Iagnostic Rizicole Des Bas-Fonds Face Aux Risques Climatiques

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Chapitre 6

Diagnostic rizicole
des bas-fonds
face aux risques climatiques
Les effets des aléas d’inondation
(Lofing-Bankandi, Dano, Burkina Faso)
Georges SERPANTIÉ, Augustine DORÉE,
Manaka DOUANIO, Fabrice SOMÉ, Séverin HIEN,
Aymar Y. BOSSA, Jean-Louis FUSILLIER, Bruno LIDON,
Abdraime SAWADOGO, Nab DABIRÉ

Introduction
Au Burkina Faso, pays sahélien vulnérable aux risques climatiques, les bas-fonds
humides des zones soudano-sahéliennes ont joué un rôle agricole croissant à partir
des sécheresses de 1970-1990 selon une fonction anti-risque (SERPANTIÉ et ZOMBRE,
1994). Du fait de cette propriété anti-aléatoire, l’aménagement des terres de bas-fonds
pour la culture du riz a été promu dans une forme intermédiaire à l’irrigation (JAMIN
et WINDMEIJER, 1995; DRABO, 2004). Cette « mise en valeur des bas-fonds » se
déplace aujourd’hui vers les zones plus humides en présence d’une demande urbaine
en riz croissante et avec l’augmentation des prix en 2008 sur le marché mondial.
Ailleurs en Afrique de l’Ouest, la riziculture s’est aussi développée dans les bas-fonds,
parfois très anciennement, mais les pratiques le plus souvent observées visent plus
à minimiser les risques écoclimatiques qu’à maximiser la production (MANZELLI et
al., 2015). Peut-on encore concilier ces deux objectifs alors que les aléas liés au
changement climatique semblent s’aggraver (BROWN ET CRAWFORD, 2018) ?
L’enjeu pour une recherche d’accompagnement de l’adaptation est double : 1) accroître
les productions de riz de bas-fond (surfaces, rendements) sans réduire la fonction
« anti-risque » de ces derniers, ni ajouter de nouveaux risques environnementaux ou
sociaux ; 2) adapter aménagements et pratiques aux nouveaux aléas.
Les questions scientifiques à traiter portent donc sur la caractérisation des aléas
(anciens comme nouveaux) auxquels doivent faire face les riziculteurs de bas-fond,
sur les effets de ces aléas et sur le niveau d’adaptation des pratiques des riziculteurs
à ces aléas, en milieu « aménagé » comme « non aménagé ».
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Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

Matériel et méthodes
Zone d’étude
Le sud-ouest du Burkina Faso sous climat sud-soudanien, qui focalise ces politiques
d’aménagement de bas-fonds et de soutien aux filières riz, a été sélectionné comme
cadre géographique. La province du Ioba a été retenue pour son abondance en terres de
bas-fonds et en raison de l’implantation récente de projets d’aménagements innovants.

25°N
11°19’N

15°N 11°16’N
Burkina Faso

5°N 11°13’N

10°W 0° 10°E
11°10’N
Dano N Dano

11°7’N

Sud-Ouest
11°4’N

11°1’N

Commune de Dano
3°6’W 3°3’W 3°W 2°57’W 2°54’W 2°51’°W
Réseau hydrographique
Bassin versant Lofing 0 5 10 20 km

Figure 1.
Le site d’étude du bassin versant de Lofing, Burkina Faso, province du Ioba, commune de Dano.
Source : BNDT 2012, Generia.

