de la littérature italienne, par
l'ancienne France . Première partie : l'Em M. Etienne . 4 fr .
pire romain , les Germains, la royauté Histoire de la physique et de la chimie,
inérovingicune. 1 vol . in -80 . 7 fr. 50 c. par M. Hoefer. 4 fr .
Geruzez . Petit cours de mythologie ; Histoire de la botanique, de la minera
15e édition . In-12 , cart . 90 c.
logie et de la géologie, par le même. 4 fr.
Histoire de la zoologie, par le inėme. 4 fr.
Histoire universelle, publiée par une Histoire de l'astronomie , par le même. 4 fr .
société de professeurs et de savants, sous Histoire des mathématiques, par4 frle.
la direction de M. V. Duruy. Format méme.
in -12 , broché. Dictionnaire historique des institutions,
La terre et l'homme, par M. A. Mau mæurs et coutumes de la France , par
M. Chéruel. 2 vol. 12 fr .
ry. 5 fr .
Chronologie universelle , par M. Dreyss. Lalanne (Ludovic ). Dictionnaire histo
2 vol . 10 fr . rique de la France, contenant : 10 l'his
Histoire sainte d'après la Bible, par toire civile et littéraire ; 20 l'histoire mili
M. Duruy. 3 fr . taire; 30 la géographie historique. 1 vol.
Histoire ancienne des peuples de l'Orient, grand in-8 à 2 colonnes, broché. 21 fr .
par M. Maspero. 5 fr . Le cartonnage se paye en sus 2 fr . 75 C.

6° PHILOSOPHIE ET ÉCONOMIE POLITIQUE


Bibliothèque philosophique, à l'usage Descartes : Discours de la méthode ; pu
des classes de pbilosophie et des aspirants blié par M. Vapereau. In-16. 90 C.
au baccalauréat és lettres : Épictète : Manuel,traduction française
Arnauld : Logique de Port-Royal, avec de MM . Fr. et Ch . Thurot , sans le texte.
une introduction et des notes. Édition In - 16 . 1 fr .
publiée par M. Jourdain. In-12. 2 fr.50 C. Fénelon : Traité de l'existence de Dieu ;
Bossuet : De la connaissance de Dieu et publié par M. Dantou, in-12. 1 fr . 50 c.
2
de soi-même. In -16 . 1 fr . 60 с . Leibniz : Extraits de la Théodicée, par
Cicéron : De la République, traduction de M. Janet . In- 16 . 2 fr. 50 c.
Le Clerc, sans le texte . In - 16 . 1 fr . 50 c. Pascal : De l'autorité en matière de phi
- Des devoirs, latin - français, traduction losophie. - Entretien avec M. de Saci
de M. Sommer . In- 12. 2 fr . In - 16 . 75 C.
Des biens et des maux, livres I et II , Platon : Gorgias, traduction française de
traduction française par M. Charles. Thurot, sans le texte . Tu- 16. 1 fr. 60 c.
In- 16 . 50 1 fr . c.
- Les Tusculanes , trad . franç. d'Olivet - Phédon , trad. française du Fr. Thurot,
avec le texte. In- 12. 2 fr .
et Bouhier, revue par Le Clerc, sans le
texte . In - 16 . 2 fr , République , 7me livre , traduction
古力
10 PHILOSOPHIE .

française, par M. Aubé, sans le texte. Jourdain ( C.), membre de l'Institut . No


In- 16 . 1 fr . 50 c . tions de philosophie; 15e édition . In -12,
Sénèque : Choix de lettres morales, latin- broché . & fr . 50 c.
français, traduction de M. 1Baillard,
in - 12 . fr . 75 c .
Jouffroy (Th .). Cours de droit naturel.
2 vol . in- 12 , br 7 fr.
Xénophon : Entretiens mémorables de Mélanges philosophiques. 1 volume
Socrate, trad . française de M. Sommer, in - 12 , br. 3 fr . 50 c.
sans le texte, in- 16 . 1 fr . 75.c.
Nouveaux mélanges philosophiques. 1 vo
Caro , professeur à la Faculté des lettres lume in - 12 . 3 fr . 50 c.
de Paris. L'idée de Dieu et ses nouveaux
critiques. 1 vol . in- 12 . 3 fr . 50 c . Le Roy (Albert). Sujets et développe
Le matérialisme et la science. 1 volume ments de compositions françaises (dis
in - 12 . 3 fr . 50 c .
sertations pbilosophiques) données à la
Sorbonne depuis 1861 jusqu'en 1874 , ou
Etudes morales sur le temps present. proposées comme exercices préparatoires
1 vol . in - 12 . 3 fr . 50 c .
pour les examens du baccalauréat és lel
- Nouvelles études sur le temps présent, tres ; 3e édition . 1 vol . in -8 , br. 4 fr. 50 c .
vol . in - 12 . 3 fr . 50 € ,
La philosophie de Gæthe. In -8 . 5 fr. Simon ( Jules). La liberté politique. 1 vo
lumc in - 12, br. 3 fr . 50 c.
Franck , membre de l'Institut : ·Eléments -
La liberté civile . 1 vol . in - 12 . 3 fr . 50 C.
de morale, répondant aux programmes de La liberté de conscience. In- 12.3 fr . 50c.
l'enseignement spécial. 1 vol . in - 12 car
tonné.
L'ouvrière. 1 vol . in - 12 , br . 3 f. 50 c .
4 fr . 50c . L'ouvrier de huit ans. In - 12. 3 fr. 50 c. I
Dictionnaire dessciences philosophiques ; La religion naturelle . 1 vol . in - 12.3f.50c .
2e édit .. 1 fort vol . grand in 8 , br. 35 fr . Le devoir . 1 vol. in -12, br . 3 fr. 50c.
Garnier ( Ad . ). Trnité des facultés de - Manuel de philosophie . Voir Jacques,
l'âme . 3 volumes in - 12 , br . 10 fr . 50 c . Jules Simon et Saisset.
Jacques, Jules Simon et Saisset. Taine.
Manuel de philosophie ; 7e édition. 1 vol . siècle ; Les philosophes
3e édition classiques
. In-12, du xizec.
br. 3 fr.50
in - 8 . broché. 8 fr . De l'intelligence. 2 vol. in -8 , br. 15 fr.

7° SCIENCES ET ARTS
1. Arithmétique et applications diverses.
Bertrand (Joseph ). Traité d'arithméti logarithmes des nombres de 1 à 100 000,
que ; 4e édition conforme aux derniers les logarithmes des sinus et des tangentes
programmes. In-8 . 4 fr . des arcs , calculés dans la supposition de
R = 1 de seconde en seconde pour les
Bourget, directeur de l'Ecole préparatoire cinq premiers degrés, et de dix secondes
de Sainte-Barbe, et Housel, licencié és
sciences Traitéd'arithmétique, à l'usage en dix secondes pour tous les degrés de
quart de cercle, et quelques tables usuel
des aspirants aux écoles du gouvernement. les. 1 vol. grand in-8 , cart. 10 fr.
1 vol . petit in - 8 . 3 fr .
Cirodde ( P.-L.). Leçons d'arithmétique ; - Tables de logarithmes à cinq décimales,
23e édition , revue par MM . Alfred et d'après J. de Lalande. Éditionstéréotype,
Ernest Cirodde. In-8 , broché . 4 fr . disposée à double entrée et contenant les
logarithmes des nombres de 1 à 10 00g
Degranges ( Edmond). Arithmétique com ceux des sinus et des tangentes des arcs,
merciale et pratique. 9e édit . In -8 , br . 5 fr. calcules de mivute en minute , dans la sup
La tenue des livres . 29e édit . In -8 . 5 fr .
Traitéde comptabilité agricole. In-8.5 fr.
position de R = 1, et un très-grand com
bre de tables usuelles, 1 vol. in -18, car
- Petit traité de comptabilité agricole, tonné . 2 fr.506
2e édition . In-8 . 3 fr .
Hoefer. Histoire des mathématiques. 1 vol.
Dupuis , proviseur du lycée de Bourges . 111-12, br. 4 fr.
Tables de logarithmes à sept déci -
males , d'après Callet , Vega , Bremi- Pichot , professeur au lycée Louis -le
ker, etc. Edition stéréotype contenant les Grand: Arithmétique élémentaire, rédi- 1
SCIENCES ET ARTS . 11
gée conformément aux programmes de aux machines, à la mécanique générale, à
1874, pour l'enseignement de l'arithmé- la mécanique des gaz , à la navigation ,
tique dans les classes de lettres. I vol . aus ombres, à la perspective , à la popu
in-12, cart. 2 fr . lation , aux probabi ités , aux questions de
bourse , à la topographie, aux travaux pu
Sonnet, docteur ès sciences. Problèmes et blics , aux voies de communications, etc. ,
exercices d'arithmétique et d'algèbre sur etc., et l'explication d'un grand nombre
les principales questions relatives .au de termes techniques usités dans les ap
commerce, à la banque, aux fonds publics, plications . 1 vol. grand in- 8 d'environ
aux établissements de prévoyance, à l'in 1500 pages contenant 1920 figures inter
dustrie , aux sciences appliquées, etc. calées dans le texte , broché. 30 fr .
2 vol . in - 8 , br. 5 fr . Le cartonnage se paye en sus 2 fr. 75 ; la demi
reliure en chagrin , 4 fr. 50.
Dictionnaire des mathématiques appli
quées, comprenant les principales applica- Tarnier, docteur ès sciences . Eléments
tions des mathématiques : à l'architecture, d'arithmétique théorique et pratique, à
à l'arithmétique commerciale , à l'arpen- l'usage des classes de mathématiques élé
tåge, à l'artillerie , aux assurances, à la mentaires. 8e édition . In -8 , br . 4 fr.
balistique, à la banque, à la charpente, - Nouvelle théorie des logarithmes, rédi
aux chemins de fer, à la cinèmatique, à la gée conformément aux nouveaux program
construction navale, à la cosmographie, à nies d'enseignement. In-8 , br. 2 fr .
la coupe des pierres, au dessin linéaire ,
aux établissements de prévoyance , à la Tombeck (H.-E.), professeur de mathé
fortification, à la géodésie, à la géogra- matiques au lycée Fontanes . Traité
phie, à la géométrie descriptive, à l'hor- d'arithmétique, à l'usage des classes de
logerie, à l'hydraulique, à l'hydrostatique, seiences des lycées. 1 vol. in-8, br. 4 fr.

