DC S1 2023-24 Séance 4

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UNIVERSITÉ PARIS II – PANTHÉON-ASSAS

1re année de Licence


Année universitaire 2023-2024
1er semestre

DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours de M. le Professeur Armel LE DIVELLEC

Séance n° 4 :
La Constitution de 1791 et les modèles anglais et américain

La Constitution du 3 septembre 1791, adoptée par l'Assemblée nationale constituante (sans


référendum populaire), est la première constitution formelle (c'est-à-dire une loi constitutionnelle
écrite et solennelle) de l'histoire de France. A ce titre, elle mérite un examen soigné pour comprendre
les fondements du constitutionnalisme libéral moderne sur lequel repose une grande partie du droit
constitutionnel d'aujourd'hui. Précédée de la célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
du 26 août 1789, cette constitution clôt, pour peu de temps (elle sera de fait abolie par une nouvelle
révolution, en août 1792, qui emporte une première fois la monarchie), la Révolution française.
Ont été, à cette époque, posés ou amorcés plusieurs piliers majeurs de la version française du
constitutionnalisme : le principe de la souveraineté nationale, le régime représentatif, le principe de
la constitution formelle néanmoins complexifié par le légicentrisme, la reconnaissance spectaculaire
des droits fondamentaux de l'homme, la distinction des pouvoirs, envisagée d'une manière dogmatique
dans un sens séparatiste, aboutissant à une balance très inégale des pouvoirs. La méfiance envers le
pouvoir exécutif, qui marquera longtemps la culture constitutionnelle française, est caractéristique de
cette époque.
Après s'être, au préalable, remémoré les principaux événements des années 1789 à 1791, on
s'attachera, à travers les documents, à comprendre comment les Français ont, au terme de débats
passionnés mais souvent confus, cherché à traduire juridiquement l'organisation des pouvoirs en
s'éloignant dans une large mesure des modèles anglais et américain.

Date de distribution : semaine du 16 octobre


2023Date d’utilisation : semaine du 23 octobre

ARTICLES du Dictionnaire du droit constitutionnel à lire :


Ancien Régime, Assemblée constituante, Assemblée nationale, Balance des pouvoirs, Citoyen / Citoyenneté,
Constitution, Constitutionnalisme, Constitutions de la France, Déclaration des droits de l'homme, Droits de
l'homme, Electorat, Etats généraux, Incompatibilité, Légicentrisme, Monarchie, Nation, Pouvoir constituant,
Pouvoir exécutif, Pouvoir judiciaire, Pouvoir législatif, Régime représentatif, Représentant, Révolution,
Séparation des autorités administratives et judiciaires, Séparation des pouvoirs, Souveraineté, Révolution, Veto.

BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE :
− F. Bluche, S. Rials, J. Tulard, La Révolution française, P.U.F., coll. "Que sais-je ?", n°142,
1ère éd. 1989, p. 3 à 76. [Ouvrage très recommandé]
− Ph. Lauvaux et A. Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, PUF, 4e éd. 2015,
pp.234-236 et, sur la pratique, pp. 242-245. [En liaison avec le document n°7]

1
DOCUMENTS :
1) Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-état ? (Janvier 1789)
2) Mounier, Rapport du comité chargé du travail sur la Constitution (9 juillet 1789) (extraits)
3) Assemblée nationale, débat à la séance du 31 août 1789 sur le principe d'une deuxième chambre,
(Extrait)
4) Mirabeau sur la question de la compatibilité ou non des fonctions de ministre et de député
(Assemblée nationale, séance du 7 novembre 1789)
5) Jacques Necker, Du pouvoir exécutif dans les grands Etats, s. e., 1792, t. I (extraits)
6) La Constitution du 3 septembre 1791 (extraits)
7) Le décret (loi) des 27 avril-25 mai 1791 sur l'organisation du ministère
8) Antoine Barnave, De la Révolution et de la Constitution, Manuscrit datant de 1793, éd. P.U. de
Grenoble, 1988 (extraits)
9) François GUIZOT, Du gouvernement représentatif de l’état actuel de la France, 1816, p. 55-59
(extraits)

DOCUMENT N°1 : Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-état ? (Janvier 1789)

Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire.
1° Qu'est-ce que le Tiers état ? -- Tout.
2° Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? --Rien.
3° Que demande-t-il ? -- A être quelque chose.
(...)
Qu'est-ce qu'une nation ? Un corps d'associés vivant sous une loi commune et représentés par la même
législature, etc.
N'est-il pas trop certain que l'ordre noble a des privilèges, des dispenses, qu'il ose appeler ses droits,
séparés des droits du grand corps des citoyens ? Il sort par là de l'ordre commun, de la loi commune.
(...)
Le Tiers embrasse donc tout ce qui appartient à la nation ; et tout ce qui n'est pas le Tiers ne peut pas
se regarder comme étant la nation. (...)
Tout privilège, on ne saurait trop le répéter, est opposé au droit commun ; donc tous les privilégiés,
sans distinction, forment une classe différente et opposée au Tiers état. (...)

§ VI. On propose d'imiter la Constitution anglaise


Différents intérêts ont eu le temps de naître dans l'ordre de la noblesse. Elle n'est pas loin de se diviser
en deux partis. Tout ce qui tient aux trois ou quatre cents familles les plus distinguées soupire après
l'établissement d'une Chambre haute, semblable à celle de l'Angleterre ; leur orgueil se nourrit de
l'espérance de n'être plus confondues dans la foule des gentilshommes. Ainsi, la haute noblesse
consentirait de bon cœur à rejeter dans la Chambre des communes le reste des nobles avec la
généralité des citoyens.
Le Tiers se gardera avec attention d'un système qui ne tend à rien moins qu'à remplir sa Chambre de
gens qui ont un intérêt si contraire à l'intérêt commun ; d'un système qui le replacerait bientôt dans la
nullité et l'oppression. Il existe à cet égard une différence réelle entre l'Angleterre et la France. En
Angleterre, il n'y a de nobles privilégiés que ceux à qui la Constitution accorde une partie du pouvoir
législatif. Tous les autres citoyens sont confondus dans le même intérêt ; point de privilèges qui en
fassent des ordres distincts. Si donc on veut en France réunir les trois ordres en un, il faut auparavant
abolir touts espèce de privilège. (...) Le salut public exige que l'intérêt commun de la société se
maintienne quelque part, pur et sans mélange. Et c'est dans cette vue, la seule bonne, la seule
nationale, que le Tiers ne se prêtera jamais à l'entrée de plusieurs ordres dans une prétendue Chambre
des communes, car c'est une idée monstrueuse que celle d'une Commune composée de différents
ordres. On peut dire qu'il y a contradiction dans les termes. (…)