La commune de Dano (fig. 1), chef-lieu de la province, est un territoire rural. Cette
région de langue dagara, de population dense, est restée en marge de la dynamique
cotonnière. Les bas-fonds y sont depuis longtemps cultivés pour le riz à plat et le
maïs sur buttes puis des projets ont introduit des aménagements pour le riz
(PRADEAU, 1970 ; PALÉ et al., 2016). Deux types d’aménagements principaux s’y
observent, ceux basés sur la rétention d’eau au moyen de digues en courbe de niveau
(« DCN ») et ceux basés au contraire sur le drainage au moyen de digues de partition
et canaux parallèles (casiers+arroseurs/drains « CAD »). Ces derniers sont conçus
pour parer à deux aléas contraires, l’inondation (par la fonction de drainage des
canaux) et la sécheresse (par l’irrigation possible à partir des canaux de drainage).
En attendant de pouvoir modéliser des cultures de riz dans le contexte naturel et
humain complexe des bas-fonds, le choix de Generia a été de recourir à l’analyse
empirique de systèmes rizicoles in situ.

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Diagnostic rizicole des bas-fonds face aux risques climatiques

Méthodes
Les séries climatologiques longues (stations synoptiques de Boromo et Gaoua) sont
analysées par fréquence cumulée et par bilan climatique. Des instruments et jau-
geages hydrologiques suivent la pluie, les débits des écoulements, les inondations et
la nappe dans trois bas-fonds. Dans chacun, une dizaine de piézomètres ont été relevés
quotidiennement en 2017, année à pluviométrie médiane et 2018, année humide de
fréquence décennale, avec une mesure interne niveau de l’eau dans le tube) et
externe (épaisseur de la lame d’eau).
Un diagnostic agronomique est mené sur l’ensemble du bas-fond de Lofing-
Bankandi, limité à Lofing en 2017. Un réseau de 26 parcelles de riz a été suivi en
campagne 2017 (DORÉE, 2017) et 54 en 2018 (SAWADOGO, 2018).
Le choix des parcelles répond à un échantillonnage stratifié (aménagé/non aménagé,
irrigable/non irrigable, semé/repiqué, semis précoces/semis tardifs, femmes/hommes)
avec tirage aléatoire. Chacune fait l’objet d’enquêtes et d’observations sur les
pratiques, les coûts et les états culturaux physiques et biologiques à 5 dates. Le
rendement est mesuré dans toutes ses composantes par échantillonnage des peuple-
ments à maturité (1 à 5 placettes de 3 lignes de 3 m selon la taille de parcelle.
L’analyse sépare les composantes précoces déterminées en phase végétative et celles
fixées en phase reproductive.

Aléas et contraintes de la riziculture


de bas-fond
Aléas climatiques

Le climat sud-soudanien de Boromo (station synoptique la plus proche de Dano)


reçoit depuis 1922 une pluviométrie médiane de 940 mm (décennales : sèche
720 mm, humide 1 090 mm). La saison pluvieuse court de mai à octobre. Il existe
un aléa de pentades sans pluie supérieur à 80 % en mai et en octobre et supérieur à
50 % en juin, juillet, septembre. Mais des changements tendanciels apportent de
nouveaux aléas, tous confirmés par les paysans de Lofing.
La période 1971-1990 était caractérisée par de nombreuses sécheresses dont plusieurs
se succédaient, et par l’absence d’années excédentaires (fig. 2). Le climat s’est stabi-
lisé depuis. Le risque de sécheresses reste maintenu mais s’est atténué à 1 an sur 3.
Elles ont perdu ce caractère double qui les rendait particulièrement dommageables.
En revanche le risque d’excédents est revenu (1 an sur 3), ce qui concerne particu-
lièrement les bas-fonds qui les collectent, et particulièrement la décennie actuelle où
3 années ont atteint la pluie décennale (2012, 2016 et 2018).

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Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

a) Années déficitaires

1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

b) Années excédentaires

1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
Figure 2.
Distribution des aléas annuels (Boromo).
a : années déficitaires (quartile inférieur P < 828 mm) ;
b : années excédentaires (quartile supérieur P > 1 032 mm).
Source : Generia.