§ 2. Géométrie, Arpentage, Topographie, Dessin d'imitation .


Bos, inspecteur d'Académie . Géométrie élé d'architecture, d'ornements et de figures,
mentaire, rédigée conformément aux pro choisies parmi les spécimens de l'art dans
grammes de 1874 , pour l'enseignement de les époques égyptienne, assyrienne, grec
la géométrie dans les classes de lettres. que , romaine et de la renaissance.
1 vol. in - 12 , cartonné. 2 fr . Trois series de 20 planches in -foliu , répondant aux
programmes pour les classes de Troisième, Se
Bourget et Housel. Traité de géométrie conde et Rhétorique.
15 fr .
élémentaire, à l'usage des aspirants aux Chaque série de 20 planches,
1 fr.
écolesdu gouvernement, i vol . petit in-8 Chaque planche séparément,
avec figures, cart . 5 fr . Sonnet ( H. ) . Géométrie théorique et pra
Briot et Vacquant, professeurs de ma tique ; 9e édition . 2 vol . in- 8 , texte et
planches, broché . 6 fr .
thématiques speciales. Arpentage, levé
des plans, nivellement; 4e édition . 1 vol . * Cours élémentaire de topographie. 1 vol .
in- 12, avec figures, cartonné. 2 fr.
in -12 avec figures intercalées daus le texte
et des planches, br. 3 fr . Tombeck . Trnité de géométrie élémen
Eléments de géométrie, à l'usage des tuire à l usage des élèves des lycées et des
classes de mathématiques elemen candidats aux écoles du gouvernemeut,
taires : avec de nombreux exercices ; 2e édition .
10 Théorie , par M. Briot . 7e édition. 1 vol . in - 8 , broché. 5 fr .
In -8, avec figures dans le texte , br. 5 fr . Précis de levé des plans, d'arpenlage et
20 Application, par MM . Briot et Vac de nivellement. In -8 , br. 1 fr . 50
quant ; 4e édit. 1 vol. in - 8, avec figures Trinquier. La pratique de la topographie ,
et planches, br. 3 fr . 50 c. vulgarisée au moyen de l'échelle -rappor
teur à boussole éclimètre , instrument re
Chazal, professeur de dessin au lycée commandé par le Ministre de la guerre .
llenri IV . Alodèles de dessin d'imitation, | vol. in - 8, avec 69 figures. 3 ir . 50 c.
à l'usage des lycées et des écoles. Etudes
1

12 SCIENCES ET ARTS .

3. Algebre, Application de l'Algébre à la Géométrie, Géométrie


analytique, Géométrie descriptive, Trigonométrie.
Certrand ( Joseph), membre de l'Institut. l'enseignement del'algèbre dans les classes
Traité d'algèbre : de lettres. 1 vol. in- 12 , cart. 2 fr . 50 c.
1re partie , à l'usage des classes de ma Sonnet. Algèbre élémentaire, avec de nom
thématiques élémentaires. 8e édition. breuses applications à la géométrie ;
1 vol . in - 8 ,broché. 5 fr.
3e édition. In - 8, br. 6 fr .
2e partie, à l'usage des classes de mathé Premiers éléments d'algèbre , compre
matiques spéciales. 1 vol. in - 8, br . 5 fr . nant la résolution des équations du pre
Bourget et Housel . Géométrie analytique mier et du second degré, extraits du pré
à trois dimensions. 1 vol. in-8 , br. 6 fr. cédent ouvrage ; 7° édition . 1 vol. in -12,
Bovier -Lapierre, professeur à l'école de broché. 2 fr . 50 c.
Cluny. Traité élémentaire de trigonomé Sonnet et Frontera . Eléments de géo
trie rectiligne, rédigé sur un plannouveau métrie analytique, rédigés conformément
pour les classes de mathématiques élé
mentaires. 1 vol. in-8 avec 23 figures dans aux derniers programmes d'admission à
le texte, br. 2 fr . 50 c . l'Ecole polytechnique et à l'Ecole nor
male supérieure ; 3e édition. In-8, br. 8 fr .
Briot (Ch .) et Vacquant Eléments de Tarnier . Eléments de trigonométrie
yéométrie descriptive, à l'usage desclasses
de mathématiques élémentaires et des can- théorique et pratique ; 4e édition . 1 vol.
didats au baccalauréat és sciences; 5e édi. in - 8, br. 4 fr . 50 c .
tion . In -8,. broché, avec des figures dans Petit traité d'algèbre. In -12. 2 fr . 50 c.
le texte . 3 fr . 50 c
Tarnier et Dieu. Eléments d'algèbre :
Kiæs. Traité élémentaire de géométrie
descriptive : 1re partie, à l'usage des classes de mathé
tre partie, à l'usage des classes de mathé matiques élémentaires. In-8, br. 5 fr .
matiques élémentaires et des candidats 2e partie, à l'usage des classes demathé
au baccalauréat és sciences, 5e édition . matiques spéciales. In-8, br. 5 fr .
1 vol. in-8 de texte et 1 vol . in-8 de plan
ches , brochés . 7 fr . Tombeck . Traité d'algèbre élémentaire,
à l'usage des classes de mathématiques
2e partie, à l'usage des classes de mathé elementaires; 4e édition, 1 volume in- 8,
matiques spéciales et des candidats aux broché . 4 fr .
Ecoles normale supérieure , polytech
nique et centrale, 3c édition . 1 vol. in - 8 - Cours de trigonométrie rectiligne. 2e édi
de texte et 1 vol. in - 8 de planches. 9 fr . tion . 1 volume in - 8 , br. 2 fr . 50 c .
Pichot. Algèbre élémentaire, rédigée con- Eléments de géométrie descriptive. 1 vo
formément aux programmes de 1874, pour lume in - 8 , br. 2 fr . 50 c .

§ 4. Mécanique.

ollignon,répétiteur à l'Ecole polytechni- | Mascart, professeur au Collége de France.


que . Traité de mécanique. 4 vol. in-8 : Eléments de mécanique, rédigés confor
Première partie, cinématique. 1 vol. avec mément au programme de l'enseignement
338 figures dans le texte, br. 7 fr. 50 c. scientifique dans les lycées ; 2e édition.
1 vol. in - 8 , broché. 3 fr .
Deuxième partie , statique. 1 vol. avec Morin (le général), membre de l'Institut,
361 fig . dans le texte, br . ' 7 fr. 50 c.
Aide -mémoire de mécanique pratique ;
Troisième partie. Dynamique. 1 vol. avec 6e édit. 1 vol. in -8, br. 9 fr .
201 figures dans le texte, br. 7 fr . 50 c. Notions géométriques sur les mouve
Quatrième partie. Dynamique ( fin ) et ments et leurs transformations, ou élé
mécanique des fluides. 1 vol. avec fi- ments de cinématique ; 4e édition. 1 vol.
gures dans le texte , br. 7 fr . 50 c. in-8 , br. s fr ,
SCIENCES ET ARTS . 13
Notions fondamentales de mécanique et Manuel pratique du chauffage et de
données d'expérience ; 3e édition. I vol. la ventilation . 1 vol. in-8 avec plan
in - 8, br. 7 fr . 50 c. ches. 7 fr . 50 c.
Hydraulique ; 3e édit. 1 vol. in - 8, br.9 fr .
Machineset appareils destinés à l'éléva Sonnet. Notions de mécanique, à l'usage
tion des eaux . 1 vol. in-8 . 7 fr . 50 c . des classes de mathématiques spéciales ;
Résistance des matériaux ; 3e édition, 2e édition, 1 vol. in -8, br. 5 fr .
2 vol. in -8 , br. 15 fr . - Premiers éléments de mécanique appli
Etudes sur la ventilation et le chauffage. quée ; 4e édition , 1 vol. in -12, avec plan
2 vol. in - 8 avec des planches. 18 fr . ches , br. 4 fr .

§ 5. Astronomie, Cosmographie.
Faye, inspecteur général de l'instruction que dans les lycées; 2e édition. 1 vol. in -8,
publique .Leçonsde cosmographie; 2 édi avec 207 figures et 2 planches, br. 6 fr .
tion. In - 8, avec planches. 6 fr .
Cosmographie élémentaire, rédigée con
Hoefer. Histoire de l'astronomie ; 1 vo formément aux programmes de 1874, pour
lume in- 12 , br. 4 fr . l'enseignement de la cosmographie dans
les classes de lettres. 1 vol. in - 12, avec
Pichot. Traité élémentaire de cosmogru 147 figures, cart. 2 fr . 50 c.
phie rédigé conformément aux derniers Tombeck . Cours de cosmographie. 1 vol.
programmes de l'enseignement scientif in - 8 avec figures, br . 3 fr . 50 c.

$ 6. Physique, Chimie .