2
Le projet des deux Chambres acquiert cependant parmi nous un si grand nombre de partisans qu'il y a
véritablement de qui s'en effrayer. Les différences que nous venons de relever sont réelles ; jamais une
nation coupée par ordres n'aura rien de commun avec une nation une. Comment voulez-vous avec des
matériaux si dissemblables construire en France le même édifice politique qu'en Angleterre ?
Prétendez-vous admettre dans votre Chambre basse une partie de vos deux premiers ordres ? (...) C'est
se moquer de l'entendre autrement, et de croire former une Commune en faisant siéger dans la même
salle des citoyens qui ont des privilèges civils et politiques inégaux. Ce n'est point en Angleterre que
vous trouverez une combinaison aussi étrange. J'ajoute qu'il ne faudrait pas longtemps à cette partie de
la noblesse que vous introduiriez dans votre prétendue Chambre des communes pour s'emparer de la
plupart des députations. Le Tiers état perdrait ses véritables représentants, et nous reviendrions à
l'ancien train des choses, où la noblesse était tout et la nation rien.
Pour éviter ces inconvénients, vous proposeriez-vous de destiner la seconde Chambre
exclusivementau Tiers état ? Alors vous ne changez pas votre position actuelle. C'est même un mal de
plus que de réunir les deux ordres privilégiés ; vous les rendez par cette alliance plus forts contre
l'ordre commun, et tous ensemble en seront plus faibles contre le pouvoir ministériel qui s'aperçoit très
bien qu'entre deux peuples divisés ce sera toujours à lui de faire la loi ; au reste, dans ce nouvel
arrangement, je ne vois pas davantage que vous vous rapprochiez de la Constitution anglaise. Vous
légitimez et consacrez la distinction de l'ordre privilégiaire ; vous en séparez à jamais les intérêts de
ceux de la nation (...). Au contraire, chez nos voisins, tous les intérêts de la nation sont réunis dans la
Chambre des communes. Les pairs eux-mêmes se garderaient bien d'être contraires à l'intérêt commun,
c'est le leur propre, c'est surtout celui de leurs frères, de leurs enfants, de toute leur famille, qui
appartiennent de droit à la Commune. (...)
Nous n'avons besoin assurément ni d'une Chambre royale, ni d'une Chambre féodale. Mais je
remarquerai, avant de finir cet article, que je n'ai attaqué la distinction des Chambres que dans le sens
où ce serait une distinction d'ordres. Séparez ces deux idées, et je serai le premier à demander trois
Chambres égales en tout, composées chacune du tiers de la grande députation nationale. (...)

§ VII Que l'esprit d'imitation n'est pas propre à nous bien conduire
Nous n'aurions pas tant de foi aux institutions anglaises, si les connaissances politiques étaient plus
anciennes ou plus répandues parmi nous. (...)
Qu'on ne s'étonne donc pas de voir une nation, ouvrant à peine les yeux à la lumière, se tourner vers la
Constitution d'Angleterre et vouloir la prendre pour modèle en tout. Il serait bien à désirer dans ce
moment que quelque bon écrivain s'occupât de nous éclairer sur les deux questions suivantes : la
Constitution britannique est-elle bonne en elle-même ? Lors même qu'elle serait bonne, peut-elle
convenir à la France ?
J'ai bien peur que ce chef d'œuvre tant vanté ne pût soutenir un examen impartial fait d'après les
principes du véritable ordre politique. Nous reconnaîtrions peut-être qu'il est le produit du hasard
et des circonstances bien plus que des lumières. Sa Chambre haute se ressent évidemment de l'époque
de la Révolution. Nous avons déjà remarqué qu'on ne pouvait guère la regarder que comme un
monumentde superstition gothique.
Voyez la représentation nationale, comme elle est mauvaise dans tous ses éléments, de l'aveu des
Anglaise eux-mêmes ! Et pourtant le caractère d'une bonne représentation sont ce qu'il y a de plus
essentiel pour former une bonne législature. (...)
Je ne nie pas que la Constitution anglaise ne soit un ouvrage étonnant pour le temps où elle a été fixée.
Cependant, et quoiqu'on soit tout prêt à se moquer d'un Français qui ne se prosterne pas devant elle,
j'oserai dire qu'au lieu d'y voir la simplicité du bon ordre, j'y aperçois plutôt un échafaudage de
précautions contre le désordre1.
(...)
Mais il y a sûrement de l'erreur à attribuer au seul pouvoir de la Constitution tout ce qu'il y a de bien
en Angleterre.

1
Le gouvernement est en Angleterre le sujet d'un combat continuel entre le ministère et l'aristocratie de
l'opposition. La nation et le roi y paraissent presque comme simples spectateurs. La politique du roi consiste à
adopter toujours le parti le plus fort. (...)

3
DOCUMENT N°2 : Mounier, Rapport du comité chargé du travail sur la Constitution (9 juillet
1789) (extraits)

Messieurs, vous avez établi un Comité pour vous présenter un ordre de travail sur la Constitution du
royaume. Il va mettre sous vos yeux celui qu'il a jugé convenable, et vous examinerez dans votre
sagesse s'il peut répondre aux vues qui vous animent.
Pour former un plan de travail sur un objet quelconque, il est nécessaire de l'examiner sous ses
principaux rapports, afin de pouvoir classer les différentes parties. Comment établir leur liaison
successive, si l'on n'a pas saisi l'ensemble ?
Il a fallu nous faire une idée précise du sens du mot constitution ; et une fois ce sens bien déterminé, il
a fallu considérer la Constitution telle qu'elle peut convenir à un royaume habité par vingt-quatre
millions d'hommes, telle qu'elle a été entrevue par nos commettants. Nous avons pensée
qu'une constitution n'est autre chose qu'un ordre fixe et établi dans la manière de gouverner ; que cet
ordre ne peut exister, s'il n'est pas appuyé sur des règles fondamentales, créées par le consentement
libre et formel d'une nation ou de ceux qu'elle a choisis pour la représenter. Ainsi une constitution est
une forme précise et constante de gouvernement, ou, si l'on veut, c'est l'expression des droits et des
obligations des différents pouvoirs qui la composent.
Quand la manière de gouverner ne dérive pas de la volonté du peuple clairement exprimée, il n'a point
de constitution; il n'a qu'un gouvernement de fait qui varie suivant les circonstances, qui cède à
tous les événements. Alors l'autorité a plus de puissance pour opprimer les hommes que pour garantir
leurs droits. (...)
Sans doute nous ne pouvons pas dire qu'en France nous soyons entièrement dépourvus de toutes les
lois fondamentales propres à former une constitution. Depuis quatorze siècles, nous avons un roi. Le
sceptre n'a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation.
(...)
C'est encore un principe certain, que les Français ne peuvent être taxés sans leur consentement ; (...)
Mais malgré ces précieuses maximes, nous n'avons pas une forme déterminée et complète de
gouvernement. Nous n'avons pas une Constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus,
puisqu'aucune limite n'est tracée. On n'a même pas séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif.
(...)
Nous ne désirons pas une liberté sans règle, qui place l'autorité arbitraire dans la multitude, la
disposeà l'erreur, à la précipitation, appelle l'anarchie, et le despotisme en marchant toujours à sa suite,
prêt à saisir sa proie.
(...)
Mais ne perdons pas un temps précieux à disputer sur les mots, si tous sont d'accord sur les choses.
Ceux mêmes qui soutiennent que nous avons une constitution, reconnaissent qu'il faut la
perfectionner, la compléter. Le but est donc le même. C'est une heureuse constitution qu'on désire.
Plaçons dans le corps de la Constitution, comme lois fondamentales, tous les vrais principes.
Répétons-les encore pour leur donner une nouvelle force, s'il est vrai qu'ils aient déjà été prononcés ;
détruisons ce qui est évidemment vicieux. Fixons enfin la Constitution de la France ; et quand les bons
citoyens en seront satisfaits, qu'importe que les uns disent qu'elle est ancienne, et d'autres qu'elle est
nouvelle, pourvuque, par le consentement général, elle prenne un caractère sacré ?
(...)
Nous distinguerons, Messieurs, parmi les objets qui nous sont recommandés, ce qui appartient à la
Constitution, et [ce] qui n'est propre qu'à former des lois. Cette distinction est facile ; car il est
impossible de confondre l'organisation des pouvoirs de l'Etat avec les règles émanées de la législation.
Il est évident que nous devons nous considérer sous deux points de vue différents en nous occupant du
soin de fixer cette organisation sur des bases solides. Nous agirons comme constituants, en vertu des
pouvoirs que nous avons reçus : en nous occupant des lois, nous agirons simplement comme
constitués.