La saison pré-humide (mai-juin) est la période d’aléa sécheresse principale et pour-


tant c’est aussi la période stratégique de « mise en place des enjeux ». Le piochage
des sols argileux demande des pluies suffisantes pour la réhumectation des terres
argileuses desséchées (mai). Les périodes les plus favorables aux semis sont celles
dont la pluie est supérieure à ETP/2 (évaporation du sol nu) pour la recharge du sol
en eau (juin).
Les aléas de cette saison stratégique ont significativement augmenté. La distribution
statistique des pluies décadaires a changé significativement depuis la sécheresse
1971-1990 (test KOLMOGOROV-SMIRNOV, au risque 5 %). La fréquence de décades
très sèches (P < ETP/4) a presque doublé (25 à 40 %), conférant une difficulté
croissante de piochage, réalisé sous une chaleur croissante, et les semis sont retardés
(fig. 3 a). En cas de semis tardifs, les travaux d’installation et d’entretien deviennent
concurrents.

a) Saison pré-humide (mai-juin) b) Saison des crues dommageables (juin-juillet)


(probabilité de non-dépassement)
(probabilité de non-dépassement)

1,00 0,20
Fréquence cumulée
Fréquence cumulée

0,75 0,15

1922-70 1922-70
0,50 1971-90 0,10 1971-90
1991-2013 1991-2013
0,25 décades 0,05 décades
très sèches à risque de crue

0 0
0 25 50 75 100 40 80 120 160 200 240 280 320
ETP/4 ETP/2 ETP ETP 2ETP
mm décadaire en mai et juin (classes 5 mm) mm décadaire en juin-juillet (classes 5 mm)
Figure 3.
Analyse fréquentielle des pluies décadaires en début de saison.
a : aléa de décades très sèches ;
b : aléa de décades pluvieuses à risques de crues.
Source : Generia.

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Diagnostic rizicole des bas-fonds face aux risques climatiques

Un autre aléa existe en juin-juillet, celui de crues dommageables aux cultures à un


stade vulnérable. Les plus précoces retardent les opérations rizicoles et abîment les
sols labourés, les jeunes cultures et aménagements. Les suivantes submergent les
jeunes plants. Le risque de pluies de plus de 100 mm/j, générateur de fortes crues,
inexistant entre 1971 et 1990, est réapparu. Les crues dépendent aussi des intensités
de pluie et du cumul antérieur de pluie. La figure 4, établie à partir d’un suivi hydro-
logique de 2 ans, montre qu’en juin-juillet l’aléa « crue » est nul en dessous de
80 mm de cumul décadaire, mais monte à 37 % au-dessus de ce seuil, et 66 % au-
dessus de 100 mm. Un simple cumul décadaire, calculé à partir de séries journalières,
représente donc un indicateur de l’aléa de crue au-dessus de 80 mm. La fig. 3 b
montre un doublement des décades dépassant 80 mm de pluie (10 % à 20 %), donc
un doublement de l’aléa de crues précoces depuis 1990.

y = 77E-05x2 - 0,0023x y = 0,0002x2 - 0,0067x


R2 = 0,64* R2 = 0,35*
2,5 n = 76 10 n = 76
Débit journalier dernier jour (m3/s)

Débit de pointe dernier jour (m3/s)

9
2 8
7
1,5 6
5
1 4
3
0,5 2
1
0 0
0 40 80 120 160 200 0 40 80 120 160 200
Pluie cumulée sur 10 jours (mm) Pluie cumulée sur 10 jours (mm)

Figure 4.
Débits moyens et débits de pointe en fonction de la pluie cumulée (juin-juillet 2017-2018).
Les pointillés indiquent les seuils de débits jugés à risque
et le seuil de pluie cumulée correspondant.
Source : Generia.

Ainsi, les fréquences des deux extrêmes, décades très sèches et décades très pluvieuses,
ont doublé en début de saison, témoignant d’un climat de début de saison doublement
plus contraignant pour la riziculture en bas-fonds.
Au plan thermo-radiatif, la température s’est accrue de près de +2 °C en 50 ans
pendant les mois secs et chauds, et de +1 °C en saison humide. La période froide est
devenue en revanche plus fraîche (-1 °C). En août, la température augmente signifi-
cativement (0,8 ° en 30 ans) et l’insolation diminue significativement (tabl. 1). Une
telle évolution est défavorable au riz intensif : elle tend à réduire le taux de nouaison
du riz, réduisant le rendement potentiel selon YOSHIDA et PARAO (1976).