Boutet de Monvel, professeur de phy- | dans les classes de lettres. 1 vol . in- 12,
sique et de chimie au lycée Charlemagne. avec 100 figures dans le texte, br. 2 fr .
Cours de physique à l'usage des classesde Payen , membre de l'Institut. Précis de
mathéniatiques élémentaires dans les ly chimie industrielle ; 5e édition, revue et
cées. 1 très -fort vol. in -12, avec des fi augmentée , 2 vol. in - 8 de texte et 1 vol. de
gures dans le texte, broché. 7 fr . planches, br. 25 fr .
-ses
Notions de physique
d'humani à l'usage
tés; ge edition des clas
. Ivol.in -12, Privat-Deschanel,,;proviseur du lycée
avec de nombreuses figures dans le de Vanves. Traité élémentaire de physi
texte , broché. 3 fr . 50 c. que. 1 vol. grand in - 8, avec 719 fig . in
tercalées dans le texte et de 3 planches en
Cours de chimie à l'usage des classes de couleur tirées à part, br. 10 fr .
mathématiques élémentaires dans les ly Privat - Deschanel et Pichot . Notions
cées ; 7e édition . 1 vol. in- 12 , avec de nom
breuses figures dans le texte, br. 5 fr : élémentaires de physique, rédigées con
Notions de chimie à l'usage des classes formément aux programmes de 1874 pour
d'humanités; 10e édit. 1 vol. in - 12 , avec l'enseignement de la pbysique dans les
classes de lettres. I vol. in- 12 avec 719 fi
des figures dans le texte . Prix : 2 fr . 50 c. gures dans le texte, broché. 5 fr .
Dehérain , docteur ès sciences. Cours de Wurtz , membre de l'Institut . Dictionnaire
chimie agricole, professé à l'Ecole d'a
griculture de Grignon. 1 fort vol. grand de chimie pure et appliquée, comprenant:
10 fr . la chimie organique et inorganique, la
in -8, avec figures dans le texte. chimie appliquée à l'industrie, à l'agricul
Hoefer (F.). Histoire de la physique et de ture et aux arts, la chimie analytique, la
la chimie . 1 vol . in- 12 , br. 4 fr . chimie physique et la mineralogie.2 vol.
grand in -8 .
Lechat , professeur au lycée Louis- le L'ouvrage parait par fascicules de 10 feuilles, du
Grand. Notions élémentaires de chimie, prix de 3 fr. 50. Les vingt premiers fasci
rédigées conformément aux programmes cules sont en vente. Il n'en reste plus en
de 1874, pour l'enseignement de la chimie viron que quatre å paraitre.
14 SCIENCES ET ARTS.

§ 7. Histoire naturelle.
Baillon , professeur à Faculté de méde- dans le texte et de trois planches en cou
cine de Paris. Histoire des plantes. L'ou- leur. 1 vol . in- 8 , br. 8 fr .
vrage formera environ 8 vol. graud in-8 , - Cours élémentaire d'histoire naturelle ,
contenant 4000 fig . sur bois intercalées rédigé conformément auk programmes de
dans le texte. Les 5 premiers volumes 1874 , pour l'enseignement de l'histoire
sont en vente . Chaqlle volume . 23 fr .
naturelle dans les classes de lettres . 3 vol .
Delafosse, professeur au Muséum d'his. in -12, avec de nombreuses figures inter
calées dans le texte :
toire naturelle de Paris. Précis élémen
taire d'histoire naturelle ; 11e édition. Zoologie (340 fig .). 1 vol. S ..
1 vol . 10-12 , avec 368 figures intercalées
dans le texte . 6 fr. Botanique ( sous presse).
Géologie ( 134 figures). 1 fr . 50
Gervais ( Paul ), membre de l'Institut. Elé
ments de zoologie, comprenant l'anatomie, Hoefer ( F. ). Histoire de la botaniqué, de
la physiologie , la classilication et l'histoire la minéralogie et de la géologie. 1 vol.
naturelle des animaux . Deuxième édition , in- 12 , br. , , 4 fr .
accompagnée de 567 figures intercalées Histoire de la soologie. In-12, br. 4 ft .

§ 8. Ouvrages divers.
Bouillet . Dictionnaire universel des Menu de Saint-Mesmin (E.). Problèmes
sciences, des lettres et des arts, conte- de mathémutiques et de physique, dome
nant, pour les sciences : 10 les sciences dans les facultés des sciences, pour 1 :
métaphysiques et morales; 20 les sciences exameus du baccalauréat és sciences are
mathématiques; 30 les sciences physiques les solutions raisouuées ; 3e éditio :.
et les sciences naturelles ; 40 les sciences 1 vol . in- 8 , avec figures. br. 7 fr . 50
médicales ; 50 les sciences occultes ;-pour
les lettres : 1 ° la grammaire; 20 la rhétori- Soubeiran (Dr), professeur à l'Ecole de
que ; 30 la poétique ; 40 les études histori- pharnacie. Hygiène élémentaire, répo:
ques ; -- pour les arts : 10 les beaux -arts; dant aux programmes des lycées et des
20 les arts utiles. 1 vol.grand i11.8 . 21 fr . écoles normales primaires. 1 volume in - 1 :,
Le cartonnage se paye en sus 2 fr . 75 c. broché. fr . 50 c .

8° ÉTUDE DE LA LANGUE LATINE


Asselin, professeur au collége Rollin. notés en français, par une société de pro
Choix de compositionslatines etfrançaises fesseurs et de latinistes. Format in - 12,
et de versions latines à l'usage des candi broché.
dats au baccalauréat és lettres : sujets et Cette collection comprend les principaux au
texte. 1 vol . in -8 , br . 2 fr. 50 c . tenirs qu'on explique dans les classes.
Choix de dissertations françaises et César : Guerre des Gaules, 2 vol . 9 fr.
Intines, le vers et le thèmes grecs, à l'u Chaque volume se vend séparément.
sage des candidats à licence es lettres :
Guerre civile . Livre ler. 2 fr . 25 c
sujels et développements. 1 vol. in-8 . 5 fr. Cicéron : Brutus .
- Compositions françaises el latines, à l'u Catilinaires ( les quatre ). 2 fr.
sage des lycées, des collèges et des éta les devoirs. 6 fr.
blisseinents d'iustruction secondaire. 1 vol. Dialogue sur l'Amitié. i fr . 25 c.
in - 8 . 6 fr .
sur la Vicillesse . 1 fr . 23 c.
Auteurs latins ( les) expliqués d'après Discours pour la lui Mauilia . 1 fr . 50 e.
une méthode nouvelle par deux pour Ligarius. 75 c.
traductions françaises , l'une littérale pour Marcellus . 75 c.
et jutalinduire, présentant le mot à not sur les Statues . 3 fr .
français en regard des mots latins corres sur les Suppliccs. 3 fr.
poudants; l'autre correcte et précédée du Plaidoyer pour Archias. 90 c.
texte latin , avec des sommaires et les i pour , Miloxi , 1 fr . 50 C.
LANGUE LATINE . 15

pour Murena , 9 fr . 50c. latine, comprenant des exercices prépara


50 c. toires, des fables, des lettres,des dialogues,
Songe deNepos
Cornelius Scipion.
: Vie des grands capi- des descripttons, des portraits et des lieux
5 fr . communs ou dissertations, avec des argu
Heuzet
taines.: Histoires choisies des écrivains ments, des notes et des préceptes sur
12 fr . chaque genre de composition , à l'usage
profanes, 2 vol. des aspirants au baccalauréat és lettres.
On vend séparément : 2 fr .
In-12, cart.
6 fr . Le même ouvrage , suivi de la tradu c
Chacun des deux volumes.
1 fr . 5 fr .
Livre I.
1 fr. 25 c.
tion française. In-12, br.
Livre II . 5 fr . Classiques latins, nouvelle collection,
Livre III. 3 fr. 50 c . format petit in-16 , publiée avec des no
Livre IV . 4 fr . tices, des arguments analytiques et des
Livre V. notes en français.
75 c . Ces editions se recommandent par la pureté du
Horace : Art poétique. 2 fr . texte , la concision des notes, la commodité du
Epitres.
Odes et Epodes. 2 vol. 4 fr . 50 c . forinat et l'élégance du cartonnage.
Le ſer et le lle livre des Odes . 2 fr .
Le Ille et le I Ve livre des Odes et les Cicero : Analyse et extraits des princi
2 fr . 50 c . paux discours,à l'usage de la rhétori .
2 fr . 50 c .
Epodes. 2 fr . que (F. Ragon) .
Satires.
Justin : Histoires philippiques. 2 v. 12 fr. Analyse et extraits des ouvrages de
Lhomond: Abrégéde l'histoire sainte. 3 fr. rhétorique ( V. Cucheval, professeur
Sur les hommes illustres de la ville de de rhétorique au lycée Fontanes ). 2 fr .
4 fr.50 c. De finibus bonorum et malorum , libri
Rume. 1 fr . 50 c .
I et II ( E. Charles).
Lucrèce : Morceaux choisis de M.3 frPoyard.
. 50 c. -
De republica ( E. Charles). 1 fr. 50 c.
Prix In Catilinam orationes quatuor (Noël,
Ovide : Choix des métamorphoses. 6 fr. professeur au lycée de Versailles). 601 frc ..
2 fr
Phèdre : Fables . - Orator ( C. Aubert) . 30 c.
Plaute : Aululaire . 1 fr . 75 c. Pro Archia pneta (Noël).
Quinte - Curce : Histoire d'Alexandre le 30 c.
- Pro lege Manilia (le mème).
12 fr . 30 C.
Grand . 2 vol. Pro Marcello ( le même) .
Chaque volume se vend séparément. 6 fr . Cornelius Nepos (Monginot, professeur au
90 c.
Salluste : Catilina . 1 fr . 50 c. lycée Fontanes).
3 fr . 50 c. Heuzet : Selectæ eireprofanis scriptoribus
- Jugurtha. historiæ ( J. Lema ).. 1 fr . 75 c.
18 fr .
Tacite : Annales, 4 vol. Jouvency : Appendix de Diis et heroibus
Chaque volume se vend séparément. 70 c .
ine:) .De viris illustribus urbis Ro
1 fr . ( Edel
Lhom ond
-
Germanie ( la ). í fr . 75 c .
- Vie d’Agricola. 1 fr . 10 c.
2 fr . mæ ( Chaine ) .
Térence : Adelphes . 2 fr . 50 c . Epitome historiæ sacræ ( Pressard ,
Andrienne. profr au lycée Louis -le -Grand ). 60 с .
Virgile : Bucoliques (les) . 1 fr .
16 fr . Lucrèce : Morceaux choisis (Poyard, pro
Enéide : 4 volumes fesseur au lycée Henri IV) . 1 fr. 50 c .
Chaque volume séparément. 4 fr . Pères de l'église latine : Morceaux choi
1 fr . 60 c. 2 fr . 25 c
Chaque livre séparément. risson
Géorgiques (les) .
2 fr .
Phèd : Fables ().l'albert, directeur du col.
( Nour
sis re
Bloume. Unepremière année de latin , ou in
lége Roll ) . ux
80 C.
vrage contenant tous les exercices et les Plaute : Morcea choisis ( Benoist, prof.
devoirs français -latins et latins- français à la Faculté des lettres de Paris). 2 fr.
d'une première année d'études classiques , 80 c .
- L'Aululaire (Renoist ). 2 fr . 25 c .
avec un exposé de la méthode et des pro Virgi le ( Benoist ) . 2 fr .
cédés pédagogiques les plus sûrs et les Le même ouvrage , sans notes .
langdes
de larapi
plus latineense
ue pour l'usragelesdes
, à igne élém ents
prof es- Classiques latins, format in-12 . Editions
s ; et7edesédit
seures
tair élèv classes
iones, 1desvol. élémen
in - 12, car-
publiées avec des notes en français, par
les auteurs dont les noms sont indiqués
2 fr . entre parenthèses. 30 c .
tonné . Cicero : De amicitia ( Legouëz).
Chassang , inspecteur général de l'instruc De officiis (H. Marchand ). 1 fr .
tion publique. Modèlus de composition
16 ÉTUDE DE LA LANGUE LATINE.
III