DOCUMENT N° 3 : Assemblée nationale, extrait du débat à la séance du 31 août 1789 sur le


principe d'une deuxième chambre

- Le comte de Lally-Tollendal :
Un pouvoir unique finira nécessairement par tout dévorer. -- Deux se combattront jusqu'à ce que l'un
ait écrasé l'autre. -- Mais trois se maintiendront dans un parfait équilibre, s'ils sont combinés de telle

4
manière que quand deux lutteront ensemble, le troisième, également intéressé au maintien de l'un et de
l'autre, se joigne à celui qui est opprimé contre celui qui opprime, et ramène la paix entre tous. -- Les
représentants, indépendamment de leurs propres forces, trouveraient un appui de plus dans la
résistance du Sénat contre la royauté, comme ils en trouveraient un dans le pouvoir du roi contre les
prétentions du Sénat. -- Le Sénat, qui n'aurait point de privilèges utiles, point d'exemptions injustes,
mais des prérogatives honorifiques, tiendrait à la Chambre des représentants par les droits de
propriété, de liberté, en un mot par l'exercice de tous les droits nationaux qu'il partagerait avec elle,
comme par les liens de consanguinité qui unirait les membres respectifs des deux Chambres, il
tiendrait à la prérogative du trône par l'éclat que la sienne en recevrait. -- Enfin, le Roi qui aurait aussi
sa prérogative à maintenir, tour à tour contiendrait le Sénat par les représentants, et tempèrerait les
représentants par le Sénat.

- Le comte de Lanjuinais :
Si l'on admettait une Chambre haute, le petit nombre commanderait au plus grand ; les intérêts
particuliers seraient mis à la place des intérêts généraux. L'Assemblée nationale serait paralysée ;
et sur les ruines de cette noblesse, qui maintenant n'est que ce qu'elle peut et ce qu'elle doit être, vous
élèveriez le plus monstrueux monument d'aristocratie qui puisse exister ; aristocratie aussi funeste au
Roi qu'au peuple.

DOCUMENT N° 4 : Mirabeau sur la question de la compatibilité ou non des fonctions de ministre


et de député (Assemblée nationale, séance du 7 novembre 1789)

Messieurs, (...) je ne puis croire que l'auteur de la motion veuille sérieusement faire décider que l'élite
de la nation ne peut pas renfermer un bon ministre ;
Que la confiance accordée par la nation à un citoyen doit être un titre d'exclusion à la confiance du
monarque ;
(...)
Que l'Assemblée nationale et le ministre doivent être tellement divisés, tellement opposés l'un à
l'autre, qu'il faille écarter tous les moyens qui pourraient établir plus d'intimité, plus de confiance, plus
d'unité dans les desseins et dans les démarches.
(...)
Je ne puis non plus imaginer qu'un des moyens de salut public parmi nos voisins ne puisse être qu'une
source de maux parmi nous ;
Que nous ne puissions profiter des mêmes avantages que les Communes anglaises retirent de la
présence de leurs ministres ;
Que cette présence ne fût parmi nous qu'un instrument de corruption, ou une source de défiance,
tandisqu'elle permet au Parlement d'Angleterre de connaître à chaque instant les desseins de la cour, de
faire rendre compte aux agents de l'autorité, de les surveiller, de les instruire, de comparer les moyens
avec les projets, et d'établir cette marche uniforme qui surmonte tous les obstacles.
Je ne puis croire, non plus, que l'on veuille faire cette injure au ministère, de penser que quiconque en
fait partie doit être suspect par cela seul à l'Assemblée législative ; (...)

DOCUMENT N° 5 : Jacques Necker, Du pouvoir exécutif dans les grands Etats, s. e., 1792, t. I
(extraits)

Le pouvoir exécutif est la force motrice d'un gouvernement ; il représente, dans le système politique,
cette puissance mystérieuse qui, dans l'homme moral, réunit l'action à la volonté. (...)
L'éminence du pouvoir législatif, le rang qu'il occupe dans l'ordonnance générale des autorités, en
imposent davantage à l'imagination ; mais tout est simple, néanmoins, dans la conception première de
ce pouvoir ; et son existence ne dépendant d'aucune circonstance extérieure. Les fonctions dont il est
chargé pourraient être remplies par une collection d'hommes honorés de la confiance de leurs
concitoyens, lors même que cette réunion n'aurait pas été ordonnée, selon les meilleurs principes et
dans le sens le plus parfait. La formation du corps législatif ne peut donc pas être mise au nombre des
problèmes politiques difficiles à résoudre ; et certainement, elle n'exige point, ainsi que l'institution du
pouvoir exécutif, une mesure exacte, une convenance précise, et dont il serait dangereux de s'écarter.

5
Il n'importe pas au bonheur, il n'importe pas à la liberté, que le corps législatif soit formé comme
aujourd'hui de 745 députés, plutôt que de 600, 700, 800 ou 900. (...) On pourrait encore fixer à
trois ans plutôt qu'à deux, la durée de chaque législature, sans qu'il en résultât une conséquence
importante pour l'avantage du royaume. (...) Enfin la grande question sur la formation du corps
législatif en une ou deux chambres, cette question la plus marquante de toutes, n'acquiert cependant
une véritable importance qu'au moment où l'on découvre ses rapports avec le pouvoir exécutif ; car en
la considérant uniquement dans ses relations avec la confection des lois, on voit aisément qu'on
pourrait obvier en partie aux inconvénients d'une seule chambre, en prévenant par différents statuts la
rapidité dangereusede ses délibérations et de ses décrets.
On peut donc avancer sans légèreté que la constitution du pouvoir exécutif compose la principale et
peut-être l'unique difficulté de tous les systèmes de gouvernement.
Ce pouvoir, quoique le second en apparence dans l'ordonnance politique, y joue le rôle essentiel ; et si
par une fiction l'on personnifiait pour un moment le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, le dernier
en parlant de l'autre emprunterait de l'esclave athénien ce mot venu jusqu'à nous, tout ce que celui-ci
vient de dire, je le ferai.
Les lois en effet ne seraient que des conseils, des maximes plus ou moins sages, sans cette autorité
active et vigilante, qui assure leur empire et qui transmet à l'administration le mouvement dont elle a
besoin. Ce pouvoir, quand il passe certaines limites, menace la liberté et peut mettre en danger la
constitution même ; et lorsqu'on le dépouille des prérogatives qui composent sa force, il ne
peutremplir son importante destination, et sa place reste comme vacante au milieu de l'édifice social.
(...)
Aujourd'hui, cependant, que nous avons arrêté toutes les roues de l'ancienne machine politique,
aujourd'hui que nous les avons changées ou déplacées, aujourd'hui nous voyons, en même temps,
l'ordre partout interverti, l'obéissance partout combattue, il serait temps de reconnaître que le
mouvement le plus simple dans ses efforts dépend souvent de l'organisation la plus composée de ses
ressorts, et la plus étonnante de ses proportions.
Le pouvoir exécutif a le même but, la même destination dans tous les gouvernements ; ainsi, on peut
aisément décrire ses fonctions, et les séparer de celles qui appartiennent exclusivement au corps
législatif ; mais quand on veut composer ce pouvoir, (...) quand on veut appliquer toutes ces
proportions à une grande rotation, à un espace immense, on aperçoit les difficultés d'une pareille
théorie ; (...) et l'on pardonnerait peut-être à l'Assemblée nationale de les avoir méconnues ou d'en
avoir distrait son attention, si tous nos malheurs (...) ne devaient pas être rapportés à cette première
faute. (...)
Cette faute, dont les conséquences ont été si grandes, c'est d'avoir absolument oublié le pouvoir
exécutif, (...) c'est de s'être méprise sur son essence et d'avoir imaginé que la loi suffisait pour le
créer ; c'est d'avoir présumé de même que, pour avoir un Roi, il suffisait de déclarer sa couronne
héréditaireet sa personne inviolable et sacrée. (...)
Ainsi, en donnant la primauté à l'examen et à la reconnaissance des droits de l'homme, l'Assemblée a
procédé ensuite au choix et à l'adoption des articles constitutionnels de son nouveau système
politique ; et après avoir assigné la troisième place dans le rang de ses travaux à la confection des lois
régénératrices de toutes les parties du gouvernement, elle a mis en dernière ligne l'institution du
pouvoir exécutif. (...) C'est s'exposer à devenir l'auteur un ouvrage (...) caduc dès sa naissance, que de
séparer la formation du pouvoir exécutif de toutes les autres combinaisons constitutionnelles. (...)
Tout semblait donc avertir l'Assemblée nationale qu'elle avait besoin de chercher un modèle, non pour
s'y conformer servilement, mais pour fixer ses idées au milieu du vide immense dont son génie
destructeur l'avait environnée. Ce modèle était placé près d'elle, et c'est notre malheur ; car s'il n'eût
pas existé sur les rives de la Tamise, et qu'il nous eût été transmis simplement par de vieilles traditions
(...) ou mystérieusement confiées aux chefs de nos législateurs, (...) nous aurions aujourd'hui le
gouvernements des Anglais perfectionné, gouvernement plus libre que le nôtre en son état présent, et
sûrement plus heureux. (...)
C'est pour être fidèle au système d'égalité parfaite, ou pour en maintenir la forfanterie, que
l'Assemblée nationale a rejeté l'institution des deux chambres, dont l'Angleterre et l'Amérique nous
ont donné l'exemple ; (...) On s'est mépris de plus d'une manière, dans le système de vanité jalouse
auquel on s'est abandonné, après l'avoir revêtu, comme il convenait, d'un beau vernis philosophique.
(...)
On ne peut établir une harmonie politique entre les divers pouvoirs, par le seul effet d'une surveillance
ombrageuse et d'une défiance mutuelle ; (...) [C]omment seraient-ils en accord, comment resteraient-
ils à leur place sans des rapports artistement gradués ? (...) Ce sont donc les liens plus que les