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Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

Tableau 1.
Changements thermo-radiatifs à Dano en août
(moyennes des données des stations synoptiques Boromo et Gaoua encadrant Dano).
Sources : Generia et Météorologie nationale.

Température moyenne Radiation solaire moyenne


journalière (°C) journalière (MJ/m2/j)
(hausse) (baisse)
Année 1970 25,7 a 18,9 b
Année 1980-90 26,2 b 18,7 b
Année 2000-2010 26,5 c 18,2 a
Les lettres différentes indiquent une différence significative entre moyennes pour un risque de 5 %.

Contraintes des bas-fonds


Les sols hydromorphes des bas-fonds, bien qu’hétérogènes, sont les plus fertiles des
terroirs : composés le plus souvent de plus de 50 % d’argile 2/1, riches en limons,
ils ont une bonne activité de fissuration et de rétention d’eau, une bonne capacité
d’échange, un pH peu acide, et restent filtrants (DORÉE, 2017 ; YAMÉOGO, 2017). Le
taux de matière organique, issue des anciens milieux forestiers et prairies humides est
encore élevé mais déclinant du fait d’un bilan organique déficitaire. Ces sols à fortes
potentialités ont aussi des contraintes : sol gonflant conduisant à un enracinement
peu développé ; fugacité de la disponibilité des nitrates (YAMÉOGO, 2017) ; difficulté
à travailler en conditions mouillées, très collantes. Les digues constituées de ce
matériau gonflant sont fragiles, surtout si elles ont été damées en sec et colonisées
par des termites.
L’avantage de l’humidité s’accompagne de multiples contraintes liées à l’eau. La
toxicité ferreuse du sol liée à des conditions asphyxiantes réductrices est perceptible
par endroits (eaux rougeâtres, symptômes foliaires).
Le régime variable et aléatoire dépend à la fois des eaux de surface et de la nappe
(LIDON, 2017).
En premier lieu, les crues (fig. 5 a) sont néfastes pour les sols travaillés, jeunes
cultures et aménagements lorsque la végétation n’est pas encore en état de stabiliser
les sols et les digues, et compte tenu de la sensibilité des variétés modernes de riz à
la submersion. Sur 14 parcelles enquêtées en 2016, 15 % ont été détruites par les
crues et 8 % endommagées par des ravageurs. Les crues produisent une inondation
limitée au centre du bas-fond en règle générale mais des crues de fréquence
moyenne bi-annuelle (une fois en 2017 et quatre fois en 2018, illustrant la forte
variabilité interannuelle de ces aléas) l’inondent sur toute sa largeur (environ 200 m)
et sur une épaisseur allant jusqu’à 50 cm. Les crues parvenant à submerger le riz en
période végétative sont particulièrement néfastes car elles salissent les feuilles et
bloquent le tallage (fig. 5 b). Il s’en est produit deux en 2018 et aucune en 2017.

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Diagnostic rizicole des bas-fonds face aux risques climatiques

Des inondations durables nuisent au maïs des buttes et gênent l’entretien. La réma-
nence de l’inondation varie. Un casier rizicole ceint de diguettes se voit inondé un
jour ou deux après chaque grosse pluie dès le mois de juin. Au centre du bas-fond,
des inondations d’environ une semaine n’ont pas eu lieu en 2017 mais se sont
produites à 6 reprises en 2018 (fig. 5 b).
La nappe à faible profondeur de juin à décembre maintient une possibilité d’alimen-
tation en eau des plantes en l’absence de pluies, par capillarité puis via l’exhaure à
partir de puisards. Mais la dynamique de la nappe est très variable d’une année sur
l’autre sur plusieurs paramètres : date de remontée de la nappe, niveau moyen,
périodes de saturation, pression interne, vitesse de descente (fig. 5 b). Il existe des
poches sèches (début sept. 2017) qui voient la nappe redescendre rapidement, alors
que le riz à faible enracinement est sensible en période de floraison. Il existe aussi
en 2018 une longue période tardive de saturation en eau avec pression interne de la
nappe élevée, indépendamment des inondations de crue (pic de la nappe décalé au
1er octobre, fig. 5 b), qui augmente les conditions d’asphyxie.