De oratore ( Bétolaud ). 1 fr . 50 c. Havet (Louis) , répétiteur à l'École pra


De senectute (Paret). 30 c . tique des hautes études. Nouvelle gram
Epistolæ selectæ (Sommer ). 60 C. maire de la langue latine, rédigéed'après
-
In Verrem oratio de signis (J. Thi- les plus récents travauxde la philologie.
bault). 50 c 1 volume in -80 , cartonné. >>

- In Verrem oratio de suppliciis (0. Du Le Roy . Sujets et développements de


pont). 50 C.
-
30 C. compositions latines données dans les
Pro Ligario (Materne). Facultés, de 1858 à 1874 , pour l'examen
Pro Milone (Sommer) . 30 c.
Pro Murena (J. Thibault ). 30 c. du baccalauréat és lettres. (Discours, let
Tusculanarum quæstionum libri V tres, dialogues, narrations, dissertatious.)
1 fr . 50 c. 4e édition . 1 vol. in - 8, br. 3 fr . 50 c.
( Jourdain ).
Conciones (F. Colincamp). 2 fr . 50 c. - Sujets et développements de compositions
Horatius ( Sommer ). 2 fr . données dans les facultés, de 1860 à 187"
Justinus : Historiæ philippicæ 1 (Pesson ou proposées comme exercices prépai
neaux): fr . 50 c. toires pour les examens de la licence :
Lucain : La Pharsale (Naudet). 2 fr . lettres. (Dissertations latines, dissertation..
Narrationes (selectæ) e scriptoribus la françaises, vers latins, thèmes grecs, avec
tinis (Chassang) 2 fr . 23 c. des observations de M. Dübner.) 2e édi
Ovidius : Selectæ fabulæ ex libris meta tion . 1 vol . in-8, br. 4 fr .
morphoseon (G. Lesage). 1 fr . 40 c. Lhomond . Eléments de la grammaire
Pline ' l'Ancien : Morceaux extraits de latine. In- 12, cart. 80 C.
l'histoire naturelle , par Guéroult (Chas
sang). 1 fr . 50 c . Marais et Le Roy . Recueil de versions
Quintus Curtius (G. Lesage ). 1 fr. 75 c. latines dictées dans les Facultés pour
Sallustius (Croiset). 1 fr . l'examen du baccalauréat és sciences, et
Sénèque : Choix de lettres morales à accompagnées de notes et de notices.
Lucilius (Sommer). 1 fr. 23 c. Textes et traductions ; 2e édition aug .
Terentius : Adelphi (Bétolaud ). 80 c. mentée . 2 vol. in - 8 . 6 fr .
Titus Livius : Narrationes selectæ et res Chaque volume se vend séparément. 3 fr .
memorabiles (Sommer). 1 fr. 40 c.
Méthode uniforme pour l'enseigne
Voir ci-dessus Classiques latins (nouvelle collec ment des langues, par M. E. Som
tion , format pelit in -16 ). mer :
Delestrée . Recueil de 180 versions latines Abrégé de grammaire latine, à l'usage
dictées à la Sorbonne pour les examens des classes de buitième, septième et
du baccalauréat és lettres de 1869 à 1875 . sixième. In-12, cart. 1 fr . 25 c .
2 vol . in-12 , textes et traductions, br. 3 fr . Questionnaire sur l'abrégé de grammaire
Éditions à l'usage des professeurs. latine. In-12, cart. 50 c.
Textes latins publiés d'après les travaux Exercices sur l'abré de grammaire
les plus récents de la philologie, avec des latine . In- 12 . i fr . 25c .
commentaires critiques et explicatifs des Corrigé desdits exercices. In - 12 . 1 fr. 50 C.
introductions et des notices.Format grand Cours de versions latines. ire partie à
in-8, br. l'usage des classes de huitième et de
EN VENTB : septième . 1 vol. in-12, cart. 1 fr.
Cornelius Nepos, par M. Monginot, profes- Corrigé du cours de versions latines.
seur au lycée Fontanes. 1 vol. 6 fr . 1re partie . 1 vol. in - 12. 1 fr . 25 c .
Tacite : Annales, livres I- vi, par M. Ja- Cours de versions latines. 2e partie, à
cob, professeur au lycée Saint-Louis, l'usage des classes de sixième et de
1 vol. 7 fr. 50 c. cinquième . 1 vol . in-12 , cart. 1 fr .
Virgile, par M. Benoist, professeur à la Corrigé du cours de versions latines,
faculté des lettres de Paris. 3 vol .: 2e partie. In- 12. 1 fr . 25 c.
Bucoliques et Géorgiques . 1 vol.7 fr.50 C. Cours complet de grammaire latine, a
Enéide, 2 vol. 15 fr . l'usage des établissements d'instruction
Snus presse : César ; Tacite, tomes II et secondaire. 1 vol. in-8, cart. 2 fr. 50 c.
suivants , Exercices sur le cours complet de gram
Guérard et Molliard , directeurs des maire latine. In-8 , cart . 2 fr. 50 c.
études au collège Saiute -Barbe. Petit Corrigé desdits exercices. In-8 , br. 3 fr.
dictionnaire latin - français. 1 vol. in -12, Voir pages 6 et 20 pour les langues française
cartonné. 4 fri igrecque.
ÉTUDE DE LA LANGUE LATINE . 17

Nisard (Désiré), de l'Académie française. commune , des auteui's spéciaux pour. la


Etudes de mours et de critique sur les langue technique , des Pères de l'Eglise
poetes de la décadence ; 3e édition, 2 vo pour la langue sacrée et du Glossaire de
lumes in- 12, br . 7 fr . Du Cange pour la langue du moyen âge .
Noël. Dictionnaire français -latin; nou 1 vol. grand in - 8 . Prix , cartonné eu
9 fr. 50 C.
toile .
velle édition revue avec soin par M. Pes
sonneaux, professeur au lycée Henri IV. - Nouvelle prosodie latine. In- 12 , cart. 1 fr .
1 vol. grand in-8 , cart . 8 fr . Thesaurus poeticus linguæ latinæ, ou
-
Dictionnaire latin - français ; nouvelle dictionnaire prosodique et poétique de la
édition, revue avec soin par M. Pesson langue latine. 1 vol. grand in-8 , carton
neaux . 1 vol. grand in-8, cart . 8 fr. né en toile . 8 fr . 50 c.
- Gradus ad Parnassum , ou dictionnaire Traité de versification latine, à l'usage
poétique latin -français ; nouv . édition, des classes supérieures des lettres ; 228
édition . 1 vol. in -12, cart.
revue avec soin par M. de Parnajon, pro 3 fr .
sseur au lycée Henri IV. 1 vol. grand
+8 , cart. 8 fr. Quicherat et Daveluy . Dictionnaire
et et Legouëz. Choix gradué de latin - français, rédigé sur un nouveau
ërsións latines avec des arguments et plan et contenant plus de quinze cents
mots qu'on ne trouve dans aucun lexique
les notes . Recueil destiné à amener dans publié jusqu'à ce jour. Suivi d'un Voca
les classes la suppression des dictées et bulaire latin -français des noms propres
à faciliter le travail des élèves et des pro de la langue latine, par M. L. Quicherat.
fesseurs. 8 vol. in - 8 , contenant chacun Gr. in - 8, cartonné en toile. 9 fr . 50 c .
100 ou 150 devoirs à l'usage de toutes les Rollin . Maximes tirées de l'Ecriture
classes depuis la huitième jusqu'à la rhé sainte ( Ancien et Nouveau Testament) :
torique inclusivement.
Chaque volume. 2 fr. texte latin , publié avec des sommaires én
Chaque volume se vend broché ou disposé en français. In- 18, cart. 60 c.
feuillets séparés et tout prêts à être distribués Sommer . Lexique français -latin, à l'usage
aux élèves.
des classes élémentaires, extrait du Diction
Patin , de l'Académie française. Etudes naire français-latin de M. Quicherat, et
sur la poésie latine. 2 vol. in-i2 . 7 fr . augmenté de toutes les formes irrégulières
et difficiles. In-8 , cart . 3 fr . 75 c .
Pères de l'Église latine . Morceaux
choisis, d'après les Lectures publiées par - Lexique latin - français, à l'usage des
M. Nourrisson , membre de l'Institut, avec classes élémentaires, extrait du Diction
des notices, des sommaires et des notes . naire latin - français de MM . Quicherat
1 vol. petit in - 16, cart. 2 fr . 25 c. et Daveluy , et augmenté de toutes les
ierron. Histoire de la littérature ro
formes de mots irréguliers ou difficiles.
In-8 , cart. 3 fr . 75 c.
maine ; 6e édition , 1 vol. in-12, br. 4 fr. Voir Méthoile uniforme pou l'enseignement
cerrot -Deseilligny (J.) ,Choix de com des langues, pages 5, 18 , 20 , 22 , 23 el 24.
positions françaises et latines, ou narra Traductions françaises des chefs
tions, scènes, discours, lieux communs, d'oeuvre de la littérature latine,
développements historiques, vers latins, sans le texte latin, à 3 fr . 50 c . le volume
des meilleurs élèves de l'Université mo format in- 12 :
derne, avec les matières ou les arguments. Le nom des traducteurs est indiqué entre paren .
Recueil publié par J. Pierrot - Deseilligny; thèses .
5e édition, revue et augmentée, par M.Ju Horace (Jules Janin), 1 vol .
lien Girard, proviseur du lycée Louis-le Juvénal et Perse ( E. Despois), 1 vol.
Grand, 1 fort vol . in- 8 . 9 fr . Plaute ( E. Sommer), 2 vol.
Quicherat ( L. ) , membre de l'Institut Sénèque (J. Baillard ), 2 vol.
Dictionnaire français -latin , composé sur Tacite ( J.-L. Burnouf), 1 vol.
le plan du Dictionnaire latin - français et Tite- Live (Gaucher), 4 vol.
tiré des auteurs classiques pour la langue Virgile (Cabaret-Dupaty), 1 vol.
18 ÉTUDE DE LA LANGUE GRECQUE .