6
contrepoids, les proportions plus que les distances, les convenances plus que la vigilance, qui
contribuent à l'harmonie des gouvernements. (...)
On (...) disait, dans une autre partie de la salle, que (...) le pouvoir exécutif sera toujours l'ennemi du
pouvoir législatif. L'ennemi ! Si tel était le résultat de la constitution, quelle plus grande critique
serait- il possible d'en faire ? C'est à les concilier, ces deux pouvoirs, que tous les soins des législateurs
doivent tendre, et le succès de leurs efforts aurait paru le sceau de leur sagesse.
(...)
La constitution du ministère (...) paraît une des plus essentielles et en elle-même et sous le rapport du
pouvoir exécutif.
Les ministres, en Angleterre, sont presque toujours membres du Parlement. (...) L'assistance de
plusieurs d'entre eux aux délibérations du conseil national est regardée comme tellement nécessaire,
que si le ministre des finances, par exemple, n'était pas élu membre des communes, le Roi serait
dans la nécessité de faire un autre choix. On ne concevrait pas en Angleterre, comment les résolutions
du corps législatif pourraient être suffisamment éclairées, comment elles pourraient être adaptées,
d'une manière sûre, à la situation des affaires, sans l'intervention habituelle des chefs du
gouvernement. Aussi, la chambre des communes laisse-t-elle le plus souvent l'initiative au chef des
finances, non pas en sa qualité de ministre du Roi, mais comme l'homme du Parlement le plus en état,
par ses fonctions, de connaître ce qu'exigent les circonstances et l'intérêt du royaume.
La séparation, qui doit être maintenue, entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif n'est point
affaiblie par l'assistance d'un ou de plusieurs ministres à la chambre des communes, puisque la qualité
seule de représentants du peuple leur en donne le droit ; et c'est un statut constitutionnel en Angleterre,
de ne jamais prononcer le nom du Roi, au milieu des discussions du corps législatif. (...)
Il ne faut pas moins, cependant, que la présence habituelle des ministres au parlement, leur titre de
représentants du peuple, et leur mérite personnel, pour établir entre le corps législatif et
l'administration, cette harmonie sans langueur, absolument nécessaire à l'action régulière du
gouvernement ; et au moment où on lui préférait un système de défiance, tout deviendrait combat, tout
serait cahotage (...).
Que l'on rapproche maintenant de ces réflexions (...) le genre de relation des ministres de France avec
le corps législatif, et l'on verra distinctement l'infériorité de leur situation. Ils ne peuvent pas être élus
députés à l'assemblée représentative de la nation, ils y ont simplement droit d'entrée avec une place
marquée dans la salle des séances. Mais là, tout est subalterne dans leur contenance politique ; aucun
d'eux ne peut se mêler aux discussions étrangères à sa gestion, à moins que l'assemblée, par une
délibération formelle, ne lui accorde la parole2. On voir d'un coup d'oeil combien est différente la
position des ministres anglais ; ils n'ont pas à solliciter un décret de la chambre des communes ; ils
n'ont pas à transiger avec elle pour obtenir la parole (...). Et bien loin d'être considérés dans l'une ou
l'autre de ces deux sections du parlement, comme des inférieurs que l'on fait taire ou parler à la
baguette, c'est d'eux qu'on attend communément, ou les premières ouvertures sur les dispositions
nouvelles, utiles à l'Etat, ou les premières observations sur les propositions faites par d'autres
membres du corps législatif. Aussi, la véritable participation du gouvernement à la législation, ne
consiste point dans la nécessité constitutionnelle de l'adhésion du monarque aux bills du Parlement,
mais dans l'association des ministres aux délibérations qui précèdent ces lois. (...)
On demandera si la responsabilité des ministres anglais n'est pas affaiblie par leur qualité de membres
du Parlement ? Elle ne l'est point. La Chambre des communes peut également les décréter
d'accusation, lorsqu'ils se rendent coupables de quelque forfaiture. Elle signale encore son
mécontentement d'une autre manière, en déclarant que les ministres ont perdu la confiance de la
chambre, ou simplement, en s'écartant de leur opinion dans les débats parlementaires. (...)
Aussi, l'abaissement des ministres [en France] a-t-il amené, plus qu'aucune autre circonstance, la
réunion de toutes les autorités dans les mains de l'Assemblée nationale ; réunion non pas seulement
imprudente, sous le rapport de la liberté, mais dangereuse encore (...) pour le maintien du crédit et de
l'ascendant du corps législatif. Il semble, au premier aspect, que l'accroissement de son pouvoir doit
conduire à l'accroissement de sa considération ; mais si cet accroissement de pouvoir met une
assemblée représentative dans la nécessité d'agir sans cesse, elle perd, dans les détails étrangers à sa
destination, la considération dont elle a besoin pour les actes généraux de législation ; (...) Enfin, la
considération du corps législatif se perd encore, d'une autre manière, quand il exerce les fonctions du
pouvoir exécutif, parce qu'il devient alors accessible à toutes sortes de passions. (...)

2
Article X de la section IV du chapitre III de l'acte constitutionnel.

7
Sous toutes sortes d'aspects, l'Assemblée constituante, en se proposant de séparer les autorités, et en
voulant les partager entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, a négligé de donner à l'un la
considération nécessaire pour se préserver de l'envahissement de l'autre ; précaution cependant qui
devait être continuellement présente à son esprit ; car la proportion des forces, cette combinaison qui
régla de tous temps l'action des éléments, détermine, avec le même empire, tous les rapports
politiques. (...)