5 0

Pluviométrie journalière mm
4 25
Débit moyen m3/s

50
3
75
2
Inondation du bas-fond entier 100
1 125

0 150
1/4/17

1/7/17

1/10/17

1/1/18

1/4/18

1/7/18

1/10/18

Pluviométrie journalière Débit moyen journalier

50
Piézomètre (niveau/sol cm)

-50

-100

-150
1/4/17

1/7/17

1/10/17

1/1/18

1/4/18

1/7/18

1/10/18

Pics de crue (cm) Piézomètre 22 mesure interne Mesure externe

Figure 5.
a (haut) : pluviométrie, hydrométrie ;
b (bas) : piézométrie d’une section « non aménagée »
(mesure externe = lame d’eau de surface ; mesure interne= pression de la nappe).
Source : Generia.

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Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

Facteurs climatiques du rendement


Les composantes du rendement 2017 (sécheresses en septembre) et 2018 (excès
d’eau) sur les parcelles sont analysées globalement.

Variabilité et effet année


Le tableau 2 montre la médiocrité des rendements parcellaires moyens en riz de bas-
fond (2t/ha sur deux ans) mais aussi leur grande variabilité (de 0,4 à 6 t/ha,
CV = 63 %), exprimant des tensions entre un potentiel élevé et des contraintes sévè-
res, et une variété de pratiques, entre des systèmes techniques intensifs et extensifs.
(DORÉE, 2017).

Tableau 2.
Composantes du rendement « riz de bas-fonds » deux années de suite
(l’effet année est significatif S si p-value <0,05 (test T).
Moyenne CV % 2017 2018 p-values
Composantes
Rendements à 14 %H2O (t/ha) 2,0 63 2,6 1,7 0,00 S
Précoces
Rendement MS paille (t/ha) 2,5 60 3,9 1,8 0,00 S
Panicules utiles /m² 107 37 128 97 0,00 S
Taux de touffes vides % 6,6 85 3,1 8,4 0,00 S
N grains/panicule 78 35 92,7 71,5 0,00 S
Tardives
Poids de 1 000 grains (g) 21,8 12 19,0 23,1 0,00 S
Biovolume adventices 146 92 172 134 0,24
Poids d’une panicule utile sèche (g) 1,72 32 1,85 1,65 0,13
Ttaux de panicules inutiles % 10,4 68 10,5 10,3 0,92
Taux de grains vides (%) 8,1 153 24,3 0,3 0,00 S
N parcelles 80 26 54

L’importance de l’effet année sur le rendement (- 34 % en 2018) est frappante, illus-


trant la forte exposition de cette riziculture de bas-fond aux aléas hydrologiques
d’excès d’eau (tabl. 2). Les composantes déterminées précocement se sont dégradées
en 2018, mais les composantes tardives se sont améliorées, du fait de la sécheresse
2017 en septembre. Les sécheresses de septembre 2017 ont donc eu moins d’incidence
sur le rendement que les inondations et crues de 2018.

Effets des inondations 2018


La partie aval de l’aménagement de Bankandi, construit en digues en courbe de niveau
(DCN), avait été quasi abandonnée de longue date suite à des inondations récurrentes
même en année normale comme 2017 (YIRA et al., 2019).