9 ° ÉTUDE DE LA LANGUE GRECQUE ANCIENNE


Alexandre ( C. ), membre de l'Institut. Hécube.
Dictionnaire gréc - français, composé sur Hippolyte . 3 fr . 50 c.
un nouveau plan ; 15c edition avec un vo Iphigénie en Aulide . 3 fr.
cabulaire grec - français des noms propres
de la langue grecque, par A. Pillon. 1 vol. Grégoire
bre
de Nazianze (S.) : Eloge ſuuè
Césaire .
de 1 fr . 25 c.
grand in -8, cart. en toile . 15 fr . Homélie sur les Machabées. 90 c.
Abrégé du dictionnaire grec français, Grégoire de Nysse (S.) : Contre les usu
contenant tous les mots indistinctement riers.
et toutes les formes difficiles de la Bible, 75 c.
de l'Iliade et des auteui's qu'on explique - Eloge funèbre de saint Mélèce . 75 c.
dans les classes inférieures, par le même Hérodote : Morceaux choisis.
auteur. 1 vol. gr . in - 8, cart. 7 fr . 50 c . Homère : Iliade . 6 volumes. 20 fr.
- Méthode pour faire les thèmes grecs, Chaque volume séparément, 8 fr . 50c.
Chaque chant séparément. 1 fr.
d'après la syntaxe de Burnouf, combinée - Odyssée. 6 vol. 24 fr.
avec celle de Lhomond . In-12, cart. 2 fr .
Chaque volume séparément.
Alexandre , Planche et Defaucon Isocrate : Archidamus . i fr . 50 C.
pret. Dictionnaire français - grec. In - 8, Eloge d'Evagoras. 1 fr.
cart. en toile . 15 fr .
Panegyrique d'Athènes. 2 fr . 50 C.
Auteurs grecs (les) expliqués d'après Conseilsà Démonique. 75 6
une méthode nouvelle par deux Luc (S. ) : Evangile . 3 fr.
traductions françaises , l'une littérale Dialogues des morts. 2 fr. 25c.
Lucien: manière
et juxtalinéaire,présentant lemotàmot De la d'écrire l'histoire . 2 fr.
français en regard des mots grecs corres Pères grecs ( ch.de disc. tirés des). 7 fr. 50
pondants, l'autre correcte etprécédée du Pindare : Isthmiques ( les). 2 fr . 5o C.
texte grec, avec des sommaires et des Néméennes (les ). 3 fr.
notes en français , par une société de pro Olympiques (les). 3 fr . 50 C.
fesseurs et d'hellénistes. Format in -12, Pythiques (les). 3 fr . 50 C.
broché . Platon : Alcibiade (le fer). 2 fr . 50 c .
Cette collection comprend les principaux au 2 fr.
teurs qu'on explique dans les classes. Apologie de Socrate.
Criton . 1 fr . 25C
Aristophane : Morceaux choisis de Gorgias. 6 fr.
M.Poyard . 6 fr . Phédon. 8 fr.
Plutus. 2 fr . 23 c .
Aristote : Poétique . Plutarque : De la lecture des poëtes. 3 fr.
Babrius : Fables. - Vie d'Alexandre . 3 fr .
4 fr . Vie d'Aristide . 2 ft.
Basile ( S.) : De la lecture des auteurs Vie de César . 2 fr.
profanes. 1 fr . 25 c . Vie de Cicéron . 3 fr.
Contre les usuriers. 75 c..
Vie de Démosthène. 2 fr . 50 c
Observe-toi toi -même. 90 c. Vie de Marius. 3 fr.
Chrysostome (S. Jean ) : Homélie en fa Vie de Pompée . 5 fr.
veur d'Eutrope . 60 c. Vie de Solon . 3 fr.
Homélie sur le retour de l'évèque -

Vie de Sylla . 3 fr.


Flavien . 1 fr. Vie de Thénistocle. 2 fr.
Demosthène : Discours contre la loi de Sophocle : Ajax. 2 fr . 50 c.
Leptine. 3 fr . 50 c . Antigone. 2 fr . 25 c .
Discours pour Ctésiphon ou sur la Electre . 3 fr.
couronne . 3 fr . 50 c . OEdipe à Colone. 2 fr.
Harangne sur les prévarications de Edipe roi. i fr. 50 c.
l'ambassade. 6 fr . Philoctète. 2 fr . 50 c .
Olynthiennes (les trois) . 1 fr . 50 c. - Trachiniennes (les) . 2 fr . 50 c.
Philippiques (les quatre ). 2 fr . Theocrite : (Euvres complètes. 7 fr. 50 c.
Eschine : Discours contre Ctésiphon. 4 fr. Thucydide : Guerre du Péloponèse :
Eschyle : Prométhée enchaîné. 3 fr . I.
Livre 6 fr.
Sept les) contre Thèbes. 1 fr . 50 c . Livre II . 5 fr.
Esope : Fables choisies. i fr , 25 c. Xénophon : Anabase (les 7 liv.), sr. 18 fr.
Euripide : Electre. 8 fr . Chaque livro séparémont,
ÉTUDE DE LA LANGUE GRECQUE ANCIENNE . 19

Apologie de Socrate . 60 c. Babrius : Fables ( Th . Fix ) . 60 с.


Cyropédie, livre I.. 1 fr . 25 c . Basile ( S. ) le Grand : Discours sur la
livre II . 1 fr . 25 C. lecture des auteurs profanes (Som
mer ). 50 c .
Entretieus mémorables de Socrate ( les
quatre livres) . 7 fr . 50 c . Homélie sur le précepte : Observe- toi
toi -même ( Sommer ). 30 c.
Classiques grecs, nouvelle collection , Chrysostome (S. Jean) : Discours sur le
format petit in - 16 , publiée avec des no retour de l'évêque Flavien ( Som -
tices, des arguments analytiques et des mer). 40 c .
notes en français. 者
-
Homélie en faveur d’Eutrope (Som
Ces éditions se recommandent par la pureté du mer) . 30 c.
texte, la concision des notes, la commodité du
formal et l'élégance du cartonnage. Demosthène : Discours contre la loi de
Leptine Stiévenart ). 90 c .
Aristophane : Murceaux choisis ( Poyard , sur la
professeur au lycée Henri IV ). 2 fr . ). hon ou1 fr. 25
Discours pour Ctésip
- Couronne
(Sommer c.
Aristote : Poétique ( Egger, membre de - Ilarangue sur les prévarications de
I'Sustitut). 1 fr.
l'ambassade i Stierenart). 1 fr . 10 c .
Demosthèné. Sept Philippiques (H.Weil, - Philippiques ( les) (Materne). 90 c.
doyen de la faculté des lettres de Be
sauçon). 1 fr . 50 c. Eschyle : Sept ( les) contre Thebes (Na
terne). 1 fr .
- Les trois Olynthiennes ( Weil). 60 c. Esope : Fables choisies (Sommer ). 1 fr .
Elien : Morceaux choisis (J. Lemaire , Euripide : Electre ( Th . Fix ). 4 fr .
prof. à Louis -le - Grand ). 1 fr . 10 c .
Grégoire ( S. ) de Nazianze. Homélie
Épictète : Manuet ( Thurot, membre1 frde. sur les Machabées (Sommer) 40 C.
l'Institut).
Euripide : Hippolyte (H. Weil). 1 fr. Hérodote : Livre premier, Clio ( Som
mer ). 1 50 c . fr .
Hécube (Weil) . 1 fr .
Iphigénie à Aulis (Weil) . 1 fr . Homère : Odyssée (Sommer). 3 fr. 50 c.
Norceaux choisis (Weil). 2 fr . Isocrate : Archidamus ( Leprévost) . 50 C.
Eloge d'Evagoras (Sommer ). 50 C.
Hérodote : Morceaux choisis (Tournier ).
1 vol . 2 fr. Panegyrique d'Athènes(Sommer). 80 c.
-