DOCUMENT N° 6 : La Constitution du 3 septembre 1791 (extraits)


[…]
TITRE III - DES POUVOIRS PUBLICS
er
Article 1 . - La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la
Nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice.
Article 2. - La Nation, de qui seule émanent tous les Pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation.
-La Constitution française est représentative : les représentants sont le Corps législatif et le roi.
Article 3. - Le Pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale composée de représentants
temporaires, librement élus par le peuple, pour être exercé par elle, avec la sanction du roi, de la
manière qui sera déterminée ci-après.
Article 4. - Le Gouvernement est monarchique : le Pouvoir exécutif est délégué au roi, pour
être exercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui sera
déterminée ci-après.
Article 5. - Le Pouvoir Judiciaire est délégué à des juges élus à temps par le peuple.
CHAPITRE PREMIER - DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE
Article 1er. - L'Assemblée nationale formant le corps législatif est permanente, et n'est composée que
d'une Chambre.
Article 2. - Elle sera formée tous les deux ans par de nouvelles élections. - Chaque période de deux
années formera une législature.
[…]
Article 4. - Le renouvellement du Corps législatif se fera de plein
droit.Article 5. - Le Corps législatif ne pourra être dissous par le roi.
[…]
CHAPITRE II - DE LA ROYAUTÉ, DE LA RÉGENCE ET DES MINISTRES
Section première. - De la Royauté et du roi.
Article 1er. - La Royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante de mâle
en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. -
(Rien n'est préjugé sur l'effet des renonciations, dans la race actuellement régnante.)
Article 2. - La personne du roi est inviolable et sacrée ; son seul titre est Roi des Français.
Article 3. - Il n'y a point en France d'autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par
elle,et ce n'est qu'au nom de la loi qu'il peut exiger l'obéissance.
Article 4. - Le roi, à son avènement au trône, ou dès qu'il aura atteint sa majorité, prêtera à la Nation,
en présence du Corps législatif, le serment d'être fidèle à la Nation et à la loi, d'employer tout le
pouvoir qui lui est délégué, à maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale
constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et à faire exécuter les lois. - Si le Corps législatif n'est
pas assemblé, le roi fera publier une proclamation, dans laquelle seront exprimés ce serment et la
promesse de la réitérer aussitôt que le Corps législatif sera réuni.
Article 5. - Si, un mois après l'invitation du Corps législatif, le roi n'a pas prêté ce serment, ou si, après
l'avoir prêté, il le rétracte, il sera censé avoir abdiqué la royauté.

8
Article 6. - Si le roi se met à la tête d'une armée et en dirige les forces contre la Nation, ou s'il ne
s'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise, qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir
abdiqué la royauté.
Article 7. - Si le roi, étant sorti du royaume, n'y rentrait pas après l'invitation qui lui en serait faite par
le Corps législatif, et dans le délai qui sera fixé par la proclamation, lequel ne pourra être moindre de
deux mois, il serait censé avoir abdiqué la royauté. - Le délai commencera à courir du jour où la
proclamation du Corps législatif aura été publiée dans le lieu de ses séances ; et les ministres seront
tenus, sous leur responsabilité, de faire tous les actes du Pouvoir exécutif, dont l'exercice sera
suspendu dans la main du roi absent.
Article 8. - Après l'abdication expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et pourra être
accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication.
[…]
Article 12. - Le roi aura, indépendamment de la garde d'honneur qui lui sera fournie par les citoyens
gardes nationales du lieu de sa résidence, une garde payée sur les fonds de la liste civile ; elle
ne pourra excéder le nombre de douze cents hommes à pied et de six cents hommes à cheval. - Les
grades et les règles d'avancement y seront les mêmes que dans les troupes de ligne ; mais ceux qui
composeront la garde du roi rouleront pour tous les grades exclusivement sur eux-mêmes, et ne
pourront en obtenir aucun dans l'armée de ligne. - Le roi ne pourra choisir les hommes de sa garde que
parmi ceux qui sont actuellement en activité de service dans les troupes de ligne, ou parmi les citoyens
qui ont fait depuis un an le service de gardes nationales, pourvu qu'ils soient résidents dans
le royaume, et qu'ils aient précédemment prêté le serment civique. - La garde du roi ne pourra être
commandée ni requise pour aucun autre service public.
[…]
Section IV. - Des ministres.
Article 1er. - Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres.
Article 2. - Les membres de l'Assemblée nationale actuelle et des législatures suivantes, les membres
du Tribunal de cassation, et ceux qui serviront dans le haut-juré, ne pourront être promus au ministère,
ni recevoir aucunes places, dons, pensions, traitements, ou commissions du Pouvoir exécutif ou de ses
agents, pendant la durée de leurs fonctions, ni pendant deux ans après en avoir cessé l'exercice. - Il en
sera de même de ceux qui seront seulement inscrits sur la liste du haut-juré, pendant tout le temps que
durera leur inscription.
[…]
Article 4. - Aucun ordre du roi ne pourra être exécuté, s'il n'est signé par lui et contresigné par le
ministre ou l'ordonnateur du département.
Article 5. - Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale
et la Constitution ; - De tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle ; - De toute
dissipationdes deniers destinés aux dépenses de leur département.
Article 6. - En aucun cas, l'ordre du roi, verbal ou par écrit, ne peut soustraire un ministre à la
responsabilité.
Article 7. - Les ministres sont tenus de présenter chaque année au Corps législatif, à l'ouverture de la
session, l'aperçu des dépenses à faire dans leur département, de rendre compte de l'emploi des sommes
qui y étaient destinées, et d'indiquer les abus qui auraient pu s'introduire dans les différentes parties du
gouvernement.
Article 8. - Aucun ministre en place, ou hors de place, ne peut être poursuivi en matière criminelle
pour fait de son administration, sans un décret du Corps législatif
CHAPITRE III - DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF
Section première. - Pouvoirs et fonctions de l'Assemblée nationale législative.
er
Article 1 . - La Constitution délègue exclusivement au Corps législatif les pouvoirs et fonctions
ci-après : 1° De proposer et décréter les lois : le roi peut seulement inviter le Corps législatif à prendre
un