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Diagnostic rizicole des bas-fonds face aux risques climatiques

Des crues et inondations ont marqué les phases végétatives et pré-florale de juillet
2018 (fig. 5 a et 5 b), comme le montre la courbe enveloppe décroissante sur tous les
diagrammes « composantes précoces vs durées d’inondation », telle que la biomasse
végétative (fig. 6). Les inondations ont donc introduit des facteurs limitants.
Comme le riz est une des cultures les plus tolérantes à une inondation modérée,
d’autres effets indirects doivent être recherchés. La perte des nitrates par lixiviation,
l’entraînement superficiel des engrais par les crues et l’urée soluble plusieurs jours
avant d’être retenue dans la CEC sous la forme ammonium (ANGLADETTE, 1966)
rendent l’azote disponible vite déficitaire (YAMÉOGO, 2017). Une végétation jaunâtre
indique une alimentation azotée déficitaire. Le taux de parcelles jaunâtres est déjà de
1/3 pour moins de 10 jours d’inondation, et atteint 2/3 au-delà de 30 jours d’inonda-
tion (fig. 6). La dynamique de l’azote est donc en partie en cause.
Mais les végétations les plus vertes, bien alimentées en azote, ont eu aussi de meilleures
croissances sous faible inondation. Il faut donc invoquer un second processus,
comme des dommages aux plants submergés en cas de crues (salissement des
feuilles, asphyxies temporaires, déchaussements).

4,5

3,5

3
Pas de jaunissement
Rdt MS paille t/ha

2,5
Jaunissement
2

1,5

0,5

0
0 10 20 30 40 50
Durée d’inondation au piézomètre le plus proche (jours)

Figure 6.
Biomasse végétative maximum limitée par l’alimentation azotée
et la durée d’inondation en 2018.
Source : Generia.

Effet des aménagements


Puisque la durée d’inondation (corrélée à la hauteur de submersion) paraît déterminer
le potentiel, des aménagements renforçateurs de drainage pourraient réduire l’aléa
d’inondation.

93
Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

Les inondations de 2016 ont cependant fortement perturbé la mise en place du riz
sur le périmètre CAD de Lofing, dont les canaux ont été surcreusés début 2017 pour
pallier cet inconvénient (DORÉE, 2017). Mais ce surcreusage avait aussi entraîné des
difficultés de mobilisation de l’eau des canaux pendant la phase sèche de septembre
2017. Mais des inondations ont eu lieu à nouveau en 2018.
Suite aux demandes de la population de Bankandi, la fondation Dreyer a organisé
en mai 2018 le creusement de canaux de drainage sur le bas-fond chroniquement
engorgé, transformant l’aménagement DCN en système CAD. Malgré une année
2018 très pluvieuse (décennale humide propice à l’inondation), la quasi-totalité du
bas-fond a pu être emblavée et récoltée, le drainage a donc atteint en partie ses buts.
L’impact des 2 aménagements CAD sur la durée d’inondation par rapport aux zones
non aménagées du quartier Zangoli est très net (fig. 7).

Moyenne 2018 des lames d’eau


(mesure externe quotidienne hors crue)
14
Hauteur d’eau externe au tube (cm)

12

10

0
7/01/2018 8/01/2018 9/01/2018 10/01/2018

externe non aménagé Zangoli


externe CAD Bankandi
externe CAD Lofing
Figure 7.
Effet des aménagements CAD sur la durée
et la hauteur moyenne des inondations de 2018
(mesure externe sur les piézomètres en l’absence de crue).
Source : Generia.

En revanche, l’aménagement CAD n’agit pas significativement sur la durée de satu-


ration du profil, la nappe de bas-fond étant liée à un système souterrain qui dépasse
l’étendue de l’aménagement (convergence des nappes de pentes) (fig. 8). L’effet
apparent à Bankandi de remontée plus précoce et plus haute, alors que son bassin
est le plus petit, est lié vraisemblablement à sa forme en entonnoir.

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Diagnostic rizicole des bas-fonds face aux risques climatiques

Moyenne 2018 des piézos cohérents


(mesures internes) (erreur stdrd σ/√n)
50

0
Profondeur de l’eau (cm)

-50

-100
interne non aménagé Zangoli
interne CAD Bankandi
interne CAD Lofing

-150
01-juin 01-juil. 01-août 01-sept 01-oct. 01-nov. 01-déc.
Figure 8.
Dynamique de la nappe en 2018 par mesure de hauteur piézométrique interne.
Les valeurs positives correspondent à la surpression de la nappe dans le sous-sol argileux.
Source : Generia.