Homère : Iliade ( A. Pierron ). 3 fr. 50 c. Lucien : Dialogues des morts (Pesson


1 fr .
Le même ouvrage , sans notes . 2 fr . neaux ).
-
Nigrinus (C. Leprévost ). 40 c.
Morceaux choisis de l'Iliade ( A. Pier
ron ). 2 fr . Songe (le) ou sa Vie (Leprévost ). 40 c.
Lucien : De la manière d'écrire l'histoire Pères grecs : Choix de discours ( Som- .
75 c. mer) . i fr. 75 c .
(Lehugeur ).
Morceaux choisis ( Talbot, professeur Pindare : Isthmiques (les) (Fix et Som
au lycée Fontanes). 2 fr. mer) . 60 C.
Platon : République, 7e livre (Aubé, pro Néméennes (les) (id .). 90 c.
fesseur au lycée Fontanes). 1 fr . 50 Olympiques (les) (id . ). i fr . 50 c.
Morceaux choisis (Poyard ). 2 fr . Pythiques ( les) (id .). 1 fr. 50 c .
Plutarque : Morceaux choisis des biogra Platon : Alcibiade (le premier) . 65 C.
phies ( Talbut). 2 vol. : Alcibiade (le second)(Mablin ). 50 c.
jo les Grecs . 1 vol. 2 fr . Apologiede Socrate ( Talbot). 60 c .
2o les Romains. 1 vol . 2 fr.
Criton (Waddington Kastus). 50 c .
- Morceaux choisis des cuvres morales Gorgias (Sommer ). 1 fr . 50 c.
(V. Bétolaud ). I vol. 2 fr . Phédon (Sommer ). 60 c .
Sophocle : Théâtre ( Tournier, docteur Plutarque : De la lecture des poëtes (Ch.
és lettres ). Ajax; — Antigone; – Elec Aube ). 75 C.
tre ; - Edipe à Colone ;-dipe rvi; Dertl'éducation des enfants ( C.
Philoctėte; Trachiniennes. Cha
Bailly 75 C.
que tragédie. 1 fr. Vie ).d'Alexandre (Bétolaud). 1 fr .
Le mème théâtre, sans notes. 2 fr .
Vie d'Aristide ( Talbot). 1 ft.
Morceaux choisis ( Tournier). 2 fr . i fr .
Vie de César (Materne).
Xénophon : Morceaux choisis (de Parna Vie Cicéron ( Talhot). 1 fr.
jon, professeur au lycée Henri IV). 2 fr. Vie de Démosthène (Sommer ). 1 fr .
Ifr .
Classiques grecs, format in- 12 . Edi -
Vie de Pompée (Dryon ). Í fr.
tious publiées avec des notes en français, Vie de Solun (Weltour).
Vie de Thémistocle ( Sommer). I fr .
par les auteurs dont les noms sont indi.
quésentre parenthèses. Theocrite : Idylles choisies (L. Renier ).
Aristophane : Plutus (Ducasau). 1 fr . Prix : i fr. 25 c.
1

20 ÉTUDE DE LA LANGUE GRECQUE ANCIENNE.


Thucydide : Guerre du Péloponèse : Corrigé desdits exercices . In- 12. 2 fr .
Livre I (Legouëz ). 1 fr . 60 c . Cours de versions grecques , ire partie à S
Livre II (Summer ). 1 fr . 60 c. l'usage des classes de sixième et de
X'énophon : Anabase, les sept livres de cinquième . 1 vol. in - 12 , cart. 1 fr .
»
Parnajon ). 3 Corrigé des versions grecques, 1re par
Chaque livre séparément. 75 C. tie , in -12. i fr . 25 c. T:
Cyropédie, ler livre (Iuret). 75 c. Cours de versions grecques. 2e partie à
Cyropédie, Ile livre (Huret). 75 c. l'usage des classes de cinquième et de
Entretiens mémorables de Socrate quatrième. 1 vol. in-12 , cart. 1 fr .
( Sommer). 2 fr . Corrigé des versions grecques, 2e partie.
1 vol. in- 12 . 1 fr . 25 c .
Dübner. Lexique français - grec, à l'u
sage des classes élémentaires. I vol . in -8 , Cours de thèmes grecs, par M. de Parna
cartonné . 6 fr. jon. 1 vol. in - 12, cartonné. 1 fr . 50 c.
Lhomondgrec, ou premiers éléments de Corrigé des thèmes grecs, par le même.
la grammaire grecque. 1 vol. in -8, car- 1 vol. in - 12 . 2 fr .
tonné . fr . 50 c . Cours completde grammaire grecque, à
Exercices ou versions et thèmes sur l'usage des établissements d'instruction
les premiers éléments de la grammaire secondaire. 1 vol . in-8 , cart. 3 fr .
grecque, précédés d’uu traité élémentaire Exercices sur le cours complet de gram
d’accentuation . In-8 . 2 fr . maire grecque . In-8, cart. 3 fr.
1 fr . Ba
Corrigé des exercices. In- 8 . 3 fr . 50 c.
Editions à l'usage des professeurs. Corrigé desdits. In -8. S
Voir pages 5 et 16 pour les langues française
Textes grecs, publiés d'après les travaux et latine . 77
les plus récents de la philologie, avec de Ozaneaux . Nouveau dictionnaire fran 1
commentaires critiques et explicatifs et çais-grec, avec la collaboration de M. Ro
des notices. Formatgrand in -8, br. ger et de M. Ebling. In-8 , cart. 15 fr . 8
EN VENTE : Ch
Demosthène : Les harangues, par M. II . Patin , de l'Académie française. Etudes
sur les tragiques grecs, ou examen cri
Weil, doyen de la faculté des lettres tique d'Eschyle , de Sophocle et d'Euri
de Besançon. 1 vol. 7 fr.50 Ch
Euripide: Sept tragédies, par M. H. Weil.
pide, précédé d'une histoire générale de
la tragédie grecque. 4 vol. in-12. 14 fr . m
1 vol . 12 fr .
Homère : L'Iliade, par M. A. Pierron. Pierron . Histoire de la littérature grec ca
2 vol . 16 fr. que ; 6e édition . 1 vol. in- 12 , br. 4 fr .
L
- L'Odyssée , par M. A Pierron. 2 vol. Pères grecs (Choix de discours tirésdes),
Prix . 16 fr. par L. de Sinner, comprenant : 10 Saint Cor
Sophocle, par M. Tournier, maitre de con- Basile : de la Lecture des auteurs pro $
férences à l'Ecole normale. 1 vol. 12 fr . fanes . - Observe-toi toi- même Coutre
k
Lancelot. Le jardin des racines grecques, les usuriers ; - 20 Saint Grégoire de et
mises en Nysse : Contre les usuriers; Eloge fuuė
réunies
vers Le Claude
parpar de Saciet. Nouvelle
MaistreLancelot bre de saint Mélèce . - 30 Saint Grégoire de
pr
édition , augmentée 10 d'un traité de la de Nazianze : Eloge funèbre de Césaire; pe
formation des mots grecs, 20 d'un grand Homélie sur les Machabées. -40 Saint
Con
nombre de racines nouvelles et des prin- Jean Chrysostome : Homélie sur le re M
cipaux dérivés ; 30 d'un nouveau diction- tour de l'évèque Flavien ; Homélie en
faveur d'Eutrope. Nouvelle édition pu ра
naire des mots français tirés du grec, par et
M. Ad. Regnier, professeur honoraire de bliée avec des arguments et des notes en
français, par M. Sommer, agrégé des pa
rhétorique au lycée Charlemagne. In -12, C2
cartonné . 3 fr . classes supérieures, docteur ès lettres.
In- 12, cartonné. 1 fr. 75 c. Des
Luc ( saint). Evangiles. In - 18, cart. 70 c. mo

Méthode uniforme pour l'enseigne- Planche. Dictionnaire grec- français , E


ment des langues , par M. E. Sommer : refondu entièrement par Vendel-Heyl et all
A. Pillun. Nouvelle édition augmentée
Abrégé de lu grammaire grecque, à l'u d'un vocabulaire des noms propres, par Eich
sage des classes de sixième et de cin
quième. In - 12, cartonné. 1 fr. 50 c . A. Pillon, 1 vol. grand in-8 , cart. 9 fr. 50 étu
Questionnaire sur l'abrégé de grammaire Quicherat ( L.). Chrestomathieou premiers
grecque. In- 12, cart. 60 c . exercices de traduction grecque, extraits
Exercices sur l'abrégé de grammaire des auteurs classiques, avec un lexique. cla
grecque . In- 12, cart. 1 fr . 50 c . Grand in-18 , cart. 1 fr . 25 c.
ÉTUDE DE LA LANGUE GRECQUE ANCIENNE . 21

Traduction française des exercices . Aristophane ( C. Poyard ), 1 vol.


Grand in - 18, broché. 1 fr . 25 C. Diodore de Sicile ( F. Hæfer), 4 vol.
Sommer. Lexique grec -français, à l'usage Eschyle ( Ad . Bouillet), 1 vol.
des classes élément. 1 vol. in - 8 , cart. 6 fr . Hérodote (P. Giguet), 1 vol.
Voir Methode uniforme pour l'enseignement Homère (P. Giguet), 1 vol .
des langues, pages 5, 10, 20, 22, 23 et 24 . Lucien ( E. Talbot) , 2 vol .
Traductions françaises des chefs . Plutarque, Vies des hommes illustres
d'euvre de la littérature grecque , ( E. Talbot), vol.
sans le texte grec, à 3 fr . 50 c. le volume, Euvres morales ( Bétolaud ), 5 vol .
format in -12 : Le nom des traducteurs est Strabon (A. Tardieu ), 3 vol.
indiqué entre parenthèses. Thucydide (E.Bétant), 1 vol .
Anthologie grecque. 2 vol. Xénophon (E. Talbot), 2 vol.