9
objet en considération ; 2° De fixer les dépenses publiques ; 3° D'établir les contributions publiques,
d'en déterminer la nature, la quotité, la durée et le mode de perception ; 4° De faire la répartition de la
contribution directe entre les départements du royaume, de surveiller l'emploi de tous les revenus
publics, et de s'en faire rendre compte ; 5° De décréter la création ou la suppression des offices publics
; 6° De déterminer le titre, le poids, l'empreinte et la dénomination des monnaies ; 7° De permettre ou
de défendre l'introduction des troupes étrangères sur le territoire français, et des forces navales
étrangères dans les ports du royaume ; 8° De statuer annuellement, après la proposition du roi, sur le
nombre d'hommes et de vaisseaux dont les armées de terre et de mer seront composées ; sur la solde et
le nombre d'individus de chaque grade ; sur les règles d'admission et d'avancement, les formes de
l'enrôlement et du dégagement, la formation des équipages de mer ; sur l'admission des troupes ou des
forces navales étrangères au service de France, et sur le traitement des troupes en cas de licenciement ;
9° De statuer sur l'administration, et d'ordonner l'aliénation des domaines nationaux ; 10° De
poursuivre devant la haute Cour nationale la responsabilité des ministres et des agents principaux du
Pouvoir exécutif ; - D'accuser et de poursuivre devant la même Cour, ceux qui seront prévenus
d'attentat et de complot contre la sûreté générale de l'État ou contre la Constitution ; 11° D'établir les
lois d'après lesquelles les marques d'honneurs ou décorations purement personnelles seront
accordées à ceux qui ont rendu des services à l'État ; 12° Le Corps législatif a seul le droit de décerner
les honneurs publics à la mémoire des grands hommes.
Article 2. - La guerre ne peut être décidée que par un décret du Corps législatif, rendu sur la
proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui. - Dans le cas d'hostilités imminentes
ou commencées, d'un allié à soutenir, ou d'un droit à conserver par la force des armes, le roi en
donnera, sans aucun délai, la notification au Corps législatif, et en fera connaître les motifs. Si
le Corps législatif est en vacances, le roi le convoquera aussitôt. - Si le Corps législatif décide que la
guerre ne doive pas être faite, le roi prendra sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir
toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais. - Si le Corps législatif trouve que les
hostilités commencées soient une agression coupable de la part des ministres ou de quelque
autre agent du Pouvoir exécutif, l'auteur de l'agression sera poursuivi criminellement. - Pendant tout le
cours de la guerre, le Corps législatif peut requérir le roi de négocier la paix ; et le roi est tenu de
déférer à cette réquisition. - A l'instant où la guerre cessera, le Corps législatif fixera le délai dans
lequel les troupes élevées au-dessus du pied de paix seront congédiées, et l'armée réduite à son état
ordinaire.
Article 3. - Il appartient au Corps législatif de ratifier les traités de paix, d'alliance et de commerce ; et
aucun traité n'aura d'effet que par cette ratification
Article 4. - Le Corps législatif a le droit de déterminer le lieu de ses séances, de les continuer autant
qu'il le jugera nécessaire, et de s'ajourner. Au commencement de chaque règne, s'il n'est pas réuni, il
sera tenu de se rassembler sans délai. - Il a le droit de police dans le lieu de ses séances, et dans
l'enceinte extérieure qu'il aura déterminée. - Il a le droit de discipline sur ses membres ; mais il ne peut
prononcer de punition plus forte que la censure, les arrêts pour huit jours, ou la prison pour trois jours.
- Il a le droit de disposer, pour sa sûreté et pour le maintien du respect qui lui est dû, des forces qui, de
son consentement, seront établies dans la ville où il tiendra ses séances.
Article 5. - Le Pouvoir exécutif ne peut faire passer ou séjourner aucun corps de troupes de ligne, dans
la distance de trente mille toises du Corps législatif ; si ce n'est sur sa réquisition ou avec son
autorisation.
[…]
Section III. - De la sanction royale.
Article 1er. - Les décrets du Corps législatif sont présentés au roi, qui peut leur refuser son
consentement.
Article 2. - Dans le cas où le roi refuse son consentement, ce refus n'est que suspensif. - Lorsque les
deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret, auront successivement représenté le
même décret dans les mêmes termes, le roi sera censé avoir donné la sanction.
[…]
Article 4. - Le roi est tenu d'exprimer son consentement ou son refus sur chaque décret, dans les deux
mois de la présentation.

10
Article 5. - Tout décret auquel le roi a refusé son consentement, ne peut lui être présenté par la même
législature.
Article 6. - Les décrets sanctionnés par le roi, et ceux qui lui auront été présentés par trois législatures
consécutives, ont force de loi, et portent le nom et l'intitulé de lois.
Article 7. - Seront néanmoins exécutés comme lois, sans être sujets à la sanction, les actes du Corps
législatif concernant sa constitution en Assemblée délibérante ; - Sa police intérieure, et celle qu'il
pourra exercer dans l'enceinte extérieure qu'il aura déterminée ; - La vérification des pouvoirs de ses
membres présents ; - Les injonctions aux membres absents ; - La convocation des Assemblées
primaires en retard ; - L'exercice de la police constitutionnelle sur les administrateurs et sur
les officiers municipaux ; - Les questions soit d'éligibilité, soit de validité des élections. - Ne
sont pareillement sujets à la sanction, les actes relatifs à la responsabilité des ministres ni les décrets
portantqu'il y a lieu à accusation.
Section IV. - Relations du Corps législatif avec le roi.
[…]
Article 5. - Le roi convoquera le Corps législatif, dans l'intervalle de ses sessions, toutes les fois que
l'intérêt de l'État lui paraîtra l'exiger, ainsi que dans les cas qui auront été prévus et déterminés par le
Corps législatif avant de s'ajourner.
Article 6. - Toutes les fois que le roi se rendra au lieu des séances du Corps législatif, il sera reçu et
reconduit par une députation ; il ne pourra être accompagné dans l'intérieur de la salle que par
leprince royal et par les ministres.
Article 7. - Dans aucun cas, le président ne pourra faire partie d'une députation.
Article 8. - Le Corps législatif cessera d'être corps délibérant, tant que le roi sera présent.
Article 9. - Les actes de la correspondance du roi avec le Corps législatif seront toujours contre signés
par un ministre.
Article 10. - Les ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative ; ils y auront une
place marquée. - Ils seront entendus, toutes les fois qu'ils le demanderont sur les objets relatifs à leur
administration, ou lorsqu'ils seront requis de donner des éclaircissements. - Ils seront
également entendus sur les objets étrangers à leur administration, quand l'Assemblée nationale leur
accordera la parole.

CHAPITRE IV - DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF


Article 1er. - Le Pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du roi. - Le roi est le
chef suprême de l'administration générale du royaume : le soin de veiller au maintien de l'ordre et de la
tranquillité publique lui est confiée. - Le roi est le chef suprême de l'armée de terre et de
l'armée navale. - Au roi est délégué le soin de veiller à la sûreté extérieure du royaume, d'en maintenir
les droits et les possessions.
[…]
Chapitre V - Du pouvoir judiciaire
[…]
Article 23.
Une haute cour nationale, formée des membres du tribunal de cassation et de hauts-jurés, connaîtra
des délits des ministres et agents principaux du pouvoir exécutif, et des crimes qui attaqueront la sûreté
générale de l'État, lorsque le corps législatif aura rendu un décret d'accusation.
Elle ne se rassemblera que sur la proclamation du corps législatif, et à une distance de trente mille
toises au moins du lieu où la législature tiendra ses séances.

11
DOCUMENT N° 7 : Le décret (loi) des 27 avril-25 mai 1791 sur l'organisation du ministère

Article Premier
Au roi seul appartiennent le choix & la révocation des ministres.

Article II
Il appartient au Pouvoir législatif de statuer sur le nombre, la division & la démarcation des
département[s] du ministère.

Article IV
Les ministres exerceront, sous les ordres du roi, les fonctions déterminées ci-après, & seront
au nombre de six : savoir, le ministre de la Justice, le ministre de l'Intérieur, le ministre des
Contributions & revenus publics, le ministre de la Guerre, celui de la Marine & celui des Affaires
étrangères.

Article XIII
Tous les ministres seront membres du Conseil du roi, & il n'y aura point de premier ministre.

Article XIV
Les ministres feront arrêter au Conseil les proclamations relatives à leur département respectif, savoir :
Celles qui, sous la forme d'instructions, prescriront les détails nécessaires, soit à l'exécution de la
loi, soit à la bonté & à l'activité du service ;
Celles qui ordonneront ou rappelleront l'observation des lois, en cas d'oubli ou de négligence ;
Celles qui, aux termes du décret du 6 mars dernier, annu[l]eront les actes irréguliers ou suspendront
les membres des corps administratifs.

Article XV
Il y aura un Conseil d'État, composé du roi & des ministres.

Article XVI,
Il sera traité, dans ce Conseil, de l'exercice de la puissance royale donnant son consentement, ou
exprimant le refus suspensif sur les décrets du Corps législatif sans qu'à cet égard le contr[e]seing de
l'acte entraîne aucune responsabilité.
Seront pareillement discutés dans ce Conseil :
Les invitations au Corps législatif, de prendre en considération les objets qui pourront contribuer à
l'activité du gouvernement, & à la bonté de l'administration ;
Les plans généraux des négociations politiques ;
Les dispositions générales des campagnes de guerre.
(…)

Article XVIII,
Si, après la délibération du Conseil & l'ordre du roi, un ministre voit du danger à concourir, par les
moyens de son département, à l'exécution des mesures arrêtées par le roi à l'égard d'un autre
département, après avoir fait constater son opinion dans le registre, il pourra procéder à l'exécution
sans en demeurer responsable, & alors la responsabilité passera sur la tête du ministre requérant.