Discussion et conclusion
D’autres points du diagnostic Generia indiquent bien d’autres contraintes que l’aléa
d’inondation/submersion à lever ou auxquelles s’adapter dans les rizières de bas-fonds :
importance d’un piochage et d’un semis précoces, rôle majeur des mauvaises herbes
mal contrôlées, tant en début de cycle qu’en fin de cycle. Les densités de plantation
sont trop faibles avec trop peu de démariage. Absence de fumure organique et mauvais
timings de la fertilisation de couverture (souvent trop tard), usage abusif d’herbicides,
monoculture, irrigation insuffisante pendant les poches sèches tardives. Ces systèmes
de culture et itinéraires techniques souvent défectueux révèlent d’abord que les res-
sources (en fumier, en travail, en temps) ne sont pas dédiées en priorité au riz, à la
fois risqué, contraignant et de faible enjeu (petites parcelles, prix non incitatif).
La faible production rizicole dans les bas-fonds a donc des origines multiples,
contraintes hydriques (excès ou déficit) mais aussi stratégies de gestion des risques
et de gestion des ressources qui conduisent à investir plus de temps, de travail et

95
Risques climatiques et agriculture en Afrique de l’Ouest

d’argent sur les grands champs de plateau. L’aménagement CAD favorable au


drainage joue pourtant un rôle certain pour réduire l’aléa inondation et l’aléa érosion
et encourager à l’investissement en travail et en intrants.
Cette interprétation des données 2017 et 2018 est encore partielle. En effet le prin-
cipe de notre méthode d’analyse des données empiriques, à savoir la recherche de
liens statistiques entre facteurs hypothétiques et résultats, n’est pas toujours suffisant
pour identifier les causalités. Le diagnostic complet nécessite un raisonnement
complémentaire (recherche de liens de confirmation par expérimentation, par recou-
pement, répétition de l’enquête).
Ces résultats valident les chantiers d’innovation lancés en 2018 lors des ateliers du
programme Generia afin de réduire les risques :
– renforcer les capacités de drainage des aménagements de type DCN sur les sites à
risque (grands bassins versants, faibles pentes) ;
– renforcer la solidité des ouvrages et réduire les risques érosifs associés aux types
CAD ;
– rechercher des variétés supportant mieux l’aléa de submersion.

Références
ANGLADETTE A., 1966 DRABO A., 2004
Le Riz. Situation de la filière riz au Burkina Faso,
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Sous la direction de

B. Sultan, A. Y. Bossa,
S. Salack, M. Sanon

4KUSWGU
ENKOCVKSWGU
GVCITKEWNVWTG

GP#HTKSWGFGN1WGUV
Risques climatiques
et agriculture
en Afrique de l’Ouest

Éditeurs scientifiques
Benjamin SULTAN, Aymar Yaovi BOSSA,
Seyni SALACK, Moussa SANON

IRD Éditions
INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Collection Synthèses

Marseille, 2020
Coordination éditoriale, fabrication
Corinne Lavagne

Mise en page
Aline Lugand – Gris Souris

Maquette de couverture
Michelle Saint-Léger

Maquette intérieure
Pierre Lopez

Photo de couverture
Récolte du niébé, fin de saison humide, Niakhar (Sénégal).
© IRD/T. Chevallier

p. 4 de couverture
Femmes cultivant des patates douces (culture de décrue) près de Podor (Sénégal).
© IRD/J.-C. Poussin

La loi du 1er juillet 1992 (code de la propriété intellectuelle, première partie) n’autorisant, aux
termes des alinéas 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions
strictement réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et,
d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans le but d’exemple ou d’illustration,
« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon passible des peines prévues au titre III de la loi précitée.

© IRD, 2020
ISBN : 978-2-7099-2820-5
ISSN : 2431-7128

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