10 ° ÉTUDE DES LANGUES VIVANTES


1 ° LANGUE ALLEMANDE

Bacharach . Grammaire allemande, à l'u- Ier vol . : Cours de Troisième. 1 fr . 50 C.


sagedes classessupérieures.In -12. 3f.75c. IIe vol . : Cours de Seconde . 2 fr . 50 c .
- Grammaire abrégée de la langue alle- IIIe vol. : Cours de Rhétorique. 3 fr .
mande, à l'usage des classes élémentaires. Cours de themes allemands, précédés d'un
1 vol . in - 12, cart. 1 fr . 80 c. . résumé de grammaire .1 vol. in- 12, cart. 2 f.
Cours de thèmes allemands, accompa
gnés de vocabulaires, In-12, cart. 3 fr. 25 C. Fix . Dictionnaire allemand- français et
français-allemand. 1 fort volume grand
Chasles et Eguémann. Les mots et les in- 80 , cart. en toile . 15 fr .
genres de la langue allemande. 1 volume
Le Dictionnaire allemand- français et le Dic.
in -8, cartonné. 2 fr . 50 c. tionnaire français-allemand se vendent cha .
Chamisso , Peter Schlemihl. Texte alle- cun séparément, broché. 6 fr . 60 c.
Relié en percaline gaufrée. 8 fr .
mand , annoté par M. Koell, professeur
au lycée Charlemagne. 1 vol. petit in -16, Goethe. Hermann et Dorothée . Texte alle
cartonné. 1 fr . mand publié avec des notes par M. Lévy,
Le même ouvrage, en français, 1 volume inspecteur général de l'enseignement des
petit in-16, broché. 1 fr . 50 c. langues vivantes. 1 vol . in-12, cart. 1 fr .
Contes et morceaux choisis de Le même ouvrage, traduction française,
Schmid . Krummacher , Liebes- par M. Lévy , avec le texte allemand
kind , Lichtwer , Hebel , Herder et des notes. 1 vol . in - 12 . 1 fr . 50 c .
et Campe. Nouveau recueil publié avec Le même ouvrage, traduction juxtali
des notices et des notes, par M. Scherdlin, néaire, par M. Lévy. 1 vol. in-12 ,
professeur au lycée Louis -le -Grand. 1 vol. broché. 3 fr . 50 c.
petit in - 16 , cartonné. 2 fr.
- Iphigénie en Tauride. Texte allemand,
Contes populaires tirés de Grimm , publiée avec une introduction et des
Musæus , Andersen et des feuilles de potes par M. Lévy. Petit in - 16. 1 fr. 50 c.
palmier par Herder et Liebeskind , Le même ouvrage, traduction française,
et publiés avec des notices et des notes par M. Lévy , avec le texte allemand
1 par M. Scherdlin. 1 vol. petit in - 16, et des notes. i vol, in-12 . 2 fr . 50 c .
cartonné. 3 fr .
Le Tasse, Texte allemand, publié avec
Desfeuilles. Abrégé de grammaire alle un avant- propos , un argument et des
mande. In -12, cart. 1 fr . 50 c. notes, par M. Lévy, 1 vol. petit in-16,
Exercices sur l'abrégé de grammaire cartonné . 1 fr. 80 c .
allemande . In - 12, cart 1 fr . 50 c.
Corrigé des exercices. In- 12, cart. 2 fr. - Campagne de France et siège de Mayence.
Eichhoff. Cours de aux
versions Texte allemand ; publié avec sommaires et
étude préparatoire allemandes,
Morceaux choisis notes par M. Lévy. 1 vol . in- 16, cart . 2 fr.
du même auteur. 1 vol. in-12, cart. 2 fr. - Morceaux choisis, publiés avec des notices
- Morceaux choisis en prose et en vers des et des notes par M. Lévy, 1 volume petit
classiques allemands, 3 vol. in-12, cart. : in-16, cartonné. 3 fr .
22 ÉTUDE DES LANGUES VIVANTES .
Heinhold . Petit dictionnaire français- Cours d'écriture allemande miioaiat la
allemand et allemand - français. 1 volume méthode rationnelle, composé de cinq
in-12 , cart. en percaline gaufrée. 4 fr . cahiers in- 49 . Chaque cabier, 15 C.
Koch, professeur au lycée Saint- Louis. La Niebuhr . Histoires tirées des temps hé
classe en allemand , nouveaux dialogues roiques de la Grèce. Texte allemand , pu
à l'usage des lycées et des colléges, accom- blié avec un vocabulaire et des notes, par
pagnés d'un vocabulaire des mots les plus M. Koch. t vol. petit in - 16, cart. 1 fr . 50
usuels. 1 vol. petit in -16, cart. 1 fr. 25 C. Le même ouvrage, traduction française,
ctures géographiques. Textes ex- par Mme Kuch , avec le texte allemand.
traits des écrivainsallemands,par M. Kubff, | vol. in- 12, br. 1 fr . 75 C.
avec des exercices et des cartes. 1 vol . Le même ouvrage , traduction juxtali
in-12, cart. 3 fr. néaire par Mme Koch . In -12, br. 2 fr . 50
Lessing. Fables en prose et en vers. Édi- Schiller . Histoire de la guerre de trente
tion classique, publiée avec des notes, par ans. Texte allemand , publié avec des
M. Boutteville. 1 vol . in -12, cart . 1 fr. notes , suivie d'un vocabulaire des noms
Le même ouvrage, trad. juxtalinéaire, propres et des termes spéciaux par
par M. Boutteville . In -12 , br. 1 fr . 50 Ç. MM. Schmidt et Leclaire. 1 vol. petit
- Extraits de la dramaturgie , publiés avec in- 16 , cart. 2 fr , 50 c.
une notice et des notes , par M. Cottler, Le même ouvrage , traduction française
professeurau lycée Louis- le-Grand. 1 vo- avec le texte en regard , par M. Jacques
Iune petit in- 16 , cartonné. 1 fr . 50 c. Porchat. 2 vol. in- 12, br. 6 fr .
Extraits des lettres sur la littérature Guillaume Tell, drame . Texte allemand ,
moderne et sur l'art ancien, publiés avec publié ave des notes, par M. Th. Fis.
une notice et des notes, par M. Cottler. İn -12, cart. 1 fr . 50 c.
1 vol. petit in -16 , cart. 2 fr . Le même ouvrage , traduction française
-
Laocoon . Texte allemand , publié avec avec le texte en regard , par M. Fix.
une notice , des notes par M. Lévy. 1 vol. in- 12, br. 4 fr .
4 volume petit in - 16, cart. 2 fr . Le même ouvrage , traduction juxtali
Le même ouvrage, traduction française de néaire, par M. Fix . 1 vol. in-12, br. 5 fr .
M. Courtin, avec le texte en regard et - Marie Stuart, tragédie . Texteallemand,
des notes. 1 volume in- 12 , br. 4 fr . publié avec des notes, par M. Fix. In - 12,
Minna de Barnhelm , comédie en prose , cartonné.
1 . fr 50 e.
texte allemand, publiée avec des notes en Le mêine ouvrage , traduction française
français, par M. Lévy. 1 vol. petit in- 16, avec le texte en regard , par M. Fis.
cartonné . 1 fr . 50 c. 1 vol. in - 12 , br.
4 fr .
inspecteur généra de l'ense Le même ouvrage , traduction juxtali
gneme(B.),
Lévy nt des langue s vivantesl : Exercicesi néaire, par N. Fix . I vol . in -12,br 6 fr .
de conversation allemande. 3 vol. in - 12, - · Wallenstein , poëme dramatique en trois
cartonné . parties. 'l exte allemand publié avec des
1. Exercices sur les parties du discours, notices et des poles , par M. Cottler. I vo
à l'usage des cours élémentaires. 1 vo lume petit in- 16 , cartonné. 2 fr . 50 c.
lume . 1 fr. 25 c. Morceaux choisis, publiés avec des no
II . Sujets de conversation, à l'usage des tices et des notes par M. Lévy. 1 vol.
cours moyens. I'volume. 1 fr . 75 c. petit in-16 , cart. 3 fr .
III. Sujets de conversation, à l'usage des Schiller et Goethe. Extraits de leur
cours supérieurs. 1 volumé . 3 fr . correspondance. Texte allemand publié
Recueil de lettres allemandes, accompa avec une introduction et des notes , par
gné de notes en français. 1 vol. in - 12, car M. B. Lévy. 1 vol. petit in- 16, cart. 3 fr.
tonné . 2 fr . Schmid . Les aufs de Pâques. Texte al
Le même ouvrage, reproduit en écritures lemand publié avec une notice, des notes
autographiques, pour exercer à la lec- et un vocabulaire, par M. Scherdlin .
ture des manuscrits allemands ; 2e édi- 1 vol. petit in- 16, cartonné. 1 fr . 50 c .
tion . 1 vol. in- 8 , cartonné . 3 fr . 50 C.
Schmidt ( H.). Deux premières années 1

Lévy (J. ) . Méthode rationnelle d'écriture d'allemand ( grammaire, exercices , dia


allemande. 1 vol. petit in- 18, cart. 25 c, logues). I vol. in-12 , cart. 1 fr. 80 c.
ÉTUDE DES LANGUES VIVANTES . 23

2 ° LANGUE ANGLAISE
Addison . Beautés. Texte anglais. 1 vol. M. A. Beljame, 1 vol. petit in - 16 , car
petit in - 16, cartonné. 3 fr . tonné. 1 fr . 80 Co
Aikin et Barbauld . Evenings at home. Goldsmith . Le vicaire de Wakefield .
Texte anglais. A vol . in -16. cart. 2 fr. 50 c. Texte anglais, publié avec des notes, par
Beljame ( A.), professeur d'anglais au M. A. Beljame. 1 vol. petit in- 16.1 fr. 50 O.
lycée Louis -le -Grand. Exercices oraux Le même ouvrage , traduction française
de langue anglaise ; 3e édit. 1 vol. in -12, de M. Forgues, avec le texte en regard.
oart. 1 fr . 50 c. In- 12 , br . 4 fr .
Première année d'anglais , exercices -
Essais choisis. Texte anglais, annoté par
gradues et pratiques sur la prononcia M. Mac- Enery, professeur au lycée Fon
tiop , la conversation et la grammaire. tanes. 1 vol . petit in- 16, cart. i fr . 50 c.
1 vol. in- 12 , cart. 1 fr . 25 c . Gousseau et Koch . La classe en anglais .
Deuxième année d'anglais. In 12.1 f. 50c. Nouveaux dialogues , à l'usage des lycées
Cours pratique de prononciation an et des colléges ,accompagnés d'un vocabu
glaise, avec 200 exercices gradués sur laire des mots les plus usuels. 1 volume
la prononciation, l'accentuation, les homo petit in-16, cart. 1 fr . 25. Ce
nymes, etc. 1 vol. in-8, cart . 3 fr . Jours ( Les) de classe de Tom Brown.
Byron . Beautés. Texte anglais. 1 volume Texte anglais, édition originale. 1 vol.
in-16, cartonné. 3 fr . petit in- 16, cartonné. 2 fr . 50 c .

Day . Sandford et Merton . Texte anglais. Irwing ( Washington ). The Sketch book.
Texte anglais, édition classique. 1 volume
1 vol . petit in.16 , cartonné. 2 fr . 50 c.
in - 12, cartonué. 2 fr . 50 c.
Edgeworth (Miss). Frank . Texte anglais.
1 vol . petit in -16 , cartonné . 1 fr . 50 c. Macaulay. Morceaux choisis des essais.
Contes choisis, annotés par M. Mothere, Texte anglais, publié avec des analyses et
professeur au lycée Charlemagne, 1 vol. des notes en français par M. A. Beljame.
petit in -16, cartonné. 2 fr . 1 vol . in- 16 , cart. 2 fr . 50 C.
Forester. Texte anglais , annoté par Le même ouvrage, traduction française de
M. A. Beljame. Petit in- 16 . 1 fr . 50 c. M. Aug. Beljame. In-12 . 4 fr . 50 c .
Le même ouvrage, traduction française - Morceaux choisis de l'histoire d'Angle
de M. Beljame, avec le texte . In-12 . 3 fr. terre et des chants de l'ancienne Rome,
Eichhoff. Cours de versions anglaises à publiés et annotés par M. Battier . 1 vol .
l'usage des classes de grammaire, étude petit in-16, cart . 2 fr. 50 c.
préparatoire aux Morceaux choisis du Milton . Paradis perdu. livres I et II.
même auteur. 1 vol . in- 12 , cart. 2 fr . Texte anglais , publié avec une notice sur
Morceaux choisis en prose et en vers des Milton , et des notes par M. A. Beljame.
classiques anglais. 3 vol. in-12 , cart. : 4 vol. petit in- 16, cartonné. 90 C.
Ier vol.: Cours de troisième . 1 fr . 50 c. Le même ouvrage, traduction juxtali
Ile vol. : Cours de seconde . 2 fr . 50 c. néaire, par M. Legrand. In- 12 . 2 fr.50 c .
II le vol. : Cours de rhétorique . 3 fr . Euvres poétiques. T'exte anglais. 1 vol .
Cours de thèmes anglais, précédés d'un in - 12, cartonné. 3 fr .
résumé de grammaire. 1 vol . in- 12, cart . 2f. Pope. Essai sur la critique. Texte anglais
Fleming. Abrégé de grammaire anglaise. annoté par M. Motheré. 1 volume petit
1 vol . in -12 , cart. 1 fr . 25 c. in- 16, cartonné. 75 e.
Exercices sur l'abrégé de grammaire Le même ouvrage, traduction française,
anglaise. In-12, cart . 1 fr . 25 c. par M. Mothéré , avec le texte. Iu -12. »
Corrigé desdits . In-12. A fr. 50 c. Le même ouvrage , traduction juxtali
Cours complet de grammaire anglaise . néaire, par M. Mothéré , In -12 br. »
In -8 , cart . 3 fr .
Shakespeare. Coriolan . Texte anglais,
- Exercices sur le cours complet de gram- publié avec des notes, par M. Fleming,
maire anglaise, par M. Aug. Beljame. 1 vol . in- 12 , cart. 2 fr .
In -8 , cart. 3 fr . Le même ouvrage , traduction juxtali
Foë ( Daniel de) . Vie et aventures de Ro- néaire 1 vol. in- 12 , broché . 6 fr .
binson Crusoé. Texte anglais, anuoté par Jules César , tragédie . Texte anglais,
24 ÉTUDE DES LANGUÈS VIVANTES.
publié avec une notice et des notes , par - Abrégé de grammaire anglaise, à l'usage
M. Fleming. 1 vol. petit in - 16. 1 fr. 25 c. des enfants. In -12 . 2 fr . 50 C.
Macbeth . Texte anglais, annoté par - Etude raisonnée de la langue anglaise.
M. O'Sullivan, In- 16 . 1 fr. In- 12 . 3 fr . 50 c.
Le même ouvrage, traduction juxta Versions anglaises. In-12,
linéaire, par M. Angellier. In - 12. » 2 fr ,
Richard III. Texte anglais, annoté par Walter Scott . Extraits des contes d'un
M. O'Sullivan . In- 16 . 1 fr.
grand -père. Texte anglais, publié par
Sheridan . The School for scandal. L'é- M. Talandier, ancien professeur au lycée
cole de la médisance. Texte anglais, avec Henri IV . Petit in -16, cart . 1 fr. 50 c.
notes, par M. Spiers. In-18 , br. 1 fr . - Cours de thèmes anglais. In-12 , 1 fr . 50 C.
Spiers. Grammaire raisonnée de la langue Morceaux choisis, publiés par M. Battier,
anglaise et cours de thèmes. In - 12, professeur au lycée Saint-Louis. 1 volume
broché, 2 fr . 50 c . petit in- 16 , cartonné. 3 fr .

3° LANGUE ITALIENNE

Dante. L'Enfer, 1er chant. Texte italien, Morceaux choisis en prose et en vers des
annoté par M. Melzi. Petit in-16 . 75 c . classiques italiens, par M. Louis Ferri.
Le même ouvrage , traduction juxta 1 vol. petit in -16, cart. 2 fr .
linéaire. In-12 , broché. 1 fr .
Paoli. Abrégé de grammaire italienne,
Machiavel Discours sur la première dé 1 vol . in- 12, cart. 1 fr. 25 c .
cade de l'ite - Live. Texte italien , réduit
à l'usage des classes, et précédé d'une Rapelli. Exercices sur l'abrégé de la
introduction en français, par M. de Tré grammaire italienne. 1 volume in-12 ,
cart. fr . 25 c .
verret, professeur de littérature étraugère
à la Faculté des lettres de Bordeaux , - Corrigé des exercices. In-12 . 1 fr. 50 c.
1 vol. in- 12, br. 2 fr . 50 c . Tasse. La Jérusalem délivrée. Texte ita
1
Manzoni. Les Fiancés. Texte italien , pré . lien , expurgé à l'usage des classes , et
cédé d'une introduction en français, par précédé d'une introduction en français,par
M. de Tréverret . 1 vol. in-12 . 2 fr . 50 c . M. de Tréverret . 1 vol.in- 12 . 2 fr . 50 c.

4° LANGUE ESPAGNOLE

Calderon de la Barca : El majico pro -


Exercices sur l’abrégé de grammaire
digioso . Texte espagnol , publié avec une espagnole. In - 12. 1 fr . 25 c .
notice et des notes en français, par M.Ma Corrigé des exercices. In-12 . 1 fr. 50 c.
gnabal. 1 vol . petit in - 16 , cart. 1 fr.50 c . Cours complet de grammaire espagnole.
Cervantes. Le Captif, texte espagnol In- 8 . 3 fr . 50 c .
extrait de don Quichotte, publié avec des
notes, par M. J. Merson . In -12. 1 fr . Morceaux choisis en prose et en vers
Le même ouvrage , traduction française , des classiques espagnols, pår MM. ller
avec le texte en regard, par M. J. Mer nandez ei Le koy. 1 vol. petit in - 16 ,
son . In-12, br . 2 fr . cartonné . 2 fr.
Le même ouvrage, traduction juxtali Morceaux choisis du Don Quichotte, par
néaire, par M. J. Merson . In- 12 . 3 fr.
Cervantès, de la Conguèle du Mexique,
Fonseca (J. da). Dictionnaire français par A. de Solis , de la Guerre de Gre
espagnol et espagnol- français. 1 vol. nade, par 11. de Mendoza . Nouveau re
in - 8 ,cart. 10 fr . cueil publié avec des notices et des notes,
Hernandez . Abrégé de grammaire espa par M. Maguabal. 1 vol . petit in- 16 (en
gnole. In - 12, cart . i fr . 25c . préparation ).

Paris. — Imprimerie Viéville et Capiomont, rue des Puitevins, 6.


1
)
|
|
|
|
1
|
(

/
(
7
1 1
)
|

)
N
|
7
YI
1
1
1
{
DATE DUE

NOV 18 2002
Nov 21 22

JUNI2/2003
AUG 2003

SEP S3E4R O2G00Z3OU

PRNTED IN USA
GAYLORD
COLUMBIA UNIVERSITY LIBRARIES

BC
62 0023710209
A8
1874
02762900
1

1874
.A8
62
BC

FEB 24 1

Vous aimerez peut-être aussi