(…)
Article XXI
Les actes de la correspondance du roi avec le Corps législatif, seront contr[e]signés par un ministre.
Article XXII,
Chaque ministre contr[e]signera la partie de ces actes relative à son

département.(…)

Article XXIV
Aucun ordre du roi, aucune délibération du Conseil [d'État], ne pourront être exécutés s'ils ne sont
contre signés par le ministre chargé de la division à laquelle appartiendra la nature de l'affaire.

12
En lien avec le document 7 voir : Philippe LAUVAUX et Armel LE DIVELLEC, Les grandes démocraties
contemporaines, 4e, coll. Collection droit fondamental classiques, Paris, PUF, 2015., p.234-236 et p.
242-245.

Dans le cas de mort ou de démission de l'un des ministres, celui qui sera chargé des affaires par
int[é]rim, répondra de ses signatures & de ses ordres.

Article XXV
En aucun cas, l'ordre du roi, verbal ou par écrit, non plus que les délibérations du Conseil [d'État], ne
pourront soustraire un ministre à la responsabilité.

Article XXVI
Au commencement de l'année, chaque ministre sera tenu de dresser un état de distribution par mois,
des fonds destinés à son département, & de communiquer cet état au comité de Trésorerie, qui le
présentera au Corps législatif avec ses observations. Cet état sera arrêté par le Corps législatif, & il ne
pourra plus y être fait de changement qu'en vertu d'un décret.

Article XXVII
Les ministres seront tenus de rendre compte, en ce qui concerne l'administration, tant de leur conduite
que de l'état des dépenses {et] affaires, toutes les fois qu'ils en seront requis par le Corps législatif.

Article XXVIII
Le Corps législatif pourra présenter au Roi telles observations qu'il jugera convenables sur la conduite
des ministres, & même lui déclarer qu'ils ont perdu la confiance de la Nation.

Article XXIX
Les ministres sont responsables :
De tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale & la Constitution du
royaume ;De tout attentat à la liberté & à la propriété individuelle ;
De tout emploi de fonds publics sans un décret du Corps législatif, & de toutes dissipations des
deniers publics qu'ils aur[a]ient faites ou favorisées.

Article XXX
Les délits des ministres, les réparations & les peines qui pourront être prononcées contre les Ministres
coupables, seront déterminés dans le Code pénal.

Article XXXI
Aucun ministre en place, ou hors de place, ne pourra, pour faits de son administration, être traduit en
justice, en matière criminelle, qu'après un décret du Corps législatif, prononçant qu'il y a lieu à
accusation.
Tout ministre contre lequel il sera intervenu un Décret du Corps législatif, déclarant qu'il y a lieu à
accusation, pourra être poursuivi en dommages & intérêts par les citoyens qui éprouveront une lésion
résultante des faits qui auront donné lieu au Décret du Corps législatif.
(…)

Article XXXIII
Le décret du Corps législatif prononçant qu'il y a lieu à accusation contre un Ministre, suspendra celui-
ci de ses fonctions.

13
DOCUMENT N° 8 : Antoine Barnave, De la Révolution et de la Constitution, Manuscrit datant de
1793, éd. P.U. de Grenoble, 1988 (extraits).

Je suis loin de nier que la Constitution n'eût de grands défauts, et qu'elle n'eût grand besoin d'être
épurée par l'expérience, le temps et surtout la formation de l'esprit public. Mais il me sera facile de
prouver qu'elle n'était pas un ouvrage informe, sans but, sans principes de mouvement, et surtout
quela plupart de ceux qui l'ont critiquée ne n'ont jamais connue, ni entendue.
L'objection qui se présente la première, et qui est si fréquemment répétée aujourd'hui qu'une profonde
ignorance préside à toutes ces discussions, c'est que la Constitution était composée de parties
incompatibles destinées à se combattre, et par conséquent à se détruire, argumentation qui peut
également s'appliquer à tous les gouvernements mixtes, c'est-à-dire aux seuls gouvernements libres
qui soient sur la terre. Ceux qui ne peuvent concevoir qu'un roi et une assemblée nationale puissent
existerensemble, doivent avoir de la peine à comprendre comment à Rome la liberté subsista au milieu
des débats du sénat et du peuple, comment l'Angleterre, à l'abri d'une constitution où trois pouvoirs se
balancent et se combattent, est devenue le pays le plus florissant de l'Europe ; comment les Etats-
Unis,enfin, ont cru devoir introduire dans leur législation le concours de trois pouvoirs rivaux.
Il n'est pas douteux que ces sortes de gouvernements ne soient plus agités que ceux qui reçoivent
l'impulsion d'une force unique, ou prédominante ; mais cette lutte de pouvoirs, qui est le principe de
leurs agitations, est aussi le premier principe de la liberté ; il ne suffit pas que les pouvoirs de diverse
nature soient séparés et remis à des dépositaires distincts ; si la puissance législative n'est divisée, elle
domine nécessairement tous les autres (...) et [cela] suffit pour constituer le despotisme.
Le vice de la Constitution de 1789 [sic] ne serait donc pas que les pouvoirs publics fussent divisés,
mais que cette division ne fût pas bien faite, et que ces pouvoirs, intrinsèquement, fussent
malconstitués.
Comme je ne puis ici examiner les détails, je me borne à examiner les trois principaux reproches qui
nous ont été faits, et en reconnaissant ce qu'ils ont de juste, à réfuter ce qu'ils ont eu de faux ou
d'exagéré.
Ces reproches sont, je pense, : 1° de n'avoir pas divisé la constitution en trois branches et donné une
place à l'aristocratie ; 2° d'avoir donné trop peu à la propriété dans la représentation nationale ; 3°
d'avoir trop faiblement organisé le pouvoir royal, et la force exécutive.
(...)
Si donc on a observé avec raison que la première législature, nommée suivant les formes
constitutionnelles3 , n'était pas généralement composée de citoyens assez aisés pour garantir à la nation
l'indépendance et surtout la sagesse et la mesure convenables, la cause en est dans la situation des
esprits au moment où elle a été élue, bien plus que dans la défectuosité des lois. (...)
Cependant, les fautes auxquelles l'Assemblée législative s'est laissée entraîner, et qui, concurremment
avec d'autres causes, ont opéré en moins d'un an la subversion totale du royaume, ne provenaient pas
tant encore de la nature de sa composition que de l'ignorance dans les notions de l'homme d'Etat,
ignorance commune à toutes les classes dans une nation qui commence à se gouverner, et qui ne
pouvait qu'être très funeste dans la situation critique où l'Assemblée législative s'est trouvée.
Comme tous ceux qui avaient acquis dans l'Ancien régime une connaissance pratique des affaires
générales étaient opposés à la constitution, et que ceux qui l'avaient contractée depuis trois ans dans
l'Assemblée constituante étaient exclus par la non-rééligibilité, les législateurs les plus instruits se sont
trouvés des hommes à idées purement théoriques, qui ont facilement donné dans tous les pièges que
leur ont tendu cinq ou six scélérats qui seuls avaient formé d'avance les plans par lesquels ils se
flattaient d'arriver à leur but. (...)
Le second reproche, qui consiste à avoir trop affaibli le pouvoir royal, et pour ainsi dire disséminé la
force exécutrice, a beaucoup plus de réalité. Il s'en faut bien cependant qu'à cet égard la constitution
aitjamais été ni exécutée, ni connue [...].
Enfin, le troisième reproche, et le plus important qui ait été fait à l'Assemblée constituante par les
partisans du système de la monarchie libre, est de n'avoir donné aucune représentation à l'aristocratie,
d'avoir détruit tous les intermédiaires entre le peuple et le trône, d'avoir établi l'unité de la chambre
[...].
Pour prouver que ce n'est point à l'unité de la chambre qu'il faut attribuer la chute de la Constitution, il
suffirait de citer aux grande partisans de la Constitution anglaise l'histoire même de ce pays. Jamais,

3
L'Assemblée législative avait été élue en septembre 1791 selon le régime censitaire et à deux degrés (suffrage
indirect) décrété en octobre 1789. (...)

14
dans les grands débats entre le prince et le peuple, la chambre aristocratique n'a été de quelque secours
à la puissance royale ; (...) Dès que l'esprit de faction s'empare du peuple, la chambre des pairs, qui n'a
qu'une puissance pour ainsi dire de convention et sans racines réelles, semble disparaître, et le combat
s'établit sans intermédiaire entre les communes et le roi. (...)
Qu'aurait pu une chambre haute contre une révolution qui n'est provenue que de la fermentation
populaire, et qui, dirigée par quelques individus, a forcé l'assemblée même des représentants ? (...)
Il est vrai que le roi d'Angleterre aurait eu d'autres moyens puissants de se défendre, et principalement
dans la vigueur du pouvoir judiciaire, et le droit de dissoudre les communes. C'est cette dernière
prérogative qui, presque toujours en Angleterre, a défendu le trône contre les entreprises violentes de
certains parlements, et elle est incontestablement le principal rempart de sa sûreté. (...)
En Angleterre, le roi seul convoque le Parlement, l'ajourne, le proroge, le dissout et ordonne de
nouvelles élections ; dans la Constitution française de 1789 (sic !), l'Assemblée nationale était
convoquée et renouvelée par la loi ; elle avait seule le droit de s'ajourner et ne pouvait jamais être
dissoute ; cette existence propre et totalement indépendante du corps législatif était la base réellement
républicaine de la Constitution, et il était difficile, il faut en convenir, que dans un certain nombre
d'années, ou elle ne reçût quelques modifications, ou elle ne détruisît la monarchie.
Mais le droit de dissoudre, qui s'exerce sans danger en Angleterre où, tandis que les communes n'ont
point de représentants, les pairs conservent encore leur caractère politique inhérent à leur personne, où
le roi n'a sous ses ordres qu'une faible armée, où surtout la constitution existe depuis des siècles, et où
le génie de la liberté est devenu l'habitude de la nation, ce droit pouvait-il s'établir, surtout dans les
premiers temps, en France, où la représentation étant fondée sur une seule chambre, personne, après
sa dissolution, n'aurait eu ni caractère ni pouvoir pour s'opposer aux entreprises du trône, où le roi,
ayant sous ses ordres au moins cent cinquante mille hommes de troupes réglées, n'aurait trouvé dans
des insurrections isolées aucun obstacle capable de l'arrêter ; (...)
Oter ou donner au roi le droit de dissoudre le corps législatif, c'était, dans le premier cas exposer
l'existence de la monarchie, dans le second l'existence de la liberté : ce problème était insoluble.
L'Assemblée constituante ne balança point, et voulut avant tout mettre à couvert la liberté ; elle eût agi
follement si elle eût pris une autre résolution ; (...).

DOCUMENT N°9 : François GUIZOT, Du gouvernement représentatif de l’état actuel de la France,


1816, p. 55-59 (extraits)

[...] Il faudrait, à notre avis, s’abuser bien étrangement sur l’état de la France pour ne pas
reconnaître qu’il n’en est pas ainsi, que la fusion des pouvoirs ne s’est pas encore opérée, que la
situation et les intérêts des partis s’y opposent, que nos idées et nos habitudes politiques ne s’y prêtent
pas encore, et qu’enfin ce serait tout perdre, et peut-être le gouvernement représentatif lui-même, que
de prétendre faire tout à coup, et de nos seules mains, ce que le temps a fait en Angleterre par le
travaildes siècles et des générations.
Et d’abord on conviendra que nous ne sommes point accoutumés à voir le gouvernement et
les assemblées marcher ensemble, se soutenir et se régler mutuellement. Avant la révolution, les États
généraux n’existaient plus que dans les souvenirs de l’histoire ; les Parlements, complètement
étrangers aux affaires, uniquement appelés à vérifier et à enregistrer, se regardaient comme les
adversaires-nés de l’autorité, avec laquelle ils n’avaient des rapports de quelque étendue que lorsqu’ils
refusaient de lui obéir ; leur importance politique était, non dans leur participation au gouvernement
de l’État, mais dans leur résistance, et à la résistance succédait presque toujours une soumission pure et
simple. Dès 1789, les assemblées politiques, loin de s’unir et de faire corps avec le gouvernement, se
déclarèrent ennemies : toute influence exercée par lui sur la représentation nationale fut traitée
d’atteinte à la liberté ; l’indépendance et l’opposition étaient, aux yeux des députés, non-seulement un
honneur, mais leur unique et véritable fonction ; les ministres du Roi furent exclus de l’assemblée ;
tous ses agents furent considérés comme autant d’oppresseurs qu’il fallait dompter ; l’action
du pouvoir exécutif fut partout, non point réglée, mais paralysée. On eût dit qu’il s’agissait, non de
faire en sorte que le gouvernement gouvernât bien, mais de le mettre hors d’état de gouverner. En vain
quelques hommes plus clairvoyants, comme Mirabeau et M. de Clermont-Tonnerre, essayèrent de
faire sentir les dangers de cette absurde conduite ; ils avaient eux-mêmes adopté quelques-uns des
principes sur lesquels elle se fondait ; ils s’avisèrent trop tard de lutter contre le fanatisme de
l’ignorance. On persista à voir, dans les assemblées, non un instrument destiné à contenir et à régler le
pouvoir même qui s’en sert, mais une puissance indépendante, appelée à contrarier et à enchaîner le

15
gouvernement. Ce principe seul devait conduire à l’anéantissement de l’autorité royale : elle périt en
effet ; et, comme il fallait bien que quelqu’un gouvernât, les assemblées s’emparèrent du pouvoir
exécutif.
Lorsque le gouvernement fut retombé entre les mains d’un seul homme, les assemblées
périrent à leur tour. En proclamant et en prouvant par les faits qu’elles se regardaient comme les
ennemies du pouvoir exécutif, elles lui avaient appris à les considérer sous le même point de vue. Dès
qu’il se sentit fort, il les relégua dans la servile oisiveté à laquelle elles avaient voulu le réduire,
et elles devinrent sous Napoléon, aussi étrangères au gouvernement que le gouvernement royal, de
1789à 1792, avait été étranger aux assemblées.
Certes, on ne voit rien dans cette histoire qui ait pu amener ou seulement préparer la fusion
des pouvoirs telle qu’elle existe en Angleterre. Il semble, au contraire, que tout ait tendu à les isoler, à
les désunir, à les rendre suspects et dangereux l’un pour l’autre. Et quand on observe quelle est l’idée
qu’on se forme en France du but et des devoirs d’une assemblée politique, quand on entend crier à la
perte de la liberté dès que le gouvernement essaye d’exercer quelque influence sur les élections, à la
corruption et à la servitude dès qu’il travaille à se former un parti dans les Chambres, quand on voit,
d’autre part, avec quelle réserve le gouvernement approche des Chambres, comme s’il craignait de
tomber dans quelque embûche en se plaçant trop près d’elles, combien il hésite à s’engager et à s’unir
même avec le parti qui le soutient et qui le sert, ou s’aperçoit que nous sommes encore sous le joug
des théories qui nous ont déjà entraînés à tant d’erreurs, et que le gouvernement et la nation
sontencore bien éloignés des habitudes politiques qui, en faisant disparaître la séparation et la lutte des
pouvoirs, doivent établir sur le terrain même de la liberté la force et le crédit de l’autorité royale. [...]